Un chant pareil à un murmure résonnait dans le lointain. Une mélopée curieusement attirante vibrait dans l'esprit de la kunoichi de nacre. Cette voix de femme, telle la sirène, semblait irrésistiblement inviter la belle par-delà la forêt du pays du feu. Voilà plusieurs semaines déjà que la jeune Hyô entendait l'enivrante mélodie. Et cette fois-ci, cette dernière était décidée à mettre un terme à cette douce folie. Préparant dans son paquetage quelques litres de saké, des produits de soins et autres objets sans réel intérêt autre que d'assurer son bien-être, Hitomi organisait un périple dont le but lui échappait.
Cela avait commencé peu après le grand incendie de Konoha. Elle avait intégré l'ordre des Seika sous le regard bienveillant bien que fatigué de la Shodaime Hokage. La nuit qui avait suivi, la Shirogiri se réveilla bien malgré elle, prise de sueurs froides: Cette voix pourtant si suave commença à trotter. Au début, elle assimila ce trouble à un intrus qui s'était introduit dans la demeure familiale. Aussi se soustrayait-elle de son futon et arpenta les couloirs, méfiante. Mais il n'en fut rien, elle ne repéra aucune sorte de visiteurs, mis à part le chat blanc de la maison qui se baladait gracieusement, agitant doucement la queue dans les airs. Elle retournait donc, quelque peu déconcertée. dans sa chambre.
Chaque nuit depuis ce jour, la mélopée revenait encore et encore dans l'onirique nuit de la demoiselle. Cela avait de prime abord un aspect effrayant, mais en réalité, cela devenait étrangement mystique. Cette voix délicieusement féminine intriguait Hitomi, qui nourrissait de plus en plus l'envie d'aller résoudre ce mystère. Ainsi, jour après jour, il lui prenait cette douce envie de franchir les collines boisées qui s'étendaient là, dehors. Alors au début, elle mit cela sur le compte de son insatiable curiosité. Pourtant, elle se rendit compte que son âme toute entière était irrémédiablement absorbée par un lieu dont elle ignorait pourtant tout, un lieu qu'elle n'avait jamais vu ailleurs que dans ses derniers rêves. C'était comme si son corps et son coeur réclamait quelqu'un ou quelque chose qui lui manquait.
Or, depuis une semaine environ, peu après avoir entraînée Masao Nikkou à la maîtrise du Dragon Aqueux, cette voix devenait plus pressante, plus entreprenante. Et même si la mélopée ne susurrait rien d'autre que des 'Viens...', elle advint plus attirante encore. Dans la nuit noire de la veille, les mots frappèrent à nouveau à l'esprit de la belle. Les rideaux s'agitaient doucement dans un ballet océanique. La lumière faiblarde de l'astre étoilé baignait l'ouverture entrouverte, ce qui donnait à la scène quelque chose de mystique. Hitomi, consciente mais comme qui dirait happée par le chant, se leva doucement, traînant derrière elle un drap couvrant à peine les formes de son corps. Elle ne savait pas exactement ce qu'il se passait, mais à cet instant, alors qu'elle fixait l'Est avec envie et intensité, elle eut presque pu déceler dans l'horizon une étrange forme. Elle aurait pu le jurer, cette chose l'appelait. Et alors que la voix doublait en force, elle se sentit s'envoler.
Si, par une inouïe coïncidence, Yuki, le chat, ne s'était pas manifestée sur ses chevilles en se frottant langoureusement et en miaulant, alors la demoiselle franchirait l'encadrement de la fenêtre et tomberait de l'étage sur le sol. Cette nuit-là, elle aurait pu se blesser sérieusement. Hitomi reprit alors pleine possession de son corps, même si elle-même se disait maîtresse de son être. Elle tourna la tête vers le bas, et prit son animal dans ses bras, ôtant au félin un doux ronronnement. Et la forme si spéciale disparut du lointain lorsqu'elle revit le paysage noircit par le manque de lumière. Cela ne s'avéra être qu'un simple nuage. Pourtant...
