L’Inconnu, qui portait toujours son masque mais qui savait bien qu’on le connaissait désormais sous son nom, regarda tout autour de lui. Irana avait réincarné les quelques fondateurs des villages cachés, Gogyou Makka et comptait sur le soutien de quelques ninjas recrutés lors de la bataille de Suna. Si les anciens amants s’étaient séparés du reste, le Patriarche était donc seul face à tous les autres. Une situation qui ne déplaisait pas forcément à Jiseyama.

Pour avoir une grande force de frappe, il fallait avouer que la Nécromancienne avait fourni des efforts remarquables. Rester silencieuse tout ce temps après sa défaite ici sur ces mêmes terres, récolter des indices, retrouver des façons de réincarner l’ancienne ennemie public numéro un ainsi que les Shodaime. Seule une femme d’une telle envergure pouvait réaliser ça. Forcément aucun homme ne pouvait rester insensible à tant de labeurs. Aucun shinobi ne pouvait rester indifférent face à une telle maîtrise des arts ninjas.

D’une certaine manière, Irana avait atteint l’apogée de ses capacités. Et sous les orifices métalliques de son masque, Jiseyama était heureux de voir à quel point la seule personne capable de maîtriser l’Edo Tenseï à son apogée était devenue puissante.

« Irana, ma douce. Ne me dis pas que tu as fait tout ça… »

Il fit quelques pas pour s’approcher de celle qui l’aimait. Et il ne s’y cachait pas, de celle qu’il avait aussi aimée. Mais quelle pourrait être l’utilité de pareils sentiments dans ce monde barbare ?

« … par amour ? »

Et il connaissait déjà la réponse. Rien ni personne ne pourrait changer ce que l’Atout des Senju avait déjà vu. Aujourd’hui, que ce soit pour elle ou pour ceux qu’elle avait réincarnés : tout allait se terminer.

Personne n’allait empêcher la Nation de changer le monde.

Spoiler:

Irana avait attendu ce jour depuis si longtemps. Enfin elle le retrouvait, cet homme qui lui avait promis tant de choses, sans jamais n’avoir pu lui donner satisfaction pendant des années. Mais en cette journée de guerre, l’heure était bientôt à la libération. Oui, bientôt, elle pourrait savourer sa victoire totale sur ce qu’elle avait appris à haïr.

« Je l’ai fait par conviction. Mais ma conviction a toujours eu peur… »

Elle s’approcha encore un peu plus. Malgré le fait qu’il portait un masque, la kunoïchi voyait très bien le visage qui s’y trouvait derrière. Jamais elle ne l’avait oublié, pourquoi en aurait-il été autrement ? Qu’importe que ce soient au travers d’orbites métalliques, elle sentait qu’elle le regardait droit dans les yeux. L’Inconnu, le Libérateur, le leader du Kaihô-sha, mais avant tout…

Elle sourit.

… avant tout l’homme qu’elle aimait.

« … des sentiments qui nous lient. »

Ses pas avaient terminé de l’emmener dans les bras de son amant, qui ne se refusa pas à l’accueillir avec une tendresse forte. Si ses lèvres ne purent que tutoyer un métal froid, elle sentait la chaleur qui émanait du corps de Jiseyama. Elle recula ensuite d’un pas.

L’heure de faire les comptes sur leur plan était venu. La Nécromancienne était satisfaite de sa totale trahison envers les shinobis et ceux qu’elle avait réanimés.

« Je ne sais pas pourquoi mais le Raïkage n’est pas venu. Hormis cela, tout s’est passé comme prévu. Je n’avais pas totalement compris pourquoi tu avais voulu que je les réanime, mais en les regardant combattre le Patriarche tout m’est apparu… »

Pourquoi aurait-elle douté de lui, de toute manière ? Elle ne l’avait pas vraiment fait, elle s’était tout simplement contenté de rester ignorante sur la justification de certaines parties du plan.

« … ils sont venus vous barrer la route car je le leur ai tout révélé. Mais si je ne l’avais pas fait, alors peut-être que d’autres auraient découvert les faits à Suna, et ils seraient sans doute venus plus nombreux. Pire encore, peut-être que l’information sur Obli aurait rassemblé tous les ninjas et aurait achevé la bataille entre la Nation et l’Ordre avant même qu’elle n’éveille suffisamment les consciences. »

Elle fit cadeau à son visage d’un sourire ténébreux.

« En laissant les Kages ne recruter que quelques ninjas, le Patriarche va pouvoir agir sans le moindre risque. Et mieux encore, même si les Shodaime s’étaient montrés trop dangereux, j’ai le contrôle sur eux. »

Elle avait tout compris. Et forcément, elle ne pouvait s’empêcher de penser à la conclusion d’une telle suite d’évènements.

« Maintenant, le Patriarche va pouvoir sceller les pouvoirs d’Obli en toi. Et ensemble, nous façonnerons les shinobis à notre image… Jiseyama, c’était un plan parfait. »

Ses yeux sombres convergèrent sur le masque argenté de celui qu’il aimait éperdument. Un plan infaillible pour un homme qui l’était tout autant. Elle ne put garder les deux mots qui encombraient sa bouche.

« Je t’aime. »

Elle avait compris, c’était ce qu’elle disait. Son bonheur était tel qu’il pouvait presque le toucher de ses mains, du moins c’était ce qu’un homme d’esprit tel quel lui se plaisait à penser. Mais la réalité était toute autre. Il n’y avait aucun bonheur à toucher.

« C’est bien ce qui me semblait… »

Il n’y avait même aucun bonheur du tout. Non, il n’y avait qu’une jeune femme qui était amoureuse, et qui était devenue aveugle face à tant de sentiments… Quel qu’eut été son ressenti à ce moment-là, nul doute que tout fut brisé par la chaleur qui avait soudainement gagné son ventre. Irana s’était aussitôt mise à trembler. Mais pas Jiseyama.

« … tu n’as rien vu. Mais comment aurais-tu pu ? »

Les tremblements de la jeune femme firent onduler ses cheveux noirs. Son regard avait de plus en plus de mal à soutenir le masque de l’Inconnu. Elle ne comprenait pas. Mais lorsque ses yeux s’abaissèrent péniblement pour voir le couteau qu’il avait planté dans son corps, elle s’accrocha à lui. Non… Non !

Jiseyama, quant à lui, restait de marbre. Sa main ferme tenait avec la même rigueur le couteau qui continuait de faire couler le sang de celle qu’il avait pourtant véritablement aimée. Mais il n’était pas déstabilisé. Après tout, il l’avait déjà tuée tant de fois… dans son esprit.

« Obli représente un blasphème pour le Patriarche et les moines de Maskine. Mais il est surtout un pion trop puissant pour être laissé sur l’échiquier de notre combat contre l’Ordre. Il est incontrôlable, et ses pouvoirs le sont encore plus… Il n’a jamais été question de s’en emparer. »

Contrairement à son amante, le leader du Kaihô-sha n’eut aucun mal à tourner la tête pour regarder au loin le Grand Maître de Maskine se battre. Derrière lui, il y avait le temple et Obli. Derrière lui, il y avait l’horizon d’un monde nouveau, lavé de toutes les impuretés qui pourraient gêner l’ascension du mouvement de la Nation.

Un monde nouveau allait naître, dans quelques minutes. Et Irana ne pourrait probablement pas le voir.

« Le Patriarche va simplement utiliser le gène que je lui ai transmis pour vaincre Obli. Il va simplement le terrasser tout comme… je te terrasse en ce moment. »

Les orbites sombres de son masque métallique convergèrent à nouveau vers le visage doux et sombre de la Nécromancienne. Sur le coin de sa lèvre, du sang commençait à couler.

« Tu es loin d’être l’égal d’Obli, mais ta maîtrise parfaite de l’Edo Tensei et ceux que tu pourrais réanimer font de toi un pion qui n’a rien à faire sur l’échiquier de notre révolution. Sois flattée, je te tue par crainte. Et puisque ta mort ne suffit pas… »

Il retira brusquement le couteau ensanglanté et poussa la jeune femme de l’épaule. Elle recula de deux pas fébriles, et lorsqu’elle croisa le regard sombre de Jiseyama, elle subit ses dons de Yamanaka. Les deux se mirent à composer les mêmes mudras…

« Edo Tenseï…
─ … rupture ! »

Puis elle reprit ses esprits, avant de s’écrouler à genoux. Elle avait déjà perdu bien trop de sang. Combien de temps lui restait-il à vivre, une minute, deux ? Et qui pourrait la réanimer, elle ? Personne ne maîtrisait les arts interdits mieux qu’elle ! Elle se mit à paniquer. Mais surtout, elle ne voulait pas croire que la personne qu’elle aimait avait pu la trahir…

Son visage tremblait, et ses yeux ne pouvaient pas lutter pour remonter vers Jiseyama. Non, ils frôlaient le sol désormais. Une seule question…

« C-comment…
─ Voyons Irana, je vois tout.
─ Alors d-depuis quand… »

Elle ne put le voir, mais l’homme au masque avait soupiré.

« Depuis le premier jour, Irana. Dès que j’ai caressé tes cheveux, j’ai lu en toi. J’y ai vu ton passé, ton présent et ton futur. J’y ai vu un amour réel entre nous et des moments de bonheur, j’y ai vu un monde déchiré par un Ordre shinobi sans que nous ne puissions rien y faire avant longtemps, j’y ai vu ta défaite sur Haï no Kuni et notre promesse de trouver une solution… »

Il semblait hésiter.

« … et j’y ai vu ta mort, nécessaire pour cette même solution. »

La conscience d’Irana se faisait de plus en plus mince. Elle luttait contre la mort, et même contre tout le reste pour rester à genoux. Elle était emplie d’une telle haine et surtout d’une telle tristesse…

Mais au moment où elle crut lâcher prise, elle jeta ses dernières forces dans ses jambes et se releva aussi soudainement que puissamment. Sa main droite vint arracher violemment le masque gris de Jiseyama, qui recula alors d’un pas.

« Par contre, j’avais oublié que tu arriverais à faire ça… »

Elle avait au moins pu lui arracher son masque, mais pourquoi au final ? Irana s’écroula à nouveau, mais elle fut rattrapée par le leader de la Nation.

« J’ai simulé ta mort tant de fois… Ce n’est qu’au bout de la cent-deuxième fois que j’ai réussi à avoir la force de le faire. Car à chaque tentative, tu me regardais même après la mort. »

Et c’était exactement ce qu’elle faisait. La jeune femme fixait de ses yeux ceux de Jiseyama. Ses râles se faisaient de plus en plus faibles.

« L’ironie nous frappe tous les deux en ce moment, ma chère. Toi, tu te dis que tu as ramené tant de morts à la vie tu es incapable de te ramener toi-même. Quant à moi, voyant tout aussi bien dans le passé que dans le futur et comptant sur mon esprit, ma mémoire, même si je le voulais… »

Elle était morte. Il lui ferma les yeux d’un aller de sa main.

« …. jamais je ne pourrai t’oublier. »