BREATH IN, EXHALE.

Un soupir. Un seul. C'était largement suffisant pour alerter ce petit monde qui t'entourait. Monde rêvé, monde bercé. La seule idée de devoir recroiser certains regards te fatiguait. L'académie était faite de noir et de blanc, mélangeant le pire au meilleur pour essayer de tendre vers le gris. Cette couleur neutre et passive, tu l'affectionnais presque. Même si ton esprit était beaucoup trop controversé pour une gamine de ton âge, tu commençais parfois à ré-apprendre ce que jeunesse signifiait vraiment.

Difficile cependant de rester impassible devant tant d'énergie et de vibration. Les gosses, qu'ils soient jeunes où pas, s'affairaient tous à courir d'une part à l'autre du village. Chacun prônait leur propre volonté, tout en prenant des chemins différenciés. Le tien (de chemin) avait connu assez tôt quelques raccourcis que tu aurais préféré contourner. La vie ne devait pas se contenter d'être droite, rapide, pressée. Tu ne devais pas avoir peur de glisser, longer des chemin plus sinueux, en arpenter d'autres qui peut-être alors seraient sans issue, et te forceraient donc à revenir sur tes pas, où décider de tout arrêter. Le choix. C'était ce qu'on t'avais enlevé plus tôt, et rendu un peu trop tard. Le choix de pouvoir grandir, celui d'apprendre à le faire... ou de décider quand le faire.


Tes poumons se gonflent, inhalant sans gêne l'air rafraîchissant du matin. Ton torse se bombe, comme s'il allait exploser. Les mains posées en arrière, le nez vers le ciel, les paupières mi-closes. Rien de tel qu'une bonne apnée matinale. Mange tout, avale tout, hume tout comme si tout ce que tu sentais, tout ce que touchais, tout ce qui t'entourait n'était qu'une chose éphémère, menacée de disparaître d'une seconde à l'autre.

Un soupir, un seul... pour recracher tout l'air emmagasiné.

Cette fois-ci, tes yeux rivaient à l'horizontale, contemplant l'étendue d'arbres parsemés au loin. Au loin, deux silhouettes s'acharnent, dansent, survolent. La jeune intriguée que tu étais t'avais amenée jusqu'au pied d'un grillage. Celui-ci était prédisposé à séparer une terre neutre d'une terre plus dangereuse, non pas parce que des étrangers pourraient s'y trouver, mais parce que les propres ninja de Konoha s'en servaient comme lieu d'entraînement. Les plus expérimentés s'enfonçaient souvent dans la forêt, s'épargnant ainsi d'un public pourtant averti.

Les deux billes qui te servaient d'yeux se ruaient de droite à gauche aussi furtivement qu'ils le pouvaient. Ta bouche cachait un demi-sourire, il était rare que deux ninja d'un grade supérieur s'entraînent aussi près de la grille. Tes doigts tentaient eux aussi de suivre le mouvement. Ce que tu aimais le plus dans le dessin, c'était saisir l'action. Voir comment les muscles pouvaient se tordre, remuer ainsi comme s'ils n'étaient qu'élastique.

Les deux danseurs s'échangeaient également un panel de techniques, l'une toujours plus redoutable que l'autre. Si l'un venait à charger avec un katon, l'autre renchérissait derechef avec un suiton... créant ainsi plus lisiblement ce schéma que tu étudiais en classe. Et d’ailleurs le doton était décidé...

Ton cœur se serra. Tes prunelles se teintèrent d'une lueur rougeâtre, ardente.
Là devant toi, un ninja. Là devant toi, l'autre qui l'attaque. Là devant toi, une magnifique esquive.

Là devant toi, une boule de feu, aussi étincelante qu'un soleil. Une étoile, un rêve, de la chaleur ? Un mélange de tout ça. Tout ça qui, à une vitesse fulgurante, te fonçais droit dessus. Tu n'entendis même pas la voix alerte d'un des deux ninjas qui s'égarait. C'était rapide... Trop rapide pour toi. A peine t'étais-tu levée que les flammes traversaient déjà le quadrillage de la barrière. Tes mains, muscles, pensées et réactions se figèrent.

La douleur, tu connais, la mort, peu pour toi.

