C’était désormais le sol d’Ame no Kuni que foulait Naoki. Un sol pour le moins humide, c’était clair. Après son séjour plaisant à Ta no Kuni, le jeune homme avait tracé la route, traversant brièvement le pays du feu pour enfin arriver à celui de la pluie. C’était la deuxième destination de son périple, son voyage à travers le globe. Pourquoi avoir choisir de filer droit là-bas ? Lui-même ne le savait pas vraiment. Il avait entendu parler de cette région du monde où les précipitations ne cessaient jamais, où on oppressait les citoyens appartenant à un certain clan, et tout cela l’avait intrigué. Son changement brutal d’itinéraire n’était de toute façon pas important, il avait tout son temps pour découvrir les merveilles cachées dans un si grand nombre de lieux.

La curiosité du samouraï se portait donc sur Ame no Kuni, après tout, pourquoi pas ? Il avait mis quelques jours avant d’enfin arriver et n’était, pour le moment, là que depuis une journée complète. Il n’avait rien visité, rien exploré, et n’avait eu pour seule activité son entrainement quotidien ; et se trouver un coin pour dormir, évidemment. Il avait d’ailleurs trouvé un aubergiste qui avait accepté de lui offrir le gîte pour une nuit. Cependant, il avait la nuit dernière épuisé son crédit unique et devait, avant la nuit tombée, trouver un endroit pour dormir. Mais Naoki ne se faisait pas de soucis, le pays était riche, puissant et développé ; et les auberges ne manquaient pas. Il devrait néanmoins certainement se résigner à payer sa nuit, mais bon, la pluie tombait tellement fort que passer la nuit dehors, même pour un samouraï, était synonyme de chopper la crève. Il aurait l’air malin.

Le garçon parcouru donc la ville dans laquelle il avait prévu de rester. Il fut étonné de voir sur les murs placardées des affiches et des avis de recherche. Des déserteurs ? Non, des Sabakyô. Après s’être renseigné auprès de civils qui vivaient dans les environs, Naoki appris que ces derniers étaient traqués et enfermés. C’étaient donc eux dont il avait entendu parler… Les autorités faisant cela car les membres de ce clan transmettaient apparemment des maladies et créaient de vraies épidémies qui ravageaient le pays. C’était tout de même bien malheureux d’en arriver là. Que les autres pouvaient avoir une façon de penser tellement différente celle du samouraï… Parfois, lorsqu’il voyait comme ici que tout un pays soutenait des pratiques qu’il qualifierait d’infâmes, il se sentait à l’écart, très différent, trop différent. Après tout, il avait quitté sa terre natale pour des raisons similaires, et il voyait aussi que, ailleurs, les choses se ressemblaient, c’était bien triste.

Le jeune homme chercha, ou plutôt vagabonda. A force de marcher, de traverser des ruelles, de prendre des petits chemins, des escaliers qui grimpent ou encore de s’enfoncer dans la ville, il en vint à être incapable de retourner d’où il venait, à savoir l’auberge où il avait passé la nuit précédente. Il n’eut donc pas le choix, et demanda sa route à un passant. A y réfléchir, ça ne devait pas être un passant banal : un type aux cheveux encore plus sombre que ceux du samouraï, qui avait l’air pensif, tellement pensif qu’on aurait cru qu’il était possédé. Enfin, Naoki ne l’avait même pas remarqué.

« Eh ! Excusez, vous savez où est ce que je peux trouver une auberge dans le coin ? »

En fait, il était bizarre. Il avait un air absent, on l’aurait cru dans la lune. On pouvait voir que l’esprit du type face à Naoki divaguait. Il mit plusieurs secondes à répondre, et pendant ce temps, des centaines de choses avaient dû traverser sa tête, la plupart devaient être complètement hors-sujet au vu de la tête qu’il avait fait lorsqu’il reprit ses esprits. Sous sa chevelure sombre on distinguait un regard plein de nonchalance, ce qui étonna quelque peu le samouraï. Ce dernier commençait à se rendre compte qu’il avait face à lui un jeune homme pour le moins différent de lui. Et visiblement, c’était aussi un touriste. Enfin, touriste, tout est relatif, mais ce n’était pas un autochtone. Il avait carrément l’air surpris qu’on lui demande son chemin. Après tout, un mec qui reste dehors par un temps pareil, il y avait une chance sur deux pour qu’il ne soit pas tout à fait net. Cependant Naoki ne jugea aucunement son interlocuteur et écouta ce qu’il avait à dire. Il lui fit remarquer que chercher le gîte chez l’habitant, comme un fermier, pourrait être une idée judicieuse. Mais…

