Réveil en sursaut, après une nuit entre rêves et cauchemars, dans une atmosphère languide. Les lueurs pâles de l'aube irriguaient son dortoir. Aveuglé, il ombragea ses yeux avec l'axe de ses paumes, puis il se leva de sa couche avec dynamisme et constata, une fois debout, que la pièce dans laquelle il avait dormis s'était complètement vidée. Il était seul, au milieu d'une salle où l'écho de sa respiration grondait. En même temps, il devait s'y attendre, car comme pour beaucoup des membres indécis du Shûkai, Shizādo était un sans-logis et il avait trouvé asile dans un baraquement de fortune destiné aux personnes, comme lui, en instance d'intégrer l'armée. La plupart de ses paires se confrontaient d'ores et déjà au rythme de la société active du Shozaichi. Étrange fut cet appel du devoir, car ce fut le premier de sa vie, lui qui n'était guidé que par l'appât du gain et la soif de sang. C'était définitivement quelque chose de nouveau pour lui. En se disant cela, il partit se laver le visage dans l'évier commun, puis sans plus tarder, décampa. Le jeune Samui avait été un nomade pendant plus d'un an et demi, son côté sauvage avait donc eu le temps de dompter son côté civilisé, mais il demeurait, à mauvaise grâce, quelqu'un d'humain, un humain qui, à l'instar de tout un chacun, se posait des questions et parfois même, trop. Cependant, depuis que ses desseins avaient pris forme, les choses semblaient s'être éclairées. Ce petit navigateur suivait désormais une ligne de vent stable. En cette douce matinée d'été, ses pas lents l’emmenaient vers les hauteurs de la cité et plus particulièrement, au quartier général de l'armée de l'Empire Ninja. Après trois jours de formalités administratives et de tests physiques, le Shûkai lui avait enfin attribué une mission. Il ne restait plus qu'à voir de quoi il s'agissait.

Lorsqu'il gagna le poste de commandement du Palais, on lui demanda très vite de décliner son identité et il s’exécuta sans broncher. Une fois toutes les modalités validées, ils conduisirent Shizādo jusqu'au jōnin qui le parrainait. Ce dernier était un homme au menton fuyant et au regard stérile, le front ceint d'une longue estafilade. Il accueillit notre héros avec une politesse qu'il ne connaissait guère et l'invita à le suivre jusqu'au tableau des directives, un grand mur de liège sur lequel étaient accrochés des papillons adhésifs. Il ne mit pas longtemps à trouver quel arrêté l'intéressait le plus et une fois la feuille entre ses mains, il constata que c'était bien plus qu'une simple fiche désignant une besogne à accomplir quelque part dans le Pays, il était en fait question d'une missive, d'une lettre codée, destinée à un certain Tōhatsu Akihide. Quel place avait un tel message, ici ? Ce fut un mystère qui l'obnubila bien vite. Toutefois, il n'en fit pas part à son sempaï au moment où il quitta les lieux, après avoir signé un acte de présence dans lequel il signifiait avoir trouvé une mission de rang C. Après tout, ce mauvais élève n'était pas loquace et il l'était encore moins lorsqu'il avait quelque chose à cacher. Ses mimiques le trahissaient parfois, mais pour palier à cela, il s’efforçait de ne pas rester trop longtemps au contact des gens, donc il s'éloigna de son supérieur aussi vite que faire se pût. L'ombre imparfaite d'un cèdre blanc sous lequel il alla trouver assise fut la seule compagne dont il apprécia la présence, alors qu'il tentait de déchiffrer cet étrange courrier. Miser sa première mission sur une chance incertaine était un risque, un énorme risque, mais il le prenait et il mettait, même, son tapis. Peut-être était-ce un message délivré à plusieurs shinobis, connaissant la clé du chiffrement ? Peut-être était-ce une correspondance un peu secrète entre deux ou trois personnes ? Peut-être était-ce une simple conversation entre deux amants ? Toutes les hypothèses n'étaient pas à éviter, néanmoins, à ses yeux, quelque chose clochait.

Malheureusement, il y avait encore beaucoup de chemins à faire entre savoir qu'il y avait un hic quelque part et connaître le fin mot de l'histoire. La situation était bien trop floue et plongé dans le dédale de ses pensées, Shizādo fixait les numéros avec une telle concentration que ses yeux s'en étaient embués. En faisant le point, il fut obligé d'admettre qu'il ne savait rien, si ce n'était un détail : le destinataire, cet Akihide, encore méconnu. Cet homme était la trame de fond de son aventure, en d'autres termes, celui qu'il fallait retrouver pour que l'histoire puisse se développer. Personne n'aurait été surpris d'apprendre que pour gravir la montagne, il fallait commencer par le bas. Ce fut avec la force d'esprit d'un escaladeur qu'il se leva et partit directement à la chasse aux informations, écumant chaque nouvelle de part et d'autre de la ville. La moindre des pistes était bonne à prendre. Alors qu'il recherchait sa cible depuis déjà deux ou trois heures, il tomba sur une stèle intéressante dans un quartier, quelques rues au dessus des galeries marchandes, qui abritait un clan capable de maîtriser, à souhait, leur cuir chevelu, une stèle sur laquelle étaient gravés ces deux mots « Tōhatsu no Ichizoku » (le clan des Tōhatsu). Sans plus attendre, il pénétra dans la zone pour se confronter aux membres du clan Tōhatsu, avec l'espoir de trouver, parmi eux, ce fameux Akihide. Des masures colorées se succédaient dans une symétrie parfaite, un peu comme si elles étaient emboîtées les unes dans les autres. En les longeant, il aperçut plusieurs groupes d'enfants courir et se bousculer en poursuivant un gros chien. Il décida de les suivre, avec la même promptitude qui l'animait depuis le début de la journée. Guidé par les cabrioles maladroites de ces jeunes enfants, Shizādo se retrouva très vite nez à nez avec un homme, grand et strict, les bras croisés, qui l'examinait avec une attention soutenue. Il fallait bien le concéder, tourner autour d'un groupe de bambins était tout de même un acte assez louche et ce ne fut pas une chose qui passa inaperçu aux yeux de cet homme et sûrement, d'un bon nombre d'autres.

À en juger par la tunique qu'il portait, et plus particulièrement, par le symbole qui ornait son poitrail, celui des Tōhatsu, présent sur la stèle à l'entrée de la zone, il y avait de grandes chances pour que cet adulte lui permette de mettre un visage sur le nom de Tōhatsu Akihide. Alors, que fallait-il en penser au final ? Est-ce que cet obstacle n'était pas finalement une opportunité, voire peut-être même la meilleure depuis le début de sa quête ? Sa réponse allait le déterminer.