A les regarder en silence et les mépriser depuis tout ce temps, j’arrive facilement à une conclusion effarante. C’est une bande de branquignoles incapables qui décident de s’amuser à jouer aux policiers et enquêteurs de pacotille. Hochant la tête – certainement le premier geste non passif que je fais depuis le début. Deux enfants qui passent leur temps à jouer et se chamailler, encore que l’autre poule pourrait être mangeable si l’intérêt se faisait savoir… Je me prive de lécher mes babines et me contente d’accepter. Fouiller des documents ? Si c’est là ma seule occasion pour m’éloigner du groupe et les fuir sans la moindre vergogne, autant que j’en profite, même si quelque part…. Tout laisse à croire que ce vieux con ne me laissera tranquille que le jour où je suivrai à la lettre ses visions débiles.

La violence, la folie, la rage – où est-ce passé ? Il n’y a plus de subtilité, et je fais une moue ouverte lorsqu’il propose à Tsuko d’utiliser le don d’yeux que nous possédons tous les deux, faisant briller une fraction de seconde l’or de mes pupilles comme pour signaler que l’on me raye un peu trop vite du tableau. Pourquoi étais-je là déjà ? Une simple erreur. Une connerie. Portée en grande partie par le blondinet que je verrais volontiers boire la tasse. Et si je le jetais à l’eau sur le chemin du retour ? C’est une option qui méritait d’être discutée, mais il était nécessaire également de jouer la bonne image, ne serait-ce que quelques instants. D’un mouvement bref, je passe mon corps élancé et rejoins de façon presque mécanique ma destination, ne m’arrêtant en chemin que pour dévisager ou lancer des sourires assassins à toutes les personnes qui ont le malheur de croiser ma route. Pénétrant dans la caserne, je lance un grand sourire presque hypocrite aux quelques personnes présentent ici avant de croiser mes bras fermement.

« Bonjour ! Je suis l’un des shinobis de Kiri envoyé pour contrôler le fonctionnement de votre port. On m’a demandé de récupérer des documents administratifs concernant l’organisation du port, les horaires des employés… »

Lascivement je termine ma phrase, comme pour laisser entendre que je n’ai pas réellement le cœur à la tâche alors que je soutiens leurs regards, visiblement déterminés à ne pas coopérer avec moi. Ce n’est pas plus dérangeant que ça, à vrai dire, même si la frustration de la chose… Je soupire calmement.

« Ce n’est pas contre vous, vous savez. Et mon rapport pourra très bien être constitué de remarques désobligeantes concernant votre refus de coopérer, tout comme d’éloges vendant vos méritent si vous arrivez à rendre la tâche le plus agréable possible. Alors je vais le demander une fois de plus, puis-je avoir ces documents ? Et une chaise pour m’assoir et les lire. Sinon, je peux aller chercher mon… Supérieur… Mais je doute que cela ne profite à vous comme à moi. »

Supérieur ? Ai-je vraiment dit supérieur ? C’est encore plus ridicule que… Je roule des yeux au ciel pour me calmer. Sans quoi, je risque juste de m’emporter et même pigeon volant numéro 1 n’aura pas assez de vitesse d’intervention pour m’empêcher de tous les égorger sans retenu.

Fouiller des documents réussi à s’avérer encore MOINS passionnant et intéressant que je ne l’aurai cru, à croire que ce vieux con m’a soigneusement attribué une tâche des plus ingrates uniquement dans le but de se débarrasser de moi et pouvoir continuer sa petite vie idéale avec les deux autres débiles sans le moindre problème. Et si je me faisais attaquer ? Non, il faut que je m’empêche d’éclater de rire – la scène serait bien trop belle, à entendre ces cris de désarrois et d’étonnement alors que les os se brisent. Ah, que cela fait longtemps que je n’ai pas eu le goût du sang dans ma bouche, que je n’ai pas vu le rouge de la moelle se déverser comme de la vulgaire merde contre paroi à l’issue de mes frappes… Mais non. Je dois me tenir comme le gentil petit ninja de merde que je veux faire croire que je suis – et si la tâche pourrait être une simple école de mensonge et furtivité vis-à-vis de mon équipe, bien plus distrayante qu’il ne puisse sembler, Tsuko est tout bonnement capable de me percer à jour avec la facilité de son regard ; cette même facilité dont j’abuse si souvent. Un tour en forêt s’impose dès notre retour.

Et malgré l’ennui que provoquaient ces diverses occupations futiles, même en fermant les yeux avec le plus de force possible, il m’était impossible de passer à côté d’erreurs ou d’imprécisions dans les divers documents qui étaient à ma charge. Ces deux idiots qui avaient accepté de m’élever avec leurs commerces et leurs opportunismes se montraient enfin utiles, une fois n’est pas coutume, et c’est seulement en jetant un regard quelque peu noir aux personnes présentes dans la pièce. Ce n’est peut-être pas la meilleure idée d’avoir vérifié les documents sur place, après tout – tant mieux, j’espérai ce dénouement en quelques sortes. Me relevant et emportant les documents montrant de clairs manquements administratifs sur des gestions aussi simples que la sécurité, la présence de gens en dehors des horaires et d’effectifs inadaptés ou étalés sur le port d’une façon tellement stupide qu’un putain de gamin malade ferait mieux.

