En temps réel, cela fait cinq ans. Pour lui, cela ne fait quelques mois.

Une demi-année, tout au plus. Le temps d’une mission de haut rang, d’une expédition d’importance capitale à l’étranger. La dernière image que garde Setsuna de sa partie est d’un village sous le feu d’un gigantesque démon, mais un village intact et qui a su tenir le coup en ce temps de crise, puissante et intrépide. Désormais, pour la première depuis son éveil de sa prison de glace, il voit la nouvelle façade de la mégalopole d’antan : ruines et saccages. Un lieu respirant la mort et le silence. Son visage resta inébranlable sous cette vision, mais son cœur sauta un battement en voyant son foyer réduit en pièce. Si les Longs Tunnels sont abîmés et pitoyables, ce qu’il reste de la superpuissance de l’époque n’est plus que cendre. Il s’était préparé psychologiquement à encaisser le coup. Après tout, cela fait plusieurs mois qu’il a eu vent de la destruction de la Brume. C’est l’une des premières informations qu’il a reçu dès qu’il a émergé en cette ère nouvelle. L’avènement des Furyous l’a plus préoccupé que cet événement du passé. Cette menace n’étant plus un souci actuel, la chimère a décidée de rendre visite aux pilles de Kirigakure. Une décision qu’il regretta lorsqu’il vit ce qui l’accueillit.

Des rochers, de la céramique, du bois, des briques. Du matériel éparpillé partout, les rues n’étant plus existantes. Lentement, le Yuuki escalada les montagnes de débris. Il jeta des regards perdus à l’est, à l’ouest, au sud et au nord, cherchant avec espoir peut-être un repère intact. Son attention se posa sur une pancarte désormais indéchiffrable. Pourtant, les vives couleurs du panneau éveillèrent la mémoire eidétique de l’Homonculus. Il s’agit d’un écriteau propre à une épicerie proche de son appartement, à moins de deux quartiers. La voici ici, proche de l’entrée du village détruit. Ses prunelles hétérochromiques s’obscurcirent, il prit finalement conscience du carnage auquel il avait manqué à l’appel. Non, il ne rejetait pas la faute sur lui, mais regretta d’avoir été prisonnier des méandres de l’éternité plutôt que de combattre aux côtés de ses jadis frères d’arme. Aujourd’hui, il ne reste plus que débris ruines. Destruction, extermination, annihilation…

Non. Faux. Il reste un lieu qui, en théorie, a pu échapper à la boucherie des Furyous. Une légende, un mythe. Le bijou de la Brume Sanglante, caché du monde extérieur, gardé jalousement. Aussitôt, Setsuna bondit de sa position et fusa vers une localisation particulière dans ce tas de déchets. Il s’arrêta et fit appel à sa mémoire photographique, lui indiquant que ce qu’il cherche est dans les environs, ici, sous un temple désormais en morceaux. Grâce à sa force surhumaine, il balaya rapidement hors de son chemin les divers débris, gros ou petits. Quelques minutes de recherche, il trouva finalement ce qu’il cherchait désespérément : une trappe. L’Homonculus soupira de soulagement avant de l’ouvrir. L’on peut apercevoir sous cette trappe un escalier entouré d’un siphon. Drôle de phénomène pour quiconque découvrant pour la première fois ce passage. L’Épéiste sauta sur les escaliers tout en fermant la trappe derrière lui et dévala les marches à une vitesse grand V. Il stoppa net, une centaine de mètres sous le sol, de géantes portes bloquant son passage. Là est le la frontière entre mythe et réalité. Ces murailles ne peuvent s’ouvrirent qu’après avoir accompli un rituel en particulier. Le sombre spadassin saisit son bandeau frontal dans sa poche et le présenta aux portes.

