Défonçant - figurativement - la porte de son logement, Shiki balança la douzaine de fichiers en main sur la table au centre de la cuisine et s’effondrant dans son vieux canapé en soupirant d’exaspération. Qui aurait cru que l’intégration à une super puissance serait pénible à ce point ? Tant de documents à lire, remplir et signer; tant de nouvelles normes et coutumes à adopter; tant de nouvelles connaissances à assimiler. Les tâches, triviales ou non, s’amassent d’heure en heure et surabondent. Elle ne perçoit plus la lumière au bout de ce sombre tunnel. La nouvelle Jônin pinça son arête nasale et tenta de démêler ce désordre dans sa tête. On lui a dit de donner ces documents le plus tôt possible pour que le tout soit validé rapidement. Néanmoins, techniquement parlant, personne n’a parlé d’une date limite. Si son retard est moindrement justifié, personne ne viendra lui faire la morale. De toute manière, quiconque venant lui crier dessus se retrouvera réduit en charpie l’instant où ses cordes vocales produiront la moindre vibration. À moins que ce soit l’Hokage en personne, elle refreinera de commettre tout geste stupide. Mais c’est bel et bien l’unique exception à la règle.

Quoi qu’il en soit, cette paperasse attendra. Heureux encore qu’elle n’ait jamais décroché un job de bureau, ce truc n’est nettement pas son domaine. La Senritsu ne possède point la patience nécessaire pour rester planqué sur une chaise pendant des heures à parcourir divers documents. Et puis, suite à une longue exposition à ces amas de textes empilés sur d’autres textes, la migraine commence à s’enraciner dans son encéphale. Secouant la tête pour chasser ce sentiment naissant, elle se leva et ouvrit la porte menant à la minuscule terrasse rattachée à son appartement. Appuyant les coudes sur le garde-corps, elle se laissa baigner dans les doux rais de l’astre solaire et inspira profondément cet oxygène estival. Enfin de l’air propre. Enfin un environnement plus sain. Certes, la ville n’est guère sa préférence, mais ce style de vie est bien meilleur que rester planquer parmi les « siens » au pays des Vagues. Une belle bande de lunatiques considérant presque la cheffe du clan comme un être divin. Elle ne comptait pas demeurer plus longtemps là-bas, pourrir dans ce merdier. Elle est suffisamment puissante pour se débrouiller seule. Il faut avouer que les derniers événements sont survenus avec un timing parfait.

Son regard de saphir vogua vers l’agitation au bas du bâtiment. Certes, ce n’est pas la rue commerçante principale de la cité. Elle a minutieusement choisit l’emplacement de son logement pour éviter le maximum de distractions extérieures. Néanmoins, cela reste une mégalopole. Peu importe l’endroit, il y aura toujours de multiples individus parcourant les ruelles du village et gâcher les moments paisibles. Un brin de colère lui monta à la tête, observant avec dédain l’animation au pied de l’édifice. Finalement, elle n’est pas sortie de l’eau chaude. Objectivement parlant, sa qualité de vie s’est nettement améliorée. Cependant, la vie en société n’a jamais été son point fort et elle n’a jamais porté l’humanité dans son cœur. La Kunoichi soupira et porta une main à son visage. Ce qu’elle donnerait pour un silence total, un silence de mort; la mort.

Sur cette pensée, elle se retira à l’intérieur et ferma la porte et les rideaux, empêchant toute lumière de pénétrer à l’intérieur de la pièce. Elle se coucha sur son canapé et ferma les yeux. Elle chercha rapidement une pensée pour se réconforter. Le massacre qu’elle a causé au palais du Daimyô lors de la récente attaque à Nami étira ses lèvres. Oui, cela faisait du bien de pulvériser des cœurs, décapiter des têtes. Elle attendait impatiemment le jour où elle pourrait se défouler librement sans qu’on lui fasse le moindre reproche. Franchement, sur le moment, pour la première fois de sa piètre existence, elle se sentait vivante.

Une idée germa dans sa tête. Pour bien s’assimiler au village, on lui a recommandé de se renseigner sur les différents clans de Konoha. Elle a emprunté des dossiers, mais a uniquement survolé le nécessaire. La Shinobi ne peut cependant nier l’utilité du Kekkai Genkai de quelques clans. Prenons les Inuzuka, par exemple. La symbiose canine apporte toute une nouvelle dimension au combat et à la coopération. Le mot clef étant « coopération », ce qui s’avère plus ou moins possible pour une louve solitaire telle que Shiki. Le Byakugan des Hyûga est un atout primordial également. L’avantage que cet œil procurerait à une adepte du combat rapproché… Cela reste toutefois uniquement accessible par droit de sang… ou de vol. Une opération compliquée et risquée qu’elle préfère éviter. Le dernier clan qui a capté son intérêt est le clan Sabakyô. Une communauté soi-disant maudite. Leurs corps regroupent diverses maladies et ils sont dans la capacité de les propager sous forme de gaz. Un membre à lui seul peut devenir une authentique arme biologique. Quelle puissance destructrice ! Et ce qui est important à noter, c’est que ce pouvoir ne se limite pas au sang. Un Sabakyô peut apposer un Fûinjutsu sur n’importe quel individu pour que ce dernier puisse profiter de ce pouvoir…

Que ferait-elle donc avec une arme aussi dangereuse et dévastatrice que celui-ci ? La Senritsu l’ignore elle-même. Néanmoins, si le jour arrive où elle désire annihiler ses semblables et mettre en action son souhait… Et l’image mentale lui procure une certaine satisfaction. Après tout, jusqu'à ce qu'on lui donne la preuve du contraire, l'humanité n'est qu'un poison.

