C’est au pied d’un arbre que l’on retrouvait Eden. Bercée par la fraicheur de son ombre imposante, la demoiselle profitait d’un instant de paix et de repos. Rares étaient ses moments où elle prenait le temps de s’arrêter, ne serait-ce que pour une heure ou deux. Courir sans cesse être lassant, éreintant. Elle n’était pas une sur-femme, souvent la faim et la fatigue la rattrapaient. Un rappel à l’ordre plutôt violent mais nécessaire, pour la bonne santé de la Kaguya. Ici, l’épuisement forcé l’arrêt. Assis dans l’herbe, le dos calé contre le tronc de l’arbre, l’ombrageuse demoiselle prenait le temps de souffler … Mais dans son repos, elle se surprenait à admirer le ciel, la faune, la flore. Sa quête et ses projets la rendaient aveugle à la beauté du monde, de la nature, de la vie tout simplement. Depuis quand n’avait-elle pas prit le temps de contempler toutes les richesses de la nature ? Hmm … Elle n’avait ni le temps, ni l’envie de cela. Elle avait l’impression de se battre contre la montre dans ce but qui lui semblait si … Inaccessible et utopique. Un instant de doute venait ébranler sa détermination. Mais bien vite, la jeune femme se reprenait … Tenzô n’avait pas changé la condition des Kaguya en un jour, la patience était de mise. Tout comme l’envie de vaincre. L’envie de vaincre hein ? Pouvait-elle seulement se battre sans se tordre de souffrance ?

A ce songe, Eden soupira longuement tout en baissant le regard vers sa main. Cette dernière venait de se tendre vers l’avant, paume en direction du ciel. Sa peau alors vierge de toute trace commençait à se fendre douloureusement. La blancheur de sa peau vira au rouge tandis qu’une pointe opale émergeait e jaillit de sa chair. Son visage se déforma par une expression de douleur. L’extraction terminée, non sans mal, Eden tenait dans sa poigne maintenant fragile une dague d’os. « Barbare … » Murmura-t-elle pour son propre compte. Elle ne pouvait s’empêcher de trouver le Shikotsumyaku cruel. Sacrifier ses propres os pour pouvoir se défendre … Bon évidemment, les Kaguya ne finissaient pas dépourvu de squelette, mais quand elle s’imaginait en train de s’arracher les vertèbres pour se battre …. La jeune femme ne pouvait retenir un frisson d’effroi et de dégout. C’était si … Irréaliste et douloureux. Quand bien même Eden était révulsé par cette approche si abrupte de son don héréditaire, elle était fière de porter l’emblème de son clan. Cette même fierté l’avait poussé sur la route, à vouloir poursuivre l’œuvre de Tenzo. Telle une folle insignifiante et sans valeur qui se prenait pour une géante, à prétendre pouvoir soulever une montagne. Bon … Bien sûr, elle ne se sentait pas vraiment capable d’une pareille prouesse, mais voir le destin des Kaguya se dorer par la gloire et le respect était son souhait, son envie d’avenir.

Mais rêvasser n’aidait pas à obtenir ce qu’elle voulait ! C’est donc avec entrain que la demoiselle se redressa. Elle glissa son poignard d’os dans sa sacoche et se saisit d’un onigiri, gracieusement offert par une vieille dame durant sa traversée d’un modeste village. Tout en reprenant le sentier, elle croqua dans sa boule de riz, songeant à la suite. Le Pays n’avait plus rien à lui apporter. Elle avait vécu sur ces terres pendant bien trop longtemps, l’appel du grand large était si fort … C’était clair pour elle maintenant, Eden se rendrait sur l’archipel natale. Elle devait trouver d’autres Kaguya, apprendre d’eux tout en aidant à redorer l’image de son clan, et poursuivre l’œuvre de son « Héros » national. Plus que motivée, l’ombrageuse demoiselle pressa le pas vers sa nouvelle destination.

