Tu es tendue aujourd'hui, Megumi-chan. Pourquoi ne vas-tu pas découvrir ce petit village que l'on a contourné hier? Ça te fera du bien. On pourra parler de ça à ton retour. Tiens, voilà même quelques ryo pour t'acheter un livre si tu en trouves un à ton goût. Je ne quitte pas cette clairière, donc tu me retrouveras sans mal au besoin. Voilà les mots qu'il m'avait dit alors que ses iris d'améthyste ricanaient de ma moue songeuse. Sur ce, il s'était détourné de moi et avait ouvert un pot d'encre et saisis un pinceau, prêt à écrire quelconque haïku alors que mes pas m'éloigneraient de lui. Quel être mystérieux. Il y avait un peu plus de trois ans maintenant que je voyageais en sa compagnie et, pourtant, il y avait encore des choses que je ne comprenais pas à son sujet. Je baissai mon regard cyan vers les pièces reposant dans ma main blafarde, les faisant tinter au passage en bougeant quelque peu. Sauf si je trouvais une boutique d'occasion, il n'y avait là que la moitié du montant suffisant à l'achat d'un livre réellement intéressant. L'avait-il fait exprès? Souji ne pouvait ignorer la valeur d'un ouvrage, il y avait donc derrière cela une intention particulière. Me forcer à visiter un certain commerce où les prix étaient adaptés à mon budget? Il en serait largement capable. Peut-être, toutefois, voulait-il me forcer à acheter autre chose de moins onéreux, tel un peu de nourriture. Voilà qui était une autre piste moins improbable qu'elle n'y paraissait. Je laissai tomber un soupir. Pourquoi ne pouvait-il pas tout simplement me faire part de ses intentions au lieu de se jouer de moi de la sorte? Cet homme avait le don remarquable de m'énerver, voilà qui était inéluctable.

Je m'approchai du village m'étant inconnu, perdu quelque part dans le pays du feu. J'avais passé ma vie à le parcourir et, pourtant, je ne le connaissais au final que très peu. Sois j'avais été trop jeune pour me soucier des chemins empruntés et des villes croisées, soit j'étais en compagnie de Souji. Il ne me disait jamais où nous allions, ni ce que nous y ferions, mais il savait toujours ce vers quoi il avançait. Sa longue chevelure brune ondulant dans le vent, il avait toujours cette satané posture confiante, le regard rêveur. J'aurais pu le croire innocent si je n'avais pas commencé à gratter la vérité. Il avait d'ailleurs fallu longtemps pour cela, trois ans avant que je ne commence à me montrer suspicieuse de certain de ses agissements. Et dire que maintenant je le laissais m'amadouer avec la promesse de livres plutôt que de le harceler de questions. Il me rendrait folle à force de jouer avec ma tête, c'était presque certain. Au final c'était peut-être une bonne chose que je m'éloigne, ne serait-ce que quelques heures.

Absorbée en mes réflexions, ce n'est qu'au bout d'un certain temps que je remarquai que plusieurs me jetaient des regards curieux avant de retourner à leur besogne. Encore et toujours mon maquillage qui attirait leur attention, n'est-ce pas? Je ne me souvenais même plus comment cela avait commencé, mais Souji avait été si enthousiaste à l'idée que l'on me regarde moi plutôt que lui qu'il m'avait encouragé à ne m'en départir jamais. Si, au départ, j'avais souhaité me plier à sa volonté pour lui faire plaisir, c'était maintenant par envie personnelle que j'appliquais cet ornement coloré à mes paupières chaque jour. Le regard ainsi alourdi, je me sentais plus confiante, plus forte et mon regard plus acéré et inquisiteur. Ainsi parée, je me sentais supérieure. Il semblerait toutefois que, pour ces paysans, supérieur signifie également différent et donc, de fil en aiguille, dangereux. Voilà qui me donnait presque envie de ricaner. Comme ils auraient été déçus de savoir que les apparences étaient à ce point trompeuses. Je n'étais rien, qu'une simple adolescente de passage qui se demandait si elle aurait assez de monnaie pour acheter un livre. Malgré cela, il semblerait que certains étaient décidés à me créer des ennuis, me coupant le passage net alors que la rue semblait plus étroite. Ils étaient deux, grands bien que plutôt maigres. Tout autour, les autres paysans semblaient tous occupés à autre chose, certains quittant carrément la rue comme s'ils avaient été appelés ailleurs. Je fronçai les sourcils, masquant mon inquiétude derrière une façade d'agacement.

- Alors, on s'est perdue? On peut peut-être te donner un coup de main si tu veux. Fais donc voir ce que t'as amené avec toi.

Soupir courroucé, attitude distante, déjà prête à faire volte face.

- Si vous voulez de l'argent, vous n'avez qu'à travailler comme tout le monde.

