- Fais ce qu'on te demande sans discussion ! Si jamais tu me déshonores, je mettrai fin moi-même à ta misérable existence ! Tu as bien compris ?

Loin d'être réjouie, la jeune Natsumi se contenta d'hocher la tête. Sa sensei venait de lui confier sa première mission et celle-ci ne lui convenait guère mais pour sa survie, elle devait se soumettre à la volonté de celle qui détenait sa vie.

Le dos courbé et les yeux rivés vers le sol, la Natsumi avait envie de pleurer alors qu'elle n'était même pas encore partie accomplir la vile mission qui n'était autre que le massacre des innocents. Tuer des pauvres villageois qui ne désiraient que vivre en paix était au-delà de ses forces.

Une main vint empoigner sans ménagement ses cheveux, la forçant à relever la tête.

- C'est quoi cette tête ? Tu tiens vraiment à me faire honte en partant sur un champ de bataille avec une tête pareille ? Je t'ai sauvé, soigné, nourrit, logé et enseigné l'art du ninjutsu pour que tu deviennes une kunoïchi digne de servir Makka ! Le jour de faire tes preuves arrive alors tâche de faire de ton mieux parce que tu n'auras pas une seconde chance ! Si tu échoues, mets-toi bien dans le crâne que ça sera la fin pour toi !

Sa sensei lâcha la Natsumi.

- Tu partiras au point de rassemblement tôt demain matin alors tâche de te reposer !

La Natsumi ne comprenait vraiment pas. Même si sa sensei se montrait très dure envers elle, elle avait parfois l'impression qu'elle tenait à elle. Maintes fois, elle l'avait déjà menacé de la tuer mais au final, elle s'était juste contentée de la brutaliser. Chose qui avait fini par nourrir l'espoir de la Natsumi de pouvoir attendrir le cœur de sa sensei bien qu'elle était réputée être aussi machiavélique que la Déesse des flammes qu'elle servait avec dévouement.

La tentation d'aller supplier sa sensei de ne pas l'envoyer accomplir la maudite mission étreignait Mairu mais la peur de mourir l'empêchait de faire un seul pas.

- Je suis vraiment pathétique ! Marmonna la jeune fille alors que de nouveau sa tête s'était baissée tandis que les ongles de sa main droite éraflèrent son avant-bras gauche.

Des larmes perlèrent sur le sol et du sang de son avant-bras.

Au lieu d'aller dormir comme l'avait conseillé sa Maîtresse, la jeune Natsumi resta longuement dans sa position d'un être rongé par le désespoir.

***

Dès l'aube, la tête plein des sermons et de menace de mort, la Natsumi se rendit au point de rassemblement où elle trouva un groupe des jeunes accompagnés d'un seul adulte. Ce dernier était chargé de donner les ordres aux petits soldats. Mairu se demanda si leur mission n'était pas en réalité une sorte de preuve pour voir s'ils étaient dignes de servir Makka.

Parmi les têtes présentes, la jeune kunoïchi aux lunettes reconnu le jeune garçon au masque qu'elle avait rencontré il y a tout juste un mois dans la forêt où elle avait l'habitude de trainer. Mairu n'était même pas étonnée de le voir ici. Ceux qui désiraient survivre sur cette île étaient dans l'obligation de servir la Déesse des flammes et il était de ceux-là tout comme elle.

Le jouvenceau connaissait le vrai visage de la Natsumi. Celui d'un être trop affable qui n'avait certainement pas sa place dans le rang des soldats de Makka mais présentement, Mairu arborait un faciès placide tel un masque fragile qui voilait ses véritables sentiments …

Alors que tous les petits soldats s'élancèrent, la plupart à cœur joie, dans la bataille que la jeune Natsumi qualifiait personnellement d'une niaiserie sans nom, cette dernière ne bougea pas de sa position et se retrouva rapidement seule.

- Qu'est-ce que tu attends pour bouger ton cul, toi ? Lâcha le chef qui se contentait de surveiller le champ de bataille d'où des cris d'agonie commençaient déjà à s'élever dans les airs.
- J'ai envie d'aller aux toilettes, répondit Mairu d'une voix totalement sereine.
- Tu te fous de moi !? Commença à s'énerver l'homme.
- Jamais je ne me permettrai de me moquer de vous … chef ! Je n'avais pas envie tout à l'heure mais là ça presse vrai …
- Je m'en fiche ! C'est ton problème et non pas le mien alors bouge ton cul et va faire ton travail ! Chie dans ta culotte si tu veux mais fais sauter des têtes si tu ne veux pas voir la tienne voler par ma propre lame !

