« Vous êtes certain? »

Mon expression dénonçait réellement ma déception au moment où le chef des commerçants de Chikagai m’explique que l’homme que je cherche, le marchand ambulant, ne prend pas son chemin habituel puisque nous sommes en fin de mois. Il me montre rapidement la voie qu’il prendra qui longe la frontière de Yu no Kuni en passant par chacune des stations thermiques pour apporter nourriture, boissons et autres biens aux employés qui y résident.

La mine bien basse, je remonte sur Boke et débute avec celle qui se trouve en périphérie de la cité dans laquelle j’ai dormi la veille. Mon cheval transportant non seulement ma personne, mais aussi mes grands carquois dans lesquels se trouvent quatre-vingt sabres, je voyage jusqu’à l’autre centrale qui se trouve du même côté du Shounryouudou.

Avançant d’un trot plutôt lent, j’en profite pour apprécier les paysages plutôt différents des montagnes de ce coin du monde. Avec la certitude d’être, cette fois-ci, du bon côté du trajet du commerçant nomade et, en plus, dans la bonne direction à la bonne heure, je décide de prendre mon temps.

*Cette fois-ci, c’est la bonne, je retrouverai cet homme et j’aurai mes réponses! Cette fois-ci, je saurai d’où sort cette rumeur à propos des Samuraïs cachés dans des grottes de certaines montagnes!*

Passant entre monts et petits lacs, j’arrive dans une partie un peu plus clairsemée. J’en profite pour déjeuner, maintenant que le soleil est très haut.
Je m’installe dos à un des rares arbres du coin et, d’une poche d’un de mes énormes étuis, je retire mon repas. Il est composé uniquement d’une miche de pain, de quelques fromages, de viandes séchées et d’un plat de légumes avec des nouilles froides. En fait, les nouilles sont plutôt tiède, vu la température, mais cela ne devrait rien changé au goût général.

J’invite Chokushi à prendre part au repas, sifflant sa chanson d’appel. Le grand hibou du désert se laisse planer jusqu’à moi, s’installant sur mon genou. Je partage avec lui ma miche de pain et mon fromage, conservant pour moi le reste. Caressant le cou du rapace amical, mes oreilles captent un bruit de pas suspect.

Il faut dire que cet endroit n’est pas privé et, s’il l’était, je serais celui qui n’est pas à sa place. Mais, mon attention est attirée vers ces sons. Je repousse doucement mon oiseau qui disparaît en vitesse vers les cieux et m’approche de ma vieille bourrique.

« Bonjour? » Demande-je, restant prêt à partir si jamais danger il y a.

La chasse...

Un art intemporel, et qu'il était impossible de changer, ou de supprimer. Immuable est la chasse des proies par les prédateurs. Mais tout ceci n'était qu'un cercle, personne ne pouvait demeurer indéfiniment à la tête de cette chaîne. Car même dans la race prédatrice royale, les prédateurs se bouffaient entre eux, afin de ne pas voir s'émousser leurs sens, et de voir vieillir leur puissance...

Et actuellement, une partie de chasse se déroulait. Une chasse importante... Une chasse pour la survie. Se promenant tranquillement dans la forêt afin de se détendre, Yahiro sentit soudainement plusieurs présences autour de lui. Continuant son chemin en faisant comme si de rien était, il sentit la lame de son dos sortir de son sommeil. Elle vibrait... Et lorsque Syl se réveillait, ce n'était jamais pour rien. Elle avait toujours une bonne raison... Ou une mauvaise.

Alors il s'arrêta. Si sa Douce avait décidé de les punir par son châtiment divin, alors ainsi soit-il. Dans l'absolu, il avait la possibilité de ne pas suivre la voie de son épée, et de continuer son chemin. Simplement... Il ne pouvait pas. Il ne s'en sentait simplement pas capable. Il était comme irrémédiablement poussé a réalisé cette volonté... Ce sentiment était inexplicable, impensable, mais c'est ce qu'il ressentait.

