On dit qu’on doit perdre quelque chose pour prendre conscience de sa vraie valeur.
Le voyage avait pris quelques temps, mais il était arrivé sur les berges de l’Archipel, ou plus l’île au nord-ouest du petit continent de la brume. Il laissa ses doigts de sa main libre tracer des sillons dans le sable frais de la plage. L’automne menait déjà sa cohorte de changements, l’air était plus froid, le ciel plus gris. Quel étrange moment pour renaître dans son berceau légitime… Le regard gris d’Hattan berça vers l’horizon, puis il ferma les yeux en soupirant. Son cœur était hésitant.
S’il mettait pied à Kiri, la vie telle qu’il l’avait toujours connue changerait pour toujours. L’épéiste deviendrait quelqu’un d’autre, important certes, mais inconnu, comme la première neige de l’hiver qui viendrait bien vite. Qui sait de quoi aurait l’air ce nouvel homme ? Serait-il cruel, élitiste et impitoyable comme le voulait la tradition de la Brume ? Un homme de terrain ou de bureau ? Trop de mystère. D’indécision.
Comme ce Tenzô. Celui qui voulait le meilleur pour Kiri n’avait à regarder que cet homme pour en avoir une image digne et nette. Mais même le Daimyo, connu pour son orgueil maladif et son avarice, n’avait pas tort : cette guerre de libération allait affaiblir la brume peut importe sa finalité. C’était en soi une raison suffisante pour se débarrasser de lui, ou… Un prétexte. Sa main se referma et frappa le sable par frustration. La ligne entre convoitise et honneur était mince.
Réclamer Kiri maintenant était une erreur, c’était la seule certitude. Les prises de pouvoir ne marchaient jamais longtemps, si on se fiait aux histoires de certain des Kages de village. Les meilleurs étaient ceux qui marchaient longtemps dans les pas de leur village avant d’en prendre sa tête. Mais Hattan n’avait pas cette chance, on l’avait écarté de Kiri depuis son tout jeune âge, à l’idée de faire de lui une arme capable de tenir tête au village caché le jour où celui-ci tenterait de se soulever contre le souverain du pays. Les choses avaient bien changé…
Il aurait dû tuer le Daimyo, la logique le demandait. Mais s’il perdait son honneur, que lui resterait-il ? La question était désormais, comment ? Tenzô devait disparaître, et lui céder la place. Volontairement. Il avait une idée. Mais le destin y avait davantage à faire, le destin ou bien la chance. Il fit tournoyer le fourreau de son arme entre ses doigts, une présence réconfortante.
Le Kentaro détestait ce moment. Il était un homme de simplicité, et le voilà à concevoir des plans pour renverser le chef du plus puissant village shinobi de tous les temps. Ce n’était pas lui. L’arme arrêta de tourner et l’épéiste se releva en jetant un nouveau regard au continent principal de la brume, à ce monde qui lui avait toujours été refusé. Une chose à la fois.
Attendre.
L’Instant viendrait.
Bientôt.