C'était dans ce contexte que le lendemain matin, décidée comme jamais, elle entreprit de voyager. Sous la lumière blafarde et hivernale, la dame aux orchidées finissait de préparer ses affaires, et sortit de sa chambre quelque peu déstabilisée par la veille. Ses pas, faisant grincer les lames du plancher, trahissait l'ambition qu'elle nourrissait. La jeune Hyô descendit, saluant tous les membres de sa famille qui étaient rassemblés dans le salon en train de manger. Elle s'inclina doucement, et entreprit d'expliquer brièvement la raison de départ inopiné.
[Hitomi] -"Je vous prie de m'excuser, mais j'ai des choses à régler. Des choses qui ne peuvent être repoussées...Fune-sama, je vous demande de bien vouloir pardonner mon absence auprès de Miyu-sama, je ne sais pas si je serai de retour lors de la prochaine réunion."
Sa voix reflétait son trouble, et même si cela ne ressemblait guère à un adieu, on pouvait deviner le trouble qui s'était emparé d'elle. Elle s'inclina à nouveau, et tourna les talons. Ainsi franchissait-elle le panneau coulissant qui menait au dehors. Il faisait frais, et une mince couche de neige parsemait le chemin de terre. La Seika se mit en route, vers la mer de l'Est qui bordait Hi no Kuni...
Il faisait froid, terriblement froid, mais la marche réchauffait son corps. Une épaisse buée opaque se dégageait de son nez et de sa bouche alors qu'elle arpentait le chemin de terre qui menait vers la mer de l'Est. Elle constatait, au hasard de ses pérégrinations, les dégâts qu'eurent causés les flammes qui s'abattirent sur le pays. En son sein, elle ne pouvait que pester contre son impuissance à ne pas avoir pu stopper convenablement les morsures flamboyantes. Car plus que la beauté des lieux qui furent souillées, c'était bel et bien son incapacité qui la mettait mal à l'aise. Pourtant, la flore continuait à vivre dans cette étendue brûlée, comme si la nature elle-même semblait décidée à coloniser à nouveau les lieux. Ainsi, ici et là, on pouvait distinguer clairement le roucoulement des oiseaux ou les brames d'un attroupement de cerfs non loin.
Ses pas creusaient la fine couche de neige qui parsemaient la route. L'eau glacée se mêlait à la terre, donnant un étrange mélange boueux qui salissait ses tabis, tant et si bien que la belle Hyô se montra précautionneuse dans sa progression. Les traces sur le sol montraient que le passage était souvent emprunté. Il y avait des lignes plus ou moins perpendiculaires, des marques d'animaux et d'Hommes, et, par moment, Hitomi croisait des rondins de bois carbonisés encerclés par de petits rochers. Ces derniers fumaient encore, faisant manifestement état d'un campement délaissé il y a peu. Et comme il fallait deux jours à la kunoichi pour atteindre les côtes de Hi no Kuni, elle réutilisait habilement ces endroits. Les nuits furent boréales, et on ne pouvait pas nier qu'il fut pénible de trouver le repos, la ravissante Dame aux Orchidées n'en souffrit que peu. En effet, à force de manquer de sommeil, elle était littéralement épuisée. En outre, cette douce voix qui la hantait depuis deux semaines s'était tue.
Elle progressait péniblement, et ce malgré un temps relativement clément. Ses jambes lui faisaient souffrir le martyr, et l'ensemble de ses muscles était parcouru de petits spasmes réguliers. Les efforts fournis au fil du temps depuis qu'elle était devenue une ninja de Konoha semblaient inextinguibles, et Hitomi sentait son corps lui demander clémence. Elle ne pouvait pourtant pas s'arrêter là. Finalement, au soir de la seconde journée, alors qu'elle était à quelques lieux seulement des côtes, elle se laissa bercer par le froid et la fatigue: Elle s'écroula dans la moiteur du sol.
[Voix mystérieuse] -"Viens...Viens..."