« Ouais… Mais j’ai un petit problème : on est en plein centre-ville et je suis complètement… perdu. Et puis me retaper tout le trajet à rebrousse-poil pour ne pas savoir où je vais atterrir, ça m’emballe moyen… »

A la suite de ces quelques échanges de mots, l’atmosphère avait déjà changé, les deux jeunes hommes semblaient plus détendus. La posture de l’inconnu indiquait qu’il était apte au combat, un shinobi certainement. Mais d’où venait-il ? Il n’avait pas l’air méchant, et Naoki continua donc la conversation. Après tout, l’autre ne devait pas être un grand dangereux, il ne trainerait pas sous la pluie, comme ça, à découvert.

« On voit la même chose ? Il flotte ! Et puis ce ciel, gris comme pas possible, je me le coltine depuis que je suis arrivé ici, je suis trempé jusqu’à l’os et je commence à avoir sérieusement la dalle… »

Le samouraï avait délié sa langue. Bien qu’il soit d’un naturel solitaire, il n’avait pas vu grand monde depuis un moment et cela commençait à lui peser. Il devenait un peu brusque, voir cru dans ses paroles, mais il ne s’en rendait même pas compte. Et en effet, son estomac commençait à sérieusement crier famine. Il laissa entendre un gargouillis, signe que c’était vraiment l’heure de passer à table. Son radar à restaurant interne d’activa, et il repéra aussitôt une enseigne. C’était un vendeur de ramen, il était à une dizaine de mètre dans une petite rue qu’on apercevait tout juste.

« Bon, moi je vais pas profiter du ciel, j’ai pris assez de flotte sur la poire pour aujourd’hui ! Là-bas il y a un vendeur de ramen, je vais m’en prendre quelques bols ! Mais dis-moi, t’as pas l’air du coin non plus, je me trompe ? Tu veux venir t’en jeter un avec moi ? Ah et au fait, moi c’est Naoki, je suis un samouraï, et accessoirement un vagabond. »

Le jeune samouraï affichait un grand sourire, il tutoyait l’autre homme sans même en avoir pris compte, à croire que la faim primait sur son code d’honneur… Mais bon, la faim justifie les moyens, hein !

Finalement, les deux jeunes hommes partirent pour se remplir la panse ensemble. Ils se dirigèrent donc en direction de la pancarte qui indiquait un restaurant à ramen. Depuis qu’il avait quitté sa terre natale, Naoki ne s’était octroyé que très peu de repas du genre. Ce n’était pas par précaution pécuniaire, mais plutôt par fainéantise. Une bonne grosse flemme, lorsqu’il traversait un pays, de s’engouffrer dans une ville pour un simple repas. Et puis son légendaire sens de l’orientation ne l’aidait pas lorsqu’il s’agissait de trouver un lieu précis et encore pire, de repartir de ce lieu pour atterrir où il voulait. C’était un réel handicape, et encore plus pour un guerrier qui était comme lui amené à voyager. Enfin, ce moment était une occasion de s’offrir un repas chaud, servi sans avoir à chasser et faire cuire soi-même son repas, c’était bien agréable. L’autre atout majeur était le toit qu’ils auraient au-dessus de la tête une fois devant leur bol. Après tout, ce repas serait aussi l’occasion de tisser des liens, avec un type que le samouraï ne reverra peut-être jamais, ou qu’il recroisera souvent. Le touriste parlait à Naoki, il avait lui aussi perdu son air nonchalant, ou il s’était tout du moins atténué. Il ne finit cependant pas sa phrase, repartant très vite dans ses pensées.

« Cette pluie, après tant de jours, me glace jusqu’à l’os… Je me sens bien plus vivant au coin d’un feu. Mais bon, j’ai toujours été un peu frileux, je dois l’avouer. »

Le fait que les habitants de la région continuaient à sortir parfois, à garder le sourire, malgré ce temps maussade, étonnait le jeune Kiryû. Lui, il savait qu’il ne pourrait pas passer rien que tout un mois sous la pluie. Quoique… Peut-être s’y habitue-t-on ? Toujours est-il que Naoki ne comptait pas s’éterniser dans le pays. Il y passerait une semaine tout au plus, mais il avait vu ce qu’il voulait voir. Il restait intérieurement choqué du traitement que subissaient les membres du clan Sabakyô. Il trouvait cela révoltant et plutôt infâme. Bref, les deux hommes arrivèrent quasiment devant l’entrée du restaurant. L’errant au regard sombre avait marché devant, il avait l’air tout aussi pressé que le samouraï de manger. Avant d’aller s’assoir, il réengagea la conversation.

