Quatorze heures quinze ne sonna pas. L'horloge accrochée dans la cuisine de Natsuki ne sonnait jamais, pour la simple raison qu'elle n'était pas dotée de cette fonction. Mais cela ne l'empêchait pas d'accomplir son travail, à savoir indiquer l'heure. Tout au mieux, elle émettait un discret '' tic-tac '' régulier qui emplissait le silence. Un silence très fréquent dans sa maison. Les deux propriétaires légitimes, à savoir ses parents, étaient rarement présents, et lui-même qui en avait officieusement hérité, se montrait régulièrement absent. Parfois de corps, souvent d'esprit. La serrure cliqueta.

La porte d'entrée s'ouvrit, et offrit le passage à Natsuki qui la referma une fois son seuil franchit. D'un geste, il lança depuis le vestibule une large enveloppe brune qui tournoya dans un mouvement lisse avant de se réceptionner sur la table de la cuisine. Déchaussé, il gagna le lavabo de la salle de bain, où il trouva ses médicaments. Iji les lui avait prescrit, lui les pensait inutiles. Mais comment le prouver d'une meilleure manière qu'en suivant sa prescription ? '' Il ne faut pas oublier de prendre ses médicaments quand l'on est malade. '' disaient les infirmiers à l'hôpital. Combien de fois avait-il déjà entendu cela ? Il passa un peu d'eau sur son visage, et rejeta les mèches de ses cheveux bleu terne en arrière. Ce qu'il vit dans la glace le dégoûta. Il laissa tout retomber.

Quatorze heure trente. Kasaï ne devrait plus tarder. Il lui avait donné rendez-vous chez lui à cette heure-ci, afin de lui parler plus concrètement de ce qu'était Matsudaï, et d'officialiser son statut d’adhérente grâce à la magie de la lourdeur administrative. Satochi aussi était attendu. En tant que coéquipier, c'était une bonne chose pour tous qu'il soit présent lui aussi, mais Natsuki lui avait donné une heure d'arrivée plus tardive, de sorte à avoir d'abord un entretien privé avec l'adolescente. Il avait fait l'inverse lors de son premier recrutement de sa nouvelle équipe reformée, alors autant changer de méthode maintenant qu'il recrutait à l'unité. La présence d'Okasaki aurait été de même souhaitable, mais ce dernier n'avait pas pu se libérer de ses obligations aujourd'hui. Ce sera donc une réunion entre six yeux pour la succession d'Hakaze, laquelle avait laissé sa place à Kasaï. L'Inuzuka aurait pu apporter un plus à l'équipe, certes, mais chacun avait un plus qui lui était propre à apporter. Ce n'était qu'une occasion qui passait pour en offrir une autre. Pas meilleure, simplement différente. Comme l'on disait au Pays du Feu, les opportunités étaient aussi nombreuses que les étoiles du firmaments, il fallait juste savoir les attraper lorsqu'elles se présentaient. Hakaze l'avait fait, Kasaï aussi. Matsudaï gagnait sur l'un ou l'autre des tableaux.

Il se laissa tomber sur la banquette de la cuisine, et frotta ses cernes d'un geste las. Le plus difficile, ce n'était pas faire semblant de sourire, ou d'avoir l'air convaincant : c'était de vivre en ce demandant qui était le véritable soi, et si l'on avait fait le bon choix.

L'avenir ne répondait en général que toujours trop tard.

Natsuki s'arracha sans regret à ses rêveries lorsque des coups résonnèrent contre sa porte d'entrée. Une porte éprouvée par les frappes d'innombrable visiteurs, vu qu'il n'avait toujours pas changé la sonnette défaillante – depuis quoi, quatre ans ? - , mais pour le moment moins entamée que la précédente, laquelle avait mal vécu sa rencontre avec une sauvage aux cheveux roses. Que de souvenirs.

« Kasaï ? » demanda-t-il en ouvrant.

Personne. Juste la maison du voisin d'en face dans la rue, et un bruit de respiration haletante.

« Ah, Kasaï. » sourit-il après avoir baissé les yeux.

