Mille et une fois on te l’a dit, ces choses-là ne sont jolies qu’haut dans le ciel.

Un jeu de lumière au milieu des nuages grisés de cette nuit désormais plus sombre, un grondement, puis un autre, comme un tonnerre qui annonçait l’orage, mais il n’en était rien… Enfin quoique, peut-être si un peu, une affaire de point de vue, car si certes, depuis sa position la maîtresse de cérémonie improvisée avait le sourire étiré, elle n’en était pas dupe pour autant. On lui demanderait des comptes d’ici peu. Peu importe là encore, pas de quoi désarmer son enthousiasme qui continuait de laisser glisser de ses doigts ses petits oiseaux argileux qui fonçaient en fusée, puis explosés de toutes leurs couleurs dans les cieux.

Non, ce n’était pas un jour de fête, juste une nuit d’insomnie, avec un poil de féérie qui sait et un élan trop débordant dans les envies et l’imaginatif et voilà, voilà comment tout un quartier se retrouvait réveiller en panique, avant de s’émerveiller à sa fenêtre sous le spectacle étincelant. Bien sûr il y avait les contestataires. Les artistes seraient à jamais des incompris et celle-ci haut perchée sur le toit de ce pic en pierre aurait pu se vanter d’avoir l’une des plus belles vues, si ce n’était la plus belle en fait. Puis enfin le clos du spectacle, six marionnettes de son art s’envolant à la suite pour exploser chacune leur tour, un cercle coloré dans le premier à chaque fois qui élargie commençait à disparaître.

Un jeu de lumière.

Enfin les mains libres pour remuer le fond de son verre histoire de le finir avec saveur et sans surprise, après l’émerveillement… les ennuis en général, elle avait retenu la leçon pas ce genre de délire dans la ville, la dernière fois, on lui avait tapé sur les doigts…. Pourtant difficile de croire que cette dernière avait pu rater ça. Une main se tendait vers une cendre chaude qu’elle voyait retomber tandis qu’un nouvel artifice allait s’en échapper.

-Bien le bonsoir ! Quelle couleur préférez-vous, vous ?

Murmurait-elle assez fort pour que l’ombre apparue sous peu puisse l’entendre, un simple mouvement de doigt pour contrôler ça, c’était loin pourtant d’être un tour de magie et pas question d’user de passe-passe quand il fallait jauger si l’invité de la fête était venu y prendre part ou l’arrêter. Mais sommes-nous bêtes… Il ne s’agissait pas d’une fête, mais de l’exercice d’un art.

Le petit oiseau déployait ses ailes, la Bakushô soupirait en laissant doucement son menton retomber dans la paume de sa main, juste un instant avant de se lever, se retourner et saluer son public, se résumant à une ombre pour le coup. Une révélée par l’éclat doré de la bombe de lumière et le sourire joviale de l’artiste laissait place à la surprise sur son visage. Des traits aussi bien définissable quelques secondes autant d’un côté que de l’autre sous le grondement du jouet de l’enfant des nuages. Dernier bruit émanant de sa part d’ailleurs, elle attendait la visite des gardes pour la gronder, un petit rituel vous ne comprendriez pas et puisque qu’encore personne ne s’était décidé à lui dire d’arrêter, une nouvelle fournée entre ses doigts, cette fois sagement conservée.

-Le risque avec les exercices aériens…

Elle parlait de la pluie qui commençait à goutter, les nuages finalement qui avaient décidé de la fin et un petit rire en déployant le parapluie, une habitude.

-C’est peu avisé de faire tant de boucan le soir, mais ça n’a pas le même charme en plein jour, non?

Son art ne savait pas encore faire de l’ombre à l’astre solaire malheureusement et ses derniers artifices se défaisaient de leurs formes quand un ton enjoué par un sourire finissait les derniers mots. Ce genre de pluie ne durait pas, une erreur de manœuvre, rien de plus !

C’est vrai.

Karasu Tsumei aimait son village plus que quiconque, que ce soit de jour comme de nuit. Que ce soit en paix comme en guerre. Lui qui avait traversé toutes les époques, sous trois règnes différents. Lui qui avait vécu la guerre, la torture, la menace et plus récemment la mort… Il aimait avoir des moments privés, des moments de détente pour lui rappeler quel est le quotidien de ceux pour qui il décida toujours de se battre. Est-ce que cette femme faisait partie de ces derniers ? Assurément, mais pour livrer un tel spectacle, c’était une kunoïchi et elle rejoignait donc l’Ombre dans son objectif premier de protéger Kumo. Elle était au service des autres, du pays. Elle se devait de protéger, et non pas d’être protégée.

Il décida de s’avancer. Il y avait quelque-chose dans ce qu’il avait vu qui lui avait plu. Le spectacle, l’art Bakushô, les lumières, l’ivresse de la nuit, cette femme : il ne savait pas trop mais il ne voulait pas partir. Il avait tant réfléchi et tant travaillé ces derniers jours pour se priver d’une petite discussion avec cette inconnue.

