En bouillie. Elle n’était plus qu’un corps vidé de toute émotion, en ayant trop ressenti au cours de ces derniers temps. Son cerveau ne lui permettait plus de réfléchir posément aux actes et son esprit luttait contre le noir. Un noir menaçant, un noir pesant … Une partie si ombragée de ses songes qui ne devaient pas être explorées. Jamais.
Seule, une voix la maintenait encore éveillée. Une sorte de souffle, extrêmement faible et inaudible aux oreilles humaines, qui traversait son cerveau depuis quelques minutes déjà. Un bruit insupportable, une sorte de sifflement qui l’empêchait de dormir. Oui, tout ce que cette poupée de porcelaine désirait était dormir. Rejoindre un sommeil quasiment éternel afin de se réveiller lorsque la guerre entre son cœur et son devoir serait terminée. Pourtant, encore trop consciente pour céder à la fébrilité, Hana restait debout, à trainer des pieds dans cette forêt sans fin.

Son corps, d’une lourdeur écrasante, ne lui répondait qu’une fois sur deux, obéissant plutôt aux ordres de la seconde moitié : Kaori. Celle-ci s’affairait à mettre des claques mentales à la kunoichi pour ne pas qu’elle dorme. Rester éveillée se résumait à vivre et … Comment accomplir n’importe quel projet en étant accablé par la mort ? Cette odeur de soumission aurait déjà dû la répugner, non ? Kaori ne comprenait pas. Partageant les mêmes pensées que Hana, les voyant défiler une à une, les scrutant d’une manière attentive, elle aurait bien pu capter depuis très longtemps l’élément défaillant, non ? Et pourtant, rien ne lui venait. Il n’y avait que du vide. Une sorte de trou noir béant si vide que n’importe qui y mettant la main semblerait traverser un fantôme.

Elle avait beau hurler, « taper du pied », lui en vouloir, l’insulter, rien ne fonctionnait. Il y avait toujours cette étrange sensation de parler au vent. Pas de réponse, pas de hochement de tête, pas de souffle se modifiant, il n’y avait … que du vide. Que l’absence de réaction. Une Hana déprimante – et déprimée – qui, de par son état, pourrait énerver quiconque passerait par-là. Une kunoichi dépourvue de vie qui avait tapé sur la personne qu’elle … comment c’était déjà, ce mot ? Ai…aimait ? Oui, voilà … Hana avait agi à l’encontre de ses sentiments et son esprit semblait ne pas s’en remettre.

Allons bon. N’as-tu pas fini de pleurer en silence ? N’as-tu pas fini de te morfondre ? Vas-tu ouvrir les yeux ? Tu l’as attaqué … Mais n’était-ce pas nécessaire ? N’était-ce pas ce à quoi tu devais t’attendre en partant avec Ori ? Maintenant, ce qui est fait est fait, tu ne peux retourner sur le passé, tu dois te concentrer sur l’avenir.

Hana resta silencieuse. Aucune réponse, aucune réaction. Toujours cet étrange vide désagréable. Kaori soupira. Irrattrapable, affaiblie et surtout … D’une bêtise plus qu’affligeante. Le second morceau de conscience aurait, sur le moment, tout donné pour pouvoir lui coller une baffe monumentale afin de la réveiller. Cependant, l’évidence était là : Kao’ était condamnée à rester une simple parcelle d’esprit témoin des douleurs d’Hana. Oui, elle était bloquée dans cette bulle pour toujours, à contempler sa moitié pleurer sur son sort. Sauf … Que ses paroles avaient le don d’échauffer les idées noires de sa seconde. Mais pas n’importe quelles pensées ! Pas les tristes, pas les suicidaires, non … Kaori étant la partie « réaliste » des deux, elle arrivait rapidement à faire remonter les pulsions meurtrières qui sommeillaient au fond d’Hana. Oui … Son plus grand pouvoir résidait à travers cette faculté. Enerver sa moitié ? Non, ce n’était pas ça … Cela s’attachait plus à faire renaître son esprit combattif. En deux ou trois mots. Et là, Kaori commençait à trouver le point le plus douloureux. Elle n’avait plus … qu’à appuyer dessus avec le plus de puissance possible, non ? C’était parti.