Dans ce monde onirique à l'intérieur duquel elle se trouvait alors, la fameuse voix se fit entendre. Elle résonnait dans les ténèbres, et semblait s'approcher de la demoiselle. Cette dernière était entre étonnement et curiosité, et s'approcha ainsi un peu plus de l'endroit où paraissait se réfugier la mélopée. Et même si les perspectives, dans cet univers-ci, étaient brumeuses et trompeuses, elle ne désespérait pas. Elle marchait, encore et encore, soulagée du poids de l'exténuation physique. Il n'y avait aucune sorte de découragement, tant son désir de savoir et comprendre était plus fort que tout. De plus, plus elle avançait, et plus les mots prenaient en volume, en vibrations. Ils donnaient presque l'impression de distendre l'espace et le temps.
Finalement, elle parvint, à force de courage et d'essais, à distinguer un halo lumineux dans le lointain. Elle marchait dans le noir le plus total depuis ce qui serait plusieurs heures dans la réalité. Hitomi tendit le bras comme pour se saisir de cette étrange lumière, mais il n'en fut rien. Au contraire, ce rayon se disloqua, et les ombres abyssales revinrent, plus noires que jamais. Deux énormes perles apparurent alors dans l'étrange univers. D'une teinte dorée, ils s'assombrirent pour prendre une couleur oranger au milieu de quoi deux sphères plus obscures encore que tout ce qui composait ce monde. Elle s'étirèrent ensuite de haut en bas, pour donner à ces gigantesques boules une allure plus familière. Ce furent deux yeux de félin, irradiant le macrocosme jusque là charbonneuse.
De noir, tout devint blanc. Cela était tel que la kunoichi fut éblouie, cette dernière s'aidant de son bras pour se couvrir ses pupilles indigos. Les deux sphères ambrées rapetissèrent peu à peu, de sorte que quelques secondes plus tard, elles arrivèrent à hauteur de poitrine. Et, comme par magie, un corps émergea de la lumière. Son pelage était aussi éclatant que ce qui l'entourait, si bien que seules les quelques rayures noires qui zébraient sa robe permirent à notre héroïne aux cheveux de jais de distinguer où commençait et où finissait la créature. Cette dernière ressemblait fort à un tigre, celui-ci se léchant paisiblement les babines. Hitomi n'avait pas peur, comme si cet univers-là bannissait cette sorte de sentiment. Non, elle était, au contraire, étrangement apaisée. L'animal majestueux fixait sa vis-à-vis avec nonchalance et amabilité. Et il -ou elle- prit cette fameuse voix féminine si sucrée.
[Tigre femelle] -"Toi, gracieuse descendante des Hyô, dont la maîtrise des encres repose encore en toi...Cherche le Royaume Oublié...Cherche le nid du tigre." [Hitomi] -"Qui...qui es-tu?"
Le sol commençait alors à s'affaisser sous ses pieds, alors que la tigresse répétait inlassablement ses derniers mots, comme pour inciter la belle Hitomi à ne pas les oublier. Affolée, elle gesticula pour se maintenir en équilibre, en vain, puisqu'elle paraissait tomber dans un précipice sans fin. Et elle se réveilla aussi soudainement, frigorifiée mais bien vivante. Le soleil était haut dans le ciel, ce qui montrait à quel point la kunoichi avait besoin de repos.
Aujourd'hui encore, elle se demande comment avait-elle pu survivre à une froide nuit d'hiver, seule, sans le moindre feu à sa disposition. Il y avait là quelques magies à l'oeuvre, à moins que les kamis n'aient décidé ainsi. Quoi qu'il en fut, le destin l'avait amené jusqu'ici, c'était un fait. La belle se releva tout en ce levant la tête. Elle observa tout autour d'elle, comme si elle avait du mal à distinguer le vrai du faux. C'était là qu'elle remarqua bon nombre de traces d'animaux. Et si...
Elle reprit son paquetage sans trop se poser de questions en dehors de ce rêve étrange dont elle avait été victime. Elle n'en voulait pas, estimant qu'elle devait sa survie aux kamis et aux ancêtres qui avaient fait d'elle celle qu'elle est: La plus belle femme de Konoha, et l'une des kunoichis les plus douées de son pays.
Au loin se dessinait les contours d'un village côtier, probablement pêcheur...
