Plantées sans raison mentionnée dans les livres d'Histoires en même temps que fut bâti le Village de Konoha, les trois buches trônaient fièrement au centre d'un terrain d'entrainement. Au cours des quatre dernières années, elles avaient été les témoins de nombreuses scènes aussi diverses que variées, et parfois même actrices passives malgré elles. Bien droites, et dépassant du sol d'environ deux mètres, leurs troncs respectifs portaient les marques de ces années passées, que ce soit entailles, traces de cordages ou impacts. Et pourtant, elles continuaient d'être là, à veiller sur chaque nouvelle génération de ninja. Celles issues du Village de Konoha, elles n'en avaient vu encore aucune, personne n'étant encore sortie de l'Académie, mais de jeunes ou moins jeunes shinobis formés par les guerres ou leur clan, ceux-là, elles en avaient compté défiler un nombre inimaginable. Certains venus en solitaire pour s'exercer, d'autres pour prouver leur valeur et intégrer une équipe, ou encore même une poignée simplement de passage.


Ce qu'elles n'avaient jamais vu par contre, était le spectacle du jour qui se déroulait sous leurs yeux, ou presque. En ce début du mois de juin, alors que le printemps profitait encore du peu de temps qu'il lui restait, le soleil avait décidé d'irradier la petite planète bleue de ses rayons, lesquels firent tant monter la température que l'été semblait déjà dans la place. Et pour que l'harmonie soit totale, un doux vent régulier venait rafraichir les cœurs et les corps. C'est sous ce climat que Natsuki avait décidé de se rendre au terrain d'entrainement et s'installer sur la buche du centre. Vêtu pour l'occasion d'un pantalon sombre à jambes courtes, et d'un débardeur en résille - qui lui garantira un bronzage plus que ridicule –, il avait surtout amené avec lui dans un sac de transport adapté sa guitare. Pourquoi préférer gratter un morceau de bois, alors que le temps était si invitant à l'activité physique ? La réponse tenait en quelques mots, ou plutôt en quelques bandes, sur ses côtes. Résultat d'un malheureux combat amical au sein du clan, il avait vu quelques os de sa cage thoracique se faire fêler. Rien de grave, mais s'il voulait récupérer rapidement, mieux valait pour lui éviter les efforts trop importants. Autrement dit, il pouvait tirer une croix sur tout exercice contraignant. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé avec ce choix par défaut. De sa guitare, il se serait vantard et menteur de dire que Natsuki savait en jouer. Cette dernière n'avait d'ailleurs pas quitté son socle depuis près d'un an. Il l'utilisait assez rarement depuis quelques années, depuis qu'il vivait dans un monde où il était plus utile pour survivre de savoir se battre que de jouer d'un instrument de musique. Manque d'entrainement oblige, son niveau était donc devenu assez médiocre, bien qu'il n'ai été en réalité jamais particulièrement doué.


Laissant courir ses doigts sur le corps de la guitare dont la peinture était ternie par la couche de poussière dessus, il retrouva, petit à petit, quelques accords. De ses accords se forma une mélodie, saccadée et passablement rythmée, qui ramena le genin tatoué à de plus jeunes années, durant lesquelles il partageait cette passion avec un cousin. Comme des codes déverrouillant l'accès vers une salle aux trésors, les notes musicales rappelaient progressivement à sa mémoire d'autres mouvements de doigts, d'autres accords, si bien qu'après un long moment passé à gratter les cordes de son instrument, Natsuki avait retrouvé une vieille composition. Quant à la jouer correctement, cela... Il ne s'en formalisait pas pour autant, car il jouait actuellement par plaisir, et non pour progresser. Il y avait longtemps qu'il avait tiré un trait sur une éventuelle carrière du genre, pour des raisons déjà expliquées. Il continua ainsi de faire bouger ses mains sur ce morceau de bois, sans prêter attention au fait que sa mélodie méritait parfois qu'il s'excuse auprès de tous les amateurs de musique pour ce qu'il jouait.


Personne, à part les trois buches du terrain d'entrainement, n'était là pour l'entendre, de toute façon... Une situation, qui lui convenait très bien, cela dit.

