La Brume s’était relevée. D’abord timide, quasi éteinte, elle avait repris ses droits sur la scène. Les bois étaient maintenant recouverts de cet habituel halo blanchâtre qui s’insinuait entre les branches et les bosquets. Dans une clairière se déroulait un spectacle guères surprenant au vu du passé de ses terres.

Plusieurs corps gisaient çà et là sur le sol alors qu’une silhouette tranchait le panache spiritueux qui se déversait sur le pays. L’homme aux lunettes violettes avançait vers un autre accroupi au sol. Ce dernier tentait de ramper hors des vestiges de ce champ de bataille. Une véritable boucherie dans laquelle il n’avait pas souhaité périr, comme ses compagnons d’arme maintenant occis de la main du Fossoyeur. Son regard planté dans les yeux du malheureux traînant la patte pour se sortir de ce bourbier exprimait avec violence toute l’émotion qui l’emplissait. Sur ses lèvres naquit un sourire. Il était difficile d’oublier une telle expression. Jamais encore le Shinda n’avait eu pareil rictus tellement la joie l’étreignait. Se trémoussant à ses pieds pour sauver sa vie, le dernier figurant de la décadence de Mizu. L’une des dernières bandes de malfrats se trouvait décimée à ses pieds et celui-ci était le dernier survivant. Une page de l’Histoire s’écrivait en ce jour et le nécromancien tenait à s’en souvenir jusqu’à son trépas.

Acculé contre un arbre, il percevait de loin les gérémiades de sa victime. Mais il était déjà dans un état second, prêt à frapper. De la terre s’amalgama dans la paume de sa main pour faire apparaître une faux à la lame recourbée. La pointe vint décrire une croix à l’emplacement du cœur de celui qui s’était maintenant agenouillé pour implorer son pardon. Des larmes coulaient sur ses joues alors que Michiki lui intimait d’une voix doucereuse de rester calme.

- Schhhhhhh…

Et l’arme partit d’un coup sec en plein thorax, déversant une giclée de sang. Puis un deuxième coup vint sectionner la chair. Puis un troisième. Puis sans s’interrompre, le Fossoyeur distribua entaille sur entaille à un rythme effréné. Lui-même s’était perdu dans le compte. Son esprit était ailleurs, jouissant d’un plaisir jamais égalé. Ce dernier coulait dans ses veines, se déversait dans son être et jaillissait de sa gorge pour amener avec lui un rire guttural. Un raclement profond qui prit de l’intensité pour finir en un cri interminable. Les gouttes vermillon avaient à peine le temps d’atteindre le sol qu’elles étaient déjà tranchées par un nouveau passage de la lame. Tant et si bien qu’après seulement quelques secondes, une fine bruine semblait envelopper le nécromancien d’un halo rougeâtre se déposant sur n’importe quelle surface en un tapis rouge sombre. De cette dernière victime jaillissait une seconde brume que celle plus naturelle qui assistait ce carnage. Elle en changeait la nature pour faire d’elle une nouvelle Brume Sanglante.

Le souvenir accueillait chaque pas du Shinda vers ce promontoire installé pour l’occasion. Une estrade posée là pour mettre en valeur celui que la foule était venue acclamer. Une position peu confortable pour le nécromancien de Kiri qui n’avait jamais été un leader. Pourtant c’était bien le destin qui l’attendait. La coiffe traditionnelle de Mizukage se tenait à ses côtés, sur un coussin porté par un faire-valoir ramasser on ne sait où. Michiki ne lui avait guères accordé d’importance. Ce chapeau ridicule l’intéressait peu. Même s’il n’était pas un homme de foule, il se devait de se prononcer aujourd’hui-même pour marquer l’avènement d’un rêve et le début d’une nouvelle ère. Il apparut aux yeux de tous et les applaudissements débutèrent pour accueillir au grand jour le Fossoyeur ayant fait renaître la Brume.

Il invita le jeune homme à ses côtés à se reculer. La coiffe n’était qu’un élément de tradition, une futilité dont il pouvait bien se passer. Il observa la population agglutinée en bas en attente de ses mots. Des hommes et des femmes qui l’auraient hué il y a des années mais qui aujourd’hui se pressaient pour lui témoigner leurs reconnaissances. Il attendit que cesse le vacarme avant de prendre la parole :

- Beaucoup ont pleuré la Brume disparue. Encore plus l’ont rêvés et fêtés. Aujourd’hui je suis fier de pouvoir donner tort à toutes ces personnes, qu’elles soient alliées ou ennemies. Ces ruines qui ont hantés ces terres ne sont plus que souvenirs alors que s’annonce le renouveau de cette terre. Notre foi commune a érigé ses bâtiments qui vous entourent, cette enceinte qui nous protège à nouveau. Aujourd’hui nous avons le privilège d’être témoin de la renaissance de Kiri.

Parmi les personnes présentes dans le public, certaines se mirent alors à scander d’une seule voix :

- POUR KIRI !

