L'automne touchait à sa fin. La vie aussi peut-être. La tension n'avait fait que monter ces derniers temps, alors que la menace Furyou omniprésente empoisonnait l'atmosphère jusqu'à faire suffoquer. Combien de temps restait-il avant qu'ils ne se montrent à nouveau ? Combien de temps avant que tout ne bascule ? Quelques jours probablement, pas plus : il le sentait dans sa chair maudite. L'ombre de la mort planait sur le monde plus que jamais. Une mort qu'il infligera autant qu'il la subira...

Mais il n'en était pas encore là. Comme il l'avait dit, il lui restait quelques jours. Quelques jours à profiter de la vie, tant qu'il y en avait encore. S'entrainer et se battre ne servait plus à rien maintenant : il avait passé sa vie à se préparer. A quoi bon s'épuiser davantage ? Autant profiter des derniers moments de quiétude pour permettre à son corps de récupérer d'une vie de combat, et son esprit de se détendre. Du moins, autant que le lui permettait la malédiction qui lui rongeait l'âme...

Sous le couvert d'un arbre à la lisière d'une petite forêt du terrain d'entrainement ninja, il appréciait l'ombre que lui apportaient les feuilles caressées par le vent. Par le passé, il en profitait comme si c'était la dernière, comme si le monde cessera de tourner demain. Aujourd'hui, c'était on ne peut plus vrai. Le sien avait depuis plusieurs années arrêté sa course de toute façon. Malgré le cadre reposant dans lequel il s'était installé, il sentait toujours cette tâche sombre qui obscurcissait son cœur. Il avait beau être parvenu à reprendre une vie presque normale, celle-ci avait prit un tournant à sens unique, changeant drastiquement la perception qu'il pouvait encore avoir du monde. A l'image d'une peinture monochrome, tout ne lui apparaissait plus que terne désormais. Mais si son existence était devenu fade, il était toujours vivant : il appartenait encore au Village de la Feuille, et continuera d'en défendre les valeurs jusqu'à son dernier souffle.

Sa guitare usée par les années d'exposition au soleil posée sur ses cuisses, il en grattait distraitement les cordes sans prêter attention à ce qui pouvait bien se passer sous ses pieds. La tête appuyée contre le tronc, les yeux clos et les jambes pendant mollement de part et d'autre de la solide branche sur laquelle il était, il ne se concentrait que sur le son produit par son instrument. L'on ne pouvait même pas parler de mélodie, et pourtant les notes qui s'enchainaient dans un rythme lent l'apaisait. Sans qu'il sache pourquoi, son instrument jouait la contre-mesure de toute l'horreur que lui insufflait sa malédiction. Un peu comme si ses accords formaient un fil conducteur pour sa pensée, laissant revenir son esprit à une époque où il n'avait pas à supporter tout cela. Un phénomène d'autant plus curieux que Natsuki n'était pas particulièrement doué avec sa guitare : de son propre aveu, il en jouait par plaisir, et non pour progresser. Il était un ninja, pas un musicien, il vivait dans un monde où il valait mieux savoir se battre que manier son instrument. A moins bien sûr, que celui-ci ne soit au cœur de son style de combat, ce qui n'était pas son cas.

Après un bon moment, il sortit de sa rêverie et empoigna sa guitare, sa main traçant un bref instant l'impact dans le bois qu'avait fait par mégarde Natsumi lors d'une rencontre nocturne. Il ne vérifia pas si elle était correctement accordée – il était incapable de le faire à l'oreille seule, et ne jouait de toute façon pas assez pour que cela ai de l'importance – et commença à jouer une ancienne mélodie chargée de souvenirs pour s'échauffer les doigts. Il n'était pas devenu meilleur depuis la dernière fois qu'il l'avait gratté, mais c'était le cadet de ses soucis : il jouait déjà assez bien pour ne pas que l'on lui jette de pierres, ce qui était pas mal. D'abord ratés, ses accords devinrent progressivement maladroits au fur et à mesure que les gestes jamais acquis revenaient péniblement à sa mémoire. Les notes flottèrent dans l'air, laissant aux nuages le temps de s'enfuir avant que sa mélodie ne leur fasse abattre la pluie.