Eden était légèrement dans ses nuages. Elle se posait beaucoup de questions sur la suite, sur le futur. Que trouverait-elle à Mizu ? Si ce n’est de l’eau, des pécheurs et une politique probablement atroce ? Elle n’en savait rien à vrai dire, c’était juste … Son instinct qui lui soufflait cette voie. Et puis bon, les Kaguya étaient natifs de Mizu. Surement trouverait-elle leur trace la bas. Et si ce n’était pas le cas ? He bien, sa route serait toute autre et ses voyages nombreux. Faire le tour du monde et des Nations n’était pas déplaisant en soi. Dans ces voyages, elle rencontrait maintes personnes, des bonnes comme des mauvaises, elle serait forcée de se battre et s’entrainer, ce qu’elle voulait accessoirement. Mais c’était avant tout pour mieux se connaitre, ses limites, ses atouts, s’améliorer aussi. La conquête de soit mène à la conquête de tous après tout. Surement Eden tirait d’elle de la sagesse et de l’expérience dans ce « tour du monde ». Mais ce plan portait le nom de B. A était son retour à Mizu et il devait être exécuté avant de songer à la suite. Une idée après l’autre après tout. Pas étonnant qu’elle soit paumée à se faire parasiter par toutes sortes d’envies et de plans aussi diffèrent les uns des autres.

Tout en mangeant son onigiri, Eden poursuivait sa route vers le village portuaire qui lui avait servi de refuge le temps de son enfance. De là, elle prendrait la mer pour l’archipel des eaux. Cela faisait quelques mois qu’elle avait quitté le village. Et y retourner lui donnait l’impression d’être une fugueuse qui revenait à la maison, presque naturellement, comme si rien n’avait eu lien, qu’aucun changement n’était à prendre en compte. Avait-elle vraiment changé en si peu de temps ? Pas vraiment. Elle n’avait affronté personne, n’avait jamais arraché une vie. Eden savait juste user de ses os. Du moins elle le faisait en faisant fi de la douleur, elle apprenait doucement à s’en servir, repousser la souffrance de sa chair qui se déchirer. D’ailleurs, dans cette réflexion, la jeune femme venait à toucher la blessure de sa paume des doigts. Sa peau commençait déjà à se refermer, tant la régénération des Kaguya était exceptionnelle. Un os arraché, un autre déjà en place.

Son encas terminé, la jeune femme essuya sa main dans un mouchoir avant de le ranger dans sa poche et réajuster les pans de son manteau de voyage, se cachant d’avantage de la fraicheur. Le vent était froid et désagréable, encore plus à cet instant ou les bourrasques étaient plus présentes et forte. Une bourrasque suffisante pour porter un ange lugubre qu’elle n’avait pas encore vu. Cependant, elle ressentait quelque chose d’étrange. Une aura funeste, sinistre qui la fit frissonner. C’était de mauvais présage. Plus qu’un mauvais présage même … Attentive, et méfiante, la demoiselle fit halte en entendant un bruit dans son dos. Elle soupira silencieusement sans se retourner, laissant son imagination faire le reste. Un monstre ? Un ours ? Un fauve ? Bref, un ennemi ? Jamais n’aurait-elle la paix ? Le fourbe ennemi – oui il faut l’être pour passer par derrière – agrippa l’épaule d’Eden ce qui la fit bondir. D’un mouvement habile, la Kaguya fit volte-face tout en bondissant en arrière pour s’éloigner. Devant elle, une … femme ? Sa tenue était plus que légère, son visage masqué et sa peau marquée par endroit. Quelle était encore que cette énergumène ? De sa place, la jeune femme l’observait, la main proche de sa sacoche d’armes, au cas où. L’ombrageuse demoiselle la toisait sous sa mèche sombre, laissant apparaitre à demi l’emblème de son clan. « Tu veux quoi ? »

Eden dévisageait l’olibrius qui se tenait devant elle. Cette femme n’était en rien rassurante. Son aspect, ses réactions, ce petit quelque chose qui amener d’elle et qui n’envisageait rien de bon. Sa simple vue suffisait à effrayer les moins téméraires. Mais la Kaguya l’était et quand bien même elle était prise par la peur, elle restait curieuse de savoir pourquoi l’énergumène l’avait arrêté, même suivi. Cela devenait une habitude de se faire prendre en filature. Pour commencer, ce renégat étrange répondant au nom de Matawa, et maintenant cette femme masquée. Va falloir être plus prudente … Se disait-elle à ce moment. Bon, pour le coup elle n’avait pas cherché à être discrète. Elle ne se cachait pas pour emprunter le sentier principal. Mais la tranquillité et le calme venaient parfois à lui manquer. Et ces deux faits étaient des denrées rares en ces instants. Maintenant, elle devait s’assurer des intentions de la femme. Amie ou ennemie ? Qu’importe, elle était une menace dans l’heure actuelle. La jeune femme avait toujours été très méfiante et jamais elle n’avait accordé sa confiance à quiconque. Nulle n’avait trouvé du crédit à ses yeux, comme quoi l’atteindre n’est pas aisée, ni même ‘acheter’ sa loyauté. Cependant, aussi méfiante soit-elle, Eden savait se montrer opportuniste. Peut-être pourrait-elle trouver un peu d’intérêt dans les objectifs d’autrui.

