Personne. Une fois de plus, je m’étais assis sur l’un des toits de Konoha. Cette fois-ci, je n’avais pas choisi un toit particulièrement en hauteur. Non, de la rue, on pouvait aisément m’apercevoir, mais il aurait alors fallu lever la tête vers le ciel. Or dans un village aussi actif, personne ne lève jamais la tête. Je me sentais en sécurité et en contact avec les autres en même temps. C’était assez agréable de se sentir ainsi en symbiose avec son environnement. Je laissais les problèmes de ces individus que je ne connaissais pas me traverser le cœur. Sans le vouloir réellement, j’écoutais toutes leurs pensées, je les captais comme une radio spirituelle. Bien sûr, je n’étais pas complètement réceptif à toutes les phrases qui pouvaient bien passer dans leurs indomptables esprits mais je parvenais tout de même à capter certaines bribes de réflexions. Aussi cette seule capacité me permettait de ne pas me sentir seul et d’en même temps, ne pas rechercher à trop me rapprocher de mes semblables.

J’étais donc sur ce toit, au calme. C’est alors que je l’ai vu. Un homme, un homme seul et aux pensées trop sombres pour être un simple individu lambda. Il portait un chapeau, une sorte de béret. Il s’était habillé d’une veste et d’un pantalon complet. Par un tel été, ce n’était pas très malin, et cela malgré le fait que la soirée commençait à s’installer doucement. Je l’avais remarqué dès son entrée dans la rue à laquelle je faisais face. Il n’avait pas levé la tête et n’avait pas encore ressenti l’attention toute particulière que je lui accordais. De sa tête je ne captais rien d’autre qu’un curieux sentiment néfaste. Il avait ou s’apprêtait à faire quelque chose de mal. Bien entendu, je n’étais nullement en désaccord avec ça. Il pouvait bien faire ce qui lui chantait, cela ne me regardait nullement. Je laissais à tous les bons droits d’être homme de bien ou suppôt du mal. Mais il avait l’air intriguant et il avait, sans le vouloir, éveillé ma curiosité. Je n’aimais pas tant que ça végéter sur place sans rien faire. Aussi je décidais de le suivre. En me relevant, je fis un bond sur un toit adjacent et débutais ma filature.

Un bon moment je le suivis. Il avait les gestes, les mouvements et l’itinéraire d’un homme qui ne souhaitait pas être suivit. Pauvre de lui si je voyais juste donc. Mais il finit par s’arrêter. Il était depuis quelques minutes passé dans l’un des quartiers les plus pauvres de Konoha et s’était fait une joie d’emprunter les rues les plus désertes possibles. Il s’engouffra finalement dans une rue dans laquelle je le suivis en revenant au niveau de la rue, quittant ainsi mes perchoirs en hauteur. Surprise cependant, puisque mon homme n’était plus là. Il n’y avait qu’un cul de sac. Un cul de sac comme on en voit qu’à la télé. Sans poubelle, sans petite structure ou travaux. Il était certain que derrière ce mur qui prolongeait la rue, il y avait quelque chose de caché. Je sortis de ma sacoche mon bâton rétractable et le tendis donc en direction du mur. Mais lorsque je voulus taper dessus avec, je me fis violemment repousser sur une très longue distance. Ce fut comme si un dieu m’avait donné une pichenette phénoménale. Je volais tout droit sur plusieurs dizaines de mètres et m’étalais sur le dos contre le mur en face du cul de sac. Là, je m’affalais sur le sol, un peu de sang coulant de mes lèvres.

C’est là que je la vis. Des cheveux bleus foncés, des yeux sombres. Elle ne semblait pas comprendre ce que je faisais là, ni pourquoi j’étais soudain apparu contre le mur. Pourtant elle me regardait avec ce regard curieux et inquisiteur. Un instant, j’eus voulu lui demander si elle savait quelque chose sur ce mur qui m’avait propulsé si loin, surement sous l’effet d’une protection ninjutsu, mais je m’abstins. Au lieu de cela, je me contentais de sourire, sourire comme je savais si bien le faire, en me relevant. Je pris appui sur mon bâton et la regardais avec un regard humoristique.