« En effet, on est censé être protégé par des jingasa… Mais le miens m’a servi à allumer un feu dans la forêt avant d’arriver au pays de la pluie. J’avais pas de petit bois à portée de main, mais si j’avais su que je me prendrai une ramaille pareille, je ne l’aurai jamais laissé finir comme ça… Il me tenait si chaud au pays du feu, je ne m’attendais pas à trouver un climat pareil ici ! »

Naoki s’arrêta de parler quelques secondes, et les deux hommes allèrent s’assoir à une table, en attendant qu’on prenne leur commande.

« Ah et je suis un samouraï. Les sabreurs sont les épéistes de la brume qui possèdent des armes ‘’magiques’’. Ils ne sont pas mauvais, ils se débrouillent quoi. Moi je n’ai pas besoin de ça, avec n’importe quelle lame je rivalise avec eux. Et puis, nous les samouraïs, nous avons un code d’honneur, pas comme ces shinobis rattachés à des villages qui se font la guerre pour un oui ou pour un non ! Mais bon, je ne sais pas si toutes ces histoires t’intéressent… »

Malgré toute l’amicalité dont faisait preuve le samouraï, son interlocuteur restait plus distant. Il continuait à le vouvoyez, peut-être Naoki était-il allé trop vite en besogne ? Au final, peu importe, l’autre finirai bien par se détendre et se familiariser, ou pas. C’était aussi un jeune homme solitaire visiblement. Il devait vagabonder, errer. Les deux jeunes gens avaient donc un certain nombre de points communs, mais visiblement pas celui de la guerre. Bien qu’en réalité le Kiryû n’aimait pas la guerre, non, ce qu’il aimait, c’était le combat. Il éveillait tous ses sens, il se sentait vivant. Lui il n’avait pas l’impression d’exister sous la pluie, mais bel et bien au combat. Le champ de bataille, lorsqu’il se battait pour une cause qu’il défendait de tout son cœur, était l’endroit où il se sentait le mieux. D’ailleurs, le fait de n’avoir aucune cause à défendre, et de voyageait seul, le privait bien souvent de combat, ce qui commençait à lui déplaire.

Rapidement, une très jolie serveuse vint prendre la commande du duo. Elle avait un sourire qui ne laissa pas indifférent les deux clients… Un sourire, oui… La nouvelle rencontre de Naoki passa la commande et tendit un billet.

« Pareil pour moi, s’il vous plait. Je paierai la prochaine tournée, à moins que tu comptes t’arrêter là ? Ahah ! »

Il avait dit cela en prenant une intonation qui insinuait un défi, enfin, si il n’en reprenait pas, ce n’était pas un homme quoi… Le nom du touriste était toujours inconnu du samouraï, d’ailleurs il ne savait rien de lui, mis à part qu’il aimait les ramens au porc, et qu’il n’était pas du pays. Il déliait cependant de plus en plus sa langue, déviant sur la notion d’honneur, ce qui fit réagir Naoki directement.

« L’honneur est pour nous, samouraïs, une vertu essentielle. C’est aussi une fierté, une ligne de conduite. Je ne suis peut-être pas le plus objectif, on m’a toujours inculqué ces valeurs, mais elles n’ont rien d’handicapantes, elles permettent justement la stabilité. C’est d’ailleurs en partie une des raisons qui a fait que je n’ai pas suivi les autres samouraïs à Kumo, paradoxale, non ? Mais comme tu le dis, chacun a son point de vue, et ils diffèrent même au sein de groupes censés suivre le même code… »

Un vieux flash de Testu no Kuni traversa l’esprit de Naoki. Il revoyait ses amis, sa famille, son pays. Tout ce qu’il avait quitté. Il n’éprouvait pas de regret à avoir fait ce qu’il avait, non, plutôt une sorte de manque. Mais son choix était fait, et il ne reviendrait pas dessus. Personne ne lui mettrait des chaines.