Bon. À partir de maintenant, tu vas m’écouter. Et réagir. Parce que ça ne va plus du tout, là ! Déjà, tu sais aussi bien que moi que cet être un peu étrange t’aime. Dans le cas inverse, aurait-il agi ainsi ? Aurait-il fait en sorte de suivre ton sens ? Et puis, après tout, pourquoi te morfondre ? Tu le reverras. Et tout ira bien. Ensuite. Pauvre débile mentale. Ne sais-tu pas qu’en restant à trainer comme une idiote, tu ne changeras jamais le monde ? Pauvre conne. N’as-tu pas idée de tous ceux qui rêveraient d’avoir ton ambition ? Habituellement, tu ne flanchais jamais. Alors pourquoi ? Pourquoi agir ainsi maintenant ? Il te suffit de la présence d’un homme pour devenir faible ? Es-tu si fragile que ces femmes, dehors ? Es-tu aussi conne, bordel ?! Je n’y crois pas. ALORS RESSAISIS-TOI ! DE SUITE !

Electrochoc. Des vérités. Des vérités douloureuses. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas avant ? Hana secoua la tête faiblement. Pas faible ? Elle ? Alors pourquoi ce silence ? Pouvait-elle l’expliquer ? Pouvait-elle seulement répondre aux piques de Kaori ? Ce mystère agaçait encore la seconde parcelle qui, au final, ne savait pas comment prendre cette absence de réactions. Elle soupira derechef, jusqu’à ce que la petite voix de sa moitié s’élève dans le silence.

Tout d’abord, ferme-la. Je ne t’ai absolument rien demandé. Juste de garder le silence. Je ne peux pas réfléchir cinq minutes ! Elle ne s’arrêta pas, faisant, dans un second temps, taire Kaori qui voulut s’exprimer. Ensuite. Ce n’est pas le moment de faire comme si tu dominais. Je dois les tuer. Pour la douleur. Pour la haine. Pour la soumission. Je n’ai qu’à claquer des doigts pour que la poussière redevienne poussière. Je n’ai qu’à exploser en lambeaux pour que mon acte atteigne la perfection. Je suis l’Ange. Je suis l’envoyée du ciel, aux ailes arrachées, comme le dit Ori. Je suis … Oui. Je suis là pour elle. Et je dois détruire le monde imparfait que l’on nous a laissé pour en refaire un. Pour elle. Pour lui. Pour nous ? Je dois … Me battre. Ça te va, comme ça ?!

Et paf. Tombée dans le panneau. Comme une débutante. Elle était si naïve. Mais ce comportement rendait Kaori extrêmement heureuse. Ainsi, Hana se battait de nouveau. Un peu comme si le renouveau présent dans son esprit refaisait battre son cœur. Cependant, cette raison n’était pas la seule … Non, il y avait Ori, aussi. Et puis … Il y avait, mine de rien, Encho. Si le monde avait un nouveau motif pour changer, c’était bien grâce – à cause ? – de sa présence …

Hana releva la tête. Les remparts de Konoha. Alors c’était fini ? La marche s’arrêtait ici ? Il fallait s’arrêter ? Et reprendre la route sinueuse du changement ? Soit. Cette mise au point avec elle-même s’était, mine de rien, avérée plus que bénéfique. Oh, oui, bien plus que bénéfique …
La kunoichi, peu avant d’arriver, prit un kunai et s’entailla la jambe avec violence. Du sang. Cela devrait vite les faire chavirer, non ? Elle grimaça mais continua son manège, tâchant ses vêtements d’hémoglobine. Pareil pour sa lèvre. Sans se préoccuper de quoi que ce soit, elle se mordit, laissant du sang couler sur son visage. Ses cheveux, après quelques balayages de ses mains, furent totalement ébouriffés. Hana soupira légèrement et, pour finir, déchira un pan de son bas ainsi qu’un morceau de son haut. Voilà, elle était parée. Il fallait maintenant passer les barrières et retrouver Ori dans le village.

Sa démarche, au départ agile et gracieuse, était devenue lente et lourde. Un jeu de comédie s’installait alors. De l’aide. Il lui fallait de l’aide, non ? La demoiselle arriva non-loin des gardes et s’écroula. Sa cascade attira visiblement l’attention. Doucement, elle éleva sa main et, d’une voix faible, presque inaudible, elle mit le point de départ à sa manipulation.

« — S’il … s’il vous plait … J’ai … J’ai besoin d’aide … »

Il était apparu de nulle part, apparemment touché par le jeu de Hana. La demoiselle grimaça. Avec le mouvement, la douleur relative à l’entaille se faisait sentir. Mine de rien, la mutilation, que ce soit pour manipuler ou non, restait quelque chose de très douloureux. Mais la sensation désagréable qui la parcourait n’était qu’un détail mince par rapport à ce qui l’attendait. Une jeune femme, sceptique au plus haut point, apparut, suivant le premier garde. Extrêmement froide, elle aurait très bien pu la voir agoniser sur le sol que rien ne lui serait paru étrange. Alors ils étaient comme ça, à Konoha ? Les deux extrêmes, alignés en un seul groupe pour former une masse hétérogène ? Quel dommage.