« Je crois que le vent est assez fort aujourd’hui… »

Je repris ensuite un regard sérieux, regardant à droite puis à gauche…

« Vous ne sauriez pas où je me trouve par hasard. Je crois que je me suis perdu. »

- Je sors, Masashi.

C'était dit, sans tact ni affect. Une simple observation, alors que je me levais de notre table, et me décidais à affronter le monde en dehors de cette auberge minable. L'adolescent se contenta de froncer les sourcils, avant de me demander sur ce ton que je ne connaissais que trop bien.

- Tu vas où, ane ?

Inquisiteur, comme si on lui devait tout. J'étais comme ça, avant. Mais ça, c'était justement, avant. Je me contentais de soupirer, lasse, sans me tourner vers lui.

- J'ai besoin de me changer les idées, je vais marcher un peu ...

Masashi garda le silence quelques secondes, avant d'acquiescer.

- Aye, mais 'fais gaffe, j'aime pas trop ce quartier.

Je l'aimais pas nan plus, mais c'était le seul endroit où on pouvait trouver de quoi se loger avec nos maigres moyens. Un petit sourire, triste, se logea sur mes lèvres.

- Tu me connais ...

Ce n'était pas, ce n'était plus mon genre de m'attirer les ennuis. Il n'empêche que je gardais à la ceinture un sabre en bois, ceux en acier étant trop chers. Il pouvait dissuader les caïds du coin, mais face à quelque chose de plus sérieux, je savais qu'il ne me serait pas de grand recours. Et à ce moment là ...

Je ne préférais pas y penser.

J'étais dehors, quittant la chaleur des lieux. Je resserrais mon manteau autour de moi, alors que je traçais un chemin au hasard. Me contentant de vagabonder là où il y aurait le moins de personnes. Pour réfléchir au bien fondé de ce que nous faisions. Les retrouverions-nous un jour, Tatsuo et Mei Lin ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Mais ce que je sais, c'est que je suis paumée. Et merde.

Je m'étais arrêtée, trouvant les lieux un peu trop délabrées, pour arriver à la conclusion. J'étais perdue, seule et dans un endroit visiblement assez hostile. Je n'étais pas ce qu'il y avait de plus prospère dans le coin, et pourtant, il me semblait que je l'étais assez pour attirer l'attention. Merde. Je marmonne une vague injure, me maudissant. Moi et mon sens de l'orientation déplorable.

Mais quelque chose m'interrompt. Je l'avais plus senti que vu, à proprement parlé. Mais quelque chose, ou quelqu'un avait été expulsé violemment contre un mur. Un quelqu'un, après un rapide regard en sa direction. Étonnée, mes traits révélaient l'état de mon esprit face à la situation. Je le regarde. Il me regarde. Je regarde l'endroit d'où il vient : Il n'y a rien, strictement rien. Et ça n'inspire rien de bon.

Alors quand il commence à me parler, c'est limite si je ne sursaute pas. Il me sourit, mais je n'arrive pas à y trouver du réconfort. Quelque chose me dit que je suis en danger, là, tout de suite. Et il faudrait que je fasse avec, alors que je reculais d'un pas, en souriant maladroitement.

- Désolée, mais je ne viens pas d'ici mon ami, je suis moi-même égarée ...

Je reculais d'un nouveau pas, une certaine peur étreignant mes entrailles.

- Je ... vais revenir sur me pas, et on va faire genre que notre rencontre n'a jamais eu lieu, ça vous va ..?

Mon sourire sonnait vraiment faux, là tout de suite. Il faut dire que, un peu plus, et la terreur me paralyserait sur place. Mais je ne devais pas y céder. J'avais quelque chose à faire, et cet inconnu, quel qu'il soit, n'allait pas sonner une fin à ma quête.

