La nuit… La nuit avait été longue pour l’Akimichi. Blessé sur blessé, patient sur patient – ils s’enchainaient dans une valse douce, basanée entre la gravité et la bénignité. Chacun avait son problème, sa raison bien personnelle pour venir – ou être amené même – et chacun avait besoin d’une prise en charge individuelle. S’il aimait son métier et n’aurait choisi d’en changer pour rien au monde, Rin ne pouvait se priver, à certains moments comme celui-ci de ressentir la fatigue morale inhérente à cette tâche. Ecouter… Non. Entendre le malaise et la souffrance des gens était un aspect tellement intime, tellement privé de la médecine… Cela faisait bien longtemps qu’il avait perdu le pouvoir de rester invulnérable à toutes ces émotions, et combien même il gardait cet éternel voile paternaliste, souriant et sensiblement désinvolte... Parfois, cela ne suffisait pas à son moral et les démons noirs qui envahissaient son esprit reprenaient le dessus.

Il soupira calmement, terminant sa cigarette et la jetant soigneusement avant de rentrer à nouveau dans l’hôpital. Ce n’était pas une longue pause qu’il s’était permise, mais l’arrivée de nouveau malade avait ralenti sur la fin de sa garde, et profitant des dernières transmissions faites à l’équipe qui suivait, il se dirigea sereinement vers son bureau pour y récupérer ses affaires. Il ne ressentait pas la fatigue comme les autres. Tout ce qui était physique, pour lui, était traitable – du café, des pilules militaires, la provocation iatrogène de modifications thymiques ou thyroïdiennes pour rester éveiller… Tout ceci n’était qu’une partie des nombreuses recherches sur les pilules d’optimisation des capacités militaires croisées à la baisse du besoin de sommeil dont il avait une bonne notion.

Il hésita un instant, entendant quelqu’un frapper à sa porte – mais l’éthique personnelle et médicale qui était sienne valait plus que tout pour lui, aussi il ouvrit sans l’ombre d’un doute, adressant un sourire chaleureux à la jeune femme en face de lui. Il l’avait examiné hier, ou était-ce avant-hier ? La notion du temps s’effaçait quelque peu suite à sa nuit blanche, mais il en fit fi.

« Ah, vous êtes… Hayashi Leika, c’est bien cela ? »

Il hésita un instant, puis l’invita à l’intérieur d’un geste de la main.

« Qu’est-ce qui vous amène ? Vous avez l’impression que votre état s’est aggravé ? Tenez asseyez-vous et dites-moi tout. »

Patiemment assis en face de la jeune femme, Rin écoutait avec attention ses paroles. Mot à mot, il les laissait s’ancrer dans son esprit avec force, soupirant délicatement à la fin de la tirade de son invitée – chose qu’elle était devenu sitôt ses motifs clairement exposés. Le vert des yeux de la jeune femme, malgré les hésitations et maladresses de son comportement, frappait fort contre son analogue chez le médecin. Lorsqu’elle termina enfin, cependant, il ne lui adressa qu’un maigre sourire avant de se pencher en avant, croisant machinalement ses deux mains en face de son visage – comme s’il cherchait à se redonner du sérieux devant la fatigue qui commençait à frapper son organisme.

« Vous savez… Si je trouve votre motivation et vos intentions louables... »

Il soupira calmement avant d’inspirer un bon coup. S’il ne voulait en rien être désagréable, il ne voulait pas non plus que la pauvre se fasse trop de fausses idées. Il ne voulait pas la voir se lancer dans une entreprise qui risquait de la dépasser. Clignant des yeux à deux reprises, il continua sur sa lancée – son ton attentionné au possible.

« Vous serez confrontée à la souffrance en choisissant cette voie. Celle des autres comme la vôtre. Ce n’est… Je n’ai pas envie de vous décourager, vous savez ? Je veux seulement que vous sachiez pleinement dans quoi vous vous engager en disant ça. Le chemin est… Rude. Parsemé d’embuches. De notions complexes. De techniques délicates. Êtes-vous certaine de le vouloir ? »

L’Akimichi décolla ses deux mains et se frotta légèrement les yeux avec la gauche, essayant de rester focaliser au maximum sur son interlocutrice. Il lui fallait une cigarette de plus avant d’aller dormir.