Automatiquement, les portes s’entrebâillèrent. La première fois depuis une demi-décennie ? Il ne serait pas étonnant que quelqu’un soit venu ici par le passé, ou même ait cherché refuge en cet endroit. C’est pour cette raison que le Kirijin resta sous ses gardes, comme toujours. Rouillées, les gigantesques portes ne s’ouvrirent pas automatiquement par elles-mêmes. Setsuna poussa l’une d’elles pour avoir enfin accès au passage avant de les refermer derrière lui. Présentement situé dans un long couloir où il y a absence de lumière, le Stigmate rentama sa course, ne voulant prendre le temps d’observer les fresques. Nombre de fois qu’il les a déjà étudiées. Ce tunnel passé, l’ancien Chef des Épéistes arriva finalement au cœur de Kiri : la Montagne Bleue. Indemne. Sa flore continuant de vivre malgré les maux de la surface. Les oiseaux chantent, un air de paix parcourt cette bulle d’eau souterraine.

Malgré que plus personne ne s’occupe de maintenir la Montagne Bleue en bon état, ses fonctions automatiques l’ont gardée en état stable. Ce serait un mensonge de dire que Setsuna n’ait pas ressentit un apaisement en voyant le secret de la Brume intacte. Un sourire en coin ce dessina sur son minois. Néanmoins, les réjouissances furent de courtes durées. Bien qu’il soit déchu par sa destruction, il reste celui qui a commandé la première unité spéciale de la nation de l’Eau. Il a un devoir envers la défunte Kirigakure. Il débuta une marche lente, menaçante. Il se devait de jeter un œil au lieu qu’il a occupé pendant sa dernière année de service.

Le quartier général des Épéistes.

D’une finesse légendaire, ses paumes épousèrent la paroi glaciale des portes métalliques. Il les poussa délicatement. Un grincement retentit alors que l’entrée ce fit plus grande, offrant un chemin vers l’intérieur. Un vent austère se dégagea du sombre passage, comme si l’air résidant dans l’édifice même était piégé depuis belle lurette. Un inconnu croirait entendre le zéphyr lui murmurer « va-t’en, tu n’es pas la bienvenue » tandis que l’un des sept Épéistes de la Brume percevrait les mots « bienvenue chez vous ». Oui, pour Setsuna, ce lieu menaçant et inhabité depuis plusieurs années lui rappelait des souvenirs agréables. Notamment le Nidaime Mizukage, le Noble Lutin lui-même, anxieux de lui faire un tour visité du bâtiment – plus précisément de lui faire découvrir une armoire à nourriture, aujourd’hui encore intacte, mais les aliments incomestibles.

Ce souffle lui frôlait le visage, invitant le maître de ces lieux sacrés à retrouver ses installations. Il franchit l’huisserie, les portes se refermèrent sur elle-même, bloquant l’accès à l’extérieur. Par quelques trous dans la fondation, servant de fenêtres, la lumière éclairait suffisamment l’enceinte du manoir ainsi que ses chemins vers les escaliers ou diverses pièces. Setsuna a le choix : prendre la direction de la bibliothèque; des archives; du terrain d’entraînement réservé à l’élite de Kirigakure, situé plus loin derrière le quartier général; une source thermale au sous-sol; une salle insonorisée dédiée à la méditation; les quartiers des Sabreurs d’élite. Bref, il a le choix. Pourtant, le sombre spadassin choisi plutôt de s’engouffrer dans le corridor principal, faisant face au chambranle ainsi que l’énorme enceinte. Ses bottes heurtant la céramique du sol créèrent un écho aux tympans de la chimère. Sa marche, lente et assurée, ne craignait pas l’inquiétante solitude régnant en ces obscurs recoins. Il aboutit finalement devant une nouvelle paire de portes : en bois cette fois-ci. Avant de pénétrer à l’intérieur de cette pièce, il abaissa la capuche de son survêtement d’ébène. Simple tradition.

Une nouvelle brise pénétra cette pièce énigmatique, engouffrée dans les ténèbres. Peu après l’ouverture des portes, par enchantement, des bougies accrochées aux murailles s’allumèrent d’elles-mêmes, chassant l’obscurité. Apparaît une salle ronde, au milieu résidant une table de bois également ronde, accompagnée de sept chaises. Cette grande table, luisante sous le feu des chandelles, n’est pas tout à fait ordinaire : décorée, elle a aussi un grand espace libre au milieu. Un aspect contemporain, rien que ça. Malgré que l’unité des Épéistes possède un leader qui commande ses hommes, la table ronde témoigne du statut égal de chaque guerrier lors des rencontres dans cette pièce. Tout individu qui franchit cet endroit dans l’intention de participer aux discussions détient un droit de parole, peu importe de son statut social. C’est le symbole de la table ronde. Jusqu’à ce jour, personne n’autre que les Épéistes n’est venu ici. Il est sans mal de prévoir un changement futur. Futur aujourd’hui en éclats.

