Trois longues années. Voilà le temps que j’avais passé en dehors de l’archipel. C’est avec un léger pincement au cœur que je venais de poser pied à terre, après mon long périple. Je me sentais toute chose. Différent, je l’étais du moins vis-à-vis de ce jour où j’avais décidé de m’éloigner de la terre de mon appartenance, de mes origines, de mes déchirures. Combien m’attendaient encore ici ? Que s’était-il passé depuis mon départ ? Je humais le vent, reniflant à pleine narines l’odeur de terre mélangée à la brise marine. Une odeur particulière que je n’avais plus eu le loisir de respirer depuis si longtemps. Je me baissais et prenait une pleine poignée de terre dans mes mains. La modelant dans mes mains, je me souvins d’un entrainement que j’eus, des années plus tôt, en présence de ma mère. Un des premiers entraînements clanique. Je n’avais alors que cinq ans. J’eus un sourire à cette pensée. J’eus un sourire en repensant à toutes les difficultés auxquelles j’avais dû faire face lors de ces entraînements. Toutes ces difficultés m’avaient fait grandir, presque tout autant que ces années passées à subir les sarcasmes des Wazao. Cela dit, toutes ces expériences, base de mon être, de mon savoir-faire, n’étaient rien comparées à ce que j’avais vécu et appris au cours de mon voyage à travers le monde. C’est cette dernière expérience, comme la pièce manquante d’un puzzle, qui avait fini de me faire comprendre quel était mon rôle dans ce monde. Désormais, il m’apparaissait limpide.

La première étape suite à mon retour, serait de me rendre sur l’île principale de l’archipel. C’est là que je trouverais mon chez moi. C’est là qu’étaient installés les Wazao. C’est là que se trouvait la demeure de mon père : Wazao Akira. J’avais à lui parler. Je me trouvais pour le moment à Kyaputen et il faisait déjà tard le soir. Je décidais donc de dormir dans le village de pêcheur le plus proche. Ce fut un vieillard avenant qui m’accueillit. Il me proposa une chambre et un lit bourré de paille. Un confort très différent de ce à quoi les nobles du clan Wazao avaient l’habitude, mais déjà beaucoup mieux que ce à quoi avaient droit les Kaguya. Pour ma part, je ne me plaignais pas. Chose n’est pas coutume, je me montrais affable avec mon hôte et participais aux charges de mon séjour quand bien même ce dernier refusa avec la dernière énergie, de recevoir tout paiement de ma part. La bonté, l’altruisme n’étaient donc pas mort en ce monde ? Apparemment non. Le vieil homme, au cours du dîner, m’expliqua les problèmes généraux auxquels faisaient face, les gens de sa condition, dans ces environs. Il s’agissait essentiellement de raids dus à des pirates. Que pouvais-je y faire ? Dans l’immédiat, je n’avais nullement envie de défendre ces gens si éloignés des sphères du pouvoir et donc si loin d’être au centre des intérêts des puissants de l’archipel. Le lendemain matin, je m’en allais, après avoir déposé quelques ryos néanmoins au pied de mon lit. Une fois n’est pas coutume…

Le reste de mon périple sur cette île se déroula sans que je ne passe dans une agglomération. Coupant à travers champs et montagnes, marécages et petites forêts, je cherchais le chemin le plus rapide pour parvenir aux rives sud-est de l’île Kyaputen. J’y parvins au bout de deux jours de marche. C’est de là que je pris une embarcation de pêcheurs payés au prix fort afin de rejoindre l’île principale de l’archipel. C’est à la lisière de la forêt du nord que je mis pied à terre. Remontant le fleuve Chikubi, je finis par arriver au village Wazao où habitait mon père…

