Shimo no kuni, hiver année 15

L'hiver s'était installé à Shimo no kuni. Si l'on pouvait parler d'hiver ou de saison dans un pays où il faisait constamment froid. Le pays du givre ne portait pas son nom pour rien. Mais en cette période, les marécages étaient d'autant plus dangereux qu'ils gelaient. Gare au voyageur s'y risquant sans précautions : il pouvait non seulement s'enliser mais également se retrouver bloqué dans la glace. Plus d'un avait déjà été retrouvé mort de froid. Pour sa part, Aika n'était pas dans ce cas. Elle portait sa tenue de cuir habituelle ainsi qu'une chaude cape blanche par dessus. Et si jamais ça n'était pas suffisant, elle pouvait se recouvrir de fourrure. Même si c'était moins pratique, surtout si elle rencontrait du monde. Elle venait de terminer une mission alors elle se rendait chez son employeur habituel afin de donner son compte rendu. Elle ouvrit la porte de la boutique d'arme et salua d'un signe de tête l'homme basané.

- « J'aurais besoin d'autres shurikens. »

Il la salua à son tour, et lui posa une dizaine de shurikens sur son comptoir. Elle s'en empara, et déposa sur la table de l'argent ainsi qu'un papier : son compte rendu. Lui prit le tout et déposa à son tour sa « monnaie » - sa solde – ainsi que, glissée dessous, un nouvel ordre de mission.

- « Besoin d'autre chose ? »
- « Ça ira, merci. »

Échange rapide et discret : il n'était qu'un marchand et elle une cliente. Elle se rendit ensuite dans l'auberge à côté pour passer la nuit. Ce qui arrangeait bien le propriétaire puisqu'il récupèrait en fait une partie de l'argent qu'il venait de lui donner. Une fois seule dans la chambre louée, elle lu enfin le nouveau contrat :

Contrat a écrit:

« Selon des sources fiables, le régime autoritaire en place à Shimo no Kuni ferait depuis longtemps taire les opposants en les enfermant ou en les réduisant au silence sans que ça ne puisse jamais être prouvé. La Rébellion soupçonne pourtant que certains opposants soient transportés à la date liée, en plein milieu de journée, en prenant des routes non-officielles. Plus qu'empêcher le convoi, libérer les prisonniers permettrait de prouver la folle pratique du régime de Shimo no Kuni. »

Cette fois-ci, la femme devrait donc sauver des personnes emprisonnées. Elle effectuait absolument tous les types de contrats. Sauf ceux incluant des enfants à malmener. Ceux-là, elle les refusait. Elle était peut-être une mercenaire, mais il y avait des limites qu'elle ne s'autorisait pas à franchir. Une fois, une seule, Hiromichi lui avait donné un contrat de ce genre. Après avoir vu la colère dans laquelle elle s'était mise il s'était platement excusé et ne lui en avait jamais proposé d'autres.

Le lendemain matin elle prit le temps d'échanger quelques phrases avec Eri, qui attendait son retour à chaque fois : elle aimait écouter ses récits et partait à l’aventure à travers elle. Mais Aika la laissa rapidement afin d'aller repérer les routes. Elle n'avait pas beaucoup d'informations sur le trajet et devait donc s'imaginer lequel allait être emprunté pour arriver à destination le surlendemain. Pour un convoi, il en fallait un assez large. Il n'y en avait pas des masses, surtout dans les marécages. Et encore moins en non-officiel. Elle mit quelques heures à suivre les chemins qu'elle pensait être les bons, et en prenait un autre lorsqu'ils rejoignaient ceux officiels ou deviennaient trop étroits. Enfin, au milieu de l'après midi, elle tomba enfin sur le convoi recherché.