« Je t’en ai déjà pas mal dis sur moi, mais en revanche je ne connais toujours pas ton nom. Parle-moi de tes ambitions pour le futur, peut-être seront nous amenés à se recroiser, peut-être allons-nous au même endroit ? »

Il avait enfin bien voulu donner son nom, ou plutôt, son prénom. Ce n’était pas courant, peut-être l’avait-il caché jusque-là de peur d’être assailli de regard lorsqu’il le dirait. Xaphan… C’était un prénom qui ne sonnait pas pareil que la plupart des noms courants, mais après tout, peut-être venait-il d’un pays où la coutume est autre ? Enfin, cela n’avait finalement que bien peu d’importance. Naoki remarqua que son interlocuteur avait tout de même mis un certain temps à répondre, il avait l’air hésitant. S’il disait la vérité, il ne disait pas tout. Mais bon, quoiqu’il en soit c’était sa vie. Un peu avant que la serveuse arrive, il renchérit sur la notion d’honneur, à l’inverse du samouraï, lui, voyait la stabilité dans le chaos. Une chose qui s’opposait radicalement au code du Bushido que s’efforçait de suivre le jeune homme.

Leurs plats furent servis, accompagnés de saké. Xaphan descendit une bonne moitié de la bouteille. Ah, s’il commençait comme ça… Naoki s’en servi ensuite un grand bol qu’il but aussi d’un trait, net. La discussion continua, l’errant dévoilant peu à peu quelques informations sur lui. Il était donc originaire de Mizu no Kuni… Là-bas se trouvait Kiri, un village qui ne valait pas mieux que les autres… D’ailleurs, c’était à eux que les samouraïs ayant rejoint Kumo faisaient la guerre. Mais visiblement les deux jeunes gens avaient décidé de faire cavaliers seuls, et de quitter leurs villages respectifs. Ils avaient tous deux un point commun au moins.

« Je connais cette situation, moi-même j’ai quitté ma terre natale, pour des questions idéologiques dirons-nous. »

Naoki avala quelques bouchées de son plat, qui au passage était copieux et savoureux. Il but une gorgé puis continua.

« Tu parles de rétablir la paix, et juste avant tu parles de chaos ? Ce sont deux thèses opposées, comment comptes-tu t’y prendre ? Autant la paix est un idéal respectable, autant le chaos l’est beaucoup moins… »

En effet, entre vouloir instaurer la paix, et rependre le chaos, il y avait tout un monde. Le samouraï se rangeait plutôt du côté de la paix, mais une paix saine, une paix qui pourra perdurer. Naoki était convaincu que la paix qui découlerait du chaos ne pourrait être viable, car en plus d’être dure à mettre en place, elle susciterait tant de rebellions. Xaphan partirait ensuite pour Suna… Ce n’était pas très loin, peut-être que le Kiryû ferait un détour pour s’y rendre aussi, après tout, il n’avait nulle part où aller, alors ce n’était pas vraiment un détour…

Les deux hommes continuèrent donc leur discussion. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils avaient deux philosophies de vie bien différentes, sinon opposées. Tous deux aspirés à la paix, mais bien que le fond soit semblable, la forme n’avait absolument rien en commun. Tandis que Naoki souhaiter vivre en paix, que les puissances parviennent un jour à s’entendre, et ainsi que chacun soit libre, son interlocuteur visait le chaos, qui selon lui permettrait le renouveau. Il y avait donc au sein du monde shinobi, des personnes qui pouvaient penser de façon si différente, et après tout, c’était peut-être pour ça que la paix et l’absence de conflit paraissait utopique. Quoi qu’il en soit, Xaphan, comme tous les autres, était libre de croire en ce qu’il voulait, de prôner ses idéaux. Il en avait le droit, oui, mais il faillait demeurer attentif face à de telles idées, ce sont des types comme ça qui provoquent le désordre. Imaginons qu’un jour il devienne assez puissant pour vouloir imposer sa philosophie, sa croisade se fera certainement dans le sang. On pouvait aussi se demander si ce n’était pas ces bains de sang qui faisaient réagir les villages et qui les unissaient. Après tout, il avait fallu Makka, il avait fallu qu’une personne les attaque tous, pour qu’enfin ils coopèrent. L’un n’allait peut-être pas sans l’autre…

« Redémarrer ? Construire quelque chose de neuf ? J’avoue ne pas bien comprendre. Tu veux la paix en instaurant le chaos, et tu aspires à un monde nouveau ? Le seul moyen d’y arriver ne serait pas la guerre ? C’est… paradoxal. »

En effet, le samouraï ne comprenait pas un tel raisonnement. Lui qui aimait la bonne logique, un peu bornée certes, n’en voyait pas une once dans un tel discours, et ceux malgré une explication et une comparaison douteuse de la situation avec une pièce. Xaphan tenait un discours auquel il croyait, cela se voyait. Intrigué, Naoki cherchait à comprendre où le discours qu’on lui présentait pouvait bien mener. Il poussa le raisonnement un peu plus loin, rentrant clairement dans le jeu de l’homme en face de lui. Il but une grande gorgée de saké.

