« Et c’est là *hips* que je l’ai baffé comme un *hips* malpropre ! »

Et l’homme éclata de rire. Il s’esclaffa tellement qu’il laissa s’écrouler son menton sur la table. Une bouteille de saké à la main, tandis que l’autre tentait péniblement de s’accrocher au bois, ce fermier était bel et bien ivre. Et il ne regrettait pas d’avoir sorti une bouteille pour fêter sa rencontre avec ce mercenaire bienveillant qui avait accepté de l’aider pour ses tâches quotidiennes en l’échange d’un repas et de quelques verres.

Ce bon monsieur, c’était bien entendu Ketten. Et comme vous pourriez vous en douter, en bon mercenaire qu’il était, il n’avait jamais eu l’intention de se contenter de cela. C’est ainsi que lorsqu’il avait constaté les dérives alcooliques de son hôte de la journée, il n’avait pu s’empêcher d’en profiter. Face à un coma éthylique qui ne tarderait pas à se montrer, le Nukenin tapota l’épaule du quinquagénaire avant de se lever, une bourse discrètement volée à la main.

« Allez, il faut que j’y aille moi. J’vous remercie pour le repas l’ami. »

Un petit ricanement précéda sa sortie de la petite ferme. Décidément, Ta no Kuni méritait bien sa réputation de pays tranquille, vu tous les établissements pacifiques ou religieux qui y étaient construits.

Après avoir marché une dizaine de minutes, notre mercenaire sortit sa carte. Si son sens de l’orientation n’était pas le meilleur de la contrée, il lui semblait bel et bien être près de la ville de Sonumi. Qui sait, peut-être trouverait-il des habitations où passer la nuit en attendant de reprendre la route. Quoiqu’il en soit, il avait pris la décision de quitter le pays dès le lendemain, voire le surlendemain.

Reprenant alors sa route, il ne tarda pas à constater la présence d’une autre personne. Un homme, vraisemblablement. Ne prenant pas le temps de savoir ce que cet inconnu faisait, Ketten s’approcha de ce dernier avec un seul objectif en tête : profiter de lui pour s’en mettre plein les poches.

« Eh salut ! Tu fais quoi ? »

Une approche plutôt familière, mais en rien surprenante lorsqu’on savait quel genre de personnage le Kaara était.

Je me dirigeais vers le village de Sonumi après un voyage à Oatan. Il faut dire que les affaires m’y ont appelé. Le temps qu’elles prennent et qu’elles démarrent bien, il me faudra continuer à m’y rendre régulièrement. Il est curieux de voir combien il faut donner constamment et régulièrement de soi pour atteindre des résultats voulus. La résistance des partenaires d'affaires ou des gens "normaux" face à la nouveauté est un frein majeur dans la plupart des projets. Et pourtant, tous s'engouffreraient dans le Youhei no Sekai au final. Alors pourquoi ne commençaient-ils pas dès maintenant ? Probablement que la vie ne me faciliterai pas les choses et que je serai condamné à travailler dur, à verser le sang pour que tous comprennent quelle est ma volonté. Rien ne m'a jamais été donné et c'est pour cela que je savais pertinemment que je ne lâcherai rien. J’avais déjà réalisé pas mal de choses au niveau de Sonumi que je commençais pas mal à contrôler. Le temps est mon allié et la patience est mon arme. Tôt ou tard je parviendrais à mes fins…

