Alors que les enfants se chamaillaient sur le résultat de leur duel, un bruit se fit entendre dans la pièce adjacente. Et ce bruit, ils le connaissaient bien; c'était celui de la lame qui s'échappe de la main de son propriétaire, s'envole dans les airs et retombe ensuite se planter dans le parquet eu moment où tout est déjà terminé. Comme à leur habitude, ils ne patientèrent pas une seule seconde avant de se précipiter dans la pièce principale pour constater par eux-même le résultat du combat entre les maîtres épéistes du village. C'était le moment où Kaze sentait systématiquement un léger frisson le parcourir. A chaque fois, avant de découvrir l'issue de l'entraînement des adultes, il osait à peine penser à ce qui se passerait si le résultat se révélait différent de celui auquel il s'attendait. Et encore, il n'avait jamais demandé à Shôichi ce que lui ressentait à ce moment-là. Cependant, il savait que son ami, en tant que garçon déjà bien plus mûr que lui, n'oserait jamais le lui révéler si jamais, un jour, il doutait de son propre père.

Cette fois-ci, encore, le résultat fut le même : au moment d'entrer dans la pièce, ils virent un homme, un genou à terre, haletant, à la merci d'un autre bien plus imposant. Les cheveux du vainqueur avaient la couleur du sang séché et descendaient jusqu'à ses épaules; son corps à moitié nu semblait ne compter que des muscles au moins aussi durs que le métal, et le bras qui tenait son katana ne tremblait pas. Devant une vision qui ne pouvait qu'inspirer que le respect, les deux garçons furent stoppés dans leur élan, sans doute frappés par la présence de cet homme. Même des enfants comme eux pouvaient ressentir le rayonnement de puissance que Tôichi, le père de Shôichi, dégageait rien que par sa stature et son expression. Il était réputé pour sa grande sagesse, son expérience de la vie et sa technique au sabre, qui était inégalée dans les environs du village. Pour son fils, il était bien plus qu'un modèle; il était comme une idole, un symbole qui représentait à la fois le devoir, la force et la fierté que Shôichi avait hérités de lui. Il était considéré de loin comme le combattant le plus puissant de cette petite région où les ninja ne venaient pas perturber l'ordre naturel des choses.

Lorsque Kaze avait débarqué au village, son fils avait immédiatement insisté pour que Tôichi accepte d'enseigner également son art à celui qui deviendrait rapidement son meilleur ami, afin, disait-il "qu'il puisse avoir un partenaire d'entraînement de son âge et de son niveau". Ou peut-être parce qu'il recherchait un rival auquel se confronter ? Quoi qu'il en fut, le gardien du village avait accepté, accordant un sourire attendri à l'amitié naissante entre les deux jeunes gens, et ils étaient aujourd'hui, trois ans plus tard, les seuls enfants du village à avoir la chance de suivre les leçons de cet homme. Et ils étaient bel et bien conscients que c'était une chance, même s'ils savaient aussi qu'elle impliquerait des responsabilités dans le futur. Mais, pour l'instant, ils étaient trop occupés à se laisser subjuguer par la classe de leur sensei.

 « T'es trop fort, papa ! Un jour, je serai invincible comme toi ! Et si jamais on est attaqués, je te montrerai que je suis capable de protéger le village, moi aussi ! »
« Shôichi... Qu'est-ce que je t'ai toujours dit ? Ton temps viendra un jour. Mais c'est à moi de te protéger, et ce pour encore un bon bout de temps. Le temps que tu deviennes toi-même plus fort que moi...
 « Mais, Tôichi, pourquoi tu dis ça ? C'est pas possible qu'on devienne plus forts que toi, vu que c'est toi le plus fort ! »
« Seulement, Kaze, tu penses cela uniquement parce que tu ne sais pas encore que le monde ne se résume pas à ce que tu connais. Sache que tu trouveras toujours plus fort que le plus fort. C'est juste qu'il se trouvera ailleurs, à un endroit que tu ne connaîtras pas encore. Les seules limites que tu rencontreras dans ta vie seront dues à ton ignorance. » répondit Tôichi, après avoir esquissé un autre sourire face à l'innocence des enfants, qu'il trouvait inestimable.
 « De toutes façons, je veux devenir plus fort que lui!, s'exclama Shôichi à l'adresse de son ami. Alors y'a intérêt que ce soit possible, sinon je te mets une raclée!
 « Et pourquoi tu devrais me mettre une raclée si c'est pas possible ? C'est pas de ma faute, d'abord ! Et puis essaye, si tu l'oses!

Une nouvelle fois, un sourire éclaira le visage de Tôichi, alors que les gamins repartaient dans des chamailleries puériles. Décidément, rien ne pouvait le charmer plus que l'innocence infantile. Les observer grandir et s'épanouir, jour après jour, l'avait décidé à faire de leur sécurité sa priorité. Et pas seulement ces deux-là... Il se devait de protéger toute la nouvelle génération. Ils étaient l'avenir...