Dans toutes les circonstances, un sourire est généralement le meilleur moyen de détendre l’atmosphère. Cependant il existe des cas où la personne en face de vous est tellement timide ou intimidée que cela ne fonctionne pas et qu’il faut y aller de manière plus franche. Vous l’aurez compris, ce fut ce genre de situation qui eut lieu dans la ruelle entre la jeune fille et ma personne. Comme premier contact, on aurait pu voir mieux. Mais dans un sens, elle avait parfaitement raison de tenter de s’enfuir. De mon côté, je n’avais pas besoin d’elle dans les pattes. Elle semblait si frêle, si fragile. Elle se serait fait bouffée toute crue par l’homme que je suivais. Mais quelque chose dans son regard, une sorte de magie étrangement incompréhensible et plus instinctive que réellement chimique me titillait l’esprit et me poussait à la regarder plus longtemps. Elle fit un pas en arrière, puis un autre. Ma tête d’homme curieux ne devait pas lui plaire, ou en tout cas, ne devait pas lui inspirer confiance. Elle avait en effet tout de ces jeunes filles qui ont peur du monde entier et qui même dans la candeur agréable de leur foyer, se sentait menacée par les ustensiles de cuisine. Aussi je n’insistai pas, je me contentais de la regarder faire ses pas en arrière, mon sourire ayant laissé place à une mine neutre et compréhensive. Je ne bougeais pas mais elle, semblait s’éloigner d’une dizaine de mètre à chaque pas.

Je préférais ne pas la prévenir de ce qui se tramait derrière elle. Un mur sortait doucement de terre, sans doute n’entendait –elle pas le bruit que ce dernier faisait lors de son érection à cause de la peur qui lui emplissait doucement le ventre. Mais le mur montait bien et lorsqu’elle le percuta de son dos, il était déjà bien trop haut pour tenter de l’escalader. Elle se retourna surprise, elle ne devait pas s’y attendre. Le mur s’arrêta de bouger et trembla de nouveau au bout de quelques secondes. Une autre couche, horizontale et dans les airs cette fois commençait à se détacher se sa structure. En gros, la personne qui s’amusait à nous piéger ensemble tentait de créer un tunnel, nous empêchant de sortir. C’était une idée maligne, même si je n’avais nullement l’intention de m’échapper ou de tenter de prendre la poudre d’escampette. Bien au contraire, j’étais bien décidé à avoir le fin mot de l’histoire et à comprendre qui était cet homme dans la ruelle et pourquoi il se sentait si menacé par ma personne.

« Vous ne gagnerez rien à tenter quoi que ce soit, le mur se reformera surement à chaque nouveau trou, je peux le sentir empli d’un chakra instable. Suivez moi plutôt, nous trouverons bien un moyen de sortir, le but de ce curieux personnage qui nous veut du mal ne doit pas être de nous garder enfermer à jamais. »

Une petite phrase lancée comme ça pour la dissuader et une proposition d’alliance. Je ne savais rien de cette jeune fille, pour autant, il se pouvait bien que ce soit elle qui faisait s’élever ainsi les murs. Mais derrière moi le même processus s’était accompli, me bloquant ainsi avec sa personne. Je n’avais guère le choix de choisir sa compagnie. Aussi je m’avançais de nouveau vers ce mur qui m’avait si violemment rejeté la première fois que j’avais tenté de le toucher. Cette fois-ci, je demeurais à distance, l’observant, un air pensif sur le visage. Il y avait certainement quelque chose à découvrir, quelque chose à actionner. Je me saisis d’un caillou par terre et le lançai contre la surface, il rebondit avec une très grande violence, passant tout près de ma tempe. Le bruit qu’il émit me fit comprendre que ce n’était pas en m’acharnant sur ce mur que je parviendrais à quoi que ce soit. Je me tournais donc, lançais un regard à cette jeune fille qui se trouvait toujours avec moi et ne lui souris pas.