• Je suis désolé, mademoiselle Senritsu, mais notre cheffe, Sabakyô Lamara, ne peut vous recevoir.

• Tu ne peux pas faire pression ? C’est hella important.

• Si ce serait véritablement important, vous posséderiez un communiqué de l’Hokage ou d’une quelconque autre autorité.

Arquant un sourcil, la tatouée toisa l’homme lui bloquant accès à la majestueuse résidence derrière lui. Voilà qu’elle s’est déplacé en cette superbe fin de matinée jusqu’au quartier dédié audit clan maudit uniquement pour se faire rembarrer. Elle croyait initialement que son grade nouvellement acquis serait suffisant pour quémander une audience auprès de celle qui dirige cette communauté, mais ce ne fut point le cas. Peut-être que le timing choisi coïncide avec un mauvais moment. Replongeant ses mains dans les poches de son blazer, elle soupira en balançant la tête vers l’arrière. Ses prunelles céruléennes plongèrent dans l’infinité azurée du ciel, son esprit végétatif. Nécessairement, elle n’obtiendra pas ce rendez-vous aussi facilement qu’elle l’espérait. Ce n’est qu’une Shinobi, une nouvelle addition au village en ces derniers jours et voilà que cette dernière demande à voir une personne qui détient une position plutôt occupée au sein de la cité sans envoyer préalablement ne serait-ce qu’un simple avis. Comme dit le bon vieux dicton : l’aigle ne vole pas avec les pigeons. Ou préférablement, les nobles ne traînent pas avec la plèbe.

• Quelle est la raison de votre présence ?

• Je ne vais pas tourner autour du pot et perdre mon temps : je veux le sceau du destructeur.

Ce fut au tour de la personne en charge de l’accueil d’hausser un sourcil, jaugeant celle qui prétend vouloir le Fûinjutsu procurant leur malédiction. Rares sont ceux souhaitant de leur plein gré cette capacité. Certes, le pouvoir en soi peut s’avérer utile pour beaucoup de Shinobis. La maîtrise des gaz empoisonnés peut s’avérer être un outil de destruction massive, un avantage phénoménal au combat. Si l’adversaire ne fait que respirer légèrement les vapeurs intoxiqués, les répercussions seront graves et réversibles uniquement si un médecin est dans les parages. N’importe quel guerrier peut être séduit par une telle faculté. Toutefois, cette aptitude est en réalité une épée à double tranchant. Posséder ce don par hérédité, ou détenir la marque du destructeur, revient à faire de son corps un hôte pour toutes sortes de maladies et de bactéries. Celui souhaitant devenir Sabakyô doit être prêt à sacrifier son humanité. Shiki n’est pas dupe. Bien qu’à contrecœur, elle a parcouru une bonne dizaine de dossiers sur les Sabakyô, assimilant toutes les informations nécessaires sur leur pouvoir, leur histoire, leurs coutumes. Son choix est fait, sa décision est prise.

• Il s’agit d’un pouvoir difficile à contrôler. J’espère que vous êtes consciente de cela.

• Bien sûr. Je ne serais pas ici dans le cas contraire.

Suite à quelques heures d’étude, la Senritsu est pleinement lucide concernant la difficulté de maîtrise de cette capacité. Si jamais ce clan décide de lui prêter leur savoir, elle devra passer quelques jours, voire quelques semaines dans des salles sécurisées. Peut-être même qu’elle devra porter un masque pour éviter qu’un poison se propage dans l’air et de créer une épidémie au sein de la Feuille. Quoi que, cette idée ne lui déplaît pas. De son côté sur ses gardes

• Nous sommes toujours prêts à partager notre savoir avec nos confrères Konohajins. Après tout, notre clan doit tout à cette nation… Cependant, pour l’heure, cette requête est impossible à réaliser.

• Pourquoi donc ? Si je dois faire mes preuves, envoyez votre meilleur homme. Qu'on en finisse.

• Là n’est pas le problème.

Une voix caverneuse tonna derrière elle. Nonchalamment, la Kunoichi tourna la tête pour observer le nouveau venu. Un grand gaillard près de la quarantaine, si ce n’est pas plus. À en juger la réaction du garde en l’apercevant, il s’agit d’un aîné respecté au sein des Sabakyôs. La jeune femme l’examina avec une certaine lassitude. Elle sent déjà venir le long monologue. Bras joints derrière l’échine, le colosse inspira profondément.

• Nos membres sont présentement occupés à traquer l’un des nôtres qui crée des remous au pays des Vagues. Il a quitté le village il y a longtemps pour rejoindre le Shoraizen. Il tache l’image de notre clan ainsi que notre réputation. Pour cette raison, tant qu’il ne sera pas puni pour ses actes criminels, nous ne pouvons permettre d’enseigner notre art à des initiés sans que l’on soit observé sous un mauvais œil. Veuillez comprendre notre position, mademoiselle. Le clan Sabakyô peine à se relever de ses récents maux, nous ne souhaitons point créer de nouvelles tensions au sein du village.

Tel un taureau, la Senritsu expira son oxygène via ses narines tout en roulant les yeux vers les cieux. Toujours un obstacle sur son chemin pour lui tirer les cheveux. Afin de se détendre, elle empoigna un paquet de cigarette de la poche de son jean troué, sortit une clope et l’alluma. Tirant une longue latte sous les curieux regards des Sabakyô, la Konohajin s’enfoui sous un mutisme pour une quinzaine de secondes, plongé dans un sérieux débat mental.

• Donc. Si je vous apporte sa tête, on est cool ?