Au milieu des accords enchainés, un soudain boucan troubla la relative quiétude des environs, incitant par la même occasion Natsuki à s'intéresser un peu à ce qui se passait désormais autour de lui. Il aperçu alors la source de la nouvelle nuisance sonore : une adolescente longue chevelue – un adolescent en fait, à en juger le timbre de la voix, lequel s'excitait sur l'un des malheureux rondins à l'aide d'un bâton. Le genin tatoué l'observa en silence sans quitter sa place d'un air peu intéressé par ce qu'il pouvait bien hurler, une joue calée dans le creux de sa main.


« … Tu es bruyant. » déclara-t-il finalement d'une voix lasse. « Si tu n'as rien d'autre de constructif à ajouter, je ne te retiens pas davantage. »


L'héritier Nara n'était pas d'humeur à chercher querelle, et encore moins à y répondre. Il laissa donc couler, attendit que celui qu'il avait prit pour une femme – autant pour la longueur de ses cheveux flottant au vent que pour ses traits fins – se calme, et reparte loin. Sauf que, bien entendu, les événements qui suivirent ne se déroulèrent pas tout à fait selon ses désirs. Prenant au pied de la lettre ce qu'il lui avait demandé, l'étrange individu ajouta du constructif en lui arrachant sa guitare des mains. Natsuki ne fut pas en mesure de lutter, ses côtes se rappelèrent à lui sitôt qu'il tenta de conserver son bien. Mais alors qu'il s'apprêtait à composer des mudra au cas où le voleur avait des envies plus destructives que constructives, ce dernier gagna le haut du rondin voisin, et commença à accorder l'instrument. L'une après les autres, il grattait les cordes à plusieurs reprises, tournant les clefs jusqu'à obtenir un son qui le satisfaisait.


L'exercice avait eu le mérite d'impressionner quelque peu Natsuki, dans la mesure de la valeur qu'il accordait à la musique. Accorder son instrument demeurait pour lui une arcane obscure à laquelle il ne s'était jamais vraiment intéressé. Sa guitare était pour lui juste un instrument capable d'émettre des sons, de la clarté de ces derniers il n'y prêtait pas trop attention, étant incapable de faire la différence entre deux '' Si bémol majeur '' et '' mineur ''. Une note restait une note, l'accord réglé juste à l'oreille lui paraissait amplement suffisant.


« Merci. » fut la réponse bisyllabique dont dû se contenter l'accordeur lorsqu'il rendit l'instrument à son propriétaire.


Natsuki s'essaya à son tour à quelques notes, dont le son fut un iota meilleur – mais sans importance pour lui, pour le peu qu'il jouait - , puis releva les yeux vers son homologue.


« Tu joues d'un instrument aussi, ou tu es juste naturellement doué avec les guitares ? » lui demanda l'héritier Nara plus par politesse qu'autre chose.


La réponse devait sans doute être évidente : il n'est pas donné à tout le monde d'accorder de la sorte un instrument sans avoir un minimum d'expérience dans le domaine. Mais bon, il fallait bien commencer la discussion par quelque chose, et si possible autre que les cris proférés par le long chevelue. En remerciement pour la guitare, Natsuki pouvait lui accorder un peu de temps, surtout qu'il semblait calmé désormais. Qui sait, peut-être même qu'il arrivera à le distraire un peu ?


« Je ne crois pas que l'on s'est déjà croisé jadis. Tu es un ninja de Konoha non ? »


C'était volontairement qu'il avait sauté le passage des présentations. Il ne tenait pas forcément à le revoir par la suite, les boules de nerfs au sang chaud dans son genre n'étant pas trop sa tasse de thé, aussi son identité ne lui importait pas. Et s'il changeait d'avis, il pouvait toujours lui demander par la suite.

Natsuki s'efforça de ne pas paraître désagréable, pas alors que le jeune homme semblait s'être soudainement calmé, et qui plus est visiblement hypnotisé par la musique produite par l'instrument.