La Natsumi se contenta de fixer l'homme d'un regard assassin.

C'est la tienne que j'ai envie de faire sauter et je le ferai un jour ! Pensa Mairu avant de s'accroupir tout en sortant de la pochette accrochée derrière la ceinture de sa jupe un parchemin sur lequel était dessiné un sceau d'invocation. Rapidement, elle exécuta quelques mudras puis apposa la paume de sa main droite sur le parchemin pour faire apparaitre une hallebarde. Elle saisit l'arme avant de se relever puis, délaissant le parchemin sur le sol, l'apprentie kunoïchi s'avança enfin en direction du village des pêcheurs dont certaines cabanes étaient déjà en feu.

Elle ne tarda pas à arriver non loin du jeune garçon masqué qui trainait en arrière se contentant d'achever des survivants.

- J'aurais dû te laisser mourir de mes baies ! Répondit Mairu d'une voix grave qui n'avait rien à voir avec le ton docile qu'elle avait lorsqu'elle avait pris soin du petit garçon dans la forêt.

Malgré ses propos, la Nastumi n'avait aucun regret d'avoir secouru le petit garçon mais si elle avait été au courant que celui-ci était sous les ordres de Makka, bien qu'elle ne l'aurait pas achevé car elle n'était pas du genre à attaquer un être incapable de se défendre, elle l'aurait cependant laissé dans son agonie après avoir ingurgité les baies toxiques. La bête sauvage affamée qui l'avait attaqué l'aurait alors surement tué puis mangé jusqu'aux os par la suite.

Sans rien ajouter de plus, la jeune fille devança le jeune garçon mais sans se précipiter.

Il fallait faire sauter des têtes ? Alors elle allait en faire sauter et pas qu'une ou deux ...

Des cadavres des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants gisaient un peu partout, dehors et dans les cabanes dont certaines se terminaient de se consumer. En quelques minutes seulement, le petit village des pêcheurs s'était transformé en véritable enfer.

La Natsumi n'arrivait pas à comprendre comment pouvait-on massacrer des innocents de la sorte. Ces infortunés n'avaient rien fait de mal. Tout ce qu'ils désiraient étaient de mener une vie paisible. Malheureusement pour eux, là était une chose impossible sur cette île qu'on pourrait considérer comme le pandémonium sur terre.

Plantée au milieu d'un paysage bien sinistre et chaotique, la Natsumi avait le souffle saccadé. Elle avait du mal à respirer tant elle bouillonnait de rage. Un regard glacial sur deux jeunes garçons qui étaient supposés être ses alliés poursuivre des malheureux qui tentaient de s'échapper, ses doigts se fermèrent un peu plus sur sa hallebarde. Les petits soldats semblaient bien s'amuser de l'infortune de leurs futures victimes.

Exacerbée, des pas précipités Mairu se rapprocha des prédateurs et de leurs proies qui venaient de disparaitre dans une cabane encore intacte où les fuyards s'étaient retranchés futilement. Le mauvais réflexe des apeurés qui avaient tendance à envenimer leur situation par leur initiative irréfléchie. En rentrant dans cette maison, ils n'avaient fait que se mettre le dos au mur.

La binoclarde rentra dans le cabanon alors que l'un des petits soldats de Makka venait de trancher la gorge d'un homme pendant que l'autre tirait en ricanant le pied d'un enfant que sa mère ne voulait pas lâcher.

- Qu'est-ce que tu fais là toi ? Ce sont nos proies ! Va voir ailleurs ! Déclara le premier soldat qui avait remarqué la présence de la Natsumi.

Avide de sang, le jeune garçon ne lui accorda pas plus d'attention. Aussitôt il s'était retourné pour aller s'occuper du reste de la famille, un sourire malsain aux lèvres mais sa tête roula soudain sur le sol sans perdre l'expression d'exaltation qu'il avait arborée avant de tomber.

- Qu'est-ce …

Mairu fondit sur le second garçon qui se trouvait désorienté par ce qui venait de se passer. Il n'avait même pas réussi à terminer sa phrase que sa tête tomba comme celle de son camarade. Du sang du soldat qui venait de tomber avait éclaboussé la mère et ses deux enfants qu'elle tentait à présent de protéger vainement de ses bras.

- Je vous en prie, épargnez au moins mes enfants ! Supplia l'infortunée à Mairu qui les fixait d'un regard dénué d'émotion alors que de la lame de sa hallebarde s'écoulait du sang de ceux qu'elle venait de décapiter.
- Je vous conseille de faire les morts ! Dit la Natsumi avant de tourner les talons.
- Me … Merci !