Hachishima, tel était le nom de ce village. Il était clairsemé, et aucune muraille ne l'enserrait. Il semblait pauvre, et des quelques chaumes qui le composait, une épaisse fumée en sortait des petites cheminées constituées de bric et de broque. Seul l'immense bâtisse dans le plus pur style traditionnel témoignait d'un passé plus glorieux. En effet, ici ou là, la terre se dérobait, laissant aux yeux curieux de petites parcelles de dalles en pierre taillée, encastrées les unes à côté des autres. Sur les rives de sable blanc gisaient de multiples petites embarcations, dont la plupart se détérioraient au point de ne plus pouvoir naviguer. Il ne semblait guère n'y avoir en ces lieux autre chose que de paisibles pêcheurs qui tentaient plus ou moins bien de vivre de leur métier.
N'allez pas croire pour autant qu'il n'y avait plus la moindre once de vie dans cette endroit, même si, à première vue, cela ressemblait à une cité fantôme à travers laquelle seule la brume résidait. Oui, il y avait cet aspect indéniablement énigmatique qui flottait tout autour. Oui, les maisons étaient passablement mal entretenues. Mais au carrefour des deux allées principales, une échoppe et un troquet se disputaient le monopole du commerce. Et cela, c'était bel et bien un signe positif: Des gens vivaient ici, et, même si leur existence paraissaient peu enviable, misérable, ils s'en accommodaient. C'était leur terre, c'était leur royaume, exempt de tout conflit meurtrier. Hitomi le ressentait ainsi, et elle l'attestait, ce hameau lui semblait telle une île perdue au milieu d'un continent, tel un refuge encore pur de toutes les luttes pour la conquête de territoire, pur de toutes ces batailles pour venger untel ou untel.
Le soleil était au plus haut dans sa course céleste, et Hitomi pénétra dans l'enceinte du village. Le tourisme était vite fait ici, même si tout ceci était pour le moins pittoresque, exotique. Elle qui avait l'habitude des grandes agglomérations, elle se sentait légèrement paumée. La belle kunoichi évacua ce petit stress, et alla se reposer dans la taverne, justement, qui offrait aux voyageurs harassés repas chaud et chambre pour la nuit. Sa piste vers l'Est s'achevait sur ces côtes qui, en d'autres saisons, eurent pu être idylliques. La chaleur de l'endroit, quand elle franchissait la porte de bois, fut souveraine. Et même si le décor n'était pas à sa convenance, trop rustique, elle ressentait un bien-être fou. Deux jours à marcher dans le froid hivernal, dans la neige gelée, à dormir à même le sol, c'était un peu trop pour la citadine.
L'ambiance qui régnait dans l'établissement était relativement gai, mais lorsque la petite Hyô fit son apparition, tous se turent. Les expressions sur les visages changèrent pour devenir plus austères, plus méfiantes. La demoiselle fut surprise par cela, mais elle ne s'en offusquait pas. Au fond, dans ces coins reclus, les étrangers n'étaient pas forcément les bienvenus. A plus forte raison, il devait y avoir une histoire qui incitaient les gens ici à ne pas apprécier la compagnie des autres peuplades. Elle se fit encore plus remarquer lorsqu'elle s'inclina à l'entrée, comme pour saluer les consommateurs, et les kamis qui l'eurent guidé jusqu'ici. Elle était décidée à ne pas rester ici plus d'une nuit, et, le ventre vide, son stock de saké bien entamé, elle se présenta devant le tenancier. Son attitude, comme d'habitude, montrait à quel point la demoiselle était précieuse, coquette. Elle n'osa rien toucher, de peur de mettre la main sur une table mal nettoyée. Elle se contenta de donner quelques ryos, tous enchâssés autour d'un fil, ressemblant ainsi à un bracelet de cuivre.
[Hitomi] -"J'aimerai une chambre pour la nuit, ainsi qu'un bon repas chaud et plusieurs litres de saké, s'il vous plait."
