Pour une fois, Soyo était content de son travail: Glandouiller à l'entrée d'une rue et mater les passants. Enfin "Surveiller" était le terme utilisé par ses supérieurs du Kyomu. C'est donc main dans les poches, une cigarette qui pendait à ses lèvres, le dos posé sur un mur qu'il observait la populace. La plupart du temps, son oeil aimait s'égarer sur de jolies rondeurs qui passait dans son champ de vision. Autant vous le dire tout de suite, notre homme n'en foutait pas une. Mais ça lui plaisait.

Par contre, ce n'était pas le cas d'Apéliote et Zéphyr, qui avait reçues l'ordre de patrouiller dans la zone à la recherche de plausibles nuisibles. Depuis qu'Ultima l'avait choisie pour être son Champion, ces deux saloperies de Fées se pliaient - malgré elles - à ses ordres.

C'est d'ailleurs avec une mine boudeuse que Zéphyr, la plus rebelle des deux, voleta discrètement jusqu'à lui. Petite comme elle était, la foule ne vit pas grand chose. Ou au pire des cas l'aurait confondu avec un gros papillon.

— Alors? Du nouveau?
— Evidemment! Si j'viens te voir, c'est pas pour faire la causette! L'esprit soupira, blasée. Bon, j'viens de repérer une humaine vers le quatier marchand. Elle cherche des renseignements. Sur une personne j'crois. Pas sûre pour le coup.

Ah. Ok. Le Mamoru leva un sourcil. A la base sa mission était de repérer les types qui ont l'air vraiment dangereux. Pas les demoiselles en quête de je-ne-sais-quoi.

— C'est bien joli. Mais qu'est-ce qu'en j'en ai à faire?
— Elle a l'air louche.
— Laisse moi deviner. Intuition d'esprit?
— Mais ta gueule.

Le Borgne ricana. Il tira sur sa clope, prit le temps de lâcher un nuage de fumée. Puis écrasa le mégot d'un écrasement du pied. Bon allez. Il allait jeter un coup d'oeil. Se laissant guider par Zéphyr, il se faufila dans la masse grouillante humaine qui traversait de part en part ce quartier animé de la Mégalopole.

Finalement, il tomba sur la personne qui attisait la curiosité de son invocation spectrale. C'était une femme à la peau tannée. Cheveux noirs, yeux noirs. Plutôt bien roulée, ce qui fit loucher notre Antihéros. Cependant, il se reprit. Soyo, "invita" la fée à prendre congé et se dirigea vers cette jolie inconnue. Il lui fit son plus beau sourire.

— Salut poupée. J'peux peut-être t'aider?

La jeune femme n'est peut-être pas libre de ses mouvements depuis longtemps mais ce n'est pas pour autant qu'elle n'a pas reçu une éducation. Outres les expériences et les épreuves, la lecture occupait un temps non-négligeable des mois puis des années passées au fond d'un sordide laboratoire. Et il y a de nombreux points communs entre les histoires et la réalité. Les premières ne sont-elles d'ailleurs pas inspirées de la seconde? À moins que ce ne soit l'inverse? Il est parfois difficile de se repérer dans le méandre des causes et des conséquences. Et puisque Saori n'a pas assez d'expérience de la vie en société - et qu'elle en est consciente! - elle préfère se baser sur des récits, fussent-ils imaginaires, que sur de vagues intuitions tributaires de son état d'esprit.

Dans ces histoires, donc, il y a souvent une belle demoiselle qui attire le regard des hommes. Ces derniers manifestent leurs intérêts par divers moyens, allant de l'usage de la force brute à un romantisme niais. Mais le héros sera toujours le seul à pouvoir gagner le coeur de l'intéressée. Provoquant au passage jalousie, trahison ou meurtre. C'est un grand classique qui se vérifie également dans le monde réel. Ou ce que la plupart des gens s'accordent à considérer comme tel.