« Montrez-vous qu'on en finisse... »

Il soupirait. Il était déjà ennuyé de la situation... Les bandits sortaient de leurs cachettes, un gros sourire s'affichant sur leurs visages. Bon sang... Depuis quand ces criminels étaient devenus aussi bêtes et méchants ? Yahiro se le demandait régulièrement... Mais à chaque fois, il fallait le dire, il avait la flemme de trouver une réponse.

« Tu comprends vite gamin ! Allez, donne-nous tout ce que tu as si tu ne veux pas avoir de gros ennuis... »

Yahiro posa la main sur son fourreau. Il sentait sa lame, qui vibrait d'impatience. De ce geste, un des bandits armés d'une masse couru vers lui afin de lui asséner un coup sur la main. Dommage pour lui, le Nukenin esquiva rapidement l'assaut, avant de lui planter son épée dans le cœur. Mais cette dernière ne fit que le traverser, sans même le blesser...

Retirant sa Douce délicatement du corps impure, il regarda froidement le Bandit se tenir le torse en hurlant, sous les yeux stupéfaits de l'assemblé tout aussi peu fréquentable que lui. On ne le voyait pas, mais il ressentait une douleur terrible, comme si son cœur allait s'arrêter de battre, comme s'il allait mourir sur l'instant...

Et c'est ce qui arriva. La douleur était telle que son cœur ne la supporta pas, et il mourut dans un ultime gémissement de douleur. La peur, la colère, la haine... Un torrent de sentiment néfaste envahissait les âmes de ses adversaires... Yahiro soupira. Ils étaient des bandits, mais ils leur restaient un infime sentiment de camaraderie.

« Je n'ai rien contre vous, simplement... »

Son regard se posa sur la lame de son épée. Un côté noir d'ébène, l'autre d'un blanc éclatant...

« C'est le destin. »

Il se mit en courir, fauchant trois des leurs, qui tombèrent comme des mouches. Face à eux, il était un Dieu. Mais pas n'importe lequel, un Dieu de la mort. Un Shinigami fauchant l'âme de ses ennemis... La lame de son épée virevoltait, tranchant ses ennemis. Mais dans l'agitation, un fini par courir et s'échapper... Et dans un souffle, Yahiro disparût.

Courant de toutes ses forces, le bandit était parvenu à atteindre un autre homme, essoufflé et paniqué, il lui hurlait ces mots :

« C'est ! C'est le démon ! À l'aide ! Je ne veux pas... »

Il s'arrêta, hurlant, tandis qu'une lame sortant du vide traversait désormais sa poitrine, sans même qu'une seule goutte de sang ne tombe. L'homme tomba, gisant sur le sol en hurlant des phrases incompréhensibles, dans un état de folie agonisante. Derrière lui, Yahiro se dévoilait. D'abords des extrémités, un fil rougeoyant revenant jusqu'au centre de son corps. Sa lame, toujours aussi immaculée. Fixant l'Homme en face de lui, il était direct.

« Il va mourir. Comme ces amis, ils vont mourir. Ils mourront pour avoir tenté de me tuer. Ma question est simple... Vas-tu les défendre et les rejoindre dans la mort, où vas-tu ne rien faire, laissant justice s'accomplir ? »

Ses yeux dorés le fixaient, son visage n'affichait aucun sentiment, simplement de la sévérité. Qu'allait-il faire ?

Après ma question, un homme sort du chemin qui était caché derrière de grandes roches formant la base des monts adjacents. Il hurle, il parle d’un démon. Ma poigne se renforcie sur Déshonneur malgré ma position à moitié montée sur Boke.
 
Soudainement, il apparaît. Rapide comme l’éclair, il frappe l’autre. Il n’y a aucune goutte de sang. Mon regard est subjugué. Je ne comprends pas. Aussitôt, je sens la pression sanguine dans mon crâne s’accumuler. Je sens les veinures apparaître aux bords de mes yeux. Un intérêt incroyable m’aspire. La victime tombe sur le côté, tremblante.
 
*Aucun sang, cette lame l’a pourtant foudroyée. Il git, au sol, tremblant, comme s’il avait des blessures internes. L’homme me fixe, combattif, mais pas enragé. Comment est-ce possible, de tuer un homme sans salir son arme? Quelque chose d’anormal se passe, ici.*
 
Je souris.
 