« Vous voyez quelques chose qui pourrait nous aider à sortir d’ici ? Un mécanisme, une sorte d’indice quelconque ? D’ailleurs si j’étais vous, je ne me rapprocherais pas des murs, ce n’est pas une bonne idée. »

Soudain, à la seconde où je refermais la bouche, un son lugubre retentit dans l’excavation nouvellement creusée. Une horloge, puissante et funèbre. Elle était sorti d’un mur du fond du tunnel et était étonnamment éclairée par un mécanisme intérieur à son clocher. Elle indiquait onze heure du soir et 45 minutes. Je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait bien signifier, nous n’étions pas encore arrivé à une telle heure. Un point rouge était dessiné au feutre sur le chiffre de minuit. Il y avait donc fort à parier qu’à minuit, quelque chose se produirait. Je me rapprochais de la dite horloge tandis que la jeune fille vaquait à son bon gré.

« Nous avons quinze minutes à passer ensemble, autant se connaître. Comment vous appelez vous ? Pour ma part, je suis Guerre, moine d’une pension au nord d’ici. »

Je tendais ma main vers la jeune fille, conscient qu’elle ne la serrerait certainement pas.

Quand on est simple paysan, ailleurs, c'est juste le village à coté. Mais après, c'est le néant. On est terrifié de ce monde qui est si vaste. Des horreurs qu'il renferme. J'avais vu assez d'horreurs pour le restant de ma vie, et pourtant, me voilà bien loin de mon village. De la place qui est la mienne. Comment en suis-je arrivée là ?

Ah oui, à cause de ces putains de bandits.

Alors quand je recule, et que je me prends un mur qui y était pas y'a cinq secondes, je sursaute et pousse un petit glapissement. Et quand même le ciel se retrouve cacher par un toit qui arrive du trou du cul de mon boeuf, j'affiche une mine décomposée, un peu en mode "Mais pourquoi ça arrive qu'à moi ?!".

- C'est quoi ce bordel ?!

Donc, vous comprendrez que quand la voix de l'inconnu s'élève, elle me donne des frissons. Et que, quand je me tourne vers lui, c'est un regard plein de reproches que je pose sur sa personne. Oui, même si c'était pas sa faute, bah ... Au fond de moi, je considérais que ça l'était un peu. Je faisais que me balader, moi ! J'avais aucune mauvaise intention ! Alors que lui avec son look, obligé il a un truc à cacher ! Et des choses malveillantes à faire !

Mais ça me concernait, et je voulais pas que ça me concerne ! Sauf que c'est trop tard.

- J'savais que j'aurai pas dû sortir, 'tain ...

Je me laisse tomber contre un des vrais murs, vu l'avertissement de l'inconnu. Quelque chose me disait qu'il savait de quoi il parlait, et que, de toutes façons, un truc aussi surnaturel, 'valait mieux ne pas y toucher. Puis, un truc encore plus flippant, cette putain d'horloge qui sort encore plus de nulle part ! Qui indique minuit, alors qu'il n'est minuit, et ça ne risque pas de l'être avant un long moment !

Le mec qui fait ça, je le dis direct, il a très mauvais goût.

Quoi qu'il en soit, voilà que l'inconnu se présentait à moi, jugeant qu'il n'y avait rien de mieux à faire que d'attendre la conclusion à cet acte. Guerre, moine. Je fronçais les sourcils, perplexe.

- Guerre ?

Je trouvais la chose ironique, mais je jugeais bon de ne pas le faire remarquer. Néanmoins, après quelques moments d'hésitation, j'acceptais la main qu'il me tendait.

- On m'appelle Farouche, je viens de Ta.

C'était mon surnom, moqueur, mais il s'en contenterait. Après tout, je doutais que Guerre soit son vrai nom, et si il ne me le donnait pas, c'est qu'il avait ses raisons. Des raisons qu'il partagerait, si il jugeait bon de se faire. Mais je n'allais pas chercher à les découvrir.

On a tous nos petits secrets, et il vaut mieux les laisser où ils sont.