Arrivé dans le village du paternel, je remarquais tout de suite les réactions des habitants. D’abord étonnés, yeux écarquillés, la plupart demeuraient figés à ma vue. Je passais sans accorder un regard à ceux qui ne réagissaient pas, du moins à ceux qui ne parlaient pas. Dès que j’avais dépassé un groupe, j’entendais immédiatement les chuchotements voir de petits cris lorsque le groupe en question était composé de femmes. Les gens étaient choqués. A priori plus personne ne s’attendait à mon retour. Je compris que l’information m’avait devancé. Désormais devant moi, les gens que je croisais avaient le corps complètement tournés sur le chemin que j’empruntais. Ils m’attendaient, ils avaient envie de revoir « la bête ». A présent je croisais de plus en plus de sourcils froncés, regards durs, quoique encore teintés d’étonnement. Cela dit, tout le monde n’était pas entièrement contre mon retour. Je faisais peur, certes, mais pas à tout le monde. Ceux pour qui j’étais une véritable bénédiction eux, s’en frottaient les mains. C’est d’ailleurs ce genre de personne qui osa faire le premier pas en ma direction, en me hélant. Je m’arrêtais et les saluais. Sans façons, je discutais brièvement avec ceux qui m’adressaient la parole. Un petit groupe de jeunes, comme moi, me suivit, me servant d’escorte. Ils savaient où je me rendais et par expérience, j’avais compris que celui que je voulais voir était désormais au parfum quant à ma venue.

Au bout de quelques minutes j’étais parvenu au seuil de la porte de notre demeure. J’avoue avoir ressenti un pincement au cœur en voyant la maison. Mais il n’y avait pas que cela. Mes parents étaient là. Du moins ceux appartenant aux Wazao. Un cousin habitant avec le pater, ma belle-mère, une demi-sœur. Tous semblaient contents de me revoir. Je sais que ma demi-sœur et mon cousin l’étaient réellement. Nous avions toujours eu de bonnes relations, malgré mon caractère de cochon. Pour ma belle-mère, c’était un peu plus délicat. Naturellement je me dirigeais vers les deux premiers cités, regard rivé sur ma belle-mère, sans un sourire. Ma demi-sœur, Sacha, couru pour sauter dans mes bras directement. Les femmes vous savez… Je la serrais dans mes bras tandis qu’elle parvint à me faire décrocher un sourire. Mon cousin vint à moi aussi. On se salua comme les frères d’armes que nous étions, c’est-à-dire : accolade comme le feraient de virils combattants, ce que nous étions il faut le dire.

_ Vous m’avez manqués vous savez !
_ Tu parles ! T’étais où pendant tout ce temps ? On a cru que les Batei t’avaient capturé et que tu te faisais torturer dans une de leurs geôles.
_ Ah tu sais bien que jamais je me ferais capturer par ces gueux.

Un rire franc qui en disait long sur nos envies communes de combattre à nouveau ensemble nos adversaire habituels.

_ Et les Kaguya ?
_ Rien de neuf ! Ils se vendent toujours au plus offrants… On t’a cherché parmi eux à un moment.
_ Ok. Et père ?

C’est à ce moment que ma belle-mère m’appela comme pour rappeler qu’elle était encore là. Je portais alors mon regard avec elle. Une fois à sa hauteur, elle me força a une accolade en me couvrant de baisers. Je n’y étais pas tellement favorable, mais je la laissais faire avant de me retirer un peu sèchement. Nos regards se croisèrent un instant, et je crus lire un peu de détresse dans son regard. Qu’espérait-elle ? Que je m’étais adouci ? Que j’avais changé ? Qu’elle pourrait me tenir dans le creux de sa main ?

_ Où est mon père ?
_ Il est là Tetsu, il t’attend à l’étage.

Je levais la tête et remarquais une silhouette qui disparut derrière une porte que j’entendis se fermer. D’un revers de main, je poussais ma belle-mère avant de m’engouffrer dans la maison. Derrière moi, la foule s’était agrandie, mais cela ne m’intéressait plus. Seul le face à face à venir avec le pater retenait toute ma concentration désormais. Je montais les marches tranquillement, tête basse. Mon cœur battait la chamade. Pourquoi ? Probablement à cause de quelques restes d’affection que j’avais pour mon père, malgré notre relation houleuse…