Lentement, l’Homonculus contourna de près la table et passa sa main gantée dessus. La poussière s’est accumulée, un bon nettoyage ne serait guère de trop. Il se faufila dans le fond de la pièce, où des statues à l’échelle humaine reposent sur pied. Côte à côte, ces sculptures sont des œuvres d’art représentant à la perfection les successeurs du Yuuki : Yogan Encho, le premier des chefs; Sensoo Kiru, le légendaire Sennin; puis Kitase Shinichi, le Lutin Bleu. Son profond regard de braise et d’océan se posa sur chacune de ces effigies, leur dévouant un respect dépassant l’entendement. Alors qu’il arriva au portrait de pierre de son maître, une dernière statue se situe à ses côtés. De même grandeur que lui, il observa attentivement chaque trait de ce personnage sculpté dans la roche. Debout, le buste en avant, fier et la tête haute, les bras le long du corps et les poings fermés. Pendant un moment, le Stigmate eut l’impression de se regarder dans un miroir de roche. La réplique est parfaite. Le voilà, lui, aux côtés de ces légendaires sabreurs d’antan. Le jeune garçon resta bouche bée. Puis, une soudaine réalisation lui vint à l’esprit. Un murmure étouffé brisa son mutisme.

• Je suis… J’étais… le Chef des Épéistes…

Une évidence. Il est bel et bien le dernier à avoir commandé les légendaires Épéistes de la Brume Sanglante. Néanmoins, ce n’est pas cela qu’il réalisa. Plutôt : qu’avait-il compris de son rôle ? Le Chef des Épéistes a sous ses ordres l’unité en charge de la protection du Mizukage. Dans le cas d’absence de ce dernier, il représente le village par défaut. Il est responsable de toute mission de nature diplomatique et organise les troupes militaires. En bref, c’est ce que fait le Chef des Épéistes. Néanmoins, qu’en est-il de l’aspect pratique ?

Il tourna les talons et se positionna derrière une chaise de la table ronde. Il visualisa ses hommes, fidèle à lui. Loyauté, Honneur, Courage, Noblesse, Vaillance, Respect, Justice, Fierté. Des valeurs que partagent tous les Épéistes qui ont pris place à cette table un jour ou l’autre. Toutefois, lui ne peut prétendre de posséder ces qualités. Il ne voyait que ses hommes comme des pions alors qu’eux étaient prêts de le suivre sur le chemin le plus périlleux, même dans la mort. Brusquement, sa tête flancha vers l’avant. Sa canine mordit sa lèvre inférieure, ses poings se serrèrent sous sa rage. Il n’a point été un exemple pour eux alors qu’ils lui vouaient une fidélité sans faille. En soi, il a souillé leur honneur, car il les a guidés sans réellement chercher à les comprendre. Sans être ce qu’ils étaient.

Yuuki Setsuna n’est jamais devenu un Épéiste dans le véritable sens du titre.

Courage. Indomptable par la crainte ou l’hésitation, un Épéiste se jette sur le champ de bataille pour prêter main-forte à ses frères d’arme, ses compagnons de toujours.

Loyauté. L’Épéiste a prêté allégeance et servira son supérieur jusqu’à son dernier souffle. Si nécessaire, il le suivra même dans la mort certaine, lui tenir compagnie dans le feu des enfers. Une fidélité inébranlable : pas même le plus monstrueux des tremblements de terre ne pourra ébranler ce sentiment. Car un Objet Inébranlable ne peut exister dans le même univers qu’une Force Irrésistible.