Le moine ne semblait pas belliqueux, ce qui était ironique vis à vis de son nom. Mais peut-être cachait-il bien son jeu. Certains n'y arrivaient que trop bien, je le savais mieux que quiconque. En tout cas, il faisait des efforts pour me mettre en confiance, ayant compris que j'avais une certaine appréhension à son sujet. C'était tout à son honneur, et je l'en remerciais. Alors, quand il me dit d'où il vient, je penche la tête sur le coté, interrogatrice.

- Kiezan ?

Les moines Kiezan avaient une grande renommée, à Ta. Tout le monde les connaissait, et ceux qui ne les connaissaient pas n'étaient pas sortis de leur grotte depuis ... Longtemps, dira-t-on. Ils étaient connus pour apprécier la paix plus que toute autre chose. Cela me laissait d'autant plus perplexe. Comment un individu nommé Guerre pouvait être des leurs ?

P't'être parce qu'il parlait d'autres moines. Sûrement. Mais il ne s'arrêtait pas là, et me demandait ce que je faisais moi même ici, si loin de tout. Sans affect, visage impassible, je m'étais contentée de répondre.

- Des bandits ont kidnappés mon frère et ma soeur. Je suis là pour les retrouver.

C'était simple, bref et concis. Il n'y avait rien d'autre à dire. Alors, on se tapissait à nouveau dans notre silence, attendant que le temps passe. Finalement, dix minutes n'étaient plus. Et les événements tant attendus eurent lieu. Flippants, pour pas changer. Avec une invitation à s'engouffrer dans la pénombre, et une Guerre qui n'était que trop heureux de se jeter dans l'inconnu.

L'inconnu était très surfait pour moi. J'étais bien heureuse avec tout ce qui était connu. N'empêche, je me suis sentie obligée de le suivre, juste un peu. Juste pour lui dire de ne pas y aller. De rester avec moi. Parce que je dois bien avouer que je voulais tout sauf rester toute seule.

- Mais n'y allez pas, c'est dangereux et-

Et en fait, j'étais coincée avec eux vu que j'étais entrée dans le tunnel pour le dissuader, et que la porte s'était refermée.

- ... J'suis juste débile ...

Pourquoi mon décision making était aussi minable ? Je soupire, passe lentement ma main sur mon visage. Plus le choix. Ce qui était rassurant, d'un coté. Il n'y a rien de plus libérateur quand la vie t'emprisonne, parce qu'à ce moment-là, tu n'as plus qu'une chose. Et là ? Il fallait voir le bout des choses. Je trottinais, histoire de me retrouver au niveau du moine, qui partagea quelques pensées avec moi. Qui jurait de me protéger. Dans la pénombre, il n'a pas pu voir mon petit sourire navré, alors que je répondais.

- Oui, ils n'ont jamais connu quelque chose comme vous, je n'en doute pas ...

Nous avançâmes dans les ténèbres. Je n’avais pas peur, pas le moins du monde. Ces derniers temps, mes nombreuses confrontations avec des Konohajins m’apprirent que ma force dépassait la normale. Aussi, je ne m’inquiétais pas pour de simples bandits (s’ils en étaient). De plus, j’avais mis au point une technique des plus redoutables. Une technique suffisamment puissante pour me permettre de me débarrasser d’un grand nombre d’adversaires. Lentement je me laissais donc emporter dans le néant noir qui nous engouffrait, nous noyait dans ses fourrures. De temps en temps, je tournais vaguement la tête, m’assurais que Farouche était toujours près de moi. Dans l’obscurité totale, je ne pouvais voir que sa silhouette. Mes yeux commençaient cependant à s’habituer et je me rendis compte que nous en nous trouvions plus dans un simple couloir ; je ne distinguais plus les murs. Les pas de notre guide s’arrêtèrent et les nôtres par effet de chaine se stoppèrent également. Dressés comme un pic au milieu de ce que je pensais être une grande salle, j’attendais la première attaque adverse. Mais rien ne vint. A la place, un cliquetis d’interrupteur. Les lumières au plafond s’allumèrent alors et je pus constater avec contentement que je ne m’étais pas trompé. Nous étions bel et bien dans une espèce de grande salle. Devant nous, adossés à des sortes de piliers ou juste debout tenant des armes, une demi-douzaine d’homme en imperméables. Derrière eux, une grande table s’étalait jusqu’au fond de la salle et servait de pose-coude à cinq vieux hommes à la moustache garnie. Je ne compris que trop vite ce qui était en train de se passer, et lorsque notre guide se dressa entre Farouche et moi et ses collègues, je ne pus m’empêcher d’émettre mon hypothèse.