Alors qu'elle était sur le point de regagner la sortie, un autre petit soldat pénétra la cabane mais Mairu ne lui accorda pas le temps de constater ce qui se passait en l'empalant avec son arme.

Il fallait avoir du sang sur les mains ? He ben, maintenant elle en avait et ceux de ses véritables ennemis.

Être au cœur bienveillant capable de se transformer en monstre pour appliquer sa justice, voilà qui était Mairu Natsumi.

Après s'être occupée du sort d'un quatrième soldat isolé, la Natsumi se dirigea vers le petit port où s'étaient précipités les villageois qui cherchaient à s'échapper par la mer sauf que leurs bateaux avaient déjà brûlé.

Tout en marchant, Mairu se prit les pieds dans un filet et tomba vers l'avant. Au moment où elle releva la tête elle vit le garçon masqué trancher la gorge d'un homme. Elle supposa que ce dernier était celui qui venait de la piéger. Le garçon au masque venait donc surement de lui sauver la vie. Seulement, elle ne ressentait aucune reconnaissance envers celui-ci. Elle aurait pu s'en tirer toute seule malgré sa situation. Et même si ça n'aurait pas été le cas, elle aurait accepté sa mort sans regret. Elle préférait ce choix que de se faire secourir par ce garçon qu'elle aurait dû tuer.

- Encore toi ? Va donc voir ailleurs si j'y suis ! J'en ai assez de voir ton masque ridicule ! Fit la Natsumi loin d'être effrayée malgré sa position qui ne jouait pas en sa faveur.

Les sens aux aguets et la main droite tenant toujours fermement sans arme, elle guettait le moindre mouvement du jeune garçon. Allait-il achever le travail qu'il n'avait pas pu mener jusqu'au bout dans la forêt ? Qu'il essaye donc. Cette fois-ci Mairu ne l'épargnerait pas s'il ne réussissait pas à la dominer. Tâche que la Natsumi ne comptait pas lui faciliter.

Ils étaient à découvert alors si un combat venait à éclater entre eux, ceux qui étaient de leur camp finiraient par les remarquer. Alors, le survivant devra justifier son acte et la meilleure solution de s'en sortir pour lui serait d'accuser le perdant de traitrise. Mais, pour se rassurer que celui qui avait perdu était bien le traitre, celui qui avait survécu sera alors tué à son tour. Ainsi fonctionnaient les choses sur cette île maudite …

La malheureuse famille que la Natsumi avait sauvée finit par se faire arrêter. Son acte qui aurait pu lui coûter sa propre vie à cause d’une traitrise se montra donc vain.

Alors que la mère et ses deux enfants furent amener à la guillotine comme les autres prisonniers - car le chef ne désirait aucun survivant - la femme fixa Mairu d’un regard la suppliant de lui venir en aide une fois de plus. Chose qui n’échappa pas au chef alors que la jeune kunoïchi aux yeux rouges se tenait non loin de lui en rang avec d’autres soldats.

N’importe qui aurait jugé qu’il y avait bien trop de pertes dans leur rang pour un assaut contre un simple village des pêcheurs. L’idée qu'un traite se trouvait parmi les jeunes gens au service de Makka frôlait donc l’esprit du chef mais aussi de certains des petits soldats. Les victimes avaient été attaquées par une arme tranchante dont deux avaient été carrément décapitées nettes. Cela ne pouvait pas être l’œuvre d’un simple pêcheur mais trop des petits soldats possédaient une arme tranchante ce qui faisait bien trop de coupables potentiels. De plus, la probabilité que quelques pêcheurs étaient capables de se battre n’était pas à exclure et ils n’avaient pas que des filets et des cannes à pêche mais aussi des couteaux, des haches et même des machettes pour accomplir certaines de leurs tâches quotidiennes.

Seulement, le regard de la femme éveilla la suspicion du chef à l’égard de la Natsumi.

- Connais-tu cette femme avec ces deux enfants ? Demanda le chef qui s’était rapproché de Mairu.
- Non chef.
- Peux-tu alors me dire pourquoi elle te jette ce regard te suppliant de lui venir en aide ?
- Peut-être parce que j’ai la tête d’une gentille fille ?
- Ne joue pas au plus maline avec moi ! Je sais que tu es la sœur d’Haru Natsumi et que Sayuri fonde beaucoup d'espoirs sur toi mais cela ne fait pas de toi un être à part. T’es un serviteur de la grande Gogyou Makka comme tous les autres et mise sous mes ordres donc j’ai droit de mettre fin à ton existence si je veux !

Sayuri était le nom de la sensei de la Natsumi.