« On peut dire que ton raisonnement a de quoi tenir debout, bien que nous ne sommes pas d’accord. Si je suis ce que tu dis, tu aimerais empêcher une nouvelle main de relancer une pièce, c’est bien ça ? Et comment aimerais-tu t’y prendre ? Le chaos auquel tu aspires voudrait que tu détruises toute autre main qui voudrait approcher les pièces, mais ne serait-il pas plus juste de rester pacifique et de ne pas engager de combat. Sinon, comme tu le dis si bien, les conflits sont dus à un manque de communication entre les puissances, mais toi, tu ne ferais pas mieux. Je me trompe ? »

Cette discussion était intéressante. Le jeune samouraï avait souvent rencontré des gens avec lesquels il ne partageait pas ses idéaux, comme sa famille par exemple, mais il n’était jamais tombé sur quelqu’un d’aussi radical et opposé à lui, en étant tout de même fixé sur le même objectif. C’était une rencontre qui, quelque soit sa fin, serait enrichissante. Lorsque la serveuse passa près de la table du duo, Naoki commanda une nouvelle tournée, ramen et saké.

La comparaison présentée à Naoki était poussée à l’extrême. Il était indéniable que Xaphan était très doué pour cela. Il avait une habilité remarquable avec les mots et était donc un très bon orateur. Il était à l’aise, un sourire en coin. On voyait que la discussion le prenait, qu’il éprouvait un sentiment de bien-être dans tout ce qu’il racontait. Il y croyait dur comme fer, c’était certain. Il laissa cependant le samouraï perplexe, ce dernier essayait tant bien que mal de comprendre, mais les idées de son interlocuteur étaient tellement lointaines des siennes. Leur but était semblable, mais les deux hommes étaient radicalement opposés, et ça tous les deux avaient dus le comprendre.

« Tu cherches à ce que les pièces se stabilisent, mais tu prétends être la main qui les relancera. Pourquoi alors ne pas tout faire pour que personne ne vienne rompre l’équilibre de ces pièces ? Pourquoi ne pas unir ces pièces, et servir leur intérêt commun ? Je t’avoue que faire la guerre à son voisin pour servir ses propres ambitions me rebute, mais si un beau jour, comme ce fut le cas par le passé, tous les villages œuvraient pour un même objectif, je m’empresserai de rejoindre mes frères partis servir le pays des Nuages, où n’importe quel autre d’ailleurs. Et à ce moment-là alors, je ne laisserai aucune main défaire la stabilité acquise. »

Ils sont bien assez grands pour le faire tout seul… Cette pensée vint éveiller un sourire léger chez le samouraï, il valait mieux en rire après tout. Les bouteilles de saké s’écoulaient rapidement, mais aucun signe d’ivresse n’était jusqu’alors visible chez les deux vagabonds. La discussion continua, chacun prêchant pour sa paroisse, mais le débat était plus ou moins stérile, bien qu’intéressant. Néanmoins, un détail attira l’attention de Naoki : Suna. Xaphan voulait s’y rendre pour rencontrer le Kazekage. Apparemment, le village du sable était le plus tourné vers la paix. Un peu ridicule de la part d’un pays en pleine guerre, bien que peut-être avait-il des intentions louables. On peut toujours rêver. Enfin, avant de porter un jugement trop hâtif et biaisé, le samouraï envisagea de prochainement faire un détour du côté de Kaze no Kuni, et pourquoi pas y rencontrer l’actuelle ombre du vent. Il n’avait après tout rien à perdre, chacun de ses voyages avaient été jusque-là enrichissant, il n’y avait pas de raison que cela change.