Fierté. Il prend plaisir à son prestige et à sa puissance, car c’est ce qu’il a obtenu à travers de lourdes épreuves. Son âme est son sabre. Son épée légendaire symbolise son titre, sa noblesse. À ne pas confondre avec l’arrogance, car un Épéiste fait toujours preuve de…

Respect. Au diable les conventions sociales et militaires. Son adversaire possède une dignité ainsi qu’une histoire propre à sa personne. Il est en droit de connaître le nom de son assaillant puis de donner le sien pour être équitable. Le combat sera dans les règles, sans l’usage d’aucun artifice pour prendre l’avantage. Puisqu’avant tout, un Épéiste suit un code d'…

Honneur. L’Épéiste a des principes sur lequel il base sa vie, tous mentionnés ci-dessus. S’il viole l’une de ces règles bibliques, il se considérera déchu de son pouvoir. Dans le pire des scénarios imaginables, il entreprendra des mesures drastiques pour laver son nom. Tel l’a fait le Seigneur Yakigote, un exemple pour tous Samouraïs et Chevaliers de ce monde.

Qu’avait-il vu de ces valeurs ? Rien. Pour lui, seule la mission importait. Sacrifier ses pions si le besoin advient nécessaire ne lui faisait ni chaud ni froid. Setsuna était prêt à souiller l’honneur de ses hommes pour si peu. Heureusement, il n’en est jamais arrivé à ce point. Toutefois, il était préparé de le faire, sans remords ni incertitude. Son poing droit frappa la table ronde. Quelle honte ! Que pouvait-il bien faire pour laver ce déshonneur ? Le suicide, tel que l’a démontré le seigneur du pays du fer, est une option de choix…

Non, cela est la voie facile. C’est de la couardise, pure et simple. Se tuer pour effacer son indignité n’est pas la solution. Ou plutôt, dans le cas de la chimère, ce serait une ridicule justification pour trépasser et rejoindre au plus vite son aînée dans la mort. Il se releva, droit comme un piquet. Son regard éperdu changea subitement, affichant désormais détermination et motivation. Le Yuuki allait vivre. Survivre en ce monde, comme il l’a toujours fait. Cependant, désormais, il ne verra plus ses camarades comme de vulgaires jouets. Ce seront des frères d’arme, même dans la mort. Vivre en suivant cette philosophie, voilà sa rédemption.

Il tira Seishin et Kuragiri de leurs fourreaux et croisa les sabres parallèlement à la table ronde, symbole de l’unité. Même dans les ténèbres, la lame d’adamantine de Seishin luisant de lumière, comme l’espoir dans ce triste monde, alors que la lame noire de Kuragiri s’absorbe totalement dans l’obscurité. Il est temps de renouveler son serment sacré auprès des siens. Il ferma les paupières et souffla, longuement. Un océan de mutisme s’installa dans la pièce. Pas même sa respiration perturbait cette silencieuse mélodie. Seules ces paroles morcelèrent cette paisible quiétude.

I am the Soul of my Swords.
Steel is my body and Fire is my blood.
I have taken down a thousand enemies.
Unaware of Loss, nor aware of Gain.
These hands have been created for this sole purpose.
I have no Regrets, this is the only Path.
As I pray, I call forth…

Le dernier mot se noya dans le silence. Le Kirijin décroisa ses épées et les rengaina. Il prit la direction de la sortie. Avant de fermer les portes, il observa distraitement la salle qu’il quittait, une dernière fois. Il abaissa la tête par respect puis ferma les portes. Le jouvenceau quitta le quartier général des Épéistes, puis la Montagne Bleue. De retour à la surface, ses prunelles de braise et de glace se perdirent dans le ciel grisé.

Un grondement retentit, un orage allait s’abattre sur Mizu no kuni. Il regarda une nouvelle les ruines autour de lui, nostalgique. Il avait tout fait pour sa Nation. Il est devenu Chef des Épéistes et a guidé ses troupes au combat, pour la gloire de la Brume. Il attrapa au sol de la tendre cendre puis laissa défiler cette sombre poussière entre ses doigts, emporté par le souffle de Zéphyr… Des ennemis allaient envahir ces terres. C’est un fait. Setsuna regarde de nouveau le tonnerre qui se rapproche rapidement.

Setsuna allait combattre.