Fort heureusement, la mort avait d'autres chats à fouetter ce jour-là.
Car pas plus d'une fraction de seconde après que le soleil qui t'était accidentellement destiné ne traverse le grillage, un miracle tombait du ciel. A la façon d'une foudre s'abattant sur un pilier métallique, ton ange gardien du jour interceptait avec violence et vélocité la balle de feu dans un vacarme assourdissant, comme s'il expulsait une onde d'amplitude extraordinaire par chacun de ses pores. Les flammes s'évanouirent, soufflées comme un millier de bougies d'un coup.
De toutes les choses qui t'entouraient, de tous les dangers qui te guettaient et te guettent encore, cette boule de feu était de loin la plus éphémère. Peut-être que le soleil disparaîtrait de la même manière un jour, qui sait...

Ton miracle avait les cheveux noirs, les bras ballants, portait un vulgaire T-shirt, et tenait une espèce de gros calepin au creux du bras droit. Il te tournait le dos, tu ne pouvais pas voir son visage. A l'issue de son acrobatique et salvatrice intervention, il défléchit les jambes et se redressa, d'abord en semblant assassiner du regard l'auteur de ce katon. Puis, furtivement, il tourna la tête vers toi, comme pour vérifier que tu n'avais rien de cassé. L'espace d'une seconde, un demi-sourire sur son visage de vieux môme trahit son soulagement.

Sans prendre d'élan visible pour ton œil nu, il repartit aussitôt d'un bond exagérément haut pour passer de l'autre côté du grillage, et se percha sur une branche d'arbre non loin des deux combattants. Après quoi il finit par s'adresser au pyromane maladroit, en faisant mine de consulter son calepin.

- Sarutobi Meshiroi, c'est ça ? Encore une bourde de ce genre, et tu es recalé.

- Mais sempaï, je...

- On vous avait dit de ne pas rester près des barrières ! Pour que l'épreuve ait un sens, elle doit se dérouler au cœur de la forêt.

- On a pas fait gaffe, sempai. On a dérivé et on s'est retrouvé là, voilà tout.

- C'est bien pour ça que je vous laisse une autre chance. Déguerpissez avant que je ne change d'avis.

Les deux aspirants au grade de chûnin s'exécutèrent, et disparurent dans les bois, probablement pour continuer leur bataille de soleils et de raz-de-marrée. L'examinateur, lui, les regarda s'éloigner. Au bout de quelques secondes, il retourna la tête vers toi, et t'adressa un nouveau sourire à travers le grillage en descendant de sa branche.

- Drôle d'endroit pour crayonner.

La sympathie dans son regard se mua lentement en une sorte de nostalgie incompréhensible. Sans te quitter des yeux, il entrouvrit la bouche, posant la corne au bout de ses doigts de musicien sur le fer du grillage.

- On... on s'est pas déjà croisé quelque part ?

Évidemment, la réponse était non. Il aurait suffit que tu lui donnes ton nom pour qu'il s'explique cette gênante impression de déjà-vu, mais ça, vous l'ignoriez tous deux.

BREATH IN, EXHALE.


Une seconde, c'est le temps qui te fallut pour réaliser que la boule incandescente avait été annexée par une silhouette encore plus furtive que les deux autres. Un homme à la carrure banale se posa, quelques mètres devant toi. Son visage effectua un aller-retour entre ta position et celle des shinobi. De quoi te valoir un léger  haussement de sourcil. Tes prunelles le suivirent tout du long de son saut : Même s'il te tournait le dos, tu pouvais ressentir de l'agacement dans son attitude. Ses épaules s'étaient resserrées, et son menton levé. L'idée de voir deux de tes congénères se faire enguirlander par ta faute te fit légèrement sourire. Tu ne te reteins d'ailleurs pas de leur jeter une légère grimace alors qu'ils avaient reçu l'ordre de déguerpir. Bien fait pour eux, ils n'avaient pas à faire battre ton cœur de cette manière. C'est avec une expression de glace qu'ils tournèrent donc les talons, quelques peu rancuniers à ton égard. Soit, si leur examen était compromit, ils n'avaient qu'à s'en prendre à eux même. La moindre des choses aurait été de remarquer ta présence, et surtout, évaluer distance, trajectoire, force de frappe. Toutes ces choses qui font la différence entre un simple barbare et un ninja expérimenté.

Le dernier arrivant était, sans nuls doutes, le plus expérimenté de vous quatre. Cela se voyait à son allure, à la manière dont il avait bloqué l'attaque, mais surtout dans sa façon de réprimander les moins gradés. Il s'avança, attirant de plus belle ton attention. Ses doigts jouaient avec ce qui paraissait être un instrument musical, qui glissa le long des tiges métalliques, sonnant comme un cri d'attention.