Les mains sur les genoux, l'adolescente peinait à retrouver son souffle. Elle semblait avoir couru un marathon. Condition physique et cardiologique à travailler, songea distraitement Natsuki.

« Il ne fallait pas te mettre dans un état pareil pour venir. C'est juste un rendez-vous comme ça, je n'étais pas au quart d'heure près. Il n'y a pas d'urgence, juste des explications et de la paperasse. Viens entre. L'on ne va pas discuter sur le pallier quand il y a une table et des chaises à l'intérieur. »

Natsuki la fit entrer, déchausser, puis traverser un couloir propre et rangé pour atteindre la cuisine. Si c'était lui qui s'occupait de l'entretien général du domicile à l'époque, il avait depuis longtemps fait sous-traiter cette tâche à un employé. C'était fou ce que l'on pouvait faire passer en missions de rang D à Konoha. Et cela garantissait aussi l'efficacité du concerné : sans être une célébrité, il s'était taillé un nom dans le Village qui donnait pas envie de décevoir.

« Installe-toi ici. » désigna-t-il de la main la banquette qui faisait l'angle de la pièce autour de la table.

Comme au final, il n'avait pas préparé grand chose, il assura rapidement le couvert en déposant sur la table de l'eau et du jus de fruit, une boite de pâtisseries sortie du réfrigérateur et trois verres. Suite à quoi, il s'installa et fit le service pour son invité.

« Entrons dans le vif du sujet maintenant si tu veux bien, nous aurons tout le temps de converser sur d'autres thèmes plus tard. » proposa-t-il d'une voix légère. « Comme je te l'ai dit hier, je vais te parler du fonctionnement de Matsudaï, et de la manière dont je gère cette équipe. Quel est est son but tout d'abord. Concrètement, cela tient en peu de choses : t'apprendre à travailler en équipe et à réfléchir, développer tes compétences individuelles et ton sens stratégique, analyser des situations données sous plusieurs approches, accroître tes connaissances et optimiser tes capacités. Plus ou moins ce que fait chaque équipe, en fait. En tant que mentor, je m'efforcerai donc de te transmettre mon expérience du métier, t'apprendre à survivre, et t'offrir les moyens d'accomplir les objectifs personnels et collectifs que tu désires atteindre. Enfin, quand je dis offrir, je ne serai jamais qu'un tremplin : ce sera à toi de courir et de sauter vers ce que tu vises. Je ne travaillerai pas à ta place. Mais pour ce que j'en ai vu, tu es motivée dans tes débuts. Puisse cette flamme dans ton regard que j'ai aperçu hier ne jamais s'éteindre. »

Il lui accorda un sourire qui se voulait encourageant.

« En fonction de ta progression, et si tu en as l'envie, je t'apprendrai éventuellement quelques techniques que je connais. Il est encore un peu tôt pour savoir quel est ton domaine de prédilection, et savoir vers quoi nous allons essentiellement orienter ton entraînement, aussi cela, nous le verrons en temps et en heure. Pour le moment, maintenant que tu sais tout, j'attends juste de savoir si tu es d'accord avec tout cela. Si c'est le cas, tu peux signer ici. »

Natsuki tira de l'enveloppe restée en retrait depuis le début un formulaire d'inscription pour son équipe. Non pas qu'il en avait besoin pour considérer Kasaï comme son étudiante, mais niveau archive, c'était important que tout soit en règle pour Konoha. Il eu cependant un mouvement de recul au dernier moment.

« Ah, j'oubliais. Il reste quelque chose que tu dois savoir sur ma façon de procéder. Je ne gère Matsudaï que neuf mois par an, du début du printemps jusqu'à la fin de l'automne. Durant l'hiver, tu seras livrée à toi-même. Libre à toi donc de passer cette période à t’entraîner en solitaire ou de le faire avec tes coéquipiers, mais moi, je ne serai pas disponible. »

Il fit à nouveau glisser le formulaire vers Kasaï sur les quelques centimètres qu'il avait reculé.

« Et si tu as des questions surtout, n'hésite pas. »