Le stress n’avait cessé de monter durant la préparation. Plus l’on se rapprochait du jour fatidique, plus on se disait qu’il manquait des détails, que telle chose n’allait pas, que telle épreuve devait être changée, que telles instructions méritaient d’être clarifiées. Normalement, tout avait été pensé pour que tout se passe dans les meilleures conditions : chaque équipe, de surveillance, de sécurité, de médecins, était composée de ninjas de divers horizons, pour être sûrs qu’il n’y aurait aucun moyen d’attenter à la vie de quoique ce soit. Chaque membre prenant une importance dans le dispositif avait été minutieusement choisi, des dossiers avaient été constitués : tout avait été fait pour garantir au mieux la sécurité de tous et le bon déroulement de cet examen.

Le jour fatidique, je m’étais réveillée aux aurores, sans trop savoir si, en fait, j’avais réellement dormi, me réveillant toutes les demi-heures de peur d’avoir raté l’heure du réveil. Finalement, je m’étais décidée à me lever plus de vingt minutes en avance, que j’avais passées sous la douche, laissant l’eau coulée sur mon dos, les bras croisés sur le mur, la tête fixant mes jambes. J’avais déjà compris tout l’enjeu personnel de cet examen : mon avenir s’y jouait – fait que Miko me confirmera quelques temps après les premières épreuves. Jamais je n’avais donné autant de ma personne, surtout dans un climat que je ne supportais vraiment pas. Mais c’était stressée comme jamais que je m’étais présentée devant cette horde de Genins, tentant de le cacher cette inquiétude du mieux que je le pouvais. J’ignorais si Kibo ressentait la même chose, mais je dois bien avouer que j’avais paniqué (ce qui est mieux, Kibo le fait assez sans moi et puis, en public, comme ça, devant tous les Genins…). La journée ensuite passa à une vitesse folle, dans la grande salle de contrôle. Pas une seule seconde je ne m’étais arrêtée, lançant des ordres aux équipes de sécurité, aux équipes de soin, aux équipes du planning, aux hommes en noir, aux personnes en charge de la Tour… Quand le dernier groupe, celui examiné par Natsuki, en eut terminé avec leur deuxième épreuve, je poussai le plus long soupir de ma vie, toute la fatigue accumulée s’abattant sur moi en quelques secondes. Je réussis à croiser le regard de Miko un instant, et je crus déceler une pointe de contentement. Fatigue ou non, elle me proposa le poste de bras-droit quelques heures plus tard, officialisant la chose dès qu’on rentrerait à Konoha. Rarement je n’avais éprouvé une telle fierté, un tel sentiment d’accomplissement au cours de ma vie.

Si vous êtes habitués à lire mes péripéties incroyables (modestement, évidemment) depuis quelques temps, vous remarquerez que ce que je viens de raconter semble bien plus formel qu’à l’accoutumée. Un peu comme si c’était mes mémoires. Et bien, sachez que vous n’avez pas totalement tort. Non mais attendez, je vais quand même devenir bras droit de la plus grande puissance militaire au monde, c’est quand même pas la moitié d’un trou de balle qui accède à ce poste, oh. Alors ouais, de temps à autre, je vais devenir un peu plus sérieuse, un peu plus poignante, un peu plus dark, même, qui sait (enfin, tout le monde sait que je suis au sérieux ce que « Chaud cacao » est à l’opéra lyrique, mais quand même). Mais trêve de bavardage, l’examen chûnin n’était pas fini, même si le plus simple restait à faire : l’épreuve des combats. Sur la semaine de battement, j’avais eu généreusement le droit de me reposer pendant deux jours, les deux suivant l’examen. J’étais dans mon lit, depuis une bonne vingtaine d’heures maintenant, quand la faim commença à me tirailler l’estomac. Grognant un peu de devoir quand même quitter le confort de mon lit sous peine de finir morte de faim, je me levai pour prendre une douche bien méritée. J’enfilai un short en jean et un débardeur noir, me coiffai rapidement et je partis en direction d’une bâtisse que j’avais repéré et proposant de la restauration rapide. Je pris une boisson fraîche et un sandwich chaud, et allai m’assoir à une table un peu à l’écart, embarquant par la même un journal local qui, comme à son habitude depuis plusieurs jours, ne parlaient que de l’examen. L’article était consacré au récit d’un groupe sorti vainqueur des deux premières épreuves, et j’eus un léger sourire en lisant l’interview d’un des protagonistes qui se vantaient énormément : pour avoir assisté à sa traversée, il n’avait passé son temps qu’à geindre et à se reposer sur ses deux compagnons.

- Ouhouhou, c’est toi ! La fille de l’examen ! Ouhouhou, moi c’est Hachi !

Ma boisson dans la main, mon journal dans l’autre, une paille dans la bouche, je ne fis que lever les yeux vers cet étrange personnage qui, déjà, m’avait impressionné lors de son épreuve, même s’il avait terminé éliminé. Avalant ma gorgée, je lui fis un sourire.

- Ouais, j’me souviens de toi.

Son tique de langage n’avait pas disparu, ce qui accentua mon sourire. J’adorais vraiment ce personnage, et le destin me permettait de le rencontrer en dehors du « travail ». Je pris avec plaisir la main qu’il me tendit.

- Moi c’est Mizuki. Tu te joins à moi pour manger ?

- Il le faut. Vous n’êtes pas quelqu’un de réellement commun.