A sa réflexion, tes yeux plongèrent vers le bas.
Dans le doute, tes mains s'étaient crispées.
Dans le doute, seule une énorme tache venait remplir le centre de ta page. La plume était restée trop longtemps en contact avec la feuille, laissant alors l'encre s'écouler et marquer cette page à jamais.

- Les endroits sont tous drôles... Je trouve.

Ton visage ne se redressa pas tout de suite. Ton œuvre était complètement gâchée, et ça t'énervais presque.

Sa voix, roulante, te demanda alors si tu le connaissais.
Tu voulais rire. Mais seul le sourire se dessina. Tu voulais bien dire oui. Mais seul un haussement d'épaule se découla de ton corps. Tes prunelles se levèrent alors, jugeant les traits qui s'offraient à toi. Tes sourcils se froncèrent.

L'était-elle, évidente, cette réponse qui pourtant ne te le paraissait pas le moins du monde ?

Plus tu le décrivais, plus il te semblait familier. Une connaissance ? Un prof ? Un gars simplement croisé dans la rue ? Il convenait à tous les profils, et c'est ce qui t'empêcha de le remettre de suite. Ton visage se radoucit à mesure que son identité te revenait.

- Même si c'était le cas, tu ne t'en rappellerais pas. Moi oui, toi non. Tu es quelqu'un que Konoha connaît, pas juste moi.

Tu étais juste physionomiste. Il te suffisait de croiser quelqu'un dans un contexte particulier pour pouvoir marquer des traits dans une situation. Lui, il en avait vécu plein, des situations. Lui, il avait probablement un rôle particulier. Lui, il avait cru te connaître mais tu n'étais rien de plus qu'une de ces mômes qui devaient encore tout apprendre.

Tes jambes se plièrent, plongeant ton torse vers l'avant pour te redresser. Ton buste resta penché un instant, le cou voûté et la tête inclinée, avant de se relever, entièrement droit.

- Rena... du clan Hyô.

Un nom que tu prononçais sans réelle ferveur. Autant ton prénom t’allait à ravir, autant ton appartenance à un clan divisé te posais quelques problèmes d'identification. Tes bras se croisèrent alors sur ta poitrine, le visage se déviant sur le côté, comme gêné d'avoir à avouer quelque chose.

- Tout à l'heure.... C'était cool. J'aurais pas aimé voir mon carnet calciné par deux abrutis.

Et vlan. C'était gratuit, honnête ; Une Rena en puissance. Tu n'étais jamais leste sur les critiques, et la honte était un sentiment avec lequel tu avais appris à vivre comme s'il était ton compagnon de route. Un regard, un seul. C'était ce qu'il te fallait pour montrer que tu pensais bien ce que tu disais. Pour toi, rien ne servait de mentir. Cette rancœur d'avoir raté ainsi ton croquis à cause d'une technique égarée, tu ne la cacherais pas.

Pourtant, ce n'est pas l'honnêteté dans ton regard qui frappa l'attention de ton interlocuteur, mais sa couleur.

Toujours de l'autre côté de cette barrière de ferraille, il te fixait. Évidemment, toi tu le connaissais. Ça le surprenait de moins en moins de croiser des gens qui étaient capable de mettre un nom sur son visage, mais il ressentait invariablement un petit sursaut d'étonnement à chaque fois qu'il réalisait qu'il n'était plus aussi discret que quatre ans auparavant, quand il venait de débarquer à Konoha. Le simple fait d'avoir tenu tête à Gogyou Makka, fléau ardent du monde quelques saisons plus tôt, l'avait propulsé malgré lui au rang virtuel et absurde de Sennin.

Mais dans l'autre sens, c'était une autre histoire. Le brun clair de tes pupilles tendait pour lui vers un jaune beaucoup trop familier pour le laisser indifférent, mais il n'arrivait pas à mettre la main dessus dans la danse nébuleuse de ses souvenirs. Comme si la réponse s'éloignait à mesure qu'il courrait après, un peu comme ces rêves dont on essaie de se remémorer la substance au réveil.

Fatalement, le déclic survint quand tu te relevas en déclinant ton identité.
Hyô, comme Hyô Misory. Sœur spirituelle de Myakudou Onpu, équipière, et fondatrice secrète de la Racine dont il était désormais le chef. Car Misory était tombée au combat, pendant la guerre contre Suna. Cela faisait deux ans, maintenant.