« Très bien, j’ai les documents demandés. Je vais y aller maintenant. »

Bon, évidemment les « méchants » et surtout stupides gardes n’étaient pas contents, mais l’un se leva rapidement et s’approcha de moi, le regard tendre avant de me proposer un arrangement à l’amiable. Je ne disais rien, je faisais disparaître les documents et en échange, j’avais quelques alliés. Une offre des plus alléchantes à vrai dire, selon le degré d’implication qu’il me serait possible d’obtenir dans l’activité du port. Si seulement il n’y avait pas dans mon entourage direct et immédiat quelqu’un capable de comprendre ma supercherie le cas échéant où je venais à accepter cette opportunité presque unique – et tout me laisse croire que le vieillard ne laissera pas cette période de liberté où, petit chien que je suis, il a relâché la laisse, sans me contrôler derrière… Vie de merde.

« Non je refuse ! Je suis un shinobi modèle de Kiri, pas là pour me faire corrompre par des mécréants. »

Il n’y a pas grand-chose de convaincant dans ce mensonge que j’assume pleinement, mais autant jouer au maximum de mes apparences quitte à referme une porte, espérant qu’une magnifique fenêtre trouvera moyen de s’ouvrir ailleurs. Ce ne serait clairement pas de refus – et tandis que l’un d’eux, visiblement peu content de ma réponse – sans blague putain – s’approche de moi avec virulence, je l’attrape par la main et profitant de mes capacités au corps à corps, je lui offre un magnifique vol plané à travers la fenêtre, le fracas étant probablement suffisant pour attirer l’attention de tout le monde sur cette pièce. Génial, des problèmes de plus. Le prochain, je le tuerai de façon plus silencieuse, et je le fais bien comprendre avec le regard noir que je lance à tous.

HRP:

Se retenir de tuer quelqu’un pour avoir bonne image est bien plus compliqué que de simplement le tuer – suffisamment pour me prouver à moi-même que tous ces shinobis ne tuant soigneusement pas les victimes de leurs assauts n’avaient que faire d’autre qu’être absolument incapable d’arriver au résultat sanglant. L’un après l’autre, je combats avec aise les quelques civils cherchant à s’interposer malgré mes menaces préalables. Ils gagneraient beaucoup plus de temps à fuir ou faire quelque chose d’utile plutôt que d’encaisser mes frappes, mais qu’y puis-je. Stupide un jour, stupide toujours n’est-ce pas ? Sourire hagard et moqueur aux lèvres, je danse presque entre la vulgarité de leurs frappes – ils ne sont pas les gardes principaux c’est certain -, distinguant à peine dans la rage du combat des sons de lutte quelque peu plus intense ayant lieu au loin. Les fils de pute. Ils ont osé commencer les vraies hostilités sans moi ! Dans un geste un peu trop irréfléchi, j’entends craquer la nuque de mon dernier assaillant mineur, adressant un « Désolé » tout aussi ironique qu’irréel avant de sortir en trombe et rejoindre tant bien que mal le reste des membres de l’équipe, affichant une moue pernicieuse.

« Moi au moins, j’ai essayé de ne pas les tuer pour garder des personnes à interroger. »

Et après c’est moi la fameuse « mauvaise graine » du groupe, honnêtement. D’un geste nonchalant derrière le sarcasme évident de ma phrase, je tends le dossier soigneusement récupéré à Ichiro, ne me souciant guère de déranger peut-être la rencontre du siècle pour le vieillard devenant sénile et condamné à de moins en moins de distraction. C’est lui qui m’a envoyé à cette tâche ingrate, alors qu’il en assume les conséquences dans mon opposition plus ou moins passive. Dire que je n’aurais que leurs maigres souvenirs à mes yeux pour me délecter des petits accès de rage et violence qui auraient potentiellement eu lieu ici, c’en est presque décevant. Prenant une position quelque peu plus sérieuse et plus fondue avec le contexte ambiant qui m’est presque étranger dans mon monde personnel de frustration, je me racle brièvement la gorge.

« Il y a de nombreuses irrégularités sur la répartition du personnel, la quantité d’effectifs, et tant d’autres manquements logistiques et administratifs sur la gestion de ce port que je permets de ne pas tous les citer dans mon rapport. »

Soupirant calmement, j’attendais la suite des événements où probablement que l’enfant doré aux précieuses pupilles ferait une démonstration de son pouvoir de gamin pour retrouver je ne sais quelle information. Comme si j’étais incapable de le faire. Comme si je ne valais rien… Même si je dois avouer que les trois cons ne valent pas beaucoup plus à mes yeux. Après tout…