« Je sais ce qu'est un ukulélé. » répondit-il alors simplement. «  Ce n'est d'ailleurs pas un instrument typique du Pays du Feu, si je ne me trompe. L'on en trouvait beaucoup venant d'import à l'époque, avant que la menace d'une nouvelle guerre ne ferme les portes aux commerces avec l'ennemi. Ils se font assez rares du coup, c'est difficile de s'en procurer un même de seconde main. »


Les objets manufacturés d'une part, ce n'était pas la seule chose qui demeurait désormais absente des boutiques. Il y avait aussi tout ce qui concernait le domaine alimentaire, au grand regret de Natsuki. Meilleur devant un fourneau que derrière une guitare, beaucoup d'aliments qu'il utilisait dans sa cuisine s'étaient raréfiés, jusqu'à disparaître entièrement de la circulation. Il avait dû tirer une croix sur tous les mets exotiques, mais cela dit, ce serait une insulte à la gastronomie que de prétendre que cela handicapait les grands gourmets : il y a déjà assez de quoi faire au Pays du Feu, et mille subtilités pour préparer chacun d'entre eux.


Un bref moment de distraction, Natsuki gratta une dernière fois les cordes de sa guitare avant de la poser par le manche au pied de sa buche. Les sons couvrirent le prénom de son homologue malgré lui, mais peu lui importait, il avait entendu son nom, et cela lui indiquait déjà beaucoup. S'appeler Hayashi avait la même signification que de porter le nom de Nara : Yuri était forcément un ninja. Les deux adolescents avait au moins cela en commun aussi : ils étaient issu d'un clan dont tous les membres, ou presque, étaient formés pour devenir des shinobis jour - ou mourir jeune. Ainsi il était membre des Hayashi, un clan utilisateur des techniques liées au bois et survivant du massacre de la Grande Guerre suite à la division de la branche Senju. C'était le problème avec les clans. L'évocation du simple nom de famille en apprenait déjà beaucoup sur l'histoire de la personne, et surtout du registre de son potentiel combatif. Quoi que, le pire restait peut-être quand même d'être immédiatement mit dans un sac. A-t-on déjà entendu parlé d'un Nara pour autre chose que ses talents de stratège ou sa manipulation des ombres ?


Yuri commençait de plus en plus à intéresser Natsuki, maintenant que l'héritier Nara savait qu'ils avaient les mêmes perspectives d'avenir professionnel. Il le considérait dès lors avec l'œil appréciateur d'un futur adversaire.


« Je m'appelle Natsuki. Ravi de te rencontrer. » répondit le tatoué en lui tendant sa main. «  Et comme tu le vois, il n'y a rien de plus à ajouter. Je n'ai pas d'histoire particulière, ou quoi que ce soit. Je voulais juste profiter du soleil aujourd'hui, pour m'exercer un peu en extérieur, n'ayant rien de mieux à faire. »


Ce n'était pas tout à fait vrai, certes, mais qui pouvait si aisément faire la différence quand vérité et mensonge se brodaient ensemble ? Surtout que là, il s'agissait davantage d'omission que d'autre chose, il n'avait surtout pas envie d'entrer dans les détails. Il préféra alors prendre le crachoir, et faire parler Hayashi plutôt que l'inverse.


« Qu'est-ce qui t'a motivé à devenir un ninja ? Je veux dire, tu as suivit un effet de mode, ou bien est-ce ton clan qui t'a formé sans vraiment te demander ton avis ? »


Natsuki faisait partie du second cas. Les membres de son clan qui n'étaient pas partie durant la Grande Guerre des Shinobi l'avait élevé et entrainé si tôt qu'il fut capable de tenir un kunaï en main. Mais il ne leur en tenait aucun cas de cela : il aimait ce qu'il faisait, et l'aime toujours encore, bien qu'il n'était pas encore considéré comme apte à servir son Village par les siens pour le moment. Il avait ses rêves d'avenirs, lesquels l'incitaient à continuer. Rêves qui allaient beaucoup changer, se transformer en seulement deux ans, mais cela, il ne pouvait pas le savoir encore, alors qu'il n'avait entrevue qu'une partie du monde - et son horreur - dans lequel il vivait.