Évidemment, la connexion avec toi est subtile. Toi qui avais grandi dans une branche « noble » et écartée du clan pendant un pan entier de ton enfance, il t'aurait été difficile de l'avoir connue. Son visage pourrait éventuellement te revenir, mais il ne devait hélas en rester guère plus que quelques autoportraits. Car oui, c'était une artiste également... en évoquant une nouvelle fois le sujet de ton carnet, tu ne faisais que rappeler cet aspect de la personnalité de Misory à On', rouvrant ainsi de plus belle la blessure causée par sa disparition.

Mais le luthier prit sur lui. Ravalant son blues intempestif, il prit une grande inspiration, expira. Le monde était trop petit pour les fantômes.

- … moi non plus. Même si la vie d'une villageoise me semble quand même un peu plus précieuse que celle de son carnet.
Cela dit, je n'aimerais pas le voir calciné non plus. En fait, j'aimerais bien le voir tout court, si tu es d'accord.

Les mailles du grillage étaient assez grandes pour lui permettre de voir ton dessin dans sa globalité.

- Ah et, tu peux m'appeler On'.

BREATH IN, EXHALE.

Dis dis, pourquoi tes yeux sont tristes comme ça ? Dis, ça fait très mal ?

Son expression change, ses paupières tombent, sa mâchoire semble plus lourde, c'est normal ? Ce sentiment d'avoir créé comme un malaise survint dès que tes lèvres eurent baragouiné ton nom.
Le principal avantage d'être physionomiste n'est pas celui auquel on pourrait penser. Toi, tu voyais juste qui et comment fonctionnait de quelle façon. Forme d'empathie, on pouvait décrire ça comme une analyse littéraire des rides qui creusaient et forgeaient un visage, et ses émotions.

Là maintenant, il est nostalgique. Ici, peut-être un peu intrigué. Là, triste.
Ton regard se fige une bonne fois pour toutes. Pas moyen de mettre le doigt sur la cause du malaise. Peut-être que tes traits lui rappelaient quelqu'un ? Quelque chose ? Une partie de son passé, qui était donc une partie de son présent, et de son futur. Les souvenirs sont souvent traîtres, on les accable de nous faire souffrir, mais on oublie souvent à quel point il serait facile de s'égarer sans eux. Oublier, jamais. Impossible.

Comme si ton cœur le cernait, tes poings se resserrèrent, traduisant cette impression de douleur qui survenait dès que nos pensées se sentaient troublées.

L'action est brève, car tu ne veux pas tomber dans le cercle vicieux du regard tourné vers le passé. Marcher à reculons ne rimait à rien, autant ne pas exister que d'exister pour ne faire qu'empirer les choses. Même si ta vie n'avait pas de but particulier, cela ne t'empêchait pas d'en désirer un à tout prix, de désirer la vie comme tout bon homme devrait le faire.

- Rassure-toi, je tiens énormément à la vie. Mais cela n'empêche pas mon carnet de l'être aussi

Oui car tu avais cette certitude : Tes dessins vivaient, que ce soit au travers d'une encre précieuse, d'un bref croquis, d'une huile légère... Tout ce qui se retrouvait marqué sur la feuille, faisait vivre la feuille. Si tes dessins bougeaient, sans pour autant user d'une quelconque technique, c'était tout simplement parce qu'à chacun d'entre eux, tu donnais une portion de ta propre vie, comme un présent en guise de remerciement.

Ton carnet, il est jeune, a peine débuté. Ton carnet, tu comptes bien le remplir jusqu'au bout. A la fin, quand ton âme aura décidé de quitter un corps vieillit par le temps, ce seront tes dessins qui prendront la relève et vivront pour toi. L'art est la seule trace du passage de l'homme sur terre, et tu ne comptais pas rester translucide.

- Tiens

Ton bras avait longuement hésité avant de se tendre vers l'individu. S'il ne t'avais pas sauvée, jamais tu n'aurais daigné le laisser ne serait-ce que loucher sur une de tes œuvres. Cependant, ton regard était en alerte, et tes mots sèchement prononcés.

- Tu peux voir le dernier dessin, puisque c'est la partie que tu as sauvée aujourd'hui

Dessus s'y trouvait un croquis qui s'étalait sur les deux pages du bloc. De chaque côté se dressait un ninja, le corps volontairement déformé pour traduire cette impression de plongeon, de rapidité. Les deux hommes se faisaient face, l'un brandissait la lune, l'autre le soleil. Sans nul doute qu'il s'agissait là d'un combat, mais leurs yeux ne traduisaient rien de plus qu'une rivalité amicale. L’interprétation était libre, car toi même tu peignais la scène comme tu le ressentais, comme ça te venait.