« Non… Comment pouvez-vous même en être certaine alors que ce monde vous est étranger ? Excusez-moi, la fatigue emporte quelque peu mon esprit. Pourtant, je ne fais que dire vrai. En vous lançant dans les soins, vous serez confrontée au plus beau comme au plus laid de ce que ce monde a à offrir. C’est du temps. Enormément de temps. De livres. De connaissances à acquérir. Enormément de culpabilité, également. Vous n’avez aucune raison concrète de vous en vouloir du décès de votre ami, c’est une faille dans la formation des jeunes shinobis qu’il faudra résoudre impérativement. Cependant, lorsque vous serez médecin… Je ne parle que d’expérience personnelle, mais vous porterez le fardeau de tous ceux qui vous n’aurez pas réussi à sauver. Le désespoir, la haine, la rancœur – vous serez confrontée aux réactions des autres vis-à-vis de la mort en permanence, et croyez-moi, celles-ci font mal. »

Alors qu’il avançait dans son discours, le vécu de ses propres mots se marquait sur son visage, lui faisant perdre une part de sa sérénité en faveur d’un dépit profond. Chaque mort entre ses mains. Il se souvenait de chaque mort entre ses mains. Il inspira une dernière fois et, laissant retomber doucement ses mains, regarda fixement la jeune femme droit dans les yeux – il n’y avait la place pour aucun doute, aucune faille sur son visage terni par l’âge. Elle, elle était encore baignée dans l’innocence ignare. Voulait-il la préserver de tout ceci ? Certainement. Et pourtant…

« Maintenant que vous savez tout ceci, voulez-vous toujours le faire ? »

Rin adressa un grand sourire à la jeune femme et se releva, silencieux, avant d’ouvrir la fenêtre de son bureau et contempler, rapidement, le peu de paysage de Konoha dont il disposait. La fraîcheur matinale caresse doucement son visage avant que la brise ne vienne envahir la pièce. Si ce geste pouvait sembler on ne peut plus futile, il lui était nécessaire – le peu d’air frais, le peu de froid sur son visage… Les deux venaient comme salvateurs après une garde éreintante et les deux étaient bien utiles pour ne serait-ce qu’un peu de rafraîchissement en attendant d’être rentré chez soi afin de prendre un bain chaud. C’est le sourire encore plaqué aux lèvres qu’il se tourna vers la jeune fille, plein de détermination et de bonheur.

« Vous savez… Il n’y a pas de bonne réponse aux questions que je vous ai posées. »

Il s’avança un peu, laissant la fenêtre grande ouverte. Une nuit à respirer l’air de l’hôpital hormis pour quelques cigarettes. Une nuit entière…

« Mais les vôtres le sont pour devenir médecin. Vous avez la détermination et le feu nécessaires en vous. Et si je craignais de vous effrayer un peu, je préférais m’assurer que… Vous faîtes un très bon choix en choisissant la Médecine Ninja – l’expérience et le temps ont montré que nous ne sommes jamais assez. Et si souffrir de ne rien faire vous est plus insupportable que de souffrir de l’échec, alors vous méritez votre place parmi les nôtres. Tout simplement parce que c’est le pari que nous avons tous fait en nous lançant dans cette voie. »

Il fit craquer ses doigts rapidement, sentant la fatigue les engourdir progressivement. Il n’était pas en droit de se plaindre d’avoir été arrêté à l’hôpital pendant quelques minutes supplémentaires – c’était une réelle bonne nouvelle que de voir une personne de plus motivée autant que la jeune femme, et quelque part il espérait sincèrement que cette dernière ne serait pas découragée par la suite.

« Il y a plusieurs autres choix que vous devrez encore faire par la suite, mais la majorité viendra en fin de formation donc ne vous prenez guère l’esprit avec ces derniers pour le moment – je ne fais que vous prévenir qu’il y a plusieurs directions et qu’il convient à vous de choisir la meilleure pour vous ! Cependant, il y en a un qu’il faudra faire rapidement car il conditionne en partie la formation. »

Il s’approcha de la jeune femme.

« Voulez-vous être un Ninja possédant les connaissances médicales pour soigner en mission ? Ou bien préférez-vous des notions plus riches sur les utilisations militaires de la médecine au détriment des plus compliqués des soins ? Ou enfin… Voulez-vous peut-être être Médecin officiant à l’Hôpital de façon constante, doublée d’une Shinobi ? »

Le médecin soupira calmement devant la réponse de la jeune femme avant de lui adresser un grand sourire. Médecin doublé de Shinobi donc – le même profil exacte qu’il avait, ainsi que nombre des employés de l’hôpital. Ainsi soit-il si c’est ce qu’elle voulait devenir, la réorientation était de toute façon plus simple dans ce sens que l’inverse s’ils en arrivaient à là un jour. Rin pencha calmement la tête sur la gauche avant de s’assoir à nouveau à son bureau, faisant bien face à la jeune Hayashi. S’il s’en voulait de penser de la sorte, à ce moment précis, et appréciait fortement avoir la fatigue à accuser librement, il ne pouvait s’empêcher de se dire que parmi tous les clans présents à Konoha, les Hayashi étaient d’excellents éléments pour faire de bons médecins. Leurs connaissances diverses sur les plantes et arbres, ainsi que les divers usages médicinaux de ces derniers… C’était une richesse précieuse dont il avait les notions suffisantes, sans pouvoir cependant prétendre à égaler les leurs.