« C'est bien d'avoir un idéal pour aller de l'avant. L'on se perd beaucoup trop vite sans lui, et son absence rend bien souvent nos actes dénués de sens, quel qu'il soit. Quel est le tien ? Tu espères devenir un ninja barde qui parcourra le monde avec son ukulélé sur le dos ? »


Vision amusante qu'il imagina.

« Ah oui. Servir l'Hokage. » commenta Natsuki « La finalité de tous les ninjas d'un village. Être à son service et répondre présent quand il en a besoin. Exécuter froidement chacun de ses ordres, accomplir chacune de ses missions sans poser la moindre question, sans faire preuve du moindre sentimentalisme. Autrement dit, devenir des machines de guerre, des coquilles vides aux bras armés. »

Le regard de Natsuki se fit intense, alors qu'il regardait Yuri en parlant. :

« Arrête moi si je me trompe, bien sûr. Je n'ai pas l'expérience du sujet pour en parler, je me contente d'une image que je perçois. Mais, tu ne penses pas que si cette vision est juste, c'est justement d'avoir un idéal qui permet de l'accepter plus facilement ? De croire que nos actions ont un sens, qui nous satisfait personnellement, et conserve du coup notre âme au centre de cette coquille ? »

L'héritier Nara joignit ses doigts derrière sa nuque, et leva la tête vers le ciel, où il ferma les yeux un instant pour profiter du soleil de printemps, et du vent dans ses cheveux détachés.

« Je ne me verrai pas agir sans but, faire une action juste pour la faire. C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec les mots que tu as employé : je n'ai pas dit qu'un acte sans but était inutile. J'ai affirmé qu'il est dénué de sens. Prenons ma cuisine par exemple. Je prépare très souvent à manger. Mais je ne le fais pas juste pour manger, je cuisine parce que j'aime ça, parce que je veux transmettre quelque chose au travers des plats que je prépare. Au-delà de tout discours de niveau Miss Konoha, je cuisine pour que ce soit bon, agréable à manger, pas juste pour nourrir. Les conserves et les instantanés suffiraient largement sinon. »

Natsuki étira son sourire.

« C'est un exemple simpliste, je te l'accorde, mais l'idée y est. Maintenant, ce n'est pas la perspective d'avenir que j'ai. Je ne gagnerai pas ma vie de la sorte, pas tout de suite, du moins. Quant à la guitare, je pense que je n'ai pas besoin de faire de commentaire à ce sujet. J'en joue parce que cela m'amuse, rien de plus. Je n'ai pas la passion pour en faire carrière, loin de là. Et de toute façon, quel que soit nos choix, les liens du sang que nous portons nous empêchent de dévier trop loin d'une route dont nous héritons le tracé à notre naissance. Les pommiers ne font pas des poires. »

Sur ses mots, il descendit tranquillement de sa buche, et rangea sa guitare dans son sac, avant de charger le tout sur son dos. Il adressa alors un large sourire confiant à Yuri :

« J'espère que je serai du bon côté de la branche si nous sommes amenés à nous revoir à nouveau en d'autres circonstances. Et je souhaite la même chose pour toi : il n'y aura pas de pitié si tu es du mauvais côté de l'ombre. Adieu, Hayashi »

Le tatoué lui adressa un signe de la main en guise de salut, et partit sans se retourner, en direction du quartier de son clan. Il avait passé un bon moment avec le jeune adolescent, mais il était temps de rentrer, il avait son traitement à recevoir. Il lui avait avoué à demi-mots qu'il appartenait au clan manipulateur des ombres, et donc qu'il était aussi ninja, car il se doutait que liés par leur profession, ils seraient amenés peut-être à se revoir un jour. Les circonstances, par contre, appartenaient au destin.

Une semaine plus tard, désormais rétablit, Natsuki commença officiellement sa carrière de shinobi au service du Village de Konoha, accompagné de son père. Les premières gouttes d'un long fleuve de sang vinrent tâcher ses mains cette nuit-là.