La réaction eut pour effet d’esquisser un léger sourire en coin chez le Shinda qui ne manqua pas de continuer à parler pour autant :

- Si nos ennemis d’antan nous croyaient disparus, ils se trompent. Leur plus grande erreur aura été de considérer ces terres comme oubliées. Notre patience est aujourd’hui récompensée. La nation détruite par les Furyous est de nouveau debout. Ces ennemis redoutés de tous n’auront pas suffi à ébranler la conviction Kirijin. Et cette force nous la démontrerons à tout le Yuukan. Kiri redeviendra cette place forte militaire qu’elle a toujours été. Notre mort n’était que le commencement d’un nouvel âge d’or pour les terres de Mizu !

- POUR KIRI ! reprirent les voix

- POUR L’EMPIRE ! s’en écrièrent d’autres.

Les seconds intervenants surprirent tout le monde mais la clameur se diffusa très vite sur toute la foule qui hurlait d’une même voix :

- POUR KIRI ! ET POUR L’EMPIRE !

De son perchoir, le Shinda serra sa mâchoire. Un mouvement à peine perceptible même pour le garçon à quelques mètres de lui. Il ne pouvait se défaire de cette population impériale qui peuplait le nouveau village de Kiri. Mizu restait sous la responsabilité du joug de l’Empereur, tout comme son Seigneur de Guerre aujourd’hui autoproclamé Mizukage. Son combat était loin d’être fini. N’étant pas le plus aisé en diplomatie, il quitta alors son estrade sous les applaudissements après un salut distinctif des respects présentés au Kamui. Sur la façade du mur en dessous de lui, deux pans gigantesques de tissus tombaient pour laisser paraître au grand jour les symboles de l’Eau et de l’Empire. Une fois de retour dans l’ombre du bureau ovale, il regardait droit devant lui sans faire attention à ce qui se tramait autour, laissant cette mission à ses sens développés de senseur. Son esprit était déjà ailleurs. Il avait obtenu ce pour quoi il s’était battu depuis tout ce temps. Mais encore aujourd’hui, la tâche n’était pas gagnée d’avance. Il lui restait encore à accomplir pour retrouver Kiri la Douce. Sa Kiri. Celle qui ferait passer le règne de la Brume Sanglante pour une ère de paix. Mais il faudrait pour cela une Kiri indépendante que cette population-là dehors ne lui offrirait pas. Il jouait un jeu dangereux donc. Celui d’un Mizukage répondant à l’Empereur, mais pourtant désireux d’une nation libre.

Spoiler:

Un an s’était écoulé depuis mon enrôlement dans les troupes impériales. Sept ans s’étaient écoulés depuis la destruction de Kiri un triste jour d’automne en l’an 9 après la Grande guerre. Que de temps perdu, que de difficultés Mizu no Kuni avait dû traverser ? Bien des années dans le chaos. D’abord le départ des anciens clans de Kiri, après sa destruction, vers Yuki no Kuni et vers Iwa no Kuni. Puis l’installation des bandes armées, qui par moments se heurtaient aux forces Kaguya encore en place, avant qu’il n’apparaisse évident à ces bandes que chercher noise aux belliqueux membres de mon clan était tout aussi dangereux qu’inutile… Puis il eut l’arrivée de l’Empire et la tentative d’immixtion du village des nuages. La tension résultante de ces actions, une saison entière, occupa les esprits et les corps des différents groupes armés au sein de l’archipel. C’était à l’automne de l’an 13. C’est à cette période que l’ex Daimyo du pays, ainsi que le désormais Rokudaime Mizukage, préfèrent l’option de devenir membre de l’Empire plutôt que de bénéficier d’une largesse, plus que douteuse, de l’ancien ennemi kumojin. Des rumeurs avaient filtré que le Raikage d’alors avait offert d’appuyer la sécurisation de l’archipel en échange de l’assurance de la création d’une Kiri libre de toute attache, de toute influence impériale ou kumojine… Quoi qu’il en soit, de l’an 13 à l’an 15, de nombreuses opérations menèrent à la sécurisation de l’archipel ; période durant laquelle les bandes armées furent les unes après les autres démantelées tandis que les Kaguya, grands perdants de ce retour au premier plan de l’Empire dirigé par un Samui -membre éminent d’un des clans qui avaient délaissé Mizu après la chute de Kiri-, se retrouvaient en bonne partie sur l’île où se trouve Hone no Shima : le repaire des Kaguya. Kiri reconstruite, j’allais pouvoir servir à nouveau le bastion de mon ancienne patrie et chercher à redorer son blason. Telle est mon unique ambition. Pour mon frère, ce sera assurément autre chose, lui qui ne peut souffrir de la présence de l’Empire, de « l’envahisseur ». Mais ça, c'est une autre histoire.