Sauf que dans la réalité tout est bien plus sombre et complexe. Les dialogues facilités dans les livres se transforment en regards, gestes ou paroles déplacés dès que le seuil du tangible est franchi. Pour le moment la noiraude s'est toujours contentée d'ignorer les demandes et autres insultes qu'on lui adresse. Ce serait une perte de temps et sûrement le meilleur moyen de provoquer le conflit. Mais aujourd'hui, agacée par les multiples sollicitations perverses qu'on lui adresse depuis le début de journée dans ce quartier malfamé de la Mégalopole, elle décide de dévier quelque peu de son axe de conduite.

Et c'est un jeune homme aux cheveux roux - ces gens qui ne possèdent pas d'âmes à en croire certaines croyances! - qui apporte à l'édifice la fameuse goutte qui fait déborder le vase. Le qualificatif de poupée n'est sûrement pas le pire dont on l'ait gratifiée. Mais il a l'irritante faculté d'énerver lorsqu'il est prononcé à la façon d'un chasseur qui aurait pris sa proie au piège. Le regard de Saori se promène un instant sur le jeune homme tandis qu'elle ne prend pas la peine de réprimer un soupire agacé.

"Et quel genre d'aide me proposes-tu, au juste?" le questionne-t'elle. "Ce sera quoi cette fois? Une proposition de balade dans une ruelle déserte? La promesse de me donner autant de plaisir que j'en voudrai? Peut-être de m'offrir un verre avec la ferme intention de me saouler? Quelque chose de peut-être moins original encore?"

C'est... fatiguant! Beaucoup trop redondant pour que ce genre d'échange ait encore une chance de l'amuser. L'habitude efface vite les joies de la découverte. À croire que la nature humaine elle-même consiste à se lasser de ce qui l'entoure...

"Alors merci mais... non merci!" achève-t-elle. "À moins que tu sois en mesure de retrouver une personne qui ne laisse pratiquement pas de traces derrière elle - ce dont je me permets de douter - ou que tu aies besoin de soins, tu n'obtiendras rien de moi si ce n'est un mépris poli!"

C'est plutôt agréable de laisser ses pensées quitter le seuil de ses lèvres sans leur avoir au préalable imposé un filtre. Même si ce n'est guère courtois dans le fond. Mais cet inconnu l'a-t'il été avec elle? La noiraude décide néanmoins d'accorder quelques secondes supplémentaire au jeune homme. Après tout on ne sait jamais. Si l'habitude est sans intérêt, le hasard peut toujours donner naissance à la surprise. Là encore, les livres abondent dans ce sens...

Et merde. Voilà que Soyo était tombé sur un électron vénère. De toute évidence, elle n'avait pas apprécié les mots du Rouquin.

Voilà qu'elle lui lâche un discours de martyr. Le Borgne se maudissait déjà de lui avoir parlé. Et Blablabla, j'suis mignonne, les gens me matent. C'était dur d'être une jolie nana quand même! Elle avait qu'à être un laidron. C'est de sa faute. Point barre. - Ce discours vous a été raconté par un narrateur Jacky à l'extrême. -

M'enfin. Maintenant qu'il était là, il fallait continuer. Zéphyr avait dit qu'elle était louche. Pourquoi elle et pas un autre? Il y avait peut-être un truc à creuser.

— Euh.... Bah... Euh...

Le départ était difficile. En même temps avec ce vomi de parole que cette inconnue lui avait lâché plus tôt, pas facile de répondre avec assurance. Le Vagabond se reprit.

— *Hum hum* Non. J'suis pas là pour ça. Du tout. Il sortit une clope de son veston et l'alluma, s'appuyant contre un poteau électrique. Si j'ai bien compris, tu cherches quelqu'un?

Bim. Technique de l'homme serviable activée. Avec un peu de chance, elle lui ferait une petite place sous sa couette, une fois ce service fait? Qui sait? On pouvait toujours espérer!

— Contrairement aux autres habitants de la Mégalopole. J'aime aider mon prochain ~ Il apposa une main sur son torse, fermant son oeil valide, un air de saint sur son visage. J'ai le cœur sur la main, tu sais.

S'il avait pu faire apparaître une auréole au dessus de son crâne, il l'aurait fait. Croisant les doigts pour que ça passe. Il continua.

