Le printemps était enfin arrivé. Les trois derniers mois avaient parut interminables à Natsuki, comme pour chacun des hivers qu'il avait passé jusqu'à présent. S'il y avait bien une saison qu'il détestait, c'était celle-ci. Non pas qu'il ne supportait pas le froid, il ne l'aimait tout simplement pas. Les mois de la saison froide ont toujours été un calvaire pour lui, dans le sens où la basse température ne l'incitait pas à l'effort. Lui qui pourtant est régulier dans ses entrainements devenait presque une loque de décembre à mars. Seules ses obligations de ninja le poussaient encore à un peu d'exercice dans le dojo – chauffé – du clan Nara, lorsque celui-ci n'était pas occupé. Car qu'il soit motivé ou non, il ne pouvait se permettre de se laisser aller sur sa condition physique : son corps était son outil de travail, et aussi son assurance vie : s'il partait en mission sans être en condition optimale, peut-être ferait-il gagner du temps au fossoyeur en creusant sa tombe avant de quitter le Village de la Feuille. Surtout en cette période de guerre...

Mais il n'en était pas encore là, d'autant plus qu'il était tranquille pour neuf mois désormais, jusqu'à ce que l'automne se décide à laisser sa place pour que le cycle des saisons se poursuive. Avec un peu de chance, peut-être qu'il ne sera pas partageur, et que la saison se prolongera un peu. A vrai dire, la question n'avait pas d'importance pour le moment. Tout ce qui comptait, dans l'instant présent, c'était d'en profiter, justement. Il n'avait plus que cela à faire cette semaine, en plus de se remettre de son dernier combat au front. Sous le couvert d'un arbre à la lisière d'une petite forêt du terrain d'entrainement ninja, il appréciait l'ombre que lui apportaient les feuilles caressées par le vent. Comme à chaque fois qu'il en avait l'occasion, il en profitait comme si c'était la dernière, comme si le monde cessera de tourner demain. Le sien avait depuis plusieurs mois arrêté sa course de toute façon. Malgré le cadre reposant dans lequel il s'était installé, il sentait toujours cette tâche sombre qui obscurcissait son cœur. Il avait beau être parvenu à reprendre une vie presque normale, celle-ci avait prit un tournant à sens unique, changeant drastiquement la perception qu'il pouvait encore avoir du monde. A l'image d'une peinture monochrome, tout ne lui apparaissait plus que terne désormais. Mais si son existence était devenu fade, il était toujours vivant, et cette sensation de vie qui brûlait dans ses veines, l'Autre ne pouvait pas la lui arracher. Pas encore.

Sa guitare usée par les années d'exposition au soleil posée sur ses cuisses, il en grattait distraitement les cordes sans prêter attention à ce qui pouvait bien se passer sous ses pieds. La tête appuyée contre le tronc, les yeux clos et les jambes pendant mollement de part et d'autre de la solide branche sur laquelle il était, il ne se concentrait que sur le son produit par son instrument. L'on ne pouvait même pas parler de mélodie, et pourtant les notes qui s'enchainaient dans un rythme lent l'apaisait. Sans qu'il sache pourquoi, son instrument jouait la contre-mesure de toute l'horreur que lui insufflait sa malédiction. Un peu comme si ses accords formaient un fil conducteur pour sa pensée, laissant revenir son esprit à une époque où il n'avait pas à supporter tout cela. Un phénomène d'autant plus curieux que Natsuki n'était pas particulièrement doué avec sa guitare : de son propre aveu, il en jouait par plaisir, et non pour progresser. Il était un ninja, pas un musicien, il vivait dans un monde où il valait mieux savoir se battre que manier son instrument. A moins bien sûr, que celui-ci ne soit au cœur de son style de combat, ce qui n'était pas son cas.