Le ton avait été froid, sans appel. Je voulais fuir cet endroit au plus vite. Si seulement Souji m'avait accompagné au lieu de rester là-bas à écrire ses satanés haïku, je n'aurais pas été dans une situation comme celle-là. Je me mordis la lèvre inférieure lorsque je constatai, à mon grand damne, que deux autres hommes étaient en train de s'avancer plus loin dans la rue, se préparant à me bloquer le passage. Comment avais-je pu ne pas remarquer tout ça?! Comme quoi je n'étais vraiment rien de plus qu'une amateur, perdue sans son maître pour lui donner des repères. Rapide regard circulaire autour de moi. Bingo, une ruelle, à mi-chemin entre moi et l'un de ces grands dadais. Je pris mes jambes à mon cou, bien évidemment imitée presque immédiatement par mes assaillants. Dans ma course, je leur jetai mes ryo au visage, espérant les occuper suffisamment ainsi pour leur échapper. Dire que, contre toute attente, cela fonctionna. Un regard par dessus mon épaule me permis d'en voir trois se stopper net et se battre pour récupérer les pièces, le quatrième me poursuivant toujours sur quelques mètres avant de retourner en arrière pour négocier sa part. Voilà qui était si ridicule que j'en aurais presque ris.

Je ne m'arrêtai que plusieurs rues plus loin afin de reprendre mon souffle. Personne sur mes trousses. C'était presque trop facile. Remarque, il valait sans doute mieux comme ça. Seule, malgré ma mince formation ninja, je n'aurais sans doute pas fait long feu si l'un seul d'entre eux avait su se battre. D'ailleurs, je me demandai vaguement si Souji n'avait pas prévu tout cela. M'aurait-il donné cet argent simplement au cas où pareil cas de figure viendrait à se produire? Voilà qui était des plus curieux, assurément. Toujours plongée dans mes pensées, je voulu me remettre en chemin. J'allais parcourir la distance me séparant encore de la sortie du village, me retournant sans penser que je puisse tomber sur quelqu'un d'autre. Je m'immobilisai, le détaillant de mon regard vif, me demandant s'il n'était pas affilié aux quatre affreux que je venais de semer. Étant bien trop fidèle à mes habitudes pour en changer, je m'adressai à lui d'un ton sec, ne prenant pas la peine de tergiverser. Peut-être aurais-je du prendre le temps de réfléchir, pourtant, au lieu d'accuser à tort un innocent. Remarque, voilà qui est bien relatif.

- Vous êtes avec les autres? Je leur ai déjà laissé ma monnaie alors ce n'est pas la peine de me barrer la route. Enlevez-vous de mon chemin.

Je ne quittais pas le nouvel arrivant du regard, bien trop sur la défensive pour cela. J'avais même effectué un petit mouvement de recul alors que quelques mèches de ma frange de suie vinrent tomber devant mon visage aux traits de craie. Je lui avais adressé la parole d'une manière sèche et hostile, mais l'inconnu ne sembla pas s'en formaliser, comme s'il eut été parfaitement étranger à ce qui venait de se passer un peu plus tôt, quelques rues plus loin. Était-ce une raison pour me montrer moins méfiante? Non, pas du tout, il était bien trop facile de faire comme si pour finalement être dans le coup. Ce furent ses paroles qui, plus que son attitude, me poussèrent à hésiter. Si le début était classique et qu'il ne me donnait au final aucune indication réelle sur les motifs de la présence de cet homme, la suite en fut autrement. Lui expliquer à qui il devrait mettre une raclée? Et m'inviter à boire un coup ensuite? C'était à se demander sérieusement qui de cet individu ou de ce quatuor était le plus inquiétant. Que ce soit l'un ou l'autre, je préférais encore tenter de faire cavalier seul afin de me sortir de cette situation de mes propres moyens. De toute façon, je les avais déjà semés, n'est-ce pas?

- Votre implication n'est pas nécessaire, ils doivent être encore loin. J'ai tout le temps nécessaire pour prendre la--

- Elle est là les gars!!

Ne me dites pas?! Je tournai vivement un regard inquisiteur vers la provenance de ce signal vocal. Tel qu'anticipé, voilà l'un des quatre affreux venait de tourner l'angle et courait vers nous, bientôt imité par les trois autres. Il semblerait que la maigre somme que je leur avait abandonnée s'avérait au final insuffisante. Je jetai un regard en coin à l'autre individu, aucun mouvement pour m'empêcher de fuir. Peut-être au fond était-ce vrai qu'il n'avait rien à voir avec ces autres individus. Quoi qu'il en soit, je ne le connaissais pas du tout et je ne comptais pas jouer ma sécurité sur un jet de dé. Soit il s'était avéré sérieux et le problème serait donc réglé, soit il ne l'était pas et tout tournait mal. Remarque, il était aussi probable qu'il tente de leur régler leur compte, mais qu'il n'y arrive pas. Au final, il me serait néanmoins une distraction sans doute bien plus efficace que quelques malheureux ryo.

- Je dois partir.

Lui lançai-je seulement. À lui de décider de ce qu'il ferait de son propre côté. J'étais incapable de faire suffisamment confiance à un inconnu pour lui demander de me protéger, d'autant plus que ma fierté mal placée n'aurait sans doute pas apprécié. Je devais réussir à quitter cet endroit et regagner la compagnie de Souji. Lui saurait mettre un terme à cette poursuite ridicule. Malgré tout, avant d'être trop loin, je jetai un regard curieux vers l'arrière, par dessus mon épaule. Je cessai ma course net lorsque je vis quel spectacle s'offrait à moi.

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