— Il faut me croire meuf. J'suis un type bien. Du coup, si jamais t'as besoin d'un coup de main, je suis dispo'. Il aspira une bouffée de fumée puis la laissa s'échapper après quelques secondes. Et t'inquiètes, j'ai les moyens de retrouver ton gars.

Par "moyen", il fallait comprendre supplier Red pour lui donner un "petit" coup de pouce...

Saori ne peut s'empêcher de se sentir coupable après avoir réagi aussi vivement. S'il est vrai que la façon de l'aborder de cet inconnu n'a rien de très polie il n'en reste pas moins qu'elle n'est pas en reste non plus. La réaction du jeune homme traduit une certaine hésitation et semble confirmer qu'il ne pensait pas à mal. Peut-être s'agit-il simplement de son champ lexical. Après tout si elle a grandit dans une cage il y en a d'autres qui évoluent dans ce genre de quartiers malfamés. Peut-elle décemment lui en vouloir? La noiraude se rend compte qu'il a simplement fait les frais de ce que d'autres auraient mérités.

Un brin gênée et hésitante à son tour, l'enfant de Kaze observe le silence en entrecoupant les remarques de son interlocuteur de légers sourires se voulant conciliants. Une manière de lui faire comprendre qu'elle regrette? Et pour regretter, elle regrette. Spécialement lorsqu'il affirme qu'il peut retrouver Tengoku. L'appréhension se mêle à la curiosité et elle croise les bras en lui décochant un regard suspicieux. Est-ce un mensonge ou la plus stricte vérité? Se joue-t-il d'elle ou a-t-il réellement le moyen de mettre en oeuvre ses propos?

La question principale, cependant, est de savoir ce que ça lui coûtera. Elle veut bien croire qu'il est capable de retrouver son père mais elle doute que ce service soit gratuit. Quand bien même il aurait, selon ses dires, la main sur le cœur. Saori l'observe encore quelques instants, partagée entre son désir d'espérer et celui de se méfier. Puis elle vient s'adosser à son tour contre le poteau qui soutient déjà le jeune homme.

"Comment sais-tu que je recherche quelqu'un?" s'étonne-t-elle. "J'ai croisé beaucoup de gens aujourd'hui mais je suis plutôt observatrice dans mon genre. Et je n'ai pas souvenir de t'avoir vu dans les parages. Je me trompe?"

En soi, sa capacité à obtenir cette information tend à prouver qu'il est capable d'obtenir des informations. Mais est-ce que la façon dont il a appris ce qu'elle recherchait importe, dans le fond. C'est avant tout pour satisfaire sa curiosité - et peut-être, aussi, pour tenter de le confondre - qu'elle s'intéresse au sujet.

"Je ne sais pas encore si je peux te faire confiance mais ta proposition est trop alléchante pour que je puisse me permettre de l'ignorer..." concède-t-elle finalement. "Mettons que je cherche un homme qui parcourt constamment le Yuukan et que je ne puisse rien te donner d'autres comme informations que son nom? Tu crois que tu serais toujours capable de le retrouver?"

Car le problème est bien là dans le fond: le peu de données qu'elle possède sur Tengoku ne facilite guère sa tâche. Et puis si ce jeune homme est capable de retrouver quelqu'un dans cette mégalopole - ce qui, en soit, est déjà un exploit! - rien ne lui garantit que ses talents s'étendent au-delà des frontières de la cité. Voir même de Kawa...

"Dans le cas où tu serais bien capable de m'aider alors j'aimerais savoir... Qu'est-ce que ça me coûtera?" le questionne-t-elle. "Je n'ai pas grand chose à offrir mais si tu peux vraiment retrouver cet homme alors tout ce que je possède t'appartiens. Et pour peu que tu sois patient, j'aurai bientôt à ma disposition une somme conséquente de ryos!"

L'entreprise de chasseurs de prime ne devrait pas tarder à lui verser son premier salaire. Et l'organisation de Nihilem devrait faire de même. Peut-être que ça suffira à couvrir les premiers frais ou, du moins, à contenter le roux pour l'instant. Mais elle se rend compte à présent qu'elle n'a pas la moindre idée du prix que peut coûter ce genre de services. Elle ne devrait pas tarder à être fixée...