Après un bon moment, il sortit de sa rêverie et empoigna sa guitare, sa main traçant un bref instant l'impact dans le bois qu'avait fait par mégarde Natsumi lors d'une rencontre nocturne. Il ne vérifia pas si elle était correctement accordée – il était incapable de le faire à l'oreille seule, et ne jouait de toute façon pas assez pour que cela ai de l'importance – et commença à jouer une ancienne mélodie chargée de souvenirs pour s'échauffer les doigts. Il n'était pas devenu meilleur depuis la dernière fois qu'il l'avait gratté, mais c'était le cadet de ses soucis : il jouait déjà assez bien pour ne pas que l'on lui jette de pierres, ce qui était pas mal. D'abord ratés, ses accords devinrent progressivement maladroits au fur et à mesure que les gestes jamais acquis revenaient péniblement à sa mémoire. Les notes flottèrent dans l'air, laissant aux nuages le temps de s'enfuir avant que sa mélodie ne leur fasse abattre la pluie.

Un soupir de dépit. Un regard porté vers la fenêtre. Quel temps. Tu le sens. Tu le vois. La pluie arrive. Pas une petite pluie. Pas un léger crachin. Une pluie bien violente. Peut être même un orage. Les mains dans les poches, une cigarette au coin des lèvres, tu observes le ciel. Tu ne sais guère quoi faire. Tu pourrais te réfugier à la bibliothèque centrale. Mais tu as compulsé assez d'ouvrages ces derniers jours. Non pas que tu dénigres tes devoirs d'archiviste. Tu as juste besoin de souffler un peu. De respirer. Tu as tout ton temps de toutes façons. Tu l'as toujours eu. Tu finis par fermer les yeux. Tu laisses se consumer le tabac tout en reprenant ton chemin. Ou plutôt ton parcours d'errance. D'égarement. Oui. Voilà bien ce que tu voudrais en cet instant. T'égarer. Oublier un peu le cours du temps. Oublier tout ce qui peut se dérouler autour de toi. Car tu es las. Las de tout ceci. Las de cette existence sans fin. Tu sens cette nostalgie remonter en toi. Depuis quand arpentes-tu ce monde au juste ? Tu ne saurais le dire. Depuis trop longtemps. Tu vois les même erreurs répétées à intervalles réguliers. Les mêmes déception quant aux Hommes. Tu soupires. Tu finis par jeter ton mégot, traînant des pieds dans les rues du village.

Tu ne sais pas où aller. Tu n'es qu'un vaisseau sans capitaine. Une coque de noix errante. Portée par le courant. Et tu sens les gouttes commencer à tomber. A s'écraser. Lourdement. Une par une. Tu accélères à peine le pas. Voilà bien une chose qui ne change pas. Qui reste fidèle à elle même. La nature est probablement la seule chose digne de respect en ce monde. Et tu avances. Sentant la pluie fouetter ton visage. Sentant l'eau te tremper jusqu'à l'os. Mais tu n'en as que faire. Tu t'ennuies. Et tu marches. Tu marches, sans but.

C'est une mélodie qui te fait relever la tête. Tu arques un sourcil. Cet air n'est pas des plus récents. C'est une mélodie que tu connais bien. Que tu as déjà entendue. Tu tournes la tête, cherchant autour de toi. Tu pensais être seul dehors par ce temps. Et tu te trompais. Tu observes le jeune homme, qui gratte ses cordes. Pas le mieux du monde, certes. Mais il y a une trace d'expérience. Des vestiges de talent. Limés par le temps. Par ce temps qui prends tout. Qui prend tout sans jamais rien rendre. Ou du moins. Presque tout. Tu souris. D'un sourire désabusé. Et tu t'avances vers lui. Tu fredonnes cette même mélodie. Et tu viens t'adosser contre l'arbre au pied duquel il est installé.

Très belle mélodie, vraiment.

Tu as parlé sans détour. De façon franche. Presque brusque. Troublant la valse des notes. Déchirant le silence. Mais c'est ce que tu as toujours fait. Toujours été. Une anomalie dans l'ordre des choses.