J’avais participé à la construction de Kirigakure no Sato. En tant qu’Heishi de l’Empire, j’avais sué jours et nuit pour que ce rêve de beaucoup, porté par le Gouverneur impérial Shinda Michiki prenne corps. Et les murs de notre ancienne cité étaient à nouveau debout. Bientôt fière et grande comme par le passé, Kirigakure no Sato trônerait certainement sur l’ensemble de l’archipel et laisserait son ombre et peut être sa domination planer sur le monde un jour ou l'autre, comme par le passé. Mais tout est une question de temps et d’étape dans la vie. Ce Gouverneur que j’avais découvert si patient dans l’accomplissement d’un de ses desseins secrets, poserait petit à petit les jalons de Kiri tel qu’il désirait la voire : libre ou alors sous le giron de l’Empire. Pour mon humble personne, peu m’importe. Tant que la paix règne de nouveau sur l’archipel et que Kiri veille sur tous. Un vœu pieux qui, je le pressentais, risquerait d’être particulièrement difficile à réaliser tant les dangers pouvaient s’avérer nombreux à l’interne, au sein de l’archipel avec la lancinante question Kaguya qui tôt ou tard reviendrait sur le tapis ou encore l’ex ennemi kumojin qu’il faudrait surveiller de près d’autant plus qu’une guerre était désormais déclenchée entre l’Empire qui nous coiffait tous et le pays de la Foudre.

C’est sans un mot que j’écoutais le discours du Shinda. Ses propos, profondément ancrés sur le passé, laissaient entendre un désir de revanche sur l’histoire. Peut-être avais-je tort, mais il me semblait qu’à ses yeux, les ennemis d’antan se dresseraient à nouveau devant nous, si ce n’est le contraire. Quoi qu’il en soit, les derniers mots du leader kirijin étaient porteurs d’espoir. Il montrait clairement le futur : un avenir bien plus radieux que Mizu no Kuni avait pu connaître par le passé.

*Kirigakure no Sato n’a jamais été morte… Elle était disparue et aujourd’hui elle réapparaît à la face du monde.*

Tout autour de moi, des cris de joie et liesse auxquelles se mêlaient des cris de ralliement différents. D’aucuns pour Kiri, d’autres pour l’Empire et les derniers pour un mix des deux. Une belle tendance des premiers problèmes auxquels devraient faire face le nécromancien dans un temps très court. Quelle serait la direction qu’il prendrait lui ? Quelle qu'elle soit, celle-ci déterminerait de beaucoup la suite de l’histoire. Curieusement, le Kaguya que je suis a foi en la ruse et en la ferme patience de cet homme. Il saura se sortir de l’ornière.

Aujourd'hui, est un jour spécial, pour moi comme tous les autres, ce jour n'est autre que la renaissance de la brume après quelques années d'ombre. La brume sanglante, celle que nous avons pleuré, nous ancien Kirijins enfin revenu sur nos terres natales afin de redonner à Kiri son rayonnement d'antan à travers tout le Yuukan. Nous sommes encore jeunes, mais je sais que certains nous redoutent déjà sur le continent. Ces mécréants de l'Empire ont peut-être aidé à la renaissance de notre village, mais ils ne payeront rien pour attendre pour avoir osé s'en prendre aux dernières forces de Mizu no Kuni, profitant de notre faiblesse. Mais il est encore bien trop tôt, pour l'instant il va me falloir continuer de faire attention à ce que je dis, ce que je fais. Il ne faut laisser transparaître aucune haine envers l'Empire, Kiri est trop jeune.

En ce jour de renaissance, celui que j'admire et qui aujourd'hui est Rokudaime Mizukage, Shinda Michiki va prononcer un discours. Comme la foule, je suis moi aussi présent sur les lieux du discours quelques instants avant que celui ne commence son discours. La foule est bruyante et parait quelque peu agitée, rien de grave. C'est normal que les gens s'agitent, ils vont voir leur nouveau chef prononcer un discours devant eux, c'est toujours un moment prenant.

Michiki ne se fit pas plus attendre et débarqua sur l'estrade prévue à cet effet. J'écoute attentivement les paroles du Fossoyeur et aux premiers bruit venant de la foule, je ne pus m'empêcher de faire comme eux.

"POUR KIRI !" Lançais-je d'une voix forte.

Toute cette ferveur pour le retour de la brume sanglante, cela ne peut que me faire plaisir, un léger rictus se dessina au coin de mes lèvres pendant que le Shinda continue son discours. C'est ce moment qu'ont choisi quelques membres de l'Empire pour eux aussi lancer un "POUR L'EMPIRE". Ces deux mots ont de suite effacé le rictus que se dessinait au coin de ma bouche pour laisser place à une expression de mépris envers ces traîtres. Cette expression ne dura pas bien longtemps avant que je ne me reprenne, il ne faut rien laisser transparaître. Je ravale donc ma rancœur et lance à mon tour un grand.

"POUR KIRI ! POUR L'EMPIRE !"

Ces paroles me dégoûtent, mais je n'ai pas le choix. Michiki termina son discours quelques instants plus tard et s'engouffra dans une pièce à l'arrière de l'estrade et la foule commença gentiment à se dissiper. Je pris moi aussi la direction de mon nouvel appartement afin de pouvoir méditer et espérer le vrai retour de la brume sanglante. Mais pour cela, l'Empire doit être bouté hors de Mizu no Kuni, mais il est beaucoup trop tôt pour cela et je ne peux absolument pas faire cela tout seul.