En gage de bonne foi, la femme lugubre sortit de ses affaires un bandeau de ninja. Première information : Elle savait se battre. Eden ne doutait même pas de ses capacités, ni même du fait qu’elle pouvait se faire écraser à la moindre offense. L’offenser ?... Etait-ce simplement son but ? Non, Eden se foutait pas mal de cette femme. Elle n’allait pas s’armer de pincette pour lui répondre. Pire, une fois l’échange finie, la demoiselle reprendrait sa route vers la mer, oubliant presque la rencontre qu’elle venait de faire. Pas d’attache, pas d’intérêt. Elle était ainsi. Mais là, elle lui accordait un instant son attention, peut-être serait-elle utile ? Et son appartenance à Kiri était une bonne approche pour attirer l’attention de la Kaguya. Mais était-ce vrai ? Qui sait, ce bandeau aurait pu être aisément arraché à un cadavre. C’est pourquoi l’ombrageuse demoiselle n’apporta qu’un regard bref à cet insigne. Elle l’avait rarement vu, ayant quittée sa terre natale très jeune. Elle avait plus vu le symbole de la feuille durant sa vie que celui de l’eau. Mais qu’importe ce détail, Eden pouvait bien accorder un peu de temps à une « compatriote ». Une compatriote qui, toutefois, la rendait curieuse. Qu’avait-elle fait pour paraitre ainsi ? Si peu … Humaine. Qu’avait-elle subi pour être ainsi ? Sous sa réflexion déplacée, la manieuse d’os fronça les sourcils, sa curiosité n’avait pas lieu d’être. Elle n’avait pas envie de savoir ni même de connaitre cette lugubre femme. Sagement, elle ferma les yeux sur ses questions.

La Kaguya fut arraché de ses songes par un son bien caractéristique. Elle dévisagea un instant la femme avant de soupirer. Une main plongea sous son manteau de voyage, elle semblait fouiller dans un sac qu’elle portait à la hanche, tandis que la lugubre inconnue prit la parole. La créature parlait alors que Kiri, du moins anciennement Kiri, mais aussi que cette rencontre ne la laissait pas indifférente. Elle soulignait aussi son envie de passer du temps en sa compagnie. Profiter de sa compagnie ? Pauvre folle …. Elle ne savait pas à qui elle avait à faire. Pas que la Kaguya soit dangereuse, mais sa compagnie n’était en rien enviable. Elle était taciturne et d’une nature peu loquace, si elle voulait philosopher sur le sens de la vie, la politique ou le chant des oiseaux – ironie je précise – elle n’avait pas choisi la bonne personne. Extirpant sa main de sous son manteau, Eden balança à la lugubre femme une boule de riz plutôt gluante et sucré. Un daifuku, elle avait faim après tout … Et si elle n’aimait pas les daifuku ? Tant pis, elle n’aurait rien d’autre. A ce geste ‘charitable’ elle ajouta. « Ça m’dit en rien ce que tu attends. Si tu cherches des amies, passe ton chemin. » Fit-elle d’une voix plutôt froide mais neutre. Elle lui lança un regard avant de se détourner à moitié, regardant à l’opposé …. Vers sa destination. Un soupir silencieux passa ses lèvres. « Mon lien avec les Kaguya t’arrange bien non ? Qu'est ce que tu veux ? Viens en aux faits. » Déclara Eden en tout simplicité. Mais c’était plus un : Crache ta pilule avant que j’me casse, déguisé. La jeune femme n'aimait pas perdre son temps et tourner autour du pot.