L'esprit de Natsuki était loin, bien loin de son corps. Guidé par les notes de musiques qui le portaient comme des marches vers la sérénité, il flottait bien au-dessus du monde, libre de toute contrainte et de tout soucis matériel. Puis une voix, un appel aux oreilles de son enveloppe de chair et de sang rompit le voyage et le ramena sur terre.

« Hum ? » souffla-t-il.

En baissant les yeux vers ses pieds ballants, il croisa le regard d'une jeune demoiselle sur laquelle il se fixa quelques instants pour la détailler. Probablement plus jeune que lui et avec des cheveux mal ordonnés aux teintes contrastants les couleurs de l'automne, elle le regardait avec un curieux sourire et des joues virées à l'écarlate. Elle ne semblait pas très en forme à première vue, comme en témoignaient parmi beaucoup d'autres signes des cernes qui n'avaient rien à envier à celles du Nara tatoué. Quoi qu'elles paraissaient encore naissantes, contrairement à lui qui les trainaient et les entretenaient depuis des années. Il lui répondit alors d'un même sourire, pas vraiment naturel mais suffisamment pratiqué pour apparaître tout comme.

« Ce n'est pas impossible. » admit-il en haussant les épaules.« Je n'ai pas l'oreille assez fine ni l'expérience requise pour le déterminer. Alors pour ce qui est de l'arranger, n'en parlons même pas... »

La différence de niveau n'était pas très propice à une discussion polie, aussi il quitta sa branche en marchant quelques pas sur le tronc à l'aide de chakra concentré sous ses pieds pour se réceptionner à hauteur de vue de la jeune femme fraîchement arrivée.

« Et en parlant de cela, vous non plus ne me semblez pas très arrangée. Vous êtes malade ? »

Il évita la question '' vous allez bien ? '', qui était en général toujours stupide dans les circonstances où elle était posée, à savoir au moment où quelqu'un vient de se faire particulièrement mal, et déposa plutôt sa guitare sur sa housse qui reposait au pied de l'arbre pour se pencher vers la demoiselle. Comme elle était ici, sur un des terrains d'entrainement de Konoha interdit d'accès aux civils, il en déduisit qu'elle était une kunoïchi. Avait-elle trop forcé sur un exercice pour se retrouver dans cet état ? Pour avoir des réponses, il n'était parfois pas plus compliqué que d'exprimer son interrogation.

« C'est en vous exerçant que vous vous êtes mise ainsi ? Sans vouloir vous donner d'ordre, vous devriez peut-être vous reposer un peu. Ce n'est pas trop la période pour se blesser en ce moment. Ce serait bien dommage de rater des occasions de s'amuser, non ? »

Il savait que certains shinobis préfèreraient l'entrainement aux loisirs, mais un être humain ne pouvait pas vivre que d'exercices acharnés : il avait besoin de temps à autre de moments de récréation pour aérer son esprit, et laisser à son corps profiter des plaisirs que la vie avait encore à offrir. Pousser son organisme à l'extrême en permanence n'amenait en général jamais rien de bon. S'affranchir de ses limites était un objectif louable, mais ravager son corps pour y parvenir une méthode stupide.

« Quoi que ces occasions fleurissent comme des bourgeons de printemps ces derniers temps j'ai cru observer. »

La cause n'était pas difficile à deviner : le temps était à la levée des inhibitions, et profiter de l'existence avant qu'il ne soit trop tard pour cela. Dommage que l'Homme avait parfois besoin d'une épée de Damoclès au-dessus de sa tête pour réaliser combien la vie est précieuse, car c'est lorsqu'Il est sur le point de la perdre qu'Il se montre sous son aspect le plus animal. Ne pouvait-Il pas simplement l'apprécier même en sachant qu'il y aura un lendemain sûr ? Natsuki dans son cas luttait intérieurement pour, un combat perdu d'avance, il le savait.

« Cela va aller ? Vous avez soif ? » hasarda-t-il en avisant la gourde apparemment vide que tenait la jeune femme.