Je souffle pendant une longue seconde, reprenant mon calme et ma sérénité.
 
« Pourquoi? Pourquoi est-il mort? Qu’a-t-il fait? Votre réponse décidera de la mienne puisque je n’accepte et n’accepterai jamais le meurtre inutile, » réponds-je d’un ton sévère. « Sous quelle condition la mort est-elle justice? Y a-t-il eu meurtre? Pourquoi les représailles amènent-ils à la mort? »
 
Je pense pendant un long moment au code de conduite du Zen’Ryou : Aider les gens dans le besoin, ne pas juger sans comprendre le fondement, utiliser les armes qu’en dernier recours, considérer les gens comme étant des égaux et évoluer selon les besoins. Je passe une main sur ma nuque, déplaçant ma crinière blonde.
 
Lentement, je descends de ma monture, maintenant de retour à un état serein. Je fais trois pas en direction du nouvel arrivé. Mon sourire disparaît à chaque pas. Mes paumes sont sur les pommeaux de mes Katanas, de Froideur et de Déshonneur, mais mes doigts sont relevés démontrant mon désir d’écouter, de ne pas prendre une décision hâtive.
 
Un vent se lève, un vent très chaud provenant de l’Est. Il est peut-être modifié par la centrale thermique qui devrait être encore à une bonne distance pourtant. Je cesse mon avancée à une dizaine de mètres de l’assassin. Mon regard est sérieux. Mes yeux ne le quittent pas. Les siens sont dorés comme les miens lorsque la lumière s’y glisse.

Il souffle. Un long soupir, lui laissant reprendre le contrôle sur la tension qui s'était installée. Yahiro l'observait, scrutant le moindre de ses mouvements, ne loupant aucun battement de cils. À la moindre attaque ou tentative d'attaque, il agirait immédiatement, fauchant son âme et moissonnant son dernier souffle de vie.

L'homme aux mille épées prit un ton sévère, demandant la raison d'un acte insensé. Qu'est-ce qui était le plus insensé entre commettre un meurtre et demander la raison de ce meurtre afin de justifier un meurtrier ? Le Sabreur se perdait dans ce flux de pensée. De sa réponse dépendrait la suite de cette conversation... Le tout était de savoir si c'était part la parole ou par l'épée que l'homme devant lui souhaitait converser.

La suite troubla l'homme aux yeux d'or. Dans quelle condition la mort était justice ? La vérité, c'est qu'il ne savait pas. Son regard se posa sur sa lame... Elle vibrait un peu, dégageant cette aura si particulière qui brisait toutes les volontés. Ce n'était ni le mal, ni le bien qui la guidait, elle suivait son propre chemin.

« Depuis quand un meurtre est utile à tes yeux ? »

Yahiro baissa sa lame, mais la tenait toujours face à l'homme. Il semblait sur la défensive, mais il ne souhaitait pas un combat. Et ce sentiment était réciproque, celui-ci n'avait rien à voir avec les bandits d'auparavant.

« Il se jouait du bien d'autrui, et se nourrissait en pillant et volant. Je ne fus qu'une des nombreuses victimes de ces forfaits, à la différence que je serai la dernière. »

Il regardait l'homme aux cheveux blonds, continuant de répondre à ses questions bien qu'inutile.

« Tu poses beaucoup de questions, comme si tu cherchais une réponse... Mais pour moi, il n'y a aucune justice dans la mort, sauf pour une exception. »

Yahiro poussa un soupir, avant de reprendre.

« Lorsque l'on brandit soi-même une arme, il est juste de mourir par l'arme d'un autre. C'est la seule condition qui fait que la mort est Justice. Le reste n'est qu'un mélange de vengeance teinté de fausse noblesse. »

Son regard se posa sur sa lame...

« Elle, elle ne comprend pas les notions de bien ou de mal que l'humanité à instauré. Elle trace son propre chemin dans cette réalité qui diffère de la nôtre. Je ne suis que son exécuteur, et c'est elle seule qui décide d'abattre son châtiment Divin sur l'Homme. Mais ni par le sang, ni par le fer... Elle inflige des blessures bien plus profondes que cela. »

Il replaça sa lame dans son fourreau.

