Le ciel étoilé de Hai était bien différent de celui de Kaze : plus brumeux et d'un bleu nuit plus sinistre... Accoudée contre le rebord de la fenêtre de ce qui s'apparentait désormais à ma chambre, je le scrutais, songeuse.
Ogami m'avait assuré de la présence de Kioshi dans la bataille opposant notre nation à celle de Hi no Kuni alimentant depuis lors mes tourments... Il n'y avait pas le moindre doute possible quant au fait qu'il s'y était engagé sans réfléchir, poussé par ses émotions. La crainte de le voir périr enserrait mon cœur dans un étau d'angoisse et d'agonie...
Que pouvait-il bien faire en ce moment même ? Où se trouvait-il ? Je percevais son trouble quotidien à travers notre lien. Encore en cet instant, je pouvais sentir son sang m'appeler, sollicitant ma présence à ses côtés...
Pourquoi fallait-il que nos destins diffèrent à ce point ? Nous étions véritablement le Jour et la Nuit. De ses bras chaleureux il t'entait de me retenir avec toute la bienveillance dont il était capable, parfois étouffante, alors que je me perdais dans l'obscurité de mon être : cherchant à glorifier les miens et à me créer ma place, pour l'heure inexistante dans ce monde. Tout cela à son détriment...
J'avais beau l'avoir repoussé à plusieurs reprises, lui exposant mes priorités qui ne me destinaient pas à la voie qu'il souhaitait emprunter à mes côtés, sa présence me manquait... Il me suffisait autrefois d'observer l'alliance à mon doigt pour m'évoquer sa pensée alors qu'aujourd'hui c'était son absence qui y parvenait. La seule chose en ma possession qui me le rappelait m'avait été dérobée lors de ma capture.
En cette période d'incertitude, plus que jamais, je quémandais sa présence. Je tentais, probablement en vain, d’interagir avec son sang via notre lien pour lui envoyer un simple signe de ma pensée pour lui alors que je le sentais si déboussolé. Tant que les choses étaient ce qu'elles étaient, il me serait impossible de vivre d'amour et d'eau fraîche comme il le suggérait : j'aspirais à bien plus que cela.
Mon regard se perdait dans l'immensité de cette nuit éthérée, me concentrant sur le seul signal que je percevais de sa présence : le chérissant comme nulle autre chose. Je me rendais compte en cet instant de mélancolie à quel point je me sentais bien seule, ainsi éloignée de lui...
Il me fallait le revoir. L'empêcher de prendre part à la guerre serait vain, je le connaissais suffisamment pour le savoir obstiné au moins autant que je l'étais, mais je voulais pouvoir l'encourager pour réussir alors que j'aurais sans doute moi même mon implication d'une quelconque manière dans cette bataille.
Etre ainsi contraint a la séparation était-ce la seule solution ? Il était cette âme bienveillante et dévouée suivant toujours mes pas pour remonter ma piste alors que je courais plus vite encore pour creuser la distance : non pas par envie mais par dépit. Parce qu'il s'agissait bien là du seul moyen pour que je puisse accomplir ce que je souhaitais sans qu'il n'interfère ou me couve de sa protection entravant ma liberté. Il ne comprendrait pas mes convictions et ce pour quoi je me battais. Il n'aurait que faire de tout cela pour simplement vouloir vivre une vie de sérénité loin des nôtres et de tout ces conflits faisant rages alors que je ne pouvais me détourner de l'héritage que m'avait légué les miens. Ce titre de noblesse et ce que cela impliquait, ce cœur éternel ayant traversé les siècles que je me devais à mon tour de porter pour parvenir à sanctifier mon nom grâce à ce temps sans limite dont je disposais. Je ne pouvais les décevoir.
Pourtant, malgré cet égoïsme éhonté dont je faisais preuve en priorisant mes objectifs à cette notion du « nous » bien abstraite, il m'arrivait parfois d'imaginer la vie autrement. Cette existence bien plus simple que j'aurais pu emprunter en le suivant, lui épargnant par la même occasion celle qu'il foulait lui même actuellement. Cela ne restait qu'une chimère. Un rêve que l'on pouvait simplement caressé sans vraiment le vouloir, impliquant bien trop de sacrifices auxquels je n'étais pas prête à concéder.
Mon cœur saignait pourtant... Mon existence morne se mourrait de l'absence de son entité lumineuse. Terrée dans mes cauchemars, je n'étais plus gardienne de cette lumière parvenant autrefois à me montrer le chemin. Je n'étais même plus son ombre. Cette Ombre du Vent que je m'étais évertuée à être : jamais bien loin lorsqu'il en éprouvait le besoin.
T'appartiendrais-je un jour pleinement ? Sans durée limité par les conflits régissant ce monde ? Nous étions bel et bien des opposés : toi Yamada et moi Ketsueki. Il s'agissait justement de cette complémentarité dont j'avais besoin et que j'affectionnais chez toi. Cette chaleur que tu étais capable de déverser naturellement alors que cela se faisait au prix de grand efforts pour ma part. Cette attention que tu me portais alors que je n'étais pas habituée à ce procédé. Cette notion de la famille qui précède ton nom alors que le mien n'est synonyme que d'une fratrie brisée...
Je scande ton nom. Effrayée par ce brouillard qui m'entoure et qui m'engloutira bientôt. Dans ces ténèbres insondables, je tends la main pour espérer atteindre la tienne qui les dissipera bien vite comme tu es capable de le faire. Mon regard scrute l'horizon alors que je perçois pourtant ta présence à la fois si proche et si éloignée des terres désolées sur lesquelles je me trouve.
Pourquoi est-ce si douloureux ? Tout était bien plus simple avant que je ne découvre ces sentiments. Pourtant je ne peux me résoudre à les perdre. Je m'y accroche même. Espérant à nouveau un jour pouvoir fouler tes pas pour suivre notre direction.
Je frissonne. Quelque chose que toi seul était capable de résoudre une fois encore... Mais tu n'es plus là à mes côtés parce que j'ai fait en sorte qu'il en soit ainsi et qu'il ne pouvait d'ailleurs pas en être autrement...
Le destin changera-t-il pour nos âmes esseulées ? Ou bien continuerons nous toujours d'en subir le courroux ? Si un avenir m'est permis je veux pouvoir le construire avec toi à mes côtés... Kioshi...
