Il se faisait tard ..
Ce n’était certes pas encore totalement la nuit, mais les boutiques commençaient déjà à fermer leurs portes. Ce fut aussi le cas de la bibliothèque dans laquelle je me trouvais avant d’être - hélas - contraint de l’abandonner. Sachant qu’il me restait encore très peu de temps avant la fermeture définitive des tous les commerces de la ville, je m’empressais de gagner le centre-ville, sautant de toit en toit. Cela ne me ressemblait certes pas mais aujourd’hui je n’avais guère le choix. La raison en était très simple, j’avais - en effet - absolument besoin de café. Oui, du café !

C’était plus qu’une nécessité pour la simple et bonne raison que ma migraine s’était de nouveau manifesté. Et le seul moyen efficace de la faire taire, c’était de m’abreuver de cette boisson que je qualifierai presque de magique, du moins sur ma personne. Elle avait cette incroyable faculté - au-delà de faire taire la migraine - de me rendre plus paisible et productif dans tout ce que j’entreprenais. Et malheureusement je savais que je n’en avais plus en stock, la dernière s’étant épuisée ce matin lors du petit déjeuner.

Vous comprendrez donc que si toutes les boutiques venaient à être fermées, je risquais fort bien de vivre une soirée des plus désagréables. Sachez d’ailleurs que - dans la vie - peu de choses m’étaient réellement insupportables, et parmi ces peu de choses s’y trouvait - hélas - les effets de la migraine. Non pas que la douleur qu’elle inflige me soit désagréable, mais plutôt et surtout les effets secondaires qui découlent d’elle qui étaient fort déplaisantes.

Bref, vous l’aurez compris, il était primordial que je me procure ce remède pour me prémunir des effets de cette céphalée, d’autant plus qu’un vaste programme m’attendait pour cette soirée. A commencer - par exemple - par la lecture de ce bouquin que j’avais emprunté, mais aussi de ma séance quotidienne de méditation, ou encore - en fin de soirée - le perfectionnement de mon ninjutsu avec mon grand-père. Il n’est pas impossible que cela paraisse beaucoup à vos yeux, mais sachez que ce n’était quasiment rien par rapport à ce que j’avais l’habitude de faire. Disons que mon grand-père a voulu se montrer plus indulgent que d’habitude .. ou simplement qu’il était un peu trop fatigué pour me surveiller et suivre le rythme qu’il avait pour habitude de m’imposer.

Quoi qu’il en soit, il me fallut un peu moins d’une dizaine de minutes pour gagner les rues commerçantes, plus communément appelé le centre-ville. La foule était encore présente, et bon nombre de commerces semblaient encore ouverts. Une ambiance - presque festive - semblait y régner et cela m’était d’autant plus désagréable que la migraine. La raison en était aussi très simple, disons simplement que le boucan provoqué par la populace agissait comme une sorte de carburant pour la migraine. Plus le bruit se faisait entendre, plus mon cerveau chauffait .. Mais hélas, je n’avais guère le choix, je me devais tout simplement de faire avec.

« Vous auriez du café, s’il vous plaît ? » Fis-je, au premier commerçant se dressant sur ma route.

« Hien ?! J’ai une tête à vendre du café moi ? » Répliqua -t-il, d’un air légèrement agacé.

« Que voulez-vous dire par là ? Je souhaite tout simplement savoir si vous vendez du café ou non. Me dites pas que vous incapable de répondre à cette question ? » Fis-je, restant de marbre, sans aucune volonté de contrarier le marchand..

« C’est qu’il persiste en plus, le suceur de sang. Il te faut peut-être un dessin pour comprendre que la réponse est NON ?! Est-ce que tu vois du café autour de moi ? » S’excita -t-il, d’un ton désagréable.

« Allez Oust ! Me regarde pas avec ton regard de monstre et fiche le camp ! » Poursuivit-il, d’un ton agressif.

« Bien, dans ce cas je vous souhaite une agréable soirée, monsieur. » Fis-je, m'inclinant légèrement.

Je ne savais pas réellement ce qui lui prenait, mais je ne lui en voulais pas s’être montré aussi désagréable à mon égard. Après tout c’était de ma faute, j’aurais dû mieux analyser les produits de son commerce avant de poser une question aussi stupide, surtout à un marchand de poisson. Quoi qu’il en soit, je le saluais respectueusement et je me mis à la recherche d’un véritable marchand de café.