L'homme, bien portant, regarda la demoiselle d'un air sévère, ce qui tranchait net avec le sourire de cette dernière, enjouée malgré la fatigue. Essuyant le comptoir avec intensité, il s'exécuta en donnant une grande clé en fer forgé, lui indiquant la pièce à occuper, à l'étage. Après quoi hurla-t-il dans l'arrière salle la commande.
Et alors que la belle se préparait à gravir l'escalier qui menait à l'étage, un énorme grognement se fit entendre dans le lointain. Pareil à un énorme coup de tonnerre, il fut tellement violent que les murs de bois vibrèrent intensément. Cela était fort étrange, dans la mesure où aucuns des nuages présent dans le ciel, qu'ils fussent proches ou éloignés, ne laissait présager l'avènement d'un orage. D'ailleurs, les personnes présentes se murèrent dans de tristes mouvements de panique. Non qu'ils sortissent de l'établissement, mais plutôt qu'ils sortirent de leur torpeur et qu'ils discutèrent de ce bruit terrifiant. Hitomi tendit l'oreille.
[Vieil homme] -"Depuis quelques jours, ses cris deviennent plus fréquents..." [Gaillard] -"...et plus lugubres, aussi." [Tenancier] -"Les offrandes ne lui suffisent plus. Qu'allons-nous devenir?"
La Dame aux Orchidées était intriguée. Aussi s'épancha-t-elle sur ce problème. Par la même curiosité qui l'animait encore et encore, elle entreprit de se mettre au parfum. D'une voix aimable et cristalline, elle se déplaça lentement vers les trois hommes dont les visages s'étaient figés, comme pris d'une panique moribonde.
[Hitomi] -"Qu'avons-nous entendu là?"
Les hommes se retournèrent vers la délicieuse seika. On pouvait aisément sentir chez eux de la méfiance, mélangée à une volonté de plus en plus écrasante de parler de tout cela à une âme charitable. Peut-être avaient-ils senti chez Hitomi une certaine force et une expérience certaine du danger.
[Tenancier] -"Ce sont les râles du Dieu des mers. Nous offrons chaque mois une partie de nos richesses, et grâce à sa générosité, nous pêchons. Cela fait des siècles que nous agissons ainsi. Mais depuis une cinquantaine d'années, nous n'arrivons plus le contenter."
Un homme d'une soixantaine d'année, buvant sa liqueur de riz au coin d'une table, intervint en tapant de son verre sur le bois en mauvais état. Il semblait saoul, et, de ses petits yeux d'ébène, il fixait le patron. Ses joues étaient roussies par l'abus d'alcool, tandis qu'il bafouillait d'une voix pleines de trémolos due à l'âge. Il hurlait.
[Vieux pêcheur] -"Sottises! Je l'ai vu...hips...le responsable! [Tenancier] -"Retourne chez toi, vieil ivrogne! Crois-tu vraiment, quant bien même il existerait, un tigre capable de tels cris?" [Hitomi] -"Un tigre?"
Cela avait encore plus attisé sa curiosité. Sa présence ici ne pouvait être qu'une simple coïncidence. Elle haussa les sourcils, et un sourire illumina son visage de nacre. La belle Hyô venait de trouver là la suite à cette aventure. Cela prenait une tournure excessivement surnaturelle, mais qui n'était pas sans lui déplaire. Mettre un terme à ses voix qui lui gâchaient inlassablement ses nuits nuisant à ses performances, cela avait paradoxalement quelque chose d'excitant.
Elle s'approcha du buveur avec élégance et grâce, et chercha à lui soutirer les informations. La possibilité qu'il fusse victime de simples hallucinations étant donné sa propension à boire les substances alcooleuses était à prendre en compte, mais le hasard était pour le coup fait. Il ne pouvait pas en être autrement: L'homme attablé avait vu quelque chose, tout comme elle lors de cette fameuse nuit qui précéda son départ. Ses deux améthystes s'illuminèrent alors qu'elle fit vibrer ses cordes vocales.