« Que tu le crois ou non, je ne suis que son exécuteur. Et je n'ai aucune envie de prendre la vie de quelqu'un qui n'est pas conscient du pouvoir qu'il détiens, mais qui est suffisamment raisonnable pour comprendre que c'est quelque chose d'important. Maintenant, à toi de faire ton choix. »

Il sentit une friction dans son dos.

« Discuter par la voix ou par l'épée. Je respecterai ton choix. »

*Contrôlé par une épée?*

Perplexe, je laisse mes bras monter et se croiser. Seul mon avant-bras droit sort de cette forme pour apporté jusqu’à mon menton mon pouce et mon index qui se mettent à caresser les quelques poils mal rasés qui sortent.

Il a donc tué ces hommes parce qu’ils étaient des brigands, des gens qui se nourrissent de la souffrance des autres, des bandits de la forêt. Sans modifié ma position de réflexion, j’ai un rictus agacé très visible. Son point de vue est le suivant : celui qui ose retirer sa lame de son fourreau mérite d’être occis. Je n’approuve pas, mais c’est difficile de d’aller à l’encontre complètement. Notre monde est principalement violence et produit des hommes comme lui, des êtres qui vivent et périssent par le fer, continuellement. J’aurais honnêtement préféré qu’il les laisse vivant, toutefois.

Par contre, là où son raisonnement m’irrite est qu’il écoute son arme. Soit il a une forme de disfonctionnement mental qui fait en sorte qu’il entend sa lame, soit il se ment à lui-même, soit son arme lui parle réellement ou, finalement, soit il est manipulé par une tiers personne par une méthode qui m’est encore obscure. Quoi qu’il en soit, l’assassinat de brigands est quelque chose qui est difficile à condamner, surtout s’ils l’ont attaqué. Cependant, qu’adviendrait-il si…

« Monsieur, je n’ai qu’une dernière question avant de prendre une décision. Sachez que je comprends votre réaction envers ces bandits. Je n’aime réellement pas que vous les ayez tué, vous montrez votre incapacité à gérer des situations toutes simples de façon honorables, mais ce n’est pas suffisant pour me faire sortir les armes, » dis-je. « Je n’aime pas la violence gratuite, mais il s’agissait d’une forme de légitime défense même si elle s’est rendu particulièrement loin. »

Je lâche prise de ma mâchoire pour laisser cette main passer au-travers de mes cheveux jusqu’à l’arrière de mon crâne qu’elle gratte à plusieurs reprises alors que je dépose ma main gauche sur ma hanche et déplace mon point d’appui d’une jambe à l’autre. Mon expression revient souriante sans être complètement sympathique.

« Par contre, qu’adviendra-t-il si votre lame décide qu’un innocent doit être attaqué? Qu’arrivera-t-il si votre épée décide qu’il est temps pour vous de massacrer un bébé ou de détruire un habitat de simples ouvriers qui n’ont rien à voir avec la guerre ou la violence? Que ce passera-t-il si votre arme vous dicte de donner la mort à quelqu’un qui n’a pas dégainé d’arme, comme vous l’avez mentionné plus tôt? »

Mon regard reste froid malgré le sourire qui teinte mon visage. Ma position reste détendue malgré l’adrénaline qui, lentement, monte en moi. Le vent se lève. Une tempête sera bientôt au-dessus de nous. Ce n’est rien de spécial pour cette contré, mais il y a quelque chose d’ambiant à cette température, mélange de moiteur venant des sources chaudes, brise des montagnes et humidité qui amène la pluie. Ma tête se penche très lentement sur le côté, observant tous les gestes de celui qui à terrassé de sa lame un voleur sans qu’une seule goutte ne tombe et sans qu’un seul pli n’apparaisse sur la peau de son visage.

Alors ? La voix ou l'épée ? A première vu, ce serait la voix. Mais au lieu de répondre à la question que je lui avais posée, il préfère repartir sur ses questionnements étranges et des affirmations tout aussi insensées. Je me demandais dans quel monde il vivait pour me dire que je n'arrivais pas à gérer des situations simples... ? Était-ce la vérité ?