Je lui souris. Hachi n’avait rien de commun avec tous ces ninjas inconsidérés, tous les mêmes, des gentils petits toutous qui obéissent à un cliché de ce que doit être le ninja. Plus âgé, plus excentrique, Hachi avait le mérite immense de se démarquer des autres, surtout à Kumo où il me semblait qu’ils étaient tous du même acabit, voués par volonté ou de forcé à l’adoration du Raikage que je détestais de plus en plus. Même moi, hein. Une gamine à qui il arrive des choses qu’elle ne mérite pas plus que d’autres, sans doute un peu surpassée ; une enfant naïve et mignonnette qui essaie de croire aux gens et qui est sans doute trop gentille. On est tous dans un moule. On vit tous dans l’ombre de quelqu’un qui nous ressemble et qui est mieux que nous. Au moins, être unique comme Hachi permet d’éviter les comparaisons futiles et, parfois, vexantes.

Il m’offrit ensuite un insecte d’argile, bien plus mignon que la plupart des insectes que j’ai pu croiser. Un Bakusho ? J’eus un petit sourire : je n’allais pas repousser son présent, mais nul doute qu’il ne resterait pas dans ma poche. L’argile de ce genre de clan est explosive et dangereuse. C’est comme si je lui offrais l’un de mes insectes, aussi « beau » soit-il. Je pourrais toujours en faire quelque chose. Toujours. L’intention cependant me fit le remercier, avant de reprendre la conversation.

- On les a faits à deux, avec Kibo. Qui a eu l’idée de quoi et à quel moment, je l’ignore. Ça a été un long travail pour recenser les compétences à évaluer, à contacter les examinateurs, à les analyser, à voir ce qui serait humainement et matériellement possible… Enfin, un travail d’équipe.

Lui accordant un nouveau sourire, je pris une gorgée de ma boisson. Je passai sous silence toutes les difficultés que nous avions eu, entre la sécurité à assurer pour ce genre d’évènement, l’équilibrage relatif de chaque groupe d’examens, les désaccords, les changements de dernière minute, la gestion du personnel… Au fond, tout cela était derrière moi maintenant. La suite s’avérait bien plus simple. Un tournoi final, sous les yeux de tout Suna, de tout Kaze, du monde entier.

- Et vous ? Pas trop déçu de vous être arrivé en si bon chemin ?

J’avoue avoir été surprise de la décision du Kumojin de descendre l’escalier. Il était si bien parti et avait de tels raisonnements que, jusqu’au bout, j’ai cru à sa qualification. Pas de chance, il était descendu et avait emmené dans sa chute ses deux coéquipiers… Bon, l’une avait été repêchée, mais bon…

- Vous avez floué tout le monde ?

Imperturbable, je finis mon assiette, fixant le Bakusho nouvellement désigné d’un air amusé. J’avais horreur de me vanter et de mettre en avant mes compétences et mes facilités, mais j’avais encore plus horreur qu’on me sous-estime. Je l’acceptais avec ma senseï et Kage – parce que bon, je vais pas faire la maline contre elle – mais je ne le tolérais pas avec les autres, et encore plus quand ils viennent d’autres nations. Par politesse, je le laissai finir. Un élément important était soulevé : la confiance plutôt que la compétence. Une analyse intéressante mais incomplète. La famille des gradés n’est pas spécialement promue dès que possible. Et les criminels et traitres ne sont pas des Genins. La confiance est relative et éphémère. La compétence ne s’estompe jamais. Elle se cache, on l’oublie parfois : mais jamais un ninja compétent ne perdra son talent. Je me levai de table, laissant le compte, un léger sourire sur la bouche. Une fois dans la rue chaude, et une fois qu’il a terminé son discours, je me tournai vers lui.

- Allons, Hachi-Kun. Vous croyez vraiment pouvoir duper tout le monde aussi facilement ? Croyez-vous réellement que tout le monde en surveillance ait pensé que vous ayez échoué par simple incompétence ou par étourderie ? La force d’analyser et de récolter autant d’informations sur vous avant de vous lancer dans cet examen m’a permis d’en apprendre bien plus que vous ne le pensez. Néanmoins…

Je me tournai vers lui.

- Votre analyse comporte certaines erreurs. Premièrement, penser que l’examen était public et que vous pourriez donc cacher vos pouvoirs. C’est faux : ceux qui bous jugeaient savez déjà ce dont vous étiez capables. Des gradés de Kumo faisaient partis des juges, vous savez. Vous n’avez, au fond, pas berné grand monde. Surtout que vous aviez un Homme en Noir faisant parti des plus perspicaces et des plus intelligents ninjas que ce monde porte actuellement. Beaucoup ont remarqué votre réticence à montrer votre plein potentiel, et croyez-moi : personne ne vous a pris à la légère.

J’avais pu en parler avec Natsuki pendant le débrief, et même Miko m’en avait touché deux mots, alors qu’elle avait suivi que de loin ce groupe : il était intéressant. Comme quoi, son sentiment de compétence était peut-être surestimé : il n’avait pas été capable de camoufler sa réelle puissance.

- Et penser que les promotions ne se font qu’à la confiance est également une erreur. Ne sous-estimez pas les Chûnins, Hachi-Kun. Certains pourraient vous tuer juste en vous regardant dans les yeux.

Je souris, plongeant mon regard dans le sien. Avait-il compris que je parlais de moi ? Sans doute, comme je l’ai dit il était bien plus futé qu’il ne voulait le faire croire. Et là était sa principale erreur : penser que tout le monde était tombé dans le panneau. Bien au contraire : j’avais bel et bien cerné qu’il était un shinobi redoutable.