La jeune femme se camoufla encore d'avantage grâce à sa sensorialité et son instinct animal et suitvi discrètement les prisonniers ainsi que leurs ravisseurs. Durant les heures qui précédèrent la tombée de la nuit, elle observa la façon d'agir de chacun. Ce qui lui permit de déterminer qui est le chef du groupe, et de juger les forces des uns et des autres. Ainsi, elle pourrait ensuite réfléchir auquel neutraliser en premier lorsqu'elle les attaquerait. Mais pour le moment, elle continuait de les suivre jusqu'au lieu choisit pour la nuit, tout en prenant soin de ne pas se faire repérer elle-même et d'effacer ses traces. Et ensuite, elle devrait faire en sorte qu'ils n'arrivent jamais à l'endroit indiqué le lendemain. Elle attaquerait pendant leur sommeil. Sauf s'ils comptaient continuer d'avancer une fois le soir venu. Dans ce cas, elle aviserait.

─ J’ai beau r’tourner l’problème dans tous les sens, j’vois pas d’autre solution l’ami !

La voix hésitante, les mots pourtant clairs : c’était ainsi que le fidèle ami de Suzurane Hakyô avait annoncé à ce dernier que pour l’exécution de ses plans, il lui faudrait d’autres ressources. Et ce n’était pas une grande surprise pour l’intéressé. Lui qui voulait se rendre à Yuki no Kuni pour parlementer avec des responsables de l’Empire sur place, il lui fallait tout d’abord avoir de quoi y aller. Louer une barque n’était pas une chose difficile, mais c’était en réfléchissant à ce que cette tentative de diplomatie pourrait donner que les choses se corsaient.

En tant qu’unique héritier du dernier grand chef des Suzurane, l’oublié qu’était Hakyô pourrait raviver la flamme indépendantiste de certaines personnes. Et dans le cas – très probable – où la diplomatie ne fonctionnerait guère, qu’est-ce que le fils du nord aurait à proposer à ces gens désireux de le suivre ? Peut-être qu’après tout il y aurait de bonnes surprises, mais pour le Borgne la messe était presque déjà dite : l’Empire n’allait pas fléchir face à un seul homme. De là, difficile d’imaginer que notre héros n’avait pas déjà réfléchi à la suite. Dans tous les cas, il comptait bien sur ce futur épisode pour recouvrer popularité et être suivi par quelques hommes…

Mais ces futurs et possibles alliés, comment les faire amarrer lorsqu’ils voyageraient ? Comment les nourrir et les loger ? Si toutes ces questions étaient bien différentes sur les mots, elles se rassemblaient sur une seule et unique réponse : l’argent.

─ Ne t’en fais pas, avec ce contrat, ça ira rapidement mieux.
─ Et ce Kioshi, il pourrait pas…
─ Crois-moi, le simple fait qu’il m’accompagne là-bas sera bénéfique pour moi. Trouver des fonds pour ma rébellion, c’est mon affaire. A très vite.

Sur quoi le Fils du Nord ramassa le contrat qu’il avait déniché, et s’éclipsa.

***

Et le jour de l’exécution de ce contrat, Suzurane Hakyô avait entre autre découvert les joies et possibles mésaventures d’être missionné sur les terres du Givre. Somme toute, sa tâche était relativement simple : il devait escorter un convoi de quelques criminels plus ou moins notoires du pays, et s’assurer qu’ils ne fassent pas de vague.

─ Stop !, hurla-t-il avant que le convoi ne s’arrête.

Hakyô ouvrit l’arrière du convoi, retrouvant à nouveau la dizaine de personnes qui y étaient attachées. Il en sortit une femme un peu rondouillarde sous le regard suspicieux d’un officiel du pays. Et avec toute l’autorité qui lui était conférée, ce dernier ne tarda pas à questionner encore plus intensément des yeux le Nukenin.

─ Elle est malade, ça fait quelques lieues que je l’entends. Alors à moins que vous souhaitiez retrouver votre grand chariot couvert de…
─ C’est bon t’as raison ! Emmène-la prendre l’air !

L’homme hocha la tête, tandis que la femme semblait faire son possible pour remercier le garde. Mais ce fut toujours menottée aux poignets et aux chevilles qu’elle fut escortée par le Suzurane. Ils marchèrent ainsi cinq minutes jusqu’à tomber sur un cours d’eau, qu’Hakyô jugea idéal pour atténuer la nausée apparente de la captive. Elle put boire à sa guise et se rafraîchir, tout comme le nordiste, qui cependant semblait un peu ailleurs. C’était comme s’il cherchait quelque-chose de précis…

─ Attendez-moi là, dit-il avant de se lever.

Dix minutes plus tard, c’était face à une autre femme qu’il se retrouvait. Contrairement à la prisonnière, celle-là avait tout d’une mercenaire employée pour espionner le convoi, voire davantage. La main sur son fourreau, le Borgne entama la conversation avec une voix particulièrement calme et détachée de tout volume excessif. Les gardes du convoi arrêté ne les entendaient donc pas…

─ Rassurez-vous, votre discrétion était parfaite, je ne vous ai pas sentie approcher. Mais voyez-vous, quand une simple escorte de convoi est aussi bien payée… ce n’est pas pour rien. Pourquoi êtes-vous ici, mademoiselle ?

Alors qu'elle continuait de suivre le convoi, l'un des hommes qui l'escortait l'arrêta. Et bientôt un ravisseur emmena l'une des prisonnières plus loin. Le plus impressionnant physiquement était seul, c'était peut-être l'occasion rêvée pour en mettre un hors d'état de nuire. Ce serait plus facile ensuite de s'occuper des autres. Et puis l'une des futures victimes aurait la certitude d'être sauvée. Car il n'était pas aisé d'attaquer un convoi tout en protégeant les personnes à l'intérieur. On ne savait jamais les réactions que pouvaient avoir les ravisseurs. Et l'échec n'était pas une option. Elle délaissa alors le chariot pour suivre les deux échappés. Et pendant que les deux s'abreuvaient, elle arma l'une de ses arbalètes pour la pointer vers l'homme. Qui avait l'air de venir tranquillement vers elle. L'avait-il sentie ? N'avait-elle pas été assez discrète ? Bien qu'il avait la main sur son arme il n'avait pas l'air menaçant.

- « Pour libérer les prisonniers. Et je suis aussi très bien payée... »

Elle lui avait répondu sur le même ton, bien qu'elle le tenait à distance de son arme. Peut-être qu'elle avait tout simplement tenu son regard sur lui trop longtemps. Lorsqu'on observait une personne durant plus de deux à trois secondes de suite, celle-ci ressentait un sentiment d'oppression. Même sans avoir de talent dans la sensorialité. Étrange que celui-ci vienne ainsi discuter. Elle écouta un peu les alentours, mais non il n'y avait personne d'autre. Sauf s'il y avait un meilleur espion qu'elle-même, et qu'il se cachait bien. Dans ce cas, elle était tombée dans un piège. Il lui fallait détourner l'attention, s'il avait un éventuel allié il réagirait.

- « Vous croyez vraiment qu'elle va vous attendre sagement ? Elle sait très bien ce qui l'attend au bout du voyage. »

À en juger par le bruit des chaînes, la femme cherchait à s'enfuir. Et il y avait de quoi. Mais ses menottes gênaient ses mouvements et elle ne faisait que chuter. Aucune réaction dans les alentours, que ce soit parce qu'elle tenait l'homme en face d'elle en joue ou bien pour retenir la prisonnière. Et ceux du chariot étaient bien restés là bas. Elle reporta alors de nouveau toute son attention sur le Suzurane.

- « Pourquoi ne pas m'avoir attaquée ? »

Il était tranquillement venu discuter sans forcément devenir menaçant. Alors qu'il devait clairement avoir compris en venait vers elle qu'elle le gênerait pour accomplir son propre contrat. Ce qui amenait à se poser différentes questions. Peut-être qu'il était sûr de lui et de sa force. Il fallait dire qu'il n'avait pas l'air d'être un bleu, en témoignaient sa posture et le chakra qui se dégageait naturellement de lui. Aika restait méfiante, comme toujours, en observant ses réactions.