Je sentais Syl qui vibrait dans mon dos. La douce présence qu'elle dégageait me réconfortait sur mon précédent discours, et sur la suite des évènements. J'ignore pourquoi, mais j'avais l'impression qu'il essayait sans cesse de justifier le fait de ne pas vouloir sortir les armes. Est-ce que j'avais en face de moi ce genre de personne qui, comme les petits délinquants, se défendait sur le fait que leur victime poussait le bouchon un peu trop loin ? J'en avais foutrement aucune idée.

Et au fond ? Je m'en foutais royalement. Ce gus pouvait se ramener avec sa belle crinière blonde et ses quatre-vingts cure-dents, j'avais sur moi ma Douce. Et à ce sujet, il ne pouvait rien y faire. Elle ne parlait pas, elle n'en avait pas besoin... Il suffisait qu'elle soit avec moi pour que tous mes choix deviennent d'une clarté absolue.

Et là... Et là... J'explosais de rire. En fait, je ne peux pas me retenir, tellement la suite est hilarante pour moi. Syl ? Assassiné des innocents ? Des enfants ? Avait-il au moins la moindre idée qu'elle était la chose la plus pure de cette terre ? Apparemment pas. Ma Belle ronronne dans mon dos, j'imagine qu'elle est satisfaite de ma réaction. Puis, me reprenant après ce petit entracte de folie, je reprenais malgré moi, toujours en riant.

« C'est n'importe quoi ! Il faut arrêter de voir le mal partout ! »

Puis, je me reprenais, tout en soupirant.

« Si pour toi, toutes les épées que tu portes ne sont qu'une suite de lames identiques, alors je pense que tu as encore beaucoup de choses à apprendre pour un épéiste. »

Je le fixais de mon regard, un petit sourire en coin.

« Elle ne ferait jamais une chose pareille, parce qu'elle n'est pas comme nous. Elle est dénuée de toute émotion, de toute envie et de toute ignorance. Le désir humain ne l'atteint pas, ni les pulsions animales. C'est pourquoi, tous tes cas de figure sont impossibles, et me font doucement rire... »

J'étais décontracté. La présence de Syl ronronnant dans mon dos me rassurait... Posant une main sur ma hanche, je continuais.

« Tu me rappelles souvent que ce que je fais n'est pas suffisant pour te faire sortir ton arme. Mais est-ce que cela ne cache pas des pulsions internes que tu contiens désespérément ? D'ailleurs tu ne m'as pas répondu... »

Mon regard se fit plus sérieux.

« Depuis quand un meurtre est utile à tes yeux ? »

Suivant mes questions, cet homme éclate de rire. Malgré l’intensité derrière chacun de mes exemples et malgré l’énormité qui se cache sous mes interrogations, le détenteur de l’épée qui transperce sans rougir m’explique entre deux gloussements que son arme, sa Douce, n’a aucun intérêt similaire à ceux que j’ai énoncé. Il insinue, par le fait même, que j’ai encore beaucoup à apprendre en tant que combattant et, aussi, réitère sa question.

« Depuis quand un meurtre est utile à tes yeux ? »

Je ferme les yeux, soupire et les rouvre. Ce que je m’apprête à dire enragerait les autres membres du Zen’Ryou. Nous avons des objectifs communs, mais je suis conscient de notre différence, eux et moi.

« Lorsqu’il n’y a aucun autre moyen de sauver des vies. Je déteste réellement la violence et encore plus lorsqu’elle fait perdre la vie à quelqu’un. Je ne crois pas avoir de pulsions, comme vous dites, outre le besoin d'aider mon prochain et de protéger ceux qui ne peuvent se défendre. »

Je laisse descendre mes bras le long de mon corps, beaucoup plus détendu qu’auparavant. Une brise, plus fort, fait flotter ma crinière. Entre les mèches en mouvement frénétiques qui fouettent mon visage, j’arrive à maintenant le contact visuel avec lui. Je reste immobile pendant quelques secondes avant de reprendre la parole.