Parvenu à quelques lieues du village de Sonumi, je laissais me devancer les quelques marchands avec lesquels je faisais régulièrement la navette Oatan-Sonumi. Ils habitaient ici et étaient très certainement pressés de retourner à leurs épouses et affaires personnelles. J’envoyais le seul homme qui me servait de garde du corps me devancer au niveau du repos de l’Ermite. Il avait pour mission d’avertir Jaga de ma venue imminente afin que tout soit mis en place avant mon arrivée. Il faut dire que je commençais à vivre une petite vie de pacha et que quelque part je n’appréciais plus trop les mauvaises surprises. Je prenais quelques habitudes qui commençaient à devenir tel un rituel. A mon arrivée, il me fallait d’abord prendre un bon bain digne des grands seigneurs, puis me restaurer avec faste avant de m’intéresser aux affaires courantes. Lorsque le tout était réalisé, alors je pouvais m’orienter vers les plaisirs physiques, ceux que procure la présence féminine. Mon petit harem commençait à me manquer tiens. Une vingtaine de femmes toutes plus magnifiques les unes que les autres. La plupart étaient de Sonumi justement. Des veuves ou des femmes nubiles que j’avais pris en mariage en masse après assis une certaine domination sur Sonumi. Je disposais également d’une femme achetée à Oatan.

Je venais de m’arrêter sur un monticule. Plus loin devant moi, en peu plus bas, s’étalait le village de Sonumi. Je me plaisais à l’observer à chaque fois que j’y faisais mon entrée afin d’imprégner mon esprit de ses contours. Alors que je laissais mon imagination se saisir de toute cette étendue de territoire, un bruit attira mon attention. Dans mon dos venait d’apparaître un individu. Je l’observais de haut en bas, constatant facilement, qu’un guerrier se tenait devant moi. Un rônin possiblement ou peut-être un ninja ? Qui sait ? J’optais pour la première impression lorsque le nouveau venu m’interpella. Sa façon d’aborder les gens était particulière, plutôt directe tiens… Probablement un enfant de la rue, élevée à la dure... Le profil d’homme qui me plait à recruter. Je me tournais complètement vers lui les bras croisés, les mains cachées dans les larges poches de ma tunique. Je devais avoir l’air princier et si j’avais affaire à un brigand, pour sûr il tenterait quelque chose à mon endroit. Ne dit-on pas que l’apparence induit en erreur ?

_ Je ne te connais pas, il me semble ne jamais t’avoir croisé dans le coin, es-tu de ce pays ?

J’avais choisi de lui répondre d’une manière probablement aussi curieuse que celle qu’il avait opté. Mon interrogation cependant demeurait. Se pouvait-il qu’il soit de Ta ? Si oui de quelle contrée exactement vient-il ? Et que fait-il en ces lieux ? Ma mémoire ne me jouait guère de tours, j’étais conscients de ne jamais l’avoir croisé ici, pour la simple et bonne raison que jamais il ne s’était dressé sur mon chemin pendant les différentes actions que j’avais mené au sein de ce village.

Pour ne pas entrer dans un dialogue de sourd cependant, je choisis de répondre à son interrogation initiale.

_ Pour ma part, je me plais à observer le village. Contempler serait peut-être plus exact d’ailleurs.

Je m’intéressais à nouveau au gus. Mes yeux tentaient de mettre à jour son identité même s’il m’était aisé de savoir à quel genre de personne j’avais affaire à travers mes pouvoirs.

_ Et toi ? Que fais-tu ici ?

Plus que jamais, bras croisés, j'observais cet étranger audacieux.

L’homme ne tarda pas à faire volte-face. Ainsi se faisant, il dévoilait des traits de trentenaire et des vêtements dignes d’un homme aux conditions aisées. Une cible idéale pour le Kaara qui se délectait déjà intérieurement d’être tombé sur un homme qui semblait aussi riche. Mais contrairement aux malfrats de base, Ketten était un mercenaire et agissait comme tel. Ainsi, il réfléchissait davantage à la façon de proposer son aide à l’individu, plutôt qu’à le tabasser sur place. Plus qu’une façon de vivre et d’avoir la conscience tranquille, c’était également une façon plutôt intelligente d’agir : s’il le mettait à terre maintenant, que pourrait-il espérer récupérer hormis peut-être une simple bourse ? Au final, si l’argent restait roi pour notre Nukenin, faire plus ample connaissance avec son interlocuteur semblait tout indiqué.