« J’ai en effet du mal à voir le chaos autrement que par la violence physique et matérielle. La destruction est pour moi l’essence même du chaos. Mais je ne suis jamais rentré dans les détails de la question à vrai dire. Est-ce que le chaos peut être autre chose que de la violence et de la destruction ? Tu sembles dire que oui, mais le débat relève, je pense, de la philosophie… Je ne pourrai te contredire sur le fait que la communication n’est pas le point fort de tous ces shinobis qui font une guerre sans même savoir pourquoi. Le cœur même d’un combat réside dans ses idéaux. Je ne pense pas que tous ces types qui se mettent sur la tronche ont une idée de pourquoi ils le font. Nous croyons tous les deux à la paix, et nous ne sommes pas seuls… Un de nous arrivera à l’instaurer, durablement. »

La relation entre les deux individus était tellement ambiguë, d’un côté Naoki se voyait déjà s’opposer à un homme comme Xaphan qui pourrait rapidement tomber dans une sorte d’utopie de domination du monde, car la limite était mince, autant le samouraï s’imaginait tout autant que l’autre vagabond ferait parti de son camp lorsque l’occasion d’instaurer la paix se présentera.

« Sectaire ? Carrément oui. D’ailleurs si tout ton discours est un texte appris par cœur et écrit par ton gourou, sache que je ne suis pas intéressé. »

Naoki ne put s’empêcher de balancer un léger ricanement, il avait au moins essayé de détendre un peu l’atmosphère, la digestion commençant…

La discussion touchait à sa fin. Voilà bientôt une heure que les deux errants s’étaient rencontrés, et il ne leur en fallu pas beaucoup plus pour comprendre qu’ils étaient tous les deux en désaccord. Alors que les deux prônaient la paix, l’un avait pour objectif de l’instaurer à l’aide du chaos, tandis que l’autre voulait au contraire éviter ce genre de situation. Naoki restait persuadé que de telles pratiques engendreraient un usage mauvais de la force et desservirait le monde plus qu’il ne l’aiderait. C’était une chose qui lui paraissait évidente, mais ce n’était visiblement pas le cas de Xaphan. Mais après tout, pour le moment, personne ne pouvait affirmer que l’un des deux avait tort, ou que peut-être même les deux se trompaient. Il existait peut-être un juste milieu, surement d’ailleurs, le manichéisme c’est souvent révélé erroné par le passé.

Au fil, de la discussion, l’expression de l’homme face au samouraï avait changé à plusieurs reprises. Il avait été calme, réservé, serein, souriant, et enfin plein de conviction. Il parlait avec une étincelle dans les yeux. On pouvait se demander s’il ne cachait pas du sadisme derrière ses mots, il avait changé. L’alcool ? La boisson devait y jouer, certes, mais il y avait autre chose. Il éclata de rire, sans gêne. Lui qui avait du mal à délier sa langue il y a moins d’une heure, il laissait paraître sa folie… Naoki assistait à un changement de personnalité flagrant. Un coup pile, un coup face, un coup blanc, un coup noir. Le jeune homme eut le pressentiment que leurs chemins se croiseraient de nouveau, il n’y avait aucun doute à cela. Il n’était pas le seul de cet avis, lorsque sonnerait le glas de ces villages avait-il dit…

« Je ne te prends ni pour un fou, ni pour un illuminé. Nous sommes simplement tous les deux différents. Nos objectifs vont pourtant dans le même sens, c’est bien dommage. Nous nous reverrons j’en suis certain, Xaphan. Nous serons cependant certainement chacun d’un côté de la barrière, chacun convaincu que nos actes sont le bons, ou ‘’les moins pires’’ pour arriver à nos fins. J’ai été enchanté de faire ta connaissance, ça faisait longtemps que je n’avais plus partagé un repas avec quelqu’un. A un de ces jours, sans doute. »

Ce fut sur ces mots que la discussion s’acheva. L’addition fut réglée et les deux errants quittèrent les lieux. Xaphan parti devant, fit un léger signe de main en guise d’au revoir. Il partait pour Suna… Un jour ce serait aussi au tour de Naoki de voir ce que le village le plus apte à faire la paix proposait réellement. Des belles paroles, c’était simple, mais un projet de paix durable, tout en préservant la liberté, c’était plutôt utopique. Mais après tout, ne fallait-il pas viser haut ? Le samouraï avait de toute façon tout son temps pour y penser, il allait continuer à vagabonder. Il ne connaissait pas encore le lieu de sa prochaine destination et il ne s’en souciait pas particulièrement…