Des détails, encore et toujours. Cette brunette ne voulait que des détails. Des précisions sur qui était Hana et ce qu’elle faisait là. Mais la jeune femme, bien avant de pouvoir répondre, fut coupée par l’homme naïf. Une … Marchande ? S’il le prenait comme ça, pourquoi pas …
La douleur ? Oui, elle était très présente, la fâcheuse douleur. La kunoichi hocha simplement la tête avec lenteur. Le puzzle se mettait en place silencieusement dans son esprit. Hana était donc une marchande venue à Konoha et qui, dans sa route, s’était vue attaquer par un groupe de brigands. Quel beau scénario. Quelles belles idées. Très bien, cela fonctionnerait de cette manière, il était temps de jouer.

Et le pion s’avance, faisant face à la puissance du roi, tombant au combat comme si tout était dicté par une loi inconnue.

Le garde s’arrêta doucement, tandis que la jeune femme persistait. Quel monstre. Qui oserait laisser une telle blessée ? Qui pouvait regarder un être souffrir sans aucun scrupule ? Konoha était-il ainsi, aussi ? Scruter les blesser sans plus réagir que cela … Eh bien, à Kiri, ils s’avéraient bien plus accueillants. Étrangement, Hana n’eut pas vraiment à réagir à sa pique, la prenant comme une simple remarque. Cette femme était soit trop à cheval sur ses principes, soit trop monstrueuse ou bien … Elle n’était pas conne. Cette possibilité se montrait intéressante, aussi. Mais comment ?

Hana, tête baissée, fixait le sol avec effroi. Son sang se répandait tout le long de sa jambe pour finir sa route sur le sol, le tachant d’une grande trace rouge. D’un coup, la jeune femme lâcha une sorte de râle. Une quinte de toux vint la saisir juste après ça, tandis que du sang, s’écoulant de sa lèvre, colora la paume de sa main. Son cœur s’accéléra, symptôme invisible et inaudible aux autres, mais qui la gênait énormément. La douleur, loin d’être simulée, semblait se faire plus persistante. Entre la bataille et la manipulation, la kunoichi préférait de loin la bataille. Moins de blessures inutiles et moins de contrôle de soi.

Pourtant, malgré toutes ces choses, elle tenait bon. Enfin … « Tenir bon », en voilà une expression insignifiante … Pourquoi ? Simplement parce que, pendant que ses réflexions se chevauchaient dans une belle course, la jeune femme perdit pieds. Le garde fut tiré vers le bas durant sa chute. L’autre sentinelle fit signe de fermer les portes, toujours très portée sur ses questions. Dans son état normal, Hana l’aurait incendiée de maintes insultes, commençant par lui balancer en pleine tête que ce n’était qu’un monstre sans cœur. Cependant, actuellement, elle préférait éviter de se faire un ennemi de plus. Après tout … Tomber sur quelqu’un d’un niveau quasiment similaire en étant blessée n’était pas une bonne idée.

Perspective effacée de son esprit, Hana releva la tête difficilement. Son regard croisa celui de la brunette. Quittant le pas de la simulation pure, la jeune femme se mit à pieds joints dans la réalité. Ce n’était plus vraiment une comédie, tout s’avérait réel. La douleur, les chutes, tout. Suicidaire ? Oh, pas forcément. Juste que cette fois, elle avait poussé la manipulation trop loin. Dommage, hein ?

Ses paupières se plissèrent, tandis que son bras s’extirpait de l’emprise du garde. Son corps chuta sur le sol, secouant la plaie encore sanguinolente. Un râle de douleur s’échappa d’entre ses lèvres, tandis qu’un bras revenait la maintenir. Encore le garde … Lui pouvait être utile … Mais il fallait tout de même lui répondre, non ?

« — Mon … Mon identité … ? Je … je suis une marchande … venue pour … voir votre Hokage … Mais, en chemin … Je me suis faite … a…attaquer … »

Doucement, elle glissa un doigt sur sa lèvre ensanglantée pour en enlever un peu. Pas douée, la Hana. Prochaine étape après ça : Revoir comment se mutiler sans abuser.

