Comme à l'accoutumée, les chats et les enfants furent les premiers à la remarquer. Un gros matou tigré qui dormait sur le tas de bois chauffé par le soleil frémit, leva sa tête ronde, rabattit les oreilles, s'ébroua et décampa dans les orties. Un enfant de trois tout au plus se mit à pousser des hurlements en écarquillant des yeux larmoyants sur la fillette qui passait.
Ori avançait au pas, sans chercher à dépasser la charrette qui barrait la rue. Derrière elle trottait un âne bâté qui tendait l'encolure en tirant régulièrement sur la corde attachée à l'arçon de sa selle. Outre le bât habituel, le baudet trimballait en travers de l'échine une forme massive roulée dans un drap. Le flanc gris de l'âne était couvert de trainée noires, du sang coagulé. La charrette tourna enfin dans une ruelle adjacente qui conduisait au fenil et à l'embarcadère, d'où soufflait de la brise et des relents de goudron. Ori accéléra. Elle ne réagit pas au cri étouffé que poussa une marchande de quatre saisons en contemplant la main osseuse et griffue qui dépassait de la couverture et tressautait à la cadence des pas de la bête de traie. Elle ne se retourna pas non plus vers la petite foule qui la suivait, toujours plus nombreuse, frémissante d’excitation et de dégout mêlé. Lorsqu'elle arriva devant la maison du chef du village Ori accrocha la bride le l'âne à une petite barrière de bois. La foule qui la suivait formait un arc de cercle tout autour d'elle. Ori entendit les cris du chef avant même d'entrer.

- Par tout les dieux ! Qu'est-ce que c'est que cet attroupement ?

Un petit homme ventripotent cramoisi de colère sortit. Derrière la fillette, le petit groupe de badaud avait presque doublé, mais l'espace libre autour de l'âne ne s'était pas réduit. Ori repoussa le drap. La foule recula et poussa des cris de surprise et d'horreur. Le chef du village, quant à lui, resta bouche bée. Son regard allait du cadavre horriblement mutilé à la fillette haute comme trois pommes. Ori prit la parole de sa voix fluette.

- Un violeur, tueur et pédophile. Vous n'offrez pas une récompense monsieur ?

L'homme examina le cadavre en dansant d'un pied sur sur l'autre, puis il rentra dans la bâtisse derrière lui. Il en ressortit quelques instants plus tard avec une bourse à la main qu'il tendit à la gamine.

- Prend. Et ne reviens plus jamais ici, fit-il d'une voix lugubre.


Ori descendit la rue en direction de la porte du village lorsqu'un frisson, presque imperceptible l'avertit d'une présence étrangère. Une voix étrangère et incontestablement féminine s'éleva dans l'obscurité naissante.

- Euh ... Excuse-moi, tu ne saurais pas où je pourrais trouver un toit pour la nuit ? Hariyama Leara, de Kaze no Kuni, enchantée.

Une jeune femme se tenait non loin de là. Ori la jaugea du regard et son regard s’arrêta sur ses cheveux d'une rose plutôt inhabituel et ses yeux bleue. Danger. Son instinct lui souffla aussitôt de se méfier d'elle; elle était dangereuse.

- Je serais ravie de t'aider mais je dois quitter ce village car je n'y suis plus la bienvenue. Cependant si tu acceptes je connais un campement non loin de là où tu pourras passer la nuit.

La fillette l'invita d'un geste de la main à la suivre, sans pour autant la quitter des yeux. Puis Ori l'interrogea discrètement sur son passé.

- Doù viens-tu et que viens-tu faire à Kusa no Kuni ?

Ori franchit la porte du village et prit la direction d'un campement de nomade dans lequel elle avait passé plusieurs jours. Là-bas elle ne risquerait rien et son invitée serait bien accueillie normalement. Dans le ciel on commençait à pouvoir distinguer les étoiles et la lune apparaissait par intermittence au rythme du défilé des nuages. La fillette observa la jeune femme à ses côté d'un coup d’œil rapide. Le paysage s'enfonçait progressivement dans les ténèbres cependant Leara ne semblait nullement gênée par le manque de luminosité. Au contraire elle avançait d'un pas sûr et ferme, confirmant l'intuition de la fillette: ce n'était pas n'importe qui. Puis sa voix s'éleva, brisant le silence qui venait de s'installer entre elle. Elle se présenta comme une manieuse de Shoton venue passer des vacances dans la région. Intéressant. Peut-être que l'Ange l'apprécierait ? La gamine nota cette information dans un coin de son esprit. Puis son interlocutrice reprit la parole pour lui faire remarquer qu'elle ne s'était toujours pas présentée. Ori rougit subitement et se maudit intérieurement pour sa maladresse. Ses oreilles bourdonnèrent sous l'afflux de sang soudain.

- Excuse moi... Je me nome Ori et je viens de... d'un peu partout, déclara-t-elle d'une voix mal assurée.

Au loin on pouvait distinguer une lumière assez vive. Le campement n'était plus qu'à quelques minutes de marche fort heureusement. Son combat de l'après-midi l'avait exténué et ses jambes douloureuses peinaient à la porter. La fillette poussa un soupir de soulagement à l'idée de s’asseoir devant un bol de soupe chaude. Enfin le travail passait avait tout et elle avait que trop tardé pour poser cette question. Ori se figea et regarda la ninja à ses cotés droit dans les yeux.

- Dis moi... Que penses-tu de l'humanité ?

Qu'allait-elle répondre ? Ori n'en avait aucune idée mais quelque soit la réponse elle changerait à tout jamais sa destinée. En bien ou... en mal.