« Par où commencer… »

Il répéta la question de la future apprentie, pensif. C’était pertinent et important comme approche. S’il connaissait les gens responsables de la formation, et que ces derniers étaient des amis qui lui étaient aussi chers que proches, il n’avait que trop bien conscience de la difficulté inhérente qu’ils auraient à intégrer quelqu’un à la formation alors que les semestres étaient si avancés. Et si… Il hésita un instant, ses états d’âme ainsi que la portée de ses pensées s’affichant ouvertement sur son visage tiraillé par la fatigue de la nuit précédente.

« Les formations actuelles sont extrêmement avancées, et il sera problématique de vous intégrer dans ces dernières avant leur fin car cela fera beaucoup de lacunes à rattraper… »

Il croisa ses bras, adressant un sourire de plus à la jeune femme.

« Et je n’ai guère envie de voir votre motivation et votre détermination flétrir, ce qui me dérange quelque peu à vous dire tout bonnement de patienter pendant de longs mois avant d’accéder à cette formation. Surtout que je ne vous cache guère que c’est la voix la plus prenante, la plus complète et la plus compliquée que vous avez choisie. »

Rin hésita un instant de plus, ses muscles se tendant et se relâchant harmonieusement à mesure que ses pensées progressaient vers le point de chute pourtant oh combien évident.

« Ce n’est pas la méthode classique, mais j’ai une proposition à vous faire. Devenez mon apprentie d’ici à ce que les formations rouvrent leurs inscriptions. Cela vous offrira une approche du milieu et une légère avance qui vous permettra de mieux aborder l’apprentissage. Qu’en pensez-vous ? »

Il adressa un grand sourire à la jeune femme en guise d’unique réponse à sa question – s’il le lui proposait, c’était bien qu’il jugeait ceci comme réalisable, et serait-il ne serait-ce qu’un peu pressé par le temps, il pourrait toujours demander de l’aide à quelques amis proches au sein de l’hôpital pour la formation de la Kunoichi.

« On a tous commencé quelque part vous savez… Ne vous inquiétez pas pour ça. Si je vous le propose c’est que cela me convient aussi, et je mets au défi quiconque dans cet hôpital de critiquer cette approche. »

Il soupira calmement avant d’inscrire en grand sur son carnet qu’il serait bon de prévoir certaines choses afin d’avancer dans la formation et donner le maximum d’aide possible à… A son élève, parce que c’était ce qu’elle venait de devenir. Il se passa la main sur le visage, sentant progressivement la fatigue prendre le dessus malgré sa lutte presque désespérée contre cette dernière. Rin ne faisait qu’espérer qu’elle ne lui en tiendrait pas rigueur, car c’était loin de l’image de lui qu’il voulait donner… Ce ne que quand elle lui fit la remarque qu’il semblait fatigué qu’il se rendit cependant réellement compte à quel point ses efforts étaient vains. Soupirant calmement, il lui adressa un sourire de plus.

« Dure nuit, que voulez-vous… Un jour vous découvrirez ce que ça fait vous aussi, je vous le souhaite en tout cas. Quant à l’apprentissage, je vous contacterai par courrier pour vous soumettre une proposition de programme, vous me direz ce que vous en pensez. »

Il y aurait certainement quelques livres à lire et quelques connaissances à acquérir, mais somme toute Rin ne voulait guère limiter l’intégralité de l’apprentissage à des suggestions de lecture, les formations réelles feraient certainement savoir leur prérequis sous peu et c’était amplement suffisant. Non, ce qu’il voulait c’était qu’elle obtienne de la pratique, du sens clinique, du contact humain. Et pour ceci, il faudrait certainement aménager des horaires de consultation ou de visite hospitalière auxquelles elle prendrait part, une fois assurée par l’hôpital et équipée par ce dernier. Oui, ce serait certainement intéressant… Pour elle comme pour lui. Dans un dernier sourire, il lui adressa ses au revoir et, emballant ses affaires, rentra rapidement chez lui se coucher, l’esprit lourd de toutes ses idées qu’il coucherait sur papier… En se réveillant.

HRP: