Encore une nuit de pleine lune. Elle avait cessé de les compter. Une fois de plus elle s'élançait à la poursuite de pauvres brebis. L'une d'elle retenait toute son attention, égarée qu'elle fut dans les bois. La bête ne prit pas la peine de se demander ce qu'elle faisait ici. A vrai dire elle était tout bonnement incapable de réfléchir en cet instant. Tout ce qui lui importait était de pourchasser sa proie. De la plonger dans un état de peur profonde, d'agir lentement, très lentement pour finalement lui briser les os. Elle visualisait déjà la scène dans sa tête.

La brebis quant-à elle continuait de fuir. Apeurée, elle en venait à penser que cette grange délabrée lui suffirait comme refuge. Seulement la bête la suivit inlassablement. Ses griffes s’enfoncèrent dans les lattes de bois pourrit soutenant le toit. Les petits craquements succins étaient autant d'indicateurs de sa présence. C'était parfaitement volontaire. La créature voulait lui faire comprendre qu'elle se trouvait-là, juste au-dessus d'elle. Et qu'elle ne fut pas son plaisir d'entendre les battements du cœur de sa proie s'affoler.

Un brève mouvement fila similaire à la brise, comme si on lui assénait une caresse auquel étaient accrochées des lames de rasoirs. Sans comprendre ce qui lui arrivait vraiment la brebis se retrouva couverte de sang, de son propre sang. La bête l'entendit crier, hystérique, prisonnière de ce cauchemar dont elle ne pourrait jamais se réveiller. Recroquevillée sur elle-même la pauvre créature s'était lovée dans un renfoncement entre deux bottes de pailles, le dos plaqué contre un pan de mur humide. Le monstre étira un sourire garni de crocs. De nouveaux craquement se succédèrent. La brebis ne réagissait plus. Elle mordait son bras pour s'empêcher de crier. Ce fut alors que la bête apparut, juste au-dessus d'elle, la tête à l'envers. Sa gueule carnassière n'était plus qu'à quelques centimètres de sa proie. Les griffes caressèrent délicatement les joues de la brebis de manière à tracer de nouveaux sillons sanglant sur sa joue.

La peur... La bête la ressentait si bien. Elle s'en délectait. Seulement toute chose avait une fin. Elle le savait. La proie aussi le savait. Pourtant elle voulue s'attacher à la vie en essayant de se débattre alors que sa tortionnaire l'empoignait par la gorge. La main de la jeune brebis parvint à agripper un ustensile métallique qu'elle abattit violemment sur le crâne cornu de la bête. Il y eut un soudain instant de flottement durant lequel le monstre se figea. Puis un violent élan de fureur l'assaillit au point de lui incendier les veines. Relâchant la brebis, la bête se mit alors à lui labourer le ventre. La sauvagerie était-elle que les entrailles ne tardèrent pas à se répandre tout autour. Plongée dans sa frénésie la bête ne s'arrêta pas là. Ses griffes s'enfoncèrent entre les côtes de la brebis et tira si fort qu'elle finit par la déchirer en deux. Une fontaine de sang éclaboussa une partie de la grange. Le corps de la bête en fut trempé.

Mais elle n'était déjà plus là. Ses muscles se relâchèrent. Toute agressivité avait disparu. Elle se sentait désormais plus légère.

Parce que son cœur était vide.