Quelle horrible sans-cœur. Quelle idiote. Quelle pétasse omnisciente. Alors elle voyait tout et partout ? Une manipulatrice telle que Hana, ayant passé des années durant à jouer des rôles, tomberait alors devant cette débutante ? Ne serait-ce pas beaucoup trop simple ? Comment une telle rationnelle pourrait-elle pister une schizophrène comme la nukenin ? Dans quel rêve nageait-elle ? Cela devenait n’importe quoi. S’il fallait désormais passer à la vitesse supérieure, soit.

Hana sourit en entendant qu’elle faisait enfin venir le médecin. Ce n’était pas trop tôt. Il lui en avait fallu, du temps, à cette greluche, pour amener ne serait-ce qu’un soigneur. La kunoichi soupira, tout en lançant un sourire affaibli au jeune garde. Tout irait bien, qu’il ne s’inquiète pas plus. Doucement, il la laissa, tandis que le docteur prenait place pour effacer ses blessures. Son regard croisa le sien. Il était mignon. Et apparemment sous le charme de Hana. Un point en plus ? Peut-être bien.
Mais doucement, la jeune femme laissa place à Kaori. Vitesse supérieure, hein ? Si elle la voulait tant que ça …

De ce fait, lorsque la brunette se mit à parler de l’inexistence de brigands, Hana lui sourit doucement et replongea ses yeux dans les siens. Une bataille entre le gris et le bleu, une bataille silencieuse, tandis qu’elle soupira avant de reprendre la parole. Sa voix était toujours la même. Cependant, ce n’était plus elle qui dirigeait mais bien la seconde partie de l’esprit, ce qui rendit les choses un peu plus particulières.

« — Eh bien, dites-moi … Vous … Ne montez pas souvent la garde, je me trompe ? En tant que marchande, je me balade assez régulièrement de pays en pays et, sachez que Konoha n’échappe pas à la règle des nukenins. Nombreux sont ceux qui passent vos portes et vous doutez encore d’une marchande qui se fait attaquer ? Soit vous êtes trop peu cultivée, soit vous ne réfléchissez pas assez, mademoiselle. Pardonnez mon impolitesse mais, si réellement vous saviez y faire, déjà, vous n’auriez pas besoin de tout ce monde. Ensuite, vous ne devriez pas faire de telles erreurs de débutante. Pour finir, vous ne laisseriez pas un être, quel qu’il soit, j’entends, agoniser devant vos yeux. Ai-je seulement tort ? »

Elle sourit puis détourna le regard. Ce n’était pas fini. Non. Rien ne se finissait à ce stade de la rencontre, après tout. Puis Hana n’avait pas terminé de lui montrer ses torts. Son plan tombait à l’eau, mais tant pis. Enfin … Tomber à l’eau, c’est beaucoup dire. Puisqu’au final, elle restait la marchande incapable de se battre, non ?

« — Et puis, justement … Si votre chère Konoha a la chance de ne pas être ciblée par les brigands, pourquoi agir ainsi ? Ne vous contredisez-vous pas, ainsi ? Je ne suis qu’une marchande et, pourtant, j’en sais quasiment plus sur ces procédures, n’est-ce pas ironique ? »

Le garde lui lança un regard surpris, comme admiratif de la manière d’agir de Hana. Une réflexion telle qu’il n’en voyait peu de la part des marchands communs. Cette fois, il était face à une personne qui usait de sa manière grise. Et cela semblait ne pas être banal, à ses yeux. Mais la jeune femme n’avait toujours pas fini …

« — Et puis, une marchande qui arrive face à vous en s’écroulant comme une masse, avec la présence constante de nukenins, c’est simple à comprendre, non ? Ne sortez-vous jamais d’ici ? Il suffit de marcher, de passer pour une personne inoffensive et, directement, vous êtes pris pour cible. Et voilà, vous vous faites voler, vous êtes victime d’attaques et vous tombez. En attendant, je suis une marchande venue dans le but de voir votre Hokage, rien de plus. »

Couverture qui s’efface ? Peut-être, peut-être pas. Mais Hana était désormais obligée d’agir ainsi. Et puis. Au pire, elle n’était pas si violente que ça, non ? Parce qu’après tout …

« — Et puis … Ne pensez-vous pas que si j’étais réellement dangereuse, j’aurais déjà attaqué ? Soyez logique. M’enfin. J’ai à faire et j’aimerais sincèrement que cette histoire se règle au plus vite pour pouvoir continuer mon travail. Je vous prierai donc d’être compréhensive. »