« On est tombé en plein dans une réunion de mafieux… j’ai raison ? »

Le guide me regarda en souriant. Il se retourna quelques secondes et fit un signe de tête à ses compères en imperméables. Ceux-ci se débarrassèrent de leur vêtement et laissèrent leur tenue de ninja se découvrir à la lumière. Tous portaient un bandeau de Konoha sur le bras. De toute évidence, cinq ripoux aux scrupules mal placés. Un sourire s’inscrit sur mon visage tandis que le guide lui-même laissait son manteau retomber sur le sol. En tout donc, six ninjas du village de la feuille.

« Vous ne savez pas ce qui se passe ici, et de toute façon, vous ne serez bientôt plus là pour en parler. »

« Pourquoi m’avoir mené jusque dans cette salle alors ? »

« Qui cherchera votre cadavre à l’intérieur des catacombes de Konoha… »

Là encore, il me fit sourire. Il n’avait cependant ni l’air heureux, ni l’air aigris. Bien au contraire, il semblait parfaitement imperméable à la moralité qui s’imposait ici comme une barrière à franchir et qu’il avait détruite d’un coup de pied sauvage. Je plongeais mon regard dans le sien, je n’avais aucune idée de son niveau, mais je savais qui j’étais et savais ce que je valais. Il n’y avait plus une seconde à perdre. Je me concentrais quelques instants pour sonder leurs âmes spirituelles et je compris alors qu’aucun d’eux n’était foncièrement bon. Bien au contraire, ils avaient tous une grande part de vice dans le cœur. Je pouvais donc m’occuper d’eux sans remords. Je rouvris les yeux, plaçai mes mains comme pour une prière et invoquai la lumière de Maskine. Dès lors, l’aura jaune de mon dieu m’entoura le corps, je sentis mes muscles se bander à l’extrême et ma force se maintenir à un niveau maximal. Mes yeux perdirent la lueur d’innocence qui les caractérisait tant et se dirigèrent vers le groupuscule en face de nous.

« Ho ! Calme toi papillon ! C’était de la pure déconne ! On fait un jeu de rôle ici… on est juste Genin, on pensait que t’étais de la partie ! »

Les yeux de mon adversaire se voulurent paniqués. D’un coup je me rendais compte qu’il avait plus l’air d’un enfant que d’un véritable soldat de la feuille. Au final, en y prêtant un peu plus attention, ils avaient tous un physique un peu juvénile. Ce fut pour moi un choc, mon aura me quitta directement et mes muscles se remirent au repos.

« Un jeu de rôle ? Et ceux-là ? »

« Oui un truc pour faire semblant, ce sont des collègues en métamorphose… »

Il parlait avec une voix frêle, ses collègues, quant à eux, annulèrent leur jutsu et reprirent l’apparence de ninja au physique boutonneux. Je lançai alors un regard à Farouche et poussais un soupir de fatigue.

« Crée une sortie tout de suite petit, ou je jure que je vous extermine tous ! »

Ma voix ne se voulait pas menaçante mais il devait comprendre que ce qu’il venait de faire était très dangereux. Il créa la sortie, nous permit de sortir et je me retrouvais donc avec Farouche en pleine rue.

