Et la chasse avait repris. Très tôt ce matin, avec la résolution que cette fois-ci serait la bonne. Ça n’était pas un espoir, pas un désir. C’était une certitude. Ake n’avait plus de discernement à ce sujet. Elle avait pris la ferme décision que tant qu’elle n’aurait pas retrouvé trace d’Umeko, elle errerait dans le désert. Un bout de tissu, de cheveux ou de chair. Qu’importait. Elle passerait des dunes entières au tamis s’il le fallait. Ça n’était pas un bon sentiment qui animait son esprit. C’était une soif étrange, une attraction terrible et aussi éreintante qu’une drogue. Elle voulait la tuer. La massacrer, la déchirer. S’épurer le corps et l’âme de ce sang souillé. Elles n’étaient même pas sœur. Mais elle l’avait laissée seule. Elle était partie. Seule et désespérée. Ake devenait folle. Elle l’était déjà. On avait perverti son esprit par des rêves, des illusions, des cauchemars. On avait possédé son âme. Et dépossédée de sa vie. Enfin, elle avait donc saisit le peu d’affaire qui lui serait utile, et avait quitté sans plus de remord son habitat. En moins d’une heure, elle était aux portes du désert. Auparavant, elle s’arrêtait toujours à cette limite, surprise de voir le changement de paysage entre son pays à elle, de pluie et de métal, et le sable. Maintenant, cela n’avait plus d’importance. Elle regardait sans voir, aveugle. Elle passait et, seule, soupirait de devoir y retourner encore. Elle avait une telle haine contre les grains de sables. Ils se faufilaient encore par les interstices de ses vêtements. Ils venaient gratter aux pores de sa peau. Avec un reniflement de dédain, Ake prenait ainsi le chemin, sans se retourner. Il lui fallait d’abord, d’après le plan qu’elle avait mise au point pour plus d’efficacité – la dernière tentative ayant lamentablement échouée car elle avait dû revenir sur ses pas maintes fois – descendre au Sud en longeant la frontière avec Ame pour atteindre celle de Kawa. Umeko aimait tellement les frontières. C’était plus rassurant. Et Ake comprenait. Elles avaient toujours vécues à la frontière de deux pays. Hésitantes, et incertaines. A qui choisirait son camp.

Très vite l’ennui l’avait reprise. Comme une folle elle avait compté les grains de sables. Comme une poète elle avait sifflé le ciel. Mais la perfidie des dunes et du Soleil avait eu raison de sa patience. Pourquoi faisait-il si chaud ? Elle se sentait mal. Elle se sentait toujours terriblement oppressée. La nature s’acharnait toujours sur son corps, comme si elle n’avait déjà pas assez expié sa peine. Tout s’écoulait si lentement et semblait si flou ou vaporeux. Soudainement alors, Ake crut percevoir une ombre significative un peu plus loin – ou beaucoup plus loin, quelle importance. Un Homme à n’en pas douter. Car si le flou embrumait ses yeux, elle savait nettement encore discerner les corps. Son cœur fit un bond, puis elle se ressaisit. Quel était cet étrange pressentiment ? Elle pensait avoir trouvé, alors qu’elle n’avait encore rien vu. Elle était sure que c’était ce qu’elle cherchait. Mais il fallait être prudente pour ne pas voir ses espoirs envolés brutalement, si son pressentiment était faux. Et s’il était vrai, il ne fallait pas qu’Umeko se doute de quelque chose. Elle pourrait la prendre en traitre. Ake avait si peu de fierté. Mais tout compte fait, elle se sentait trop écrasée pour se faire discrète.

Elle se déplaça le plus rapidement possible, trainant des pieds dans ce sable brulant, en direction de la forme qui se précisait petit à petit. Une demoiselle, mais cela elle le savait déjà. Une demoiselle à l’aspect engageant. Et lorsqu’elle vit son visage… Elle avait le même. Mais pas les mêmes cheveux. Peut-être les avait-elle teints ? C’était dommage, car Ake adorait leur couleur si puissante. Ne les avait-elle pas un peu coupés aussi ? Non, non, probablement pas. Elle ne savait plus. Peut-être alors oui. Mais pourquoi se posait-elle autant de question… Et finalement, quand elles ne furent plus qu’à quelques mètres, Ake cessa de se trainer pour sauter brusquement sur la belle. Celle-ci l’avait déjà remarquée. Elle était prête. Mauvaise idée. Tout ceci était une si mauvaise idée. Forte de son élan, Ake ne pouvait pas vraiment s’arrêter net, alors elle força tout son corps à effectuer un demi-tour sur lui-même pour dévier de sa trajectoire. Revirement soudain, et elle atterrissait dans une gerbe juste à côté. Elle se releva, s’épousseta calmement et tranquillement. Ses yeux… Ce n’était pas Umeko. Ake rêvait. Rêvait et se déchirait le cœur. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait des illusions, intentionnellement ou non, mais jamais cela ne lui faisait aussi mal. Elle tremblait de se mettre à pleurer, mais c’était ce qui arriverait bientôt si elle continuait à se briser le cœur. La folle se mordit avec la force d’une bête sa lèvre inférieure. Bleed, bitch bleed. Il fallait tout de même qu’elle reparte. Mais il y avait un étrange malaise face à cette demoiselle aux cheveux roses. Elles se ressemblaient, indéniablement, sa sœur et elle. Sans doute aussi qu’elle avait un peu oublié les traits de son visage… Jamais, au grand jamais, elle n’oublierait l’espace de ses bras toutefois. Câlins et réconforts. Autant que combats. Et sang.

Comme elle ne pouvait s’empêcher de se sentir aspirée par la seule présence de la jeune dame, Ake songea qu’elle devait engager quelque chose, faire un geste. Absorbée et intéressée. Elle devenait curieuse. « Excuse-moi. Je t’ai pris pour quelqu’un d’autre… Vous vous ressemblez tellement, je crois. Peut-être que tu l’as vu ? » C’était un peu débile comme question. Ake puait le désespoir ces temps-ci.