[Hitomi] -"Dites m'en plus, s'il vous plait." [Tenancier] -"Ne l'écoutez pas, mademoiselle. Cet olibrius est un sac-à-gnôle, il vous raconte des salades!" [Vieux pêcheur] -"Sac...hips...à-gnôle toi-même! Approchez...hic...mademoiselle. Il y a lon...hips...longtemps de cela, j'ai trouvé à quelques...hips...miles à l'Est une île déserte. J'y ai...hips...accosté afin de refaire des provisions. Et a...hic...alors que je voulais rentrer dans les terres, j'ai...hips...croisé un énoooooorme ti...hips...tigre. Une vraie montagne! Il marchait comme nous...hips...Il voulait me manger, alors je suis...hic...parti." [Tenancier] -"Pouah! C'est n'importe quoi, vraiment. Tu n'as jamais apporté de preuves..."
Cela ressemblait effectivement fort à un discours d'homme complètement déphasé de la réalité. Et pourtant, Hitomi ne pouvait s'empêcher de se demander si cela n'avait pas un lien avec ses récentes déconvenues. Aussi se dirigea-t-elle vers la fenêtre mal nettoyée, et regarda l'océan qui se perdait dans l'horizon. Elle tourna alors la tête vers le vieux fou.
Le folklore était une chose étrange. Disons-le clairement, les Hommes avaient une imagination débordante. Nul ne pouvait prétendre connaitre où s'arrêtait les légendes et où commençait la réalité. S'ils se targuaient de posséder un savoir à la mesure de sa domination terrestre, ils ignoraient également maintes choses, et les plus créatifs d'entre eux pensaient expliquer les phénomènes plus étranges en leur affublant de différents nominatifs. Hitomi, ainsi que la population de Hachishima, croyaient en des êtres célestes tels que les kamis. La mort ne les séparaient en rien de leurs liens, et ainsi naquirent dans leurs inventions les ancêtres, veillant inlassablement sur eux. Les populations du continent, quelles qu'elles soient, n'en étaient pas exempt, quant bien même d'autres, plus pragmatiques, leurs donnaient d'autres noms. La science était de cette catégorie...
Cela étant dit, la kunoichi, accompagnée par le vieux pêcheur ayant décuvé autant qu'il fut possible de l'être, rejoignirent l'étendue bleue comme le saphyr à bord d'un frêle esquif muni d'une voile ocre. La brise fraîche et pleine d'embruns balayait le visage de la belle de nacre. Le soleil était par moment dissimulé sous une épaisse couche nuageuse, mais le mauvais temps n'était pas à prévoir. Le vent, par contre, était bel et bien au rendez-vous, et le zéphyr les emportaient en direction de ladite île. Accoudée aux rampes de l'embarcation, elle cherchait du regard cette terre qui était décrite comme paradisiaque mais ô combien dangereuse par le matelot. Par moment, il lui semblait entendre les murmures féminins qui amenèrent Hitomi à voyager par-delà les forêts du pays du feu. Elle revoyait de temps à autre ces deux sphères ambrées qui eurent hanté son rêve, l'autre jour. Ils étaient magnifiques, et cette aventure, il était certain, serait gravé à jamais dans sa mémoire.
C'est au moment où la belle Hyô, kimono vert et tabi blanc, soupirait de lassitude que le vieil homme grogna d'une voix rustre, annonçant l'arrivée du bateau à destination, cachant de sa voix puissante mais tressaillante le grincement du bois et des cordages. La femme se retourna alors, faisant face à la proue du navire. Les mains maintenant solidement la rambarde, elle jeta son regard vers le bout de terre qui se dessinait peu à peu, comme surgissant de la brume de l'horizon. Une colonie de dauphins accompagnait les deux marins, soufflant de leur évent une petite gerbe discrète d'eau. Ils chantaient d'un timbre de voix bien aigu, alors que quelques mouettes décrivaient des cercles autour du mât, mendiant certainement un peu de nourriture à l'aide de cris qui paraissait si joyeux. Hitomi comprit le plaisir sans équivoque que pouvait ressentir les pêcheurs à arpenter les mers. Elle se sentait libre de tout soucis, comme découvrant un autre univers. D'un autre côté, c'était probablement parce qu'elle n'avait pas à éprouver les mêmes contraintes que l’aîné, qui devait manipuler tour à tour les épaisses cordes de chanvres.
Le bateau jeta l'ancre à quelques mètres de la rive ensablée. La demoiselle, avec le vent dans les cheveux, passa une main dans sa chevelure, et se tourna vers le marin, l'air sérieuse.
[Hitomi] -"Restez sur le pont, je vous prie. Ce peut être dangereux. Je serai de retour peu avant la tombée de la nuit."
Preste et agile, elle se jeta dans la mer par dessus la rampe, une main en appui sur le morceau de bois. Elle activa son chakra sur la plante de ses pieds afin de ne pas être immergée, et, une fois en contact avec le liquide, marcha lentement vers la côte. Un paysage complètement différent de Hi no Kuni se présenta à elle, mais il était de toute beauté. Des cocotiers en bordure, penché vers la mer tel les tournesols tournés vers l'astre solaire, s'entrelaçaient en une fine couche de verdure, gardiens de la forêt luxuriante qui s'épanchaient derrière. Et alors qu'elle s'enfonça dans le désert de verdure, un hurlement pareil à celui qu'elle avait entendu la veille dans le bar lui écrasait les tympans. Le vieux n'avait pas eu tord, elle en était à présent totalement assurée.
Elle marcha pendant une heure ou deux dans la jungle, gênée par les broussailles. Elle tomba sur un cours d'eau, qu'elle remonta afin de s'enfoncer un peu plus dans les terres. Soudain, alors qu'elle suivait le lit de la rivière scintillant doucement, elle sentit une ombre se faufiler à travers les fougères. Elle était rapide et inquiétante. Son coeur battait la chamade, comme si son corps tout entier était prêt à parer toutes les éventualités. Elle ne paniquait pas, mais elle n'en était pas bien loin.
Elle arriva, après plusieurs autres minutes, dans une clairière qui paraissait ne pas être faite par la nature. Une odeur suffocante parvint au nez de la belle. C'était caractéristique de celle que laissaient derrière eux les meutes animales. Elle n'était pas puissante, mais suffisamment nauséabonde pour rendre Hitomi extrêmement prudente. Une caverne haute de plusieurs mètres se présentait un peu plus loin, vers le Nord-Ouest. Un tigre de taille et d'envergure imposante surgit de nulle part, barrant la route à l'aventurière et rugissant tous crocs en-dehors. Il était d'une majesté inqualifiable, même en exprimant ainsi sa rage. La belle Hyô sursauta, et ses muscles se comprimèrent mécaniquement de sorte qu'elle puisse lutter à armes égales. Le félin, d'un pelage oranger comme le coucher du soleil zébré de noir, regarda avec insistance la kunoichi de ses yeux noisettes. La bête, qui devait bien faire deux fois sa taille et de deux mètres de haut à quatre pattes, huma la créature bipède. Les vibrisses remuaient au rythme des inspirations. Sa truffe rosée, humide, s'approcha légèrement de la Shirogiri. Après quoi recula-t-il la tête. La seika contemplait la scène, comme tétanisée. Nul doute que son vis-à-vis l'aurait découpé si l'envie lui avait pris. Mais il n'en fut rien. Au lieu de cela, il repartit, boitillant, faisant route vers la colossale caverne.
La demoiselle, à peine remise de ses émotions, remarqua ce détail et courra vers la bête sauvage.
[Hitomi] -"Attends!"
Le tigre s'immobilisa sagement alors que la belle s'agenouillait près de son flanc. Notant que l'être peinait à reposer sa patte antérieure gauche, Hitomi la prit de ses douces mains manucurées, caressant les coussinets du félin. Et, voyant qu'une méchante épine lui transperçait la peau, elle la retira d'un geste net. Elle était impressionnée, autant par la taille des pattes que par la musculature de la créature orangée. Courageusement, lentement, elle rapprocha ses doigts de ses côtes, et lui tapota doucereusement le pelage. La bête lui adressa, en guise de remerciement, un grognement tout autre que celui qu'il lui adressa plus tôt. Celui-ci était aimable, gentil, pataud.