Je consacrerais un peu plus d’une vingtaine de minutes à cette recherche sans pour autant obtenir ce que je souhaitais. D’ailleurs, certains marchands m’envoyèrent tout simplement - comme le diraient les communs des mortels - balader, tandis que d’autres, prirent le temps de me répondre plus respectueusement et tentèrent de me guider du mieux qu’ils pouvaient. Cependant, je ne parvins hélas pas à mettre la main sur le produit de ma convoitise. Le thé ne m’intéressait guère, tout comme d’autres plantes ou épices qui me furent présentés. Après les commerces extérieurs, je décidais de porter mon attention sur les restaurants. Ils étaient, en effet, plus réservés pour la nourriture que pour cette « boisson », mais je n’avais rien à perdre.

Le premier restaurant était bondé de monde qui - des lors où je posai ma question - se mirent à rire de moi. La raison m’était hélas inconnue, mais j’étais « ravi » de les avoir autant amusé, d’autant plus que ce n’était vraiment pas volontaire. Le chef du deuxième restaurant me fit quant à lui clairement savoir que son restaurant fermait et qu’il n’était pas question de préparer du café uniquement pour mes « beaux » yeux. Il me fit aussi savoir qu’il n’était pas enclin à me fournir son stock contre mes ryos, tant pis donc.

Next ..
Le suivant s’agissait d’un petit restaurant où il n’y avait aucun client… D’ailleurs, il n’y avait tout simplement personne, si ce n’était la jeune fille qui semblait s’apprêter à fermer les portes, du moins c’était l’impression qu’elle me donnait. Aussitôt qu’elle constata ma présence, elle s’approcha de moi et me souhaita la bienvenue dans « son » restaurant. Étrangement, elle souriait et ne semblait visiblement pas mécontente de ma présence. Ce qui laissait - vous en conviendrez - un infime espoir de trouver ce que je convoitais.

« Du café, je vous prie. » Fis-je, observant attentivement la cicatrice au niveau de son oeil droit.

Il n’était pas impossible que ma commande lui paraisse insensée, mais j’osais espérer trouver cette « maudite » boisson. D’ailleurs, on pouvait presque dire que c’était ma dernière chance pour espérer trouver du café au centre ville. Voilà donc ce qui en coûtait de s’écarter des habitants du village ..

« En poudre, en liquide, à emporter ou sur place, comme vous voulez, tant que j’ai du café cela me convient. Je suis disposé à mettre ce qu’il faut, mais s’il vous plaît apportez-moi du café. » Poursuivis-je, d’un air toujours aussi impassible, mais un ton légèrement insistant.

Elle devait certainement se demander pourquoi cette obsession pour le café, mais la réponse elle ne l’aura certainement pas, du moins pas sans la demander. Quoi qu’il en soit, je sortis mon portefeuille et je le lui tendis pour qu’elle prenne les sous nécessaires, tout même s’il le fallait. Mais pourvu qu’elle m’apporte ce que je demande, avant que les effets néfastes de la migraine ne se manifestent entièrement. D’ailleurs, fort heureusement que j’étais doué pour cacher mes émotions, si ce n’était pas le cas, cette jeune fille m’aurait certainement prise pour un dégénéré, ou quelque chose du genre .. c’était peut-être déjà le cas, qui sait ! Quoi qu’il en soit, je tentais de détourner toutes mes pensées, toute mon attention sur la jeune demoiselle .. disons que c’était un moyen pour moi d’occuper mon esprit, de le détourner de cette migraine ..

D’ailleurs, au-delà du balafre au niveau de son oeil, beaucoup de choses attirent mon attention, allant de ses cheveux à ses yeux et son visage .. Il faut dire qu’elle avait toutes les caractéristiques physiques d’une ketsueki. Caractéristiques que je disposais aussi - sans pour autant pouvoir l’expliquer - ce qui me donnait étrangement l’impression de me voir à travers une glace, mais en une version beaucoup plus féminisée. Quoi qu’il en soit, j’étais persuadé qu’elle appartenait à ce noble clan. Noble en effet, car personnellement je n’étais pas du genre à juger toute une communauté sur des rumeurs. Pour le moment, j’eus l’occasion de rencontrer deux membres de ce clan et tous les deux me parurent très respectueux, mais surtout très nobles par leurs actions. D’ailleurs, j’avais une dette envers eux .. que je n’oublierais certainement pas avant de l’avoir payé...

Lorsque la jeune demoiselle répondit favorablement à ma demande, je fus quelque peu surpris, mais aussi soulagé. Evidemment - comme à mon habitude - je ne laissais rien transparaître.
C’était tout de même ironique de voir que toutes les grandes boutiques et restaurants de la ville soient incapables de me fournir du café, alors qu’un simple petit restaurant sur le point de fermer, accepte malgré tout de répondre à mes besoins.