« Un peu comme vous, lorsque quelqu’un décide qu’il prendra la vie à quelqu’un d’autre, sauf que je tente toujours d’user d’autres moyens pour éviter les morts avant d’en causer d’avantage. J’y arrive pratiquement toujours en ce moment. »

Le vent s’apaise. Je déplace ce qui reste de mes cheveux vers l’arrière de ma tête.
« Si j’avais agi trop rapidement, il y aurait eu un mort de plus, ici, non? Dans quelle utilité? Maintenant que je sais que vous ne voulez pas répandre la mort et que votre Lame n’a pas cet objectif non plus, je ne vois pas quel est le problème. »

Tenant la totalité de ma chevelure d’une main, formant une queue de cheval, j’insère un cure-dent dans ma bouche. Ensuite, j’entame une tresse maladroite.

« Évidemment, je préfèrerais que vous ayez la capacité d’éviter les morts, aussi, mais tous ne partagent pas mon point de vue. Pour quelqu’un de votre trempe, ne serait-ce pas simple d’assommer vos adversaires? Ne serait-ce pas possible de les capturer et de les envoyer en prison? »

Toujours en tressant ma crinière, je relève le menton, observant celui qui a tué un homme devant moi.

Il répondit finalement à ma question. Et qu'elle réponse... J'avais envie de pousser un soupir tellement elle était banale et utopiste, mais je ne le faisais pas. Simplement parce que je respectais vaguement ce genre de personne suffisamment naïve pour penser être à l'abri des pulsions malsaines du genre humain, ou n'avoir que des pulsions altruistes. Certes, nous étions tous différents de nature, mais ceci était un peu la « Base » du genre humain. Malsaine, certes, mais une base tout de même.

Mais je dois avouer que j'avais un peu de mal avec ce raisonnement débile. Tuer pour sauver des vies ? C'était du grand n'importe quoi. Je voulais bien admettre que tuer était une nécessité, et non pas un plaisir, simplement je ne pensais pas que l'on puisse se targuer de sauver des vies. Et j'allais clairement lui exposer ce point de vue une fois qu'il eut fini.

Et il avait raison. S'il avait choisi la voie par l'épée, je n'aurais pas attendu plus longtemps pour engager le combat. Pourquoi ? Pourquoi ne pas tenter de le raisonner ? Parce que justement, c'était un choix. Et que lorsqu'un Homme avec un grand H fait un choix, on doit le laisser aller jusqu'au bout de ce choix. Je n'étais pas du genre à raisonner les gens, mais plus à leur montrer l'étendue de leurs erreurs par l'expérience.

Je pouvais sentir les ronronnements de Syl dans mon dos qui m'assurait de la véracité des pensées précédente. Comment ? Une simple intuition, un simple pressentiment. Rien de plus, car après tout, pourquoi devrais-je avoir besoin de plus ?

La suite me fit encore doucement rire, mais là, c'était une autre histoire. Assommer mes adversaires pour les envoyer en prison ? Avais-je une tête à me trimbaler avec une prison portable sur moi, où a aller livrer quelqu'un aux autorités Shinobi dans lesquelles je ne plaçait aucun espoir et aucun respect ? J'avais vu de quoi était capable des villages Shinobi, et je dois dire que je n'approuvais en aucun cas leurs méthodes.

« Détrompe-toi. Si quelqu'un décide de prendre la vie à quelqu'un d'autre, je n'interviendrai pas. Où j'interviendrai uniquement si la personne est en incapacité de se défendre, ou en combat inégal. Je n'ai pas particulièrement de pulsion meurtrière ou d'autres trucs psychopathes de ce genre... Mais je ne pense pas qu'enlever une vie pour en conserver une autre, on peut appeler un sauvetage non ? C'est plus une sorte d'échange, mais ce n'est pas un sauvetage. »

Je poussais un soupir, avant de continuer.

« Enfin si tu penses n'être soumis à aucune autre sorte de pulsion que l'altruisme à l'égard d'autrui, permets-moi de nuancer tes propos. Tu as envie de faire le bien et d'aider autrui, mais comme tout le monde, tu es soumis à des pulsions meurtrières, colériques, etcetera... Après, ce n'est qu'une question de variation d'intensité des pulsions. »

Je détournais ensuite la tête, passant une main dans mes cheveux.