Natsuki resta un bon moment ainsi, à ne faire rien d'autre que bouger ses doigts sur son vieux morceau de bois. Il jouait ses mélodies sans réfléchir vraiment, laissant l'instant présent l'inspirer, et les notes de musique lui vider la tête. Aujourd'hui n'était pas une journée vouée à la réflexion, ni à l'entrainement. Ce qui était le cas de plus d'un, visiblement. Le terrain d'entrainement était bien vide, malgré le beau temps. A croire que tout le monde avait décidé de s'offrir un peu de vacances, à moins que les habitués ne soient occupés ailleurs, sur une mission ou autre. Là encore, peu lui en importait la raison, tout ce que lui demandait était qu'on le laisse faire vibrer les cordes de son instrument.

Son monde éclata soudainement comme une bulle de savon. Perdu dans son rythme et les souvenirs qui y étaient liés, il ne s'était même pas aperçut de l'averse qui avait soudainement encombré le ciel. Quoique '' soudainement '' n'était peut-être pas le terme, car il ignorait depuis combien de temps il avait laissé son esprit vaquer ailleurs. Cessant alors de jouer, il baissa les yeux, et dirigea son regard vers la voix qui l'avait tiré de sa rêverie. Elle appartenait à un homme aussi trempé que la nature environnante, à croire qu'il avait marché un bon moment sous la pluie - un détail qui ne semblait pas vraiment le gêner d'ailleurs. Natsuki l'observa mécaniquement d'un rapide coup d'œil, mais n'en releva qu'un seul détail majeur : son regard. Très terne, l'héritier Nara y voyait une absence d'éclat similaire à la sienne lorsqu'il se battait, cet état où le corps existe encore sans l'âme pour lui insuffler la vie derrière. Et ce sourire sans joie, sans intention. Pour en avoir affiché plus que de raisons ces derniers mois, il savait les reconnaître désormais, tout comme il avait apprit à ne pas chercher au-delà du masque dont un homme se pare quand ce n'était pas nécessaire. Car bien souvent, cette façade ne servait qu'à se protéger, et oublier un temps la souffrance qui nous ronge.

«  ''Très belle '' peut-être pas, mais qui se laisse entendre, probablement. » répondit-il avec le sourire à peine plus convaincant de celui qui conserve encore une lueur d'espoir au centre de la tempête.

L'arbre ne parvenait plus vraiment à abriter les deux hommes sous ses branches, alors que la pluie parvenait enfin à se faufiler entre les feuilles. Quelques gouttes s'écrasèrent mollement sur le visage de Natsuki après avoir été de nombreuses fois amorties et déviées dans leur chute. Curieusement, il appréciait cette météo depuis quelques temps, le rythme de la pluie battante dans un ciel de printemps se fracassant sur le sol dans une suite ininterrompue de notes variées. Mais plus qu'une mélodie apaisante, ces averses lui évoquaient un renouveau encore possible, une opportunité de bâtir un meilleur avenir sur le sol que les torrents ont lavé de tout le sang versé qui le maculait. Un sol qu'il regagna d'ailleurs en ce réception non loin de l'arrivant, sa guitare à la main.

« J'ai l'impression que comme moi, vous vous êtes fait surprendre par la pluie. Ne nous reste plus qu'à attendre que cela passe. »

Natsuki avait les moyens de chasser ce temps maussade, mais il chérissait trop ces rares moments où il se sentait un peu plus en paix avec lui-même pour les abréger. Et puis, cela faisait longtemps qu'il n'avait pas plut de la sorte, cela ne pouvait faire que du bien à la nature. Cela pouvait justifier un désir égoïste, non ?

« Je m'appelle Natsuki. » se présenta-t-il finalement en tendant une main amicale vers son interlocuteur. « Votre visage ne m'est pas familier. Vous vivez à Konoha depuis longtemps ? »

Ben évidement il ne connaissait pas, ne serait-ce que de vue, chacun des habitants du Village Caché de la Feuille, cependant il avait été amené dans sa vie à fréquenter bon nombre de shinobis de Konoha dont il avait gardé le souvenir. L'homme qui était face à lui n'en faisait pas partie. Mais c'était un moyen comme un autre de commencer une discussion après tout.