Mais il y a de nombreuses choses qui se contemplent aussi à la lumière, n’est-ce pas ?

Car malgré l’obscurité de cette nuit, c’était un beau visage que Tsumei avait découvert. On disait les Bakushô colériques, barbares presque mais elle, elle avait fait de leur art un spectacle majestueux. De par sa nature et de tout ce qu’il avait vécu, ce n’était pas tant vers le physique de l’inconnue qu’il s’était tourné, mais vers son intérieur, vers ce qu’elle faisait. Elle était belle, mais elle faisait surtout de belles choses.

Il s’assit sur un banc tout proche, et releva le manche de Kuchibashi – qu’il ne quittait plus du tout – et se contenta de rester silencieux et calme. Il voulait continuer d’assister à ce spectacle. Effectivement il y avait du bruit, mais même ce dernier semblait doté de quelque-chose de majestueux.

Vrai ? Vrai.

Cependant, le manteau de la nuit n’avait pas le même effet sur la Bakushô que l’éclat du jour, il la rendait en général moins agitée, un plus ou pas quand on la connaissait. Mais qu’importe là, ce n’était de toute façon pas le cas de l’invité surprise, un qui n’avait rien du garde grognon qui en général apparaissait à ce moment-là, probablement ce qui valait le réajustement de l’outil anti-pluie au-dessus de sa tête à lui aussi. Moitié-moitié et que l’on ne s’inquiète pas la pause ne serait pas longue, juste un nuage percé qui serait vite balayé par le vent tranquille de la soirée. Sans compter qu’il permettait aussi d’éviter les retombées de cendres. Puis pour répondre à la question au final…

-Exact, mais pas le cas de ces spectacles-là, le soleil est un trop grand concurrent, il faut connaitre ses limites !

Ton enjoué, elle n’en avait pourtant pas beaucoup de réalistes cet oiseau-là, pour une fois qu’elle restait censée en appuyant son dos sur le dossier du banc fraichement rejoint. A force, on avait dû s’habituer dans le coin et bizarrement, le jeu n’avait plus tout à fait le même intérêt, mais il ne l’avait pas totalement perdu non plus, juste une habitude qui se bouleversait. La fille aimait la nouveauté, ça tombait bien.

-Un léger imprévu qui retarde la suite, le service technique va régler ça.

Quel meilleur assistant pouvait-il avoir que Dame Nature ? Le temps d’une pause à occuper, enfant peu farouche, bien que peu social, elle savait un minimum tenir une conversation. Si si…

-Il est rare de voir autres choses que les shinobis de gardes par ici, c’est un coin très sombre, trop et une patrouille d’un seul individu, tout autant. Alors si je sais ce qui me fait me perdre ici, je suis curieuse de connaître quelle est votre raison.

Il n’y avait rien mis à part le calme en principe ici, un compromis par la présence aléatoire de la brune plus concentrée par le rythme de la pluie que le minois trop camouflé par l’ombre de son interlocuteur. Il fallait guetter le moment de la reprise, un qui s’annonçait rapide vu l’écart de l’écoulement devenu lent après une rapide averse. Si on n’était pas venu la stopper alors…

-Le jeu de lumière qui vous a attiré par ici ?

Quoi d’autre ? Raison de plus pour le reprendre, d’autant que si l’on avait affaire à un amoureux de la lumière, il était encore plus de circonstance de lui en donner. Un élan du coude vers l’arrière en lâchant le parapluie sans grand soin, pas son genre, et un menton relevé pour constater une dernière fois que la scène était remis en place. Une réflexion d’un instant et puisqu’elle n’avait pas eu de réponse sur sa première question, elle en concluait une évidente en modelant ses artifices élancés aussitôt.

-Spécial couleur de Kumo.

Et de spécial, il n’y avait pas que la couleur, mais aussi la quantité, on lui avait demandé de la lumière non ? Un éclat successif doré de quoi illuminait la zone, l’artiste avait choisi une course courte, tant que non seulement le bruit s’était intensifié, mais aussi la cendre leur parvenait dessus plus tôt, le seul bémol, moins d’yeux pourraient en profiter à cause de ce détail. Qu’importe, cette fois un seul destinataire ciblé.

-Fin de la réserve de chakra, il fallait arriver plus tôt, désolée ! La suite au prochain rendez-vous.

Touche d’humour et évidence, trop absorbé par ses jouets pour guetter ce qui se passait à côté, pas si grave au fond, ce n’était pas d’une grande importance, la gravité résidait toujours au même point : elle n’avait pas sommeil.

-Bon et maintenant ?

Que perdait-on à demander, peut-être une âme d’artiste à côté aussi.