Une tâche d'encre était d'ors et déjà visible après la toute première syllabe. Une tâche causée par un arrêt prolongé de la plume qui servirait à la rédaction de ce courrier, témoin de l'hésitation qu'avait eu son auteur à terminer le mot ainsi. Mais plus qu'à l'homme, il s'adressait aujourd'hui au dirigeant ; alors, pour cette fois, il acceptait de faire l'impasse. Ce choix trahissait déjà la dynamique dans laquelle cette lettre allait s'insérer.

Ses intentions étaient claires, mais les retranscrire sur papier un art d'autant plus flou, sans compter les obstacles se dressant sur le chemin menant à l'oreille de son destinataire. De toute façon, Mikami n'a jamais été un grand fan des conversations par moyens interposés. Mais son silence n'avait que trop duré, et l'idée de cet affrontement trottait dans un coin de sa tête depuis bien trop longtemps. Depuis son engagement dans l'alliance il espérait une communication plus régulière entre les simples shinobi dont il faisait partie et les décideurs qui pouvaient mener leur vie à la mort selon un jugement qui leur appartenait. Chose déjà ardue sous le Triumvirat et devenue objectif lunaire depuis l'Empire.

À ce jour, les siens entraient en guerre ouverte contre ceux protégeant son berceau et le Yorurai dut se réduire à l'envoi de cette feuille volante où ni son regard, ni ses gestes, ni le ton de sa voix ne pourraient appuyer ses convictions. Pourtant il ne renonçait pas à ces aspects et cette lettre ne serait qu'une première approche. Quel autre choix avait-il que celui-ci ou enfoncer d'un éclair la fenêtre du bureau impérial ? Ce dernier serait sans doute bien trop contre-productif, alors le jeune shinobi se lançait malgré la grimace lui échappant à l'écriture de la première formule de politesse.

Ka mui,

Ce courrier vise à obtenir une conversation ouverte entre nos deux personnes, situation à laquelle j'espère être confronté depuis maintenant plusieurs années. J'imagine que votre temps libre vous est précieux et, par-dessus tout, rigoureusement compté. Mais l'urgence et la gravité des récents évènements m'oblige aujourd'hui à provoquer cette situation, où, l'un comme l'autre, pourrons échanger nos points de vue et, avec un peu d'espoir, marquer l'autre de ses mots. Imaginez la valeur que j'accorderai à ce temps.

J'espère aussi que ce sera l'occasion pour nous de croiser le fer. Je reste en perpétuelle quête de perfectionnement et j'attends depuis trop longtemps l'opportunité de mesurer mon inconscience à l'incommensurable. Et après tout, n'est-il pas du devoir de vos hommes que de prendre garde que vos capacités ne s'évaporent par sous l'action du temps et de l'administration ?

Vous devez sûrement vous souvenir de cette fois, l'année passée, où vous avez invité tout opposant politique à venir se confronter à vous lors d'un débat public. Je ne suis pas de ceux qui parlent aux foules et manient leurs perceptions, mais demeure une des personnes dont chacun peut être sûr d'avoir l'écho le plus honnête du fond de sa pensée ; et vous ne faites pas exception.

Si vous acceptez cette invitation, sachez que je serai toute la semaine prochaine durant dans le secteur Nord du massif montagnard à l'Ouest de Shozaichi. Vous n'aurez sûrement aucun mal à m'y trouver.

Yorurai Mikami

Spoiler:

C’est à la fois étrange et intriguant de recevoir une lettre aussi claire et directe. Notre homme est souvent sollicité, de par ses responsabilités qui le contraignent à être davantage sur le champ de bataille économique et politique que militaire ; mais il n’en demeure pas moins un combattant d’élite qui peut être réclamé par ses subordonnés pour diverses raisons.
Mais jamais jusqu’à présent ne lui avait-on demandé un affrontement aussi direct, sans en expliquer les raisons précises. Croiser le fer sans raison aucune ? Ou y en avait-il une cachée ? Mikami Yorurai n’était pas un jeune crétin se laissant porter par les évènements. Il avait participé de nombreuses fois au développement du Shukaï, que ce soit sous l’Alliance ou l’Empire. Il n’avait jamais véritablement montré son attachement ni son rejet ; il restait neutre dans cette histoire, se cantonnant à son devoir de Shinobi. Un Ninja exemplaire, quelque part. D’où la surprise dans cette missive.

A vrai dire, Kakeshuou Samui n’avait guère de temps à accorder à cette correspondance. Les dégâts causés par une attaque étrangère il y a encore quelques mois se laissaient encore sentir, et il était important de rassurer la population afin qu’elle ne remette pas le système en place et ne commence à lancer des vagues de révolte ou de répression. La contestation était une chose ; le désordre de l’ordre public en était une autre. Un cas que l’Empereur n’accepterait en aucun cas. Et si la répression de Tori avait ému certains groupes, il ne fallait pas rester sur ce genre d’évènement, et aller de l’avant.

La plume s’agita donc frénétiquement sur le papier.

A Yorurai Mikami,


Cette missive me surprend à bien des plans. Mais je tâcherais d’être aussi bref que rapide. Je suis disposé à prendre sur mon temps et à me rendre sur place, pour répondre à cette requête qui m’est adressée. J’ose espérer en revanche qu’il y aura une raison à cette « convocation », car l’Empire n’a pas le temps de s’occuper de chaque individu de cette façon. C’est ton grade et ton expérience qui me font penser que cette rencontre est une nécessité, et j’espère ne pas être déçu en la matière.

Je me rendrais sur place le troisième jour de la prochaine semaine au temple perdu d’Ashuka, non loin de ta position. J’y serais dans les premières heures du matin, et je compte sur ta ponctualité en retour de ce déplacement.



Avec le respect et la détermination qui est la mienne,

Kakeshuou Samui, Shukaï no Kamui – 集会 の 神威