Hors mis le lointain sifflement du vent entre les pics montagnards et les frottements des quelques broussailles qui avaient su s'installer dans ces hauteurs où le climat s'avérait aussi aride d'une année sur l'autre, seul l'écoulement de l'eau qu'ils récoltaient venait perturber le calme impénétrable enveloppant la globalité de l'atmosphère, enraciné dans ces montagnes bien avant que le premier pied humain ne foule cette terre, que le premier étendard ne la transperce et que le premier trône ne s'y installe.
De l'eau, donc ; provenant d'un lac naturel constamment à basse température, riche en matières minérales, dissimulé mais ouvert sur le monde tout entier. Rien de grandiose, du moins par sa taille : de ces genres d'étendues qui ne figurent pas sur les cartes. Pour Mikami, elle était la plus proche de la brèche où il s'isolait ; en contre-bas, après avoir contourné le flan de montagne lui faisant face en direction du Nord-Est. Cette source d'approvisionnement, à l'aplomb de la vallée, avait donc le don de surplomber Shozaichi. Du moins, ce qu'il en restait.
Remontant le flan Ouest du val en retournant vers sa planque, la demi-douzaine de sabreurs (l'original et ses copies), maintenaient chacun leur paire de seaux sur les épaules, orientés un dernier instant vers le village caché dans la roche à cette heure baigné par les dernières lueurs du crépuscule. Il avait perdu le compte. Perdu le compte des jours passés loin de la ville, de chacun des shinobis qu'il avait pourtant l'habitude de côtoyer, de la fanfare qu'ils jouaient ensemble et qui avait depuis plusieurs mois triplé, quadruplé, décuplé en cadence. Les marteaux des forges s'abattaient plus fort, chaque lame devait être toujours plus aiguisée, comme les Hommes avaient le devoir inexorable d'être toujours plus rapides, toujours plus efficaces, toujours plus productifs.
On parle de toute une armée bon sang.
Le Yorurai avait accordé une chance à Iwa. Il n'avait pas oublié qu'il avait œuvré pour mettre en place ses défenses, son labyrinthe où même les esprits avaient fini par se perdre. Entre autre tâches qui à ses yeux se révélaient bien moins futiles que dramatiques : de cette cité où auparavant on venait en paix, s'étaient enfuis les familles qui n'avaient plus le moindre lien de sang avec quelconque part de l'armée. Ne restaient plus que des gens inquiets, la majeure partie du temps sur le qui-vive, n'ayant plus que leur rouage à faire tourner avec le désir de le voir un jour s'en détacher et dévaler la montagne, rouler au loin comme la dernière goutte d'espoir qu'ils avaient. L'affrontement était inévitable, et il n'était pas seulement question du Shûkai. L'empire n'était qu'un des laboratoires de ces conflits à grande échelle qui éclataient aux quatre coins du monde.
- Tu brûles, Shozaichi...
Était-ce à cause de ce tintamarre qui lui parvenait, ou des lumières des lampadaires qui venaient tout juste de s'allumer ? Ses yeux jaunes en fixaient le foyer comme ils auraient pu être fermés, plongés dans le vide, comme témoins de l'éternité. Pourquoi les lumières étaient-elles en train de chanceler ? Iwa était-elle réellement en train de s'embraser, ou ses pupilles étaient-elles en train de s'embuer ? Avec ce regard, il aurait juré voir l'âme qui l'avait accueillie entre ces murs... s'envoler. En une poignée d'année à peine, ces rues dans lesquelles il flânait légèrement et jouait allégrement du sabre lui étaient devenues hostiles. Dans le combat, la volonté de transmettre avait laissé place à la rage de vaincre.
Une larme perla sur son visage. Peut-être de fatigue, pour un bretteur qui s'était souvent abstenu de dormir la nuit ; à moins que ce ne soit une pointe de mélancolie, cette vague étrange qui venait de lui envahir les tripes... Soudainement ses clones explosèrent, au moment où ses idées n'étaient plus très claires. Une demi-seconde passée pour réagir et il sautait en arrière, orientait sa tête vers le sol et la pente en remontant ses jambes vers le ciel en un pied de lune, maintenait tant bien que mal la barre attachée aux deux seaux contre ses épaules de sa main gauche pour de sa main droite rattraper les autres, les coinçant avec une volée de shuriken qui les empêchaient de dévaler le précipice.
Et il rejoignait le sol, aspergé d'eau froide en s'accroupissant, s’agrippant de sa seule main de libre. Presque libre : cinq filins métalliques couraient respectivement vers un shuriken, de ceux qui avaient retenus les sceaux d'eaux. Un courant électrique leur emboîtèrent le pas pour très vite envelopper les étoiles ninjas, prendre forme humaine et former de nouveaux bunshin qui dans leur création soulevaient derechef l'eau qu'il était venu chercher. Certes il en avait perdu une part non-négligeable de la quantité initiale, mais il en avait sauvé bien assez. Ce n'était pas tant l'approvisionnement en eau qui posait problème, mais bel et bien en nourriture. Il ne fallait pas trop qu'il compte sur ses conserves ; de surcroît car dans l'ombre, ces montagnes regorgeaient d'animaux sauvages qui ne demandaient qu'à être chassés et dégustés. Si tous étaient très agiles, certains étaient féroces, les autres savaient particulièrement bien se cacher.
Non. En plusieurs mois de retraite, ses instincts ne s'étaient pas émoussés. Au contraire, à chacun de ses repas ils étaient un peu plus affûtés. Et de loin, dans les hauteurs, ses pensées mûrissaient ; le regard porté par-delà les nuages, au-dessus des terres qui s'embrasaient. Beaucoup de personnes allaient se confronter, et tout autant allaient y laisser leur seule et unique précieuse vie. Était-ce réellement pour cette cause qu'ils l'avaient remis entre les mains d'autrui ? Quelles étaient les raisons de la guerre qui opposaient les deux seuls berceaux que l'amnésique n'ait jamais eu ? Ah oui... L'étrangeté, la discorde... la crédibilité, les enjeux de pouvoir. Non, ce n'était pas pour ça qu'il s'était engagé, mais bel et bien désengagé.
Pourtant son katana demeurait fermement attaché à sa ceinture, comme un sourire en coin pouvait toujours poindre au coin de ses lèvres. Comme lorsqu'il se rappelait toutes ces fois où il avait dit qu'on ne peut arrêter le changement. Dans l'os la bastos, il n'avait rien pu faire face à celui-ci. Terrible ironie, que de se sentir largué là où l'on pensait faire un nid.
Et cette flamme qui brûlait au milieu de toutes les autres, rebelle, à la fois discrète et inquisitrice, luttait-elle aussi pour avoir le pouvoir ? ... Non, un enfant n'a pas d'autre souhait que de prendre le contrôle de sa seule et unique Vie… n'est-ce pas Hiko ?
Je ne suis pas loin. Mais en ce moment, j'ai juste besoin de prendre l'air. Même si parfois, je descends prendre des nouvelles, l'air de rien. Ceci dit soyez sans crainte...
Je suis encore loin d'avoir abandonné.
Et Mikami retournait à la brèche, encore une fois, sans se retourner. Mais ce soir là, un frisson lui parcourait violemment l'échine alors que son dos n'était même pas mouillé. Comme si, même des centaines de mètre après, cette Eau Froide n'avait pas voulu le lâcher, et le suivait, le surveillait, pour bientôt le rattraper.
Là où siégeait la cité resplendissante se terrent aujourd'hui des roches rougeoyantes
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum