Un bar, mal famé, dans une ville peu recommandée : La mégalopole de Kawa no Kuni. J’étais en mission recrutement depuis que j’avais appris l’histoire de la disparition de Tenbatsu Kurasa et le fait qu’il ait été capturé par les kumojins. Depuis lors, je sillonnais chaque endroit déroutant porté à ma connaissance, chaque endroit rebutant où j’étais certain de pouvoir trouver les pires raclures. Des gens comme moi, rebus de la société, qui n’avaient absolument rien à foutre du système. Rien à perdre, rien à gagner véritablement. Des gens qui vivaient au jour le jour. La mégalopole était l’en droit parfait. Le meilleur endroit imaginable. Si après un tour ici, je ne parvenais pas à trouver quelques salauds tels que j’en avais besoin, je pourrais me considérer officiellement comme un moins que rien. Enfin… C’était peut-être me juger trop sévèrement. J’ai su recruter Gekei Jage et Tenbatsu Kurasa. Même si j’ai échoué avec ce Yoru, mes aptitudes ne pouvaient avoir disparu ainsi. Sans laisser de traces…

Me voilà arrivé à destination. Un bar en face de moi. Un endroit d’où j’entendais les échos d’un clameur qui ne m’était pas inconnue : la clameur des ivrognes. Ivres morts après plusieurs litres de substance néfaste ingurgitée, leur état ne pouvait qu’être proche de l’état de nature. Cet état où tu te sens libéré de tes chaines, libéré au point que tu te sentais capable de faire ce que tu veux, où tu le veux, et quand tu le veux !

BAM, je poussais les battants des portes de cette taverne. L’odeur d’alcool et de tabac empestaient mes narines. Je m’arrêtais au seuil de la porte, regardant à gauche et à droite. Il y avait du tout ici, des filles ne pouvant être que des filles de joies, des marins, des gens à la gueule terriblement repoussante, des shinobis saouls, des rônins… Je choisissais une place stratégique et demandait deux verres de saké. Là calmement j’essaierai de repérer quelques faciès aptes à m’indiquer de futures cibles thugs dans l’âme. De real thugs, des sans foi ni loi. C’est tout ce dont j’avais besoin. Sirotant lentement mon verre, je continuais cette observation, dans cette cohue générale.

*Le monde est bordélique et j’en ai encore la preuve !*

Mon regard se perdait là, sur les contours d’une femme. La trentaine, supa sexy, j’avais remarqué qu’elle tentait de me ferrer dans ses filets.

*Oui ma belle, je serai à toi bientôt, mais pour le moment, j’ai d’autres priorités.*

Je l’avais bien dit, dans un bar de ce genre, pas moyen d’espérer un peu de quiétude. Moi qui jusqu’ici prenait soin de rester sagement à ma place, à observer les uns et les autres, je fus rapidement tiré de mon étude anthropologique. Une scène assez déroutante se dessinait sous mes yeux. Cinq abrutis, probablement la panse pleine de saké, s’étaient subitement cru chez eux. Dans leur excès d’ivresse, chacun d’eux se mit à littéralement foutre un dawa inimaginable, mettant fin à cette relative quiétude dans cette taverne. Sans bouger le moindre doigt, je pris un malin plaisir à observer les réactions tout autour de nous. La plupart des gens ici semblaient se foutre pas mal du boucan. D'autres arrêtaient leurs activités et regardaient, certains qu'ils auraient une petite distraction. Gageons, même si pour le moment personne ne bougeait, qu’il y aurait au moins quelqu’un pour mettre de l’ordre. La tenancière de cette taverne, malgré ses airs de mafiosi, devait forcément disposer de quelques gardes du corps et autres videurs. Autrement comment expliquer que son bar tienne dans cette ville bordélique et avec des clients tels que ceux-ci ?

Je remarque ce gosse cloué au mur, obligé de jouer les poteaux ; poteau dans lequel un couteau allait allègrement se ficher sous peu. Triste scène. Cet homme la bave à la bouche, s’amusait à faire semblant de viser le haut de ce poteau humain. Il me semblait évident que la vie du gosse était en jeu car même si cet alcoolique s’avérait être le meilleur au lancer de couteaux dans toute la mégalopole, son état d’ébriété ne jouait pas en sa faveur. La tension était au maximum, quasi égale au silence imposé dans la taverne par cette scène ahurissante. Même si nous étions tous autant que nous sommes, la pire vermine, nous restions humains. Enfin, pour ma part, je ne lèverai pas le plus petit doigt. Que foutait le gosse ici déjà ? Je lève mon coude et sirote à nouveau un peu de saké. C’est à ce moment que quelqu’un décide d’agir.

Un sauvetage, un double KO et quoi ? Deux autres plus ou moins bien portant ? Tous les cinq hommes, le lanceur de couteaux plus que les autres d’ailleurs, mis hors de combat ou en fuite, le gamin sauvé en moins d'une minute trentre ! Montre en main. La prestation du sauveur inattendu avait de quoi susciter le respect. En deux temps et trois mouvements, l’affaire était pliée. Parfait si j’ose dire ! J’approuve personnellement et je le fais savoir par de savants applaudissements bientôt relayés par quelques gougnafiers dans la salle. Bien calé dans mon siège, jambe croisée sur l’autre, mon air aliter doit renvoyer l’image d’un prince étranger « achetant » cette action héroïque. C’est presque la philosophie dans laquelle je m’inscris. Je me lève et me déplace vers cet homme.

_ J’ai craint que personne ne vienne en aide à ce pauvre gamin. Il reste donc des âmes charitables en ce bas monde ? Je m’appelle Ozaï.

Dans mon excès de prétention, j’aurais tendance à ajouter : le tigre. Mais, la dernière fois que j’avais été trop prétentieux, j’ai fait fuir un tigreau. J’en profitais pour regarder de haut en bas cet homme devant moi. Une véritable force de la nature à n’en pas douter. En plus d’un courage et d’une vitesse d’exécution qui me faisait imaginer qu’il était bien plus fort qu’il ne l’avait laissé voir. Parfait.

_ Puis-je vous proposer un verre pour votre acte héroïque ?

À croire que j’en redeviens racé. Ce n’est que de circonstances. S’il accepte, nous poursuivrons notre discussion à ma table.