« Voilà une soirée qui aura été particulièrement étrange… Qu’allez vous faire vous maintenant ? »

Etrangement, je n'avais pas peur. Pas parce que je pensais être prête à combattre ce qui m'attendait. J'avais conscience de n'être qu'une petite chose dans ce monde, et que je pouvais être balayée par une brise. Pourtant, je ressentais de la sérénité. J'étais soulagée, de ne pas avoir d'autre choix. Peut-être, qu'en fait, j'attendais ça depuis le début. Après tout, c'était dans ça que j'étais le plus douée.

Un fin sourire illumina faiblement mon visage, alors que la suite se dévoilait à nous. Un traquenard, comme l'on pouvait s'y attendre. Plus d'une dizaine d'individus face à nous deux.

Après tout, j'avais beau essayé de me voiler la face, c'était à ça que j'étais la meilleure. Je me suis contentée de croiser les bras sous la poitrine, et de soupirer, lasse.

- Je ne sais pas pourquoi je m'y attendais ...

Maintenant ? J'attends. Je laisse la Guerre me protéger, comme il me l'a promis. J'étais curieuse de voir la suite des événements. La tension montait. Et finalement, ils se dégonflaient, en face. Ce n'était qu'une supercherie, une pièce de théâtre, un jeu de rôle. Ce n'était que des adolescents avec de l'acnée, tremblant devant la dure réalité. La suite ? Je me demandais. Me demandais si Guerre continuerait. Après tout, la Guerre dévaste tout ce qui est sur son passage. Les innocents, surtout.

Il n'en faisait rien, et je ne sais pourquoi, j'étais un peu déçue. Vile Urumi ...

Et nous voilà dehors, alors que je gardais la tête baissée, honteuse. Nous étions libérés, et le moine me demandait ce que j'allais faire, désormais libérée. Je soupirais, me sentant plus lasse que je ne le devrai. Adrénaline redescendant, sans aucun doute.

- Continuer ce que je suis venue faire ici.

La réponse était peut-être laconique, mais elle était sincère. Je n'avais pas de temps à perdre, chaque seconde m'éloignait de Mei Lin et Tatsuo.

- Et vous ? Vous allez poursuivre votre voyage, je suppose ?

Mon regard se planta dans celui de l'homme, silencieux.

Nous étions sortis. Mes yeux plongés dans les siens, je comprenais que notre rencontre pourrait maintenant toucher à sa fin. Curieusement, je n’en avais pas tellement envie. Elle m’avait plu. Pas sur un plan physique, il était trop tard pour ça. Non, je dirais plus qu’elle avait su éveiller mon intérêt. Ses cheveux, sa stature, elle respirait le mystère. Aussi, lorsque je lui demandai ce qu’elle comptait faire à présent, et qu’elle me répondit qu’elle continuerait sur sa route, sur ses objectifs personnels, je ne pus m’empêcher de me sentir quelque peu impliqué. Ou peut-être avais-je seulement envie de me sentir impliqué. Je ne sais plus trop. Cependant, elle vint casser ma réflexion sur sa personne en me posant elle même une question. D’un ton assez gentillet et aimable, elle supposa que j’allais continuer mon voyage. Je montais alors mon regard vers le ciel et pris une profonde inspiration. Bien de nouvelles connaissances m’avaient posé cette question et pourtant, je n’avais jamais rien eu à leur répondre que de vagues suppositions. J’étais toujours au même endroit cela dit. Je baissais la tête et reprit ses yeux dans la poigne de mon regard.

« Il y a toute la vie pour voyager. Il y a toute la vie pour se demander d’où l’on vient et où l’on veut aller. Moi, je me laisse porter par le vent, je ne suis pas d’ici et ne le serais pas. Mais quelque chose chez vous m’intrigue… »

J’avais bien conscience de la connotation étrange que pouvaient avoir mes paroles. Il n’en est rien de moins que je continuais sur ma lancée. Mon regard, toujours appuyé sur sa personne, mes narines à l’affut de la moindre odeur. De ses cheveux se dégageait d’ailleurs une certaine fragrance que je ne peux toujours pas définir aujourd’hui. Quelque chose de spirituel et de pur. Néanmoins, je n’arrivais pas à la cerner. J’entends par là que je ne savais toujours pas si elle était foncièrement mauvaise ou foncièrement bonne. J’avais d’habitude cette capacité innée de connaître l’emplacement des gens sur l’éventail manichéen de la morale. Mais là, ce n’était pas le cas.