Fin bref, je remerciais sincèrement la jeune fille et je me dirigeais vers la table qu’elle me proposait. Quant au paiement qu’elle avait rejeté, je m’étais tout simplement dit qu’elle préférait que ce soit réglé après la consommation. Ce qui ne serait étonnant, puisque de nombreux autres restaurants agissent ainsi. Ce n’était pas très prudent, mais ils devaient certainement avoir leur raison. Quoi qu’il en soit, je profitais de ce petit moment de calme pour pratiquer la méditation pleine conscience. C’était un bon moyen d’évacuer le stress et toute autre préoccupation. Je me concentrais seulement et uniquement sur le moment présent. J’expirais et j’inspirais lentement et régulièrement, veillant toujours à me focaliser sur ma respiration et rien d’autre.

Soudain, je sentis la présence de la jeune demoiselle, se situant désormais derrière le comptoir. Elle semblait - curieusement - m’observer pour une raison qui m’était inconnue. Je veillais à rester concentrer, projetant mon regard sur mon bouquin et mon esprit sur ma respiration. Je me sentais de plus en plus apaisé et calme. J’arrivais pour le moment à contenir - temporairement - cette migraine. Mais c’était sans compter sur le « parfum » du café qui attisa brusquement ma migraine, m’obligeant à masser légèrement mes tempes. C’est alors que - contre toute attente - la jeune demoiselle se mit à pousser un petit cri, très étrange. En temps normal, cela aurait attisé ma curiosité, mais là j’étais préoccupé par autre chose.

Après son étrange cri, la jeune demoiselle s’amusa - une fois de plus - à couper ce silence « sacré ». Elle m’interpella, en effet, m’interrogeant sur mon obsession pour le café. Une serveuse plutôt curieuse, c’était rare, mais cela ne déplaisait guère. Elle poursuivit soulignant qu’il était rare de voir une commande de café à une heure si tardive. Ce n’était pas surprenant, le café était plein de caféine, chose qui empêchait de dormir ; qui serait assez fou pour en prendre le soir, à quelques heures avant d’aller s’assoupir ? A part moi bien entendu.

Cependant, contrairement aux communs des mortels, je ne connaissais pas cet effet-là du café. Je pouvais en boire autant qu’il faut et m’assoupir quand je le souhaitais. Pour moi, ce n’était qu’un puissant stimulus, me permettant de me contrôler en chassant tout ce qui pouvait me nuire, comme par-exemple les effets de la migraine. Bref, alors que je m’apprêtais à lui répondre, la jeune demoiselle me devança en me faisant savoir son nom. Et comme je m’en doutais un peu, elle était bel et bien une ketsueki …

« Kuzushi, moi c’est Omura Kuzushi ! Enchanté également. » Fis-je, tournant toute mon attention vers la ketsueki.

Visiblement, elle semblait vouloir discuter et étant une personne de nature plutôt respectueuse, il m’était inconcevable de lui tourner le dos.

« Vous avez raison de poser la question, ce n’est pas tous les jours qu’un fou s’amuse à demander du café à quelques minutes de la fermeture de votre restaurant. » Fis-je, d’un très léger sourire.

La dérision n’était pas vraiment mon truc, mais c’était un art que je cultivais. Ce n’était certes pas très sérieux, mais il faut reconnaître qu’elle avait de vraies vertus sur le cerveau.

« Disons simplement que cette boisson est un stimulant dont je suis dépendant. » Poursuivis-je, simplement.

Je préférais répondre honnêtement à sa question que de le fuir ou de répondre par un mensonge. Après tout, elle méritait la vérité, bien qu’elle risquait de me prendre réellement pour un fou.

« Et vous, dites-moi … pourquoi acceptez-vous un client pour du café alors que vous étiez sur le point de fermer ? La pitié, peut-être ? » Repris-je, d’un air neutre.

Maintenant que la conversation était lancée autant poursuivre jusqu’au bout. En attendant sa réponse, je dégustai ma commande fin prête. C’était amer, bien trop amer, avec peu de sucre, voire pas du tout de sucre. C’était certainement au client de mettre la dose de sucre qu’il souhaitait. C’était parfait, elle n’avait pas commis cette erreur que d’autres avaient fait par le passé. J’avais - en effet - horreur du sucre et je ne supportais pas qu’on le mette dans mes commandes sans me consulter. Et concernant le café, je les adorais bien amer et dégueulasse, comme le dirait mon grand-père.

« C’est vraiment excellent, je vous en remercie, Hakai. » Fis-je sincèrement, dégustant mon café avec beaucoup .. "d’élégance".