« Ne crois pas, j'ai beaucoup de respect pour ces types comme toi qui se la joue un peu : défenseur de la Veuve et de l'Orphelin... C'est pas très original comme concept, mais si les têtes brûlées qui dirigent et se cachent dans leurs villages regardaient ailleurs que leur nombril, peut-être qu'ils pourraient adopter ce concept. Et ça ne ferait pas de mal à ce monde, crois-moi. »

Je poussais un énième soupir, avant de placer de nouveau mon regard dans ces yeux et de reprendre.

« Je suis Citoyen du Monde. Je n'ai pas de prison sous le coude, et je ne fais aucunement confiance aux autorités qui foutent la pagaille sur cette terre et qui se cachent ensuite dans leurs pseudos villages-forteresses Ninja. »

Je soupirai, avant de prendre une profonde inspiration.

« Tu tues parce que pour toi, c'est l'ultime solution pour sauver des vies. Personnellement, je n'y vois qu'un simple échange. Une vie pour une autre. Tu choisis juste celle qui te semble la plus profitable à l'humanité, et tu t'encenses de ton meurtre pour avoir « sauvé » une vie. Mais j'ai une question pour toi... »

Je le fixais de mon regard doré.

« Qui es-tu pour juger, à toi seul, tes semblables ? »

Je termine ma tresse alors que l’homme possédé par sa lame me fait la morale, en quelque sorte, tout en soupirant continuellement. Il semble étrangement déçu par mes propos ou par mon attitude. Sous mon regard interrogateur, il succède plusieurs pensées m’expliquant pourquoi il était mitigé par rapport à mon point de vue, par rapport à mes explications qu’il considère à la fois banales et honorables, utiles et imprécises.

Et, ensuite, ses mots me frappent aussi brutalement qu’aurait pu le faire sa Douce. Mon expression change du tout au tout : yeux écarquillés, bouche entrouverte, souffle un peu plus rapide.

« Qui…? »

*Qui suis-je pour juger de mes semblables? De qui doit ou ne doit pas survivre? Qui suis-je pour décider qui est un criminel et qui ne l’est pas?*

Je secoue la tête, reprenant une composition plus solide, ramenant mes bras sur mon buste et en les croisant.

« Je ne veux pas juger, je veux simplement que le plus grand nombre d’humains puissent vivre en paix. Ceux qui perturbent cette paix ont simplement à faire à moi. Je tente toujours de raisonner les gens. Ça fonctionne, parfois. Sinon, j’arrive à les capturer sans trop les blesser et, ainsi, les laisser être juger par leurs pairs. Si je tue, ce n’est pas un échange aussi simple; ce n’est pas du un contre un. »

Je fais un pas vers l’avant et laisse mes mains à leur véhémence habituelle, ne ressentant plus d’hostilité de l’homme. Ce dernier s’intéresse à mon point de vue, il désire savoir qui je suis et pourquoi je fais ce que je fais. C’est la même chose de mon côté. Nous ne sommes pas ennemis, mais simplement deux hommes cherchant à comprendre l’idéologie de l’autre.

« C’est d’occire un monstre qui refuse de faire autre chose que de tuer des dizaines, voire des centaines, de personnes. Et, même dans cette situation, je tente de le conserver en vie. Je n’aime pas la violence, monsieur, et je n’aime pas tuer. C’est simplement, parfois, la seule voie que je trouve. »

Ma main attrape un cure-dent dans ma poche et le monte dans ma bouche. Mon attitude est plus détendue, moins rigide.

« Je ne crois pas être supérieur à qui que ce soit. Je ne pense pas que ma voie est meilleure, mais c’est celle que j’ai choisi. Je veux aider la victime et protéger l’innocent. Je veux éviter des morts et je tente de sauver le plus grand nombre de vie. Je vois la finalité, l’ère de paix que je désire créer. J’œuvre pour y arriver du mieux que je peux, monsieur. »

Je dépose mes mains sur mes hanches.

« Et si certaines de mes décisions font en sorte que les autres me détestent, soit! Je suis certain que mes efforts porteront un jour fruit et amélioreront la condition de tous les êtes vivants! »