« M’autoriseriez vous à vous aider dans vos recherches. Je peux être utile, j’en ais la certitude. Ne pensez vous pas que je puisse vous apporter quelque chose ? »

Etais-je vraiment prêt à m’engager de la sorte avec une personne que je venais de rencontrer ? je ne le savais pas moi-même. J’avais parlé par impulsion plus que par réflexion. Néanmoins je ressentais ce besoin de me rapprocher de cette jeune fille. Le mystère qui se dégageait d’elle, l’énigme vivante qu’elle représentait éveillait des univers cachés en moi et me poussait à me montrer impétueux.

Cependant, devant son visage qui changeait drastiquement d’expression, j’eus peur de l’avoir effrayé. Les femmes, contrairement aux hommes, sont des créatures aux envies ambivalentes et à la réflexion penchée. On ne sait jamais ce qu’elles peuvent décider sur un coup de tête. Je baissais donc la tête, gardais une seconde mes distances avant de lancer une excuse qui marquerait la fin de ma demande et l’attente de sa réponse.

« Veuillez m’excuser si je vous importune, mais il me semble important de vous aider, que décidez vous ? M’y autorisez vous ? »

La lumière du soleil nous baignait de sa bienveillance, et l'heure des adieux était arrivée. J'allais retourner à mes occupations, le moine aux siennes. Cette rencontre avait été marquante, mais la séparation était sur nous. Il me regardait, je le regardais. Je sentais qu'il avait quelque chose à dire, mais il ne savait pas comment l'amener. Sûrement me souhaiterait-il bonne chance dans mes recherches. Sûrement compatirait-il. Ils compatissent tous, mais ils n'aident jamais. Je ne leur en veux pas, ça ne les regarde pas après tout. Je ... pense que j'aurai été comme eux, à leur place. Beaucoup de désolés, beaucoup de courage, mais rien de plus. Je n'irai pas risquer ma vie pour de parfaits étrangers.

C'était le jeu, on peut le jouer ou s'en jouer.

Alors, il s'exprime enfin, avec des mots sibyllins. Mais sibyllins, sa dernière phrase l'était bien moins. Je l'intriguais ? Je ne voyais pas en quoi. J'étais perplexe, et me demandais si il ne se moquait pas de moi. Puis, hésitante, je me contentais de commenter.

- Je ne suis qu'une fille normale.

Je me considérais comme telle, maintenant. Avant, peut-être. Peut-être avais-je pu espérer devenir quelqu'un d'autre. Mais ce temps était révolu, alors que je souriais, un peu gênée, à mon interlocuteur. Mais il se décidait à continuer. Il me proposait son aide, maintenant. Pas de vains encouragements. Une vraie aide. Je me sentais ... déboussolée. Un peu perdue. Je le regardais avec incompréhension.

Je ne m'étais jamais attendue à avoir l'aide de qui ou quoi que ce soit. Après tout, c'était la meilleure façon d'être déçue, que d'attendre l'aide de quelqu'un. Ce qui ne voulait pas dire qu'il ne me décevrait pas, ce moine. Il se répétait, en tout cas. Il avait dû aviser de mes expressions faciales, et devait penser avoir dit quelque chose de faux. Il devait se penser intrusif, alors qu'il ne l'était pas.

Je lui adressais un magnifique sourire, avant de répondre.

- Votre aide serait très précieuse, Guerre-sama.

Puis je m'inclinais, bien bas, afin de montrer l'importance de son geste, et le respect qu'il m'inspirait.

- Je vous remercie infiniment ... Et si je peux faire quoi que ce soit, la moindre chose pour vous ... N'hésitez pas ...