C’est d’un œil plutôt intrigué qu’Eden observait cette métamorphose. La fleur putride était devenue une rose flamboyante. Surement était-ce son apparence d’autrefois. Mais pourquoi le montrer ? Une sorte de rechute étrange et inexpliquée ? Cette femme était vraiment curieuse, et paraissait totalement instable. Son regard était emplit de vice, presque serait-il effrayant. Et surement Eden avait-elle tort de se montre aussi confiante. Mais le plus étonnant restait à venir. En effet, la nouvelle rousse venait de s’armer d’os. Ses avant-bras étaient maintenant ornés de matières opales, supplément de radius. Sur son os frontal poussait également deux protubérances, similaires à des cornes la rendant encore plus monstrueuses. Face à cette démonstration plutôt modérée, la brunette haussa légèrement les sourcils, surprise. Elle était loin de s’attendre à cela. Comment aurait-elle pu deviner que l’autrefois rousse était de son clan. L’emblème n’était pas visible sur sa peau fortement dénudée et mutilée. Mais quelque fut l’ampleur de cette surprise, Eden n’haussa que les sourcils. Mais ceci expliquait cela, autrement dit son intérêt et cette conversation. Cette découverte attisait aussi la curiosité de la jeune Kaguya. Elle cherchait des membres de son clan, et ils venaient tout simplement à elle. De la chance ? Pas sûr, l’Errante ne croyait aucunement à la chance, encore moins aux coïncidences. Rien n’arrivait pas hasard selon elle. Et la suite fut on ne peut plus intéressante. La femme fit une proposition alléchante à la jeune femme : La suivre à Mizu. Cela ne changeait rien à ses propres plans et elle n’avait aucune raison de refuser – si ce n’est la compagnie qu’elle ne souhaitait pas forcement-. Mais ce détail mise à part, Eden ne comptait pas refuser, ce n’était pas dans son intérêt.

Presque aussitôt, un groupuscule de femmes apparut derrière la créature, restant en retrait. Seule l’une d’elle approcha. Eden l’observait avec neutralité, sans un mot, attendant plutôt qu’elle s’annonce. Etrangement, elle ne craignait pas cette arrivée d’amazone, le manque de combativité de la ‘suivante’ la rendait confiante, ou du moins assurer qu’elle n’était pas hostile. Cependant, l’apparition de phalanges arracha un froncement de sourcils à la brunette. Une autre Kaguya ? La créature rassemblait des manieurs d’os pour retourner à Mizu ? Qui sait qu’elle était son but. L’arrivante ne disait rien, montrant juste qui elle était par cette attaque, rip écorce de l’arbre. Sur cette apparition, la rousse reprit la parole. Elle donnait clairement son objectif : rassembler les Kaguya sous la même bannière, direction Mizu no Kuni. Nul doute qu’ils seraient plus nombreux la bas. Puis, elle l’invita tout bonnement à la suivre, si toutefois cela l’intéressait. L’illusion prit fin et la rose flamboyante fana de nouveau … La suite, Eden ne l’écoutait que d’une oreille distaite. Elle parlait d’errance, et qu’elle ne souhaitait pas cela pour la Brunette. Mouais. Eden n’errait pas totalement, elle voyageait à travers les pays et les villages pour s’améliorer et se découvrir elle-même. Qu’importe cette rencontre, ces plans restaient inchangés ainsi que sa destination.

Pendant un court instant, l’Errante regardait la troupe d’amazone tourner les talons pour prendre le sentier, direction la mer. La rousse – qui semblait être la chef – agita la main en guise d’au revoir, tout en se présentant sous le nom de Freya. Après un court moment de silence, on pouvait entendre les pas de la Brunette sur les talons de cette Freya. Pour Mizu, elle serait de la partie, elle la suivrait, sans être fidèle, sans être loyale. Peut-être reprendrait-elle sa route plus tard qui sait ? Pour le moment, elle empruntait le même chemin qu’elle, gardant une petite distance avec le groupe le temps de les rattraper. Quand elle pressa le pas, elle se faufila entre les femmes, jouant parfois des coudes pour se frayer un chemin. Enfin, elle passa à côté de la Kaguya silencieuse pour apparaitre à côté de l’autrefois rousse. « Eden … »

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