Au milieu, la grosse tâche d'encre, séparant encore plus les rivaux.

- Tu vois, tout peut-être drôle

Cette phrase aussi, était libre d’interprétation. Ton supérieur pouvait y voir comme un réconfort vaguement articulé où une simple preuve qu'une scène de tout les jours -en l’occurrence, un combat d'entraînement- pouvait être forte de signification et de sens. L'inspiration, elle était partout. La vie, ce n'est rien de plus qu'une source intarissable et infinie que tout homme se devait de boire.


Le mordoré peut-il réchauffer l'émeraude ?

Intrigué, amusé et émerveillé à la fois, On' se courbait pour mieux admirer cet étrange travail. Ce fut la tâche d'encre qui, fatalement, capta son regard en premier ; il n'aurait pas été capable de dire s'il s'agissait là d'un accident ou d'une audacieuse décision artistique, même en remarquant ensuite la finesse des traits qui constituaient les protagonistes. Étrangement, elle ne perturbait pas l'esthétique générale du croquis. On pouvait y lire un trou noir, destiné à absorber toute chose, astres, vies, kunais...

Il reprit, sans détourner les yeux du papier garni par tes soins.

- Drôle, oui. Entre autre. Après tout, ça pourrait être touchant, exotique, enivrant, anxiogène, pour peu qu'on aie l'esprit assez éveillé...

Son regard noir-émeraude remonta vers le feu noisette du tien, ponctué d'un haussement de sourcil.

- On dit qu'être attentif à toute manifestation de la vie, c'est ne plus appartenir à la mort. Ça vaut pour la survie du shinobi, mais à mon sens c'est encore plus vrai pour les activités artistiques de ce genre. Ce dessin est une réussite, et j'espère avoir l'occasion d'en sauver d'autres pour les voir. Surtout si ça peut contribuer à ton immortalité !

Une pointe d'ironie pimentait ses mots, comme pour retirer un peu de sérieux à cette conversation qui prenait des allures faussement philosophiques. Pourtant, en même temps qu'il te parlait, quelque chose bouillonnait dans sa tête. Les différentes sphères artistiques s'étaient inconsciemment connectées en lui, ton dessin l'avait inspiré. La mélodie était double, comme guidée par deux instruments aux timbres fondamentalement différents, qui s'apostrophaient, se répondaient, pour finalement s'entremêler dans un vortex harmonique... ces dernières notes intérieures le firent frissonner. Ses doigts commençaient à bouger, et son chakra à se rassembler malgré lui au creux du ventre.

Il voulut te répondre, te montrer qu'il possédait lui aussi une sensibilité artistique éclairée, en extériorisant les notes qui lui venaient, comme naturellement provoquée par la situation. Il suffisait de libérer les ondes du premier instrument virtuel en filtrant les oscillations de son chakra par la main gauche, et le second par la main droite. Il se doutait que tu serais surprise, voire effrayée par cette matérialisation musicale du fond de sa pensée, mais cette conversation sans mot valait trop la peine d'être entretenue.

Pourtant, il n'en fit rien. Aucune note ne sortit de ses mains, car d'autres lui arrivèrent aux oreilles. Hélas, ce n'étaient pas des notes d'instruments, mais des cris de douleur qui surgissaient du plus profond de la forêt, derrière lui. Son ouïe hypersensible n'y avait pas échappé.

Il fit alors un pas en arrière, et pencha la tête.

- J'ai du taf, faut que j'y aille.

Et alors qu'il s'apprêtait à tourner les talons, il replongea une dernière fois son regard dans le tien.

- Mais il va falloir qu'on se revoie.

A son tour de te laisser la liberté de l'interprétation.

En s'éloignant avec une célérité sauvage dans les sombres profondeurs de la forêt interdite, il réalisait à quel point cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti une telle proximité avec un humain si peu de temps après l'avoir rencontré, et se rappela avec amusement que la  dernière fois que ça lui était arrivé, c'était également avec un artiste. Un musicien tout comme lui, flûtiste, étrangement vêtu, qui fuyait vers le nord, cinq ans auparavant.
Le bout de ses doigts chantaient finalement. Seul à présent, au milieu des arbres qui semblaient fuser autour de lui dans sa course et de la faune dangereuse qui régnait sur les lieux, il pouvait expirer son chakra, donner vie à toutes les notes qui résonnaient en lui, et ce sans la moindre espèce d'appréhension.

Réchauffé, c'était bien le mot. Le regret de Misory s'était recyclé en une flambante admiration pour ta personne.