Les deux émissaires du Shôraizen venaient de quitter la pièce, laissant planer une atmosphère des plus tendues. Nous venions de refuser une offre qui d’ordinaire ne se refuse pas. Un pactole démesuré, une protection, un refuge, tout ça au prix de notre liberté. Inacceptable pour deux vagabonds comme nous, épris avant tout de leur indépendance. Les négociations s’étaient donc soldées par un échec, et un changement instantané d’humeur du Yamanaka, notamment. Notre refus l’avait irrité, et son discours nous laissait entendre que notre choix était mauvais, que nous n’étions que de simples pions.

Nous quittions rapidement la clinique où nous séjournions depuis trop de temps déjà, presque rétablis, pour mettre le cap vers notre prochaine destination. Quelle était-elle ? Je n’en savais encore trop rien, ce qui me préoccupait dans un premier temps était de quitter ce pays et laisser mes dernières blessures se rétablir avant de repartir à l’assaut. Ozaï était plus en forme que moi, mais comme moi, on ne pouvait pas le dire au meilleur de sa forme. Je repensais encore aux paroles des ex-konohajins. Des pions… Je ne me rabaisserai pas à en être un, je ne lui donnerai pas raison. Cependant, je pouvais être moi-même le joueur surplombant l’échiquier. Après tout, qu’avais-je de moins que les grands de ce monde ? Est-ce que je ne pouvais pas atteindre leur notoriété, leur pouvoir et leur influence ? Pourquoi pas nous. Nos projets étaient grands, démesurés, mais ils valaient la peine de tenter le coup. Après tout, refuser cette offre ne me procurait aucun regret.

« Nous allons voir les choses en grand, mon frère. »

Un ton plutôt solennel, un regard plein de projets. J’avais capté l’attention de mon acolyte, et je poursuivais.

« Avant l’intervention des deux cons, tu m’as parlé d’un projet ? Structurer nos actions, tu disais. Je ne peux qu’approuver, le temps est enfin venu de voir plus grand. Nos progrès ont été fulgurants depuis notre libération, et si nous arrivons à tenir la cadence, je suis persuadé que de grandes choses sont à présager pour nous. Ozaï, il est grand tant d’imposer notre loi, de s’établir durablement avant que l’on vienne nous traquer. Tu sais, on a du faire parler de nous, si ce n’est pas déjà le cas, Konoha aura des échos de nous, tout comme le reste des villages shinobis. Nous devons nous trouver des alliés. »

Notre discussion se faisait alors que l’on continuait à avancer, droit devant. Nous approchions d’un petit village, certainement civil.

« T’es pas assoifé toi avec toutes ces conneries ? Continuons à parler devant une bonne bouteille, viens. »

Je passais devant et rentrer dans ce qui semblait être un bar, suivi de mon acolyte.

Cette taverne n’avait même pas de piano, mais pourtant c’était vers celle-là qu’Howaito s’était tournée. Et naturellement, il avait justement fait ce choix pour cette raison. Ne pas avoir de piano dans la salle, c’était assurer à l’ancien moine une concentration optimale pour ce qu’il avait prévu de faire. Et ce qu’il voulait faire était loin des grands projets qu’on pouvait lui connaître. Depuis hier, il avait pris les commandes temporaires de l’établissement pour préparer des cocktails et autres breuvages exotiques.

L’idée était double, triple, quadruple… Car les boissons étaient une arme phénoménale. Quelle était la part des entrevues qui se déroulaient un verre à la main ? Au moins quatre sur cinq, et encore. Plus qu’un plaisir personnel ou à partager, une boisson était également le lieu rêvé pour qu’une drogue ou un poison vienne s’y glisser. Et c’était aussi cet aspect là que le Gekei expérimentait.

Mais comme souvent dans un bar, des clients affluaient. Et c’était le tour de deux hommes aux airs machos de passer commande. Howaito sous un tablier de parfait barman, prépara les verres et leurs contenus. Il prêta bien entendu l’oreille à leur discussion, mais fut surtout intéressé lorsqu’il entendit parler de ce Bras droit du Shûkai. Lui aussi, avec Jisetsu Homura, avait rencontré un haut placé de l’Alliance des Pays Neutres. Et là, l’idée d’introduire une drogue dans les commandes traversa forcément l’esprit du résident de Ta no Kuni.

« Tenez, messieurs. »

Mais à y réfléchir – chose que l’homme avait fait rapidement – il y avait plusieurs possibilités. Des tas, à vrai dire. Empoisonner était une façon de faire. Mais il pouvait simplement proposer une bonne somme d’argent aux trentenaires ou leur proposer un travail. Ce qui était sûr, c’est que le duo semblait un minimum rodé et cupide. Leur donner une raison et une façon de s’exprimer pourrait être une « monnaie d’échange » toute à fait satisfaisante pour eux.

Néanmoins pour l’instant le mieux était tout simplement d’attendre. La suite viendrait, selon ce que feraient ou diraient ces deux hommes qui au fond… semblaient être des shinobis. Difficile d’imaginer que des civils puissent avoir des projets aussi ambitieux financièrement avec sérénité.

Spoiler:

Accoudés au comptoir, je commandais de quoi nous abreuver abondamment. Nous avions bien mérité un petit plaisir depuis le temps, après avoir frôlé la mort, puis s’être accroché à la vie. J’avais eu le temps de réfléchir à tout cela durant ma période de convalescence, et j’avais constaté et admis une chose : nous ne pouvions pas nous permettre de finir dans un tel état après chaque mission. D’une part le risque d’y rester était trop important, et d’autre part le temps perdu à récupérer de nos blessures était un cruel manque à gagner qui nous plafonnait à l’état de bandit de bas rang. Tout le contraire de notre objectif au final.


« Nous avons fais une erreur de débutants. On a failli y rester, pour au final en être au même point qu’à notre départ en mission, niveau pognon. Faut qu’on repense le truc, t’as des suggestions ? »

Après ces quelques mots envers mon partenaire, je posais un regard froid sur le barman qui venait de poser deux verres à notre niveau. Son attitude n’avait pas grand chose d’anormal, si bien que je ne m’attardais pas plus longtemps sur lui, trop pressé de m’enfiler ce premier verre. D’ailleurs, nous apporter notre consommation au verre alors que nous étions là pour boire un fût était une chose optimiste de sa part, mais cela demeurait son problème, tant qu’il ne traînait pas.

J’attrapais le breuvage devant moi, trinquait avec Ozaï, puis l’avalait d’un trait avant de reposer le verre avec force. Le claquement du verre contre le comptoir s’était entendu dans toute la pièce. J’avais attiré l’attention de pas mal de clients qui se retournaient dans ma direction. Soudain, je sentais une certaine colère monter en moi. C’était étrange, presque sans raison, mais ce type à un mètre à peine de moi, qui me regardait de travers, j’allais lui casser la gueule. Sans raison.

Je me levais, et avant qu’il eut le temps de réagir, je n’étais déjà plus qu’à quelques centimètres de lui et lui éclatait la face contre la table à laquelle il était assis, brisant celle-ci. C’est qu’il avait la tête dure ce con, éclatée, mais dure. Néanmois, j’étais toujours comme énervé, prêt à m’en prendre à n’importe qui. Il n’y en avait qu’un à qui j’allais laisser un sursis, hormis Ozaï que j’arrivais encore plus ou moins à reconnaitre, et c’était le barman.


« Remet-moi la même chose, et vite. Sinon je t’éclate le nez sur ton comptoir comme à l’autre con ! Et me regarde pas comme ça ! »