L’endroit avait été choisi avec minutie. Un travail de plusieurs heures à inspecter les environs pour finalement tomber sur un recoin de la forêt assez éloigné du village. Là n’était pas le principal point recherché par le nécromancien. Il l’aurait été autrefois. Ses petites expérimentations personnelles nécessitaient le calme et la solitude. L’on ne comprenait pas toujours la fascination pour la Mort. Maintenant qu’il était à la tête du village et connu internationalement, disons qu’il pouvait se montrer plus ostensiblement à la face de tous comme le shinobi macabre qu’il était. Même s’il continuait de compiler ses cadavres dans son coin par simple bonheur personnel. Ses locaux étaient juste moins excentrés par rapport au village. Ils étaient même au centre de ce dernier.

Mais pour une fois sa traque de cadavres n’était pas due à un simple intérêt personnel. Il avait déjà bien assez de « recrues » sous la main pour quelques œuvres encore, à condition de ne pas être gourmand. Sa toute dernière en date lui avait valu quelques kilos de chair fraîche. Mais c’était une création dont il pouvait être fier. Elle ferait son petit effet une fois dévoilée au grand jour. Un large sourire vint scinder son visage en deux alors qu’il préparait une technique Dôton. Un simple mudra et un trône de pierre s’érigea devant un arbre plus large que les autres. Sa circonférence en faisait le point culminant de l’endroit. S’installant dans ce siège improvisé, il en testa d’abord le confort avant de finalement se laisser aller à se décontracter.

Son repos serait cependant de courte durée puisqu’il attendait quelqu’un. Le Mamoru s’étant présenté pour rejoindre son équipe à vrai dire. Un peu excentrique au premier abord mais respectueux des ordres et instructions. Un caractère semble-t-il bien trempé mais il avait encore beaucoup à apprendre sur le déroulement des choses à Kiri et surtout sur le caractère de son senseï. C’est en endossant ce rôle que le Shinda avait convoqué le dénommé Unaru. Ayant pris le temps d’instruire le Suzurane, il allait en faire de même ici avec le chasseur de fantômes.

Déposa un coude sur l’accoudoir, sa main vint réceptionner son visage négligemment, prolongeant sa réflexion. Ce pouvoir restait très intéressant. Il avait passé un pacte avec l’une des Mamoru de Taki. Apprendre les arcanes d’une telle compétence pourrait lui être utile. Elle pouvait se montrer redondante avec sa faculté naturelle à ressusciter les morts. Mais encore une fois le Fossoyeur se projetait et tâchait de voir plus loin que le bout de son nez. Il envisageait alors les choses sous un autre angle pour être sûr de ne pas passer à côté d’une affaire. Et l’idée d’être une porte avec le monde des esprits ne lui semblait pas une si mauvaise idée.

Mais il fut rapidement interrompu dans sa réflexion par la présence de celui qu’il attendait. Il le ressentit avant qu’il ne soit dans son champ de vision. Ses sens alertés, il surveillait les environs comme toujours. Et puis les oiseaux cadavériques s’étant disséminés sur tout le périmètre lui avaient rapportés directement l’information en se connectant par le biais de son œil. Le jeune Genin avait dû suivre une piste macabre pour retrouver son entraîneur. Des cadavres disséminés à distance raisonnable les uns des autres pour qu’il le retrouve suite à sa convocation aux portes du village. S’il maîtrisait assez son pouvoir, il avait donc pu suivre grossièrement la piste spectrale des malheureux bougres occis il y a de ça quelques temps par l’homme aux lunettes violettes. Lorsque son élève arriva enfin dans la périphérie de ses verres, il l’accueillit littéralement à bras ouverts.

- Bienvenue dans ce sanctuaire des Morbides. Ici personne ne viendra nous déranger. Pardonne moi cette convocation chevaleresque mais je jugeais utile que nous nous retrouvions afin de nous concentrer sur tes compétences personnelles. Nous ne sommes pas si différents l’un de l’autre sur ce point. Aussi j’aimerais que nous utilisions ce point commun à ton avantage afin de diversifier ton panel de techniques.

Sortant alors une traditionnelle cigarette qu’il cala dans sa bouche, Michiki reprit après avoir tiré une première fois sur le fin bâtonnet de tabac :

- Mais n’en oublions pas les politesses afin d’échanger quelques avis constructifs. Explique-moi un peu ton histoire de vive voix. Que puis-je savoir sur toi et en quoi Kiri est à même de t’aider dans ta quête, quelle qu’elle soit. Nous avons tous une raison d’exister et de nous battre. Quelle est la tienne ?

Un rire franchit les lèvres du nécromancien sur quelques mots du Mamoru lui faisant face. Lorsqu’il évoqua l’immuabilité de la Mort. Vu leurs capacités, ce n’était donc plus aussi vrai. Et étant donné qu’il la qualifiait comme équivalente à sa loyauté, Michiki ne put que faire une remarque à ce sujet :

- Nous sommes tous deux biens placés pour savoir que la Mort n’est pas si immuable pour nous. Tu contrôles les esprits. Contrôles-tu donc ta loyauté envers moi ? Nous le verrons de toute façon. Les mots son fades généralement avec moi. Ils ne sont qu’une introduction aux actes.