Mais encore fallait-il que l’inconnu ait envie de faire pareil. Et lorsque ce dernier prit la peine de répondre, cela ne commençait pas dans le bon sens. Bien sur la défensive, l’homme aux allures presque princières était intrigué. Et comment ne pas l’être quand un inconnu venait vous aborder de la sorte. Loin d’être le plus intelligent des shinobis du continent, Ketten comprenait néanmoins sans difficulté la position de son compère.

« Pas vraiment non, mais j’connais bien le coin. »

S’il pouvait douter de l’affiliation de son interlocuteur pour Ta no Kuni, il fut persuadé du contraire lorsque ce dernier parla de contemplation de ce village. Il devait donc venir ici régulièrement, ce qui de fait assurait à ce dernier une connaissance certaine des environs. Un habitué de la zone, riche de surcroît : le profil du princier était de plus en plus alléchant à mesure qu’il se dessinait.

« Moi ? questionna-t-il rapidement avant de soupirer. Disons que je fais mon bout de chemin, à la recherche de petits travaux, jusqu’à ce que j’ai ce genre de déclic qui me fasse piger : c’est ça que tu dois faire. Tu comprends ce que j’entends par là ? »

C’était sans doute loin d’être clair pour son interlocuteur, mais le Kaara s’était compris. Et heureusement…

Intriguant au maximum, curieux, le personnage qui venais de m’aborder n’avait toujours pas livré son nom. Un dialogue s’était instauré entre nous deux et pourtant, jusqu’ici nous ne faisions que parler sans vraiment nous livrer. Qui était-il au fond ? Et que voulait-il ? Que faisait-il en ce lieu ? Il me faudrait probablement jouer au chat et à la souris pour en savoir plus. Quelque chose en moi me disait que j’avais affaire à un farfelu. Ou peut-être quelqu’un de joueur ? Oui, entrer dans son jeu pourrait être bénéfique en un sens, mais au final est-ce que je serai forcément gagnant ? Je pouvais également jouer cartes sur table sachant que j’étais plutôt connu dans le coin et donc aisément reconnaissable. C'est d'ailleurs pour cela que que malgré ses affirmations, je jugeais que mon interlocuteur ne devait pas être un familier de la zone. Du moins, je n’accordais aucun crédit à ses propos. Cependant quelque chose m’intéressa dans tout le blabla qu’il débitait. Il avait parlé de petits travaux… Qui dit petits travaux, dit personnage à la recherche de revenus ; à la recherche de marchés. II se trouve que je suis à moi seul un marché ! Rien que ça. Je le regardais d’un air sceptique cependant avant de lui répondre :

_ Faire Quoi ? Un rapide coup d'oeil de haut en bas pour bien vérifier qu'il ne tentait rien de suspect, j'enchaînais : J’espère pas que ton job c’est de baratiner un homme seul ou pis encore…

Je marquais une légère pause avant de changer le cours de notre petite discussion.

_ Je sais pas quelles sont tes aptitudes, mais si t’es intéressé et capable de te servir correctement des armes que tu portes sur toi, je pourrais peut-être te trouver quelques activités intéressantes dans un futur proche.

Je considérais mon interlocuteur toujours avec cet air sceptique et évidemment sur mes gardes. Depuis que je m’étais lancé dans le renouveau du Youhei no Sekai, je n’avais eu de cesse de rencontrer des individus que par la force des choses, j’intégrais à mon groupe. Il me paraissait évident que celui-ci, malgré ses airs farfelus et quelque peu intriguant pourrait m’être utile à bien des égards.

_ Quel est ton nom d’ailleurs ? Moi c’est Ozaï …

S’il avait fréquenté les lieux comme il le prétendait, il serait en mesure de faire certains liens. Probablement que je pourrais deviner ses pensées rien qu’à travers son expression faciale ou à la lueur de ses yeux ou encore au détour d’un geste incontrôlé trahissant l’orientation de ses pensées… En tous cas encore un peu et je serai en mesure de pouvoir exactement savoir à quel genre de personne j’avais affaire et le tout sans utiliser mes pouvoirs pour l’instant.