Ceci fait, il rentra dans la grotte. Piquée au vif, la belle en fit de même. Elle était sombre, et des gouttes d'eau tombaient sur le sol dans un cliquetis angoissant. Elle était également d'une profondeur que la kunoichi ne put mesurer ou deviner, tant l'île semblait petite. Pour s'orienter, elle devait, à son plus grand désarroi, toucher les parois humides et mousseuses, de façon anarchique. Après quelques minutes de marche aveugle, elle quitta le long couloir de pierre pour se retrouver dans une gigantesque ouverture, aussi grande que le Colisée de Konohagakure no Satô. Elle était éclairée par une série de poches lumineuses et de minéraux phosphorescent, ce qui donnait indubitablement aux lieux une ambiance mystique. Une grosse voix résonna, à en faire trembler les stalactites. Hitomi, qui n'avait pas fini de tout examiner du regard, leva les yeux vers le haut plafond, découvrant une grande créature assise sur un trône à la taille de son détenteur.
[Roi tigre] -"Bienvenue, descendante de Hyô Megumi. Voici bien longtemps que nous attendions la venue des maîtresses des encres..." [Hitomi] -"Megumi? Maîtresse des encres?"
Hitomi, dubitative, était entre fascination et crainte. Il faut dire qu'elle ignorait alors posséder dans son patrimoine génétique les arcanes de l'Inkûton. Mais l'impasse fut faite, tant ce qu'elle avait sous les yeux était impressionnant. L'animal qui s'adressait à elle paraissait fatigué, mais il conservait cette faculté à inspirer le respect. Il tonnait sans même le vouloir, du haut de ses -facile- douze mètres.
[Roi tigre] -"En effet. J'étais aux côtés de Megumi lorsqu'elle était encore de ce monde-ci. Voilà bien des siècles se sont passés depuis..."
La seika ne trouvait pas les mots. Tout juste eut-elle le pouvoir de s'incliner, en gage de respect, ce qui provoqua chez le titan poilu un rire rauque qui fit vibrer jusqu'à la moindre roche.
[Roi tigre] -"Tellement de générations sont derrière elle, et pourtant, tu lui ressembles comme deux gouttes d'eau. Laisse-moi deviner: C'est elle qui t'as mené jusqu'à nous, n'est-ce pas?"
La demoiselle réfléchissait, cherchant vainement à reconstruire le puzzle. Alors, pour ce qui n'arriverait pas à suivre, le tigre blanc qui vint dans le rêve de notre protagoniste, cette voix envoûtante, considérez cela comme la manifestation des kamis, et en l'occurrence, celle du glorieux ancêtre de la belle. A moins qu'il n'en fut autrement, et que son sang était intimement lié à celui de la fratrie Tora du Habukai, le Royaume Oublié. Le temps de tout remettre en ordre dans son esprit, l'être continua son dialogue.
[Roi tigre] -"Je suis Yû, le roi de ces lieux. Et celui que tu as croisé, c'est Hisuke, le chef de meute de l'Ouest. Cela faisait bien longtemps qu'il cherche désespérément à enlever l'épine qui lui faisait mal, une bonne cinquantaine d'années, je dirais. Maudites griffes rétractables! Tout le monde le fuyait...Mais toi, non. Oh, bon sang, cela me rappelle des souvenirs! Quoi qu'il en soit, ton sang nous réclame, et le nôtre te réclame."
D'un revers de la main, un tigre, lui aussi marchant sur deux jambes, tendit un grand parchemin à l'invitée, qui le prit et l'ouvrit, curieuse.
[Yû, Roi tigre] -"Comme ton illustre ancêtre, appose ta signature de ton sang. Nous serons ainsi liés pour l'éternité."
Hitomi hésita. Les mots ne sortaient pas de sa charmante gorge, et elle voyait tellement de choses qu'elle ne savait pas où donner de la tête. Mais sous le regard bienveillant du seigneur des lieux, elle s'exécuta. Non pas par dépit, mais parce qu'elle se découvrait des alliés dont elle n'en soupçonnait pas l'existence. Ainsi fut à nouveau scellé le pacte entre une Hyô et la tribu des Tora...