Même si Unaru semblait réellement habité par l’esprit de la Brume Sanglante, Michiki se rendrait vite compte de sa sincérité. Il y aurait de nombreuses occasions où le Genin pourrait prouver sa valeur et sa dévotion pour le village. S’ensuivit ensuite un historique de cet homme qui avait pris place sur une modeste bûche d’un arbre mort depuis longtemps. Devant ce siège un peu spartiate, le Shinda prit la liberté de réitérer une technique similaire à celle qu’il venait d’utiliser quelques minutes auparavant et la terre vint former un second siège. Au moins discuteraient-ils de manière égale. Même si en soit, il n’aurait pas vraiment le temps de prendre place pour se reposer. L’entraînement allait débuter mais ses allures de discussion plaisaient également au nécromancien. Aussi allierait-il les deux.

Il se saisit d’un rouleau qui traînait à sa ceinture et le lança en direction du Mamoru qui avait déjà sorti un kunaï de sa poche. Au moins prenait-il de l’avance sur l’exercice qu’il allait devoir mener. Suivant ce geste, le Shinda s’exprima à son tour :

- Concentres ton chakra dans la paume de ta main, appliques la sur le papier et visualise le kunaï à tes côtés. Ton but sera de le sceller à l’intérieur de ce parchemin. La base d’un Fûinjutsu certes mais je préfère que nous commencions par les rudiments avant d’attaquer le gros du travail.

Il s’était positionné un peu avant, coudes sur les genoux pour venir croiser ses mains devant son visage et observer la manipulation faite par Unaru. Alors qu’il n’avait pas encore commencé, Michiki embraya sur la discussion comme s’il ne l’avait pas interrompu pour dispenser ses instructions techniques. Le Mamoru avait formulé une requête quant à l’acquisition d’un navire pour répandre la réputation de la Brume jusque sur les mers.

- Disons qu’avant de faire régner la peur sur les océans, tu vas commencer par la disséminer sur terre. Même si les voies maritimes restent un sujet d’intérêt à mes yeux. La Brume aura sa flotte militaire sois en certain. Mais nous avons d’autres préoccupations dans un premier temps. D’ailleurs…

Le sujet tombait plus ou moins à point nommé et la transition se faisait d’elle-même sans qu’il ne l’ait préméditée :

- Que penses-tu de Kiri actuellement ? Sa position j’entends. Nous sommes intrinsèquement liés au Shûkai de par son active participation à la reconstruction de Kiri. Nous leur sommes redevables après tout.

Un simple sourire narquois et suffisant accompagna les affirmations du Mamoru. Un sourire qui en disait long sur les pensées de celui qui l’affichait. Laissant au moins le soin à son interlocuteur de termine sa tirade, Michiki enchaîna directement :

- J’ai rencontré la Mort personnellement. Très gentille mais très arrogante. Elle m’a tenu le même discours. Pourtant j’ai déjà croisé son chemin à plusieurs reprises. Et à chaque occasion, je lui adressai mes bons sentiments en lui disant « A la prochaine ». Nous avons un don commun et puissant qui nous permet de passer outre les règles édictées par cette chère entité. Et puis soyons sérieux une minute : un nécromancien qui meurt, c’est trop paradoxal pour être vrai !

Le trait d’humour étant passé, venait le sujet de préoccupation premier de cette rencontre. Après quelques ratés, le Mamoru était parvenu au résultat escompté. Il fallait donc maintenant s’orienter sur quelque chose de plus complexe avant d’en arriver aux choses sérieuses. Sortant à son tour un parchemin, il l’envoya de nouveau en direction de son élève qu’il gratifia de quelques mots :

- Essaye de procéder dans le sens inverse maintenant. Matérialise ce qui est enfermé dans ce sceau. Ce sera plus facile. Mais le véritable exercice sera de renfermer son contenu dans le sceau.

Le rouleau en question contenait le cadavre d’un furet. La matière organique était différente des matériaux inanimés comme le métal. Il y avait donc plus de chakra et plus de concentration pour exercer une telle action. Au début du moins. Mais cette étape devrait suffire au jeune homme pour le remettre sur les rails. Il n’avait heureusement pas tout perdu depuis le temps. Chose heureuse car cela aurait été une perte de temps sinon. Il allait maintenant pouvoir véritablement commencer l’entraînement, sur fond de discussion politique.

Unaru semblait fermement réticent à cette influence du Shûkai sur ces terres. Il employa le champ lexical maritime encore une fois, assez imagée pour correspondre à la situation actuelle. Acquiesçant très légèrement, le Shinda reprit :

- Image très finement amenée. Mais assez fidèle à la réalité. Il n’y a en effet rien à voir entre la Kiri que j’ai connu et celle-ci. A la différence près que je ne fais plus partie des armées mais des têtes. Renversement de la vapeur en quelque sorte. Ce qui implique aussi qu’une décision de ma part est plus lourde de conséquences auparavant. Mes faits et gestes sont épiés aussi bien par la population que par l’Empire.

Une situation qui lui était assez désagréable en effet. Encore qu’il soit jugé comme un chef de village lambda, il pouvait le concevoir cela faisait partie du métier. Mais pour le coup, être à la fois dépendant et outil de deux entités l’insupportait. Seulement il ne pouvait pas abandonner ce poste. Pas maintenant. Il avait encore à accomplir. Tout ce qu’il avait entreprit jusque-là ne pouvait être balayé ainsi. Il devrait se libérer du carcan impérial. Mais il allait avoir besoin de beaucoup de subtilité. Et d’alliés internes pour retourner la situation dans l’intérêt de Kiri. Unaru serait-il l’un d’eux ?