Une nuit agréable, ni trop chaude, ni trop fraîche. De quoi se recueillir tranquillement au cimetière. Cela fait longtemps que Yuka ne s’est pas rendue là-bas. Cela fait longtemps qu’elle n’a pas adressé la parole à Kyurei. Même s’il voit, entend et comprend tout, la kunoichi ressent le besoin de se confier à lui, de temps à autres. Ces derniers temps, à cause de ses nouvelles responsabilités, elle procrastine à chaque fois. Remettre à demain un monologue funèbre n’est pas une bonne chose et, de ce fait, la Mitsuharu a décidé de prendre cette soirée juste pour aller le voir, histoire qu’il ne se sente pas trop seul non plus. Et puis, au moins, elle sera au calme. En ces temps chauds et plaisants, tout le monde fait la fête, s’amuse. Personne ne pense à se rendre au cimetière, ce qui lui permet de s’assurer une solitude des plus profitables.

Ce soir, Yuka décide d’allonger la route, pour se perdre à la contemplation d’un si beau village. Elle tient aussi à faire la comparaison entre ses souvenirs et ce qui existe maintenant, pour expliquer à son frère comme tout a pu changer. Autant qu’elle a pu grandir et trouver sa voie, Kiri a aussi subi de grosses transformations, notamment l’ascension de Yoru au pouvoir. Désormais Sandaime Mizukage, il a totalement modifié la politique de Kiri, la rendant beaucoup plus autocratique, et surtout austère. Vivre en marge, voilà ce qui les a finalement menés à être aussi froids avec les autres. L’esquisse d’un sourire se forme sur les lèvres de la demoiselle. Elle est fière. Fière d’appartenir à un village qui se suffit à lui-même, et qui est capable de terrasser ses opposants. Mais elle est également fière de son chéri, de ce chef de file qui mène les troupes jusqu’à la victoire. Si Kiri connaît aujourd’hui ce semblant de paix, c’est grâce à lui, à son autorité. Ah, Kyurei doit savoir tout ça. Elle doit lui raconter, lui expliquer. Lui tartiner encore et encore des récits dont il n’a cure, seulement pour lui faire la parlote, et lui montrer à quel point elle est heureuse.

Ce monde est beau.
Ou presque.

À force de marcher, la kunoichi finit par atteindre une rue un peu plus étroite, où a lieu un rassemblement circulaire. Une meute de gens saouls, encore ce soir ? N’en ont-ils pas marre d’importuner les jeunes demoiselles ? Qui est-ce, cette fois ? Une pauvre jeune femme en route vers l’appartement de son aimé, pour une soirée romantique ? Une midinette perdue, de retour de son travail, qui ne demande qu’à rentrer pour dormir ? Ou autre chose de complètement différent ? En tous les cas, que ce soit ça ou non, ils agissent comme ils ne devraient pas agir, remettant en cause les règles de la vie en communauté. Yuka accélère le pas pour se rapprocher d’eux, remarquant la belle nymphe au centre du cercle. Pas étonnant qu’ils ne l’importunent, vu son physique. Cependant, à la voir, elle n’a pas l’air contente de les voir. Aaaah … Que ne feraient-ils pas pour assouvir leurs pulsions sexuelles, ceux-là.

La Sabreuse pousse un petit soupir, et s’arrête non-loin d’eux. Assez près pour être vue, et entendue. Un grand sourire naît sur ses lèvres. Sadisme ou gentillesse ? Clémence ou violence ? Ah, c’est bien à eux d’en décider.

— Vous n’avez pas fini ? Laissez-la tranquille, vous voyez bien que vous ne l’intéressez pas. Quel est l’intérêt de la violer, en plus de ça ? Aucun plaisir n’est à tirer quand il n’y a aucun consentement, vous ne pensez pas ?

Ils se tournent tous et la regardent avec des yeux ronds comme des billes. Oui, oui, c’est bien la gamine non-loin qui vient de parler. Le petit bout de femme sans poitrine, avec ses grands yeux rouges et ses cheveux courts. C’est bien ce truc, là, qui parle de consentement et de plaisir. C’est fou, comme les apparences peuvent mentir. Le ris de Yuka s’agrandit. Elle s’approche.

— Bah alors mes gros loups, vous avez vu un fantôme ?

Ils restent stoïques, sûrement à la recherche de la blague. Une comédie ? Une caméra cachée ? Une fausse intrusion dans leur manège ? Voyons, si quelqu’un est apte à manipuler les dadas, ici, c’est bien Yuka. Au bout d’un long instant de réflexion, ils reportent tous leur attention sur la jolie demoiselle au centre. Erreur fatale.

La brune s’approche discrètement du premier, le plus balèze du groupe, et le traîne au sol en tirant sur ses cheveux. Du haut de son petit mètre soixante-quatre, la kunoichi parvient tout de même à le foutre à terre. Il la regarde, sans comprendre. Sans violence aucune, il s’est retrouvé là.

— Si vous ne la lâchez pas, je lui refais le portrait. Avec seulement mon pied.

Toujours pas de réaction. Ils n’y croient pas. Yuka porterait-elle un masque de clown sur le visage, pour qu’ils soient aussi partagés ? Mince, quoi. Elle menace quand même un ami à eux ! Ou un partenaire. Mais tout le monde se fiche des détails. Au bout d’une minute de réflexion, la Mitsuharu finit par perdre patience. Rapidement, elle lève son pied et l’écrase violemment en plein visage du balourd. Un craquement retentit. Le doux son de l’os qui lâche. Un cri d’agonie retentit. Son sourire s’agrandit.

— Encore ?

Pas le temps de les laisser bouger qu’encore une fois, bam. Son pied écrabouille la tête du saoulard. Il gémit, hurle, mais elle lui broie le visage avant qu’il n’ait le temps d’alerter qui que ce soit. Son sang se répand autour de sa tête, et il tente désespérément de dégager Yuka avec ses bras. Magistralement, la kunoichi lui envoie son pied entre les jambes, écrasant les testicules. Nouveau cri d’agonie, puis le silence. Il a compris. Il ne recommencera plus. Que ce soit les cris, ou même autre chose.

— Dégagez.

Ni une, ni deux, la bande détale comme une bande de lapereaux apeurés. Elle enlève son pied du visage du balourd couché, qui se relève très difficilement, et s’en va en titubant. Dévisagé, détruit, indigné, humilié, il ne fait pas un seul geste en défaveur de l’autre demoiselle, comme s’il n’existait plus que lui et sa douleur en ce monde. Yuka tire la langue, et pose ses prunelles sur l’inconnue, lui offrant un sourire étonnamment tendre et amical, à la suite de cette scène des plus immondes.

— Mmmh. Ils ne reviendront plus, c’est certain. ♪ Je m’appelle Yuka, et pardon pour ce spectacle d’horreur, j’espère que je ne t’ai pas choquée …

Eh bien oui. Elle a beau être particulièrement violente avec les méchants qui s’amusent à s’en prendre aux femmes, elle reste Yuka. Ce gentil petit bout de femme qui sympathise avec presque tout le monde, et qui est, malgré son apparence brutale, un véritable marshmallow. La brune s’approche doucement de la demoiselle, et lui touche les cheveux, histoire de remettre sa barrette qui semble s’être détachée suite à cette petite agression.

— Ça va ?