Comme Mairu le pensait, sa survie était sans doute due à son lien de parenté avec le senin Haru Natsumi. Tout comme sa sensei, certains semblaient croire qu’elle pourrait devenir un shinobi aussi redoutable que son grand frère mais ils étaient bien les seuls à le penser. Elle, elle n’y croyait pas du tout. Si elle arrivait à la cheville de son frère, ça serait déjà un miracle.

Comme les autres petits soldats, la Natsumi assista sans broncher à la décapitation tour à tour des prisonniers. Son faciès arborait une expression complètement placide bien qu’en son for intérieur la rage se mêlait à la souffrance. Elle manqua de vaciller lorsque ce fut au tour de la petite famille qu’elle avait tenté de sauver vainement de se faire exécuter.

Un garçon sur le point de se faire exécuter exprima soudain le souhait de servir la Déesse des flammes. Un instinct de survie assurément, à moins que son acte n’était alimenté par le désir de venger les siens un jour s’il survivait en rentrant au service de la diablesse qu’il souhaitait éliminer. Une initiative plutôt louable malgré sa nature malsaine.

Le chef ordonna qu’on lui amène le gamin.

- Natsumi, débarrasse-moi de ce garçon !
- À vos ordres !

Sur ces mots, sans la moindre hésitation qui aurait pu la trahir, Mairu transperça le jeune garçon au niveau de la poitrine avec la lame de sa hallebarde .

Pardonne-moi ! Pardonne ma faiblesse ! Supplia intérieurement la Natsumi alors que le jeune garçon s’affala sur le sol.

Le chef sembla satisfait et ordonna de poursuivre l’exécution des survivants restants.

Par son acte plus que méprisable, Mairu venait de laver tout soupçon sur sa personne mais la culpabilité la rongeait de l’intérieur. La culpabilité de n’être qu’une ordure comme tous ceux qui servaient Makka. La culpabilité de n’être qu’une incapable. La culpabilité de n’être qu’une faible qui prenait la vie des autres pour sauvegarder la sienne ...

Une fois la tâcha ignoble de se débarrasser de tous les survivants achevée, les jeunes soldats reçurent l’ordre de rassembler tous les matériels qui pourraient leur servir ainsi que les vivres encore récupérables des défunts. Sur l’Île de la Cendre où rien ne poussait, la moindre chose comestible, même la plus infecte, avait de la valeur.

Après un massacre des innocents, voilà qu’ils s’adonnaient au pillage. La Natsumi avait envie de vomir face à des actes si abjects dignes des pires espèces humaines. De la barbarie à l’état pur.

Tout en exécutant le travail turpide comme ses supposés camarades, La Natsumi se haïssait d’être tombée si bas. Si elle avait une once de courage, elle aurait mis un terme à sa déchéance en mettant fin elle-même sa pathétique existence par un attentat-suicide. En emportant avec elle un maximum de ces monstres au service de la diablesse des flammes, sa mort aura au moins un sens louable malgré les crimes qu'elle venait de commettre. Seulement, elle était bien trop faible pour passer à l’acte. Bien que présentement elle méprisait son existence à ne plus s’aimer, elle ne désirait pas mourir. Depuis son arrivée au Pays de la Cendre, elle s’accrochait à la vie avec l’espérance de recouvrir sa liberté un jour en quittant l’île maudite.

La volonté de survivre de la Natsumi était aussi alimentée par l’espoir de retrouver un jour son grand frère qu’elle n’avait jamais réussi à oublier, bien que ce dernier avait abandonné sa famille dont la petite sœur qui l’aimait plus que tout. Se retrouvant seule après la mort de ses parents alors qu’elle n’avait que treize ans, Mairu avait décidé de partir à la recherche d'Haru, se servant des rumeurs qui lui parvenaient à son sujet pour s’orienter. Malheureusement, elle avait failli mourir à peine avoir franchi la frontière de son pays natale et ce fut à ce moment-là que Sayuri rentra dans sa vie en la sauvant des bandits qui l’avaient attaqué. Acte plutôt bienveillant de la part de la Kunoïchi au service de Makka mais qui en réalité avait été motivé par un intérêt personnel. Aujourd’hui, Mairu se demandait même si elle n’aurait pas dû plutôt mourir ce jour-là. Au moins, son âme n’aurait pas été souillée ou point d’être capable de tuer un enfant innocent pour sauver sa propre carcasse.

Alors que quelques soldats se reposèrent en attendant que ceux qui étaient partis plus loin ne reviennent avec leurs butins, un jeune garçon aborda la Natsumi. Le jouvenceau lui offrit des baies qu’elle connaissait plus que très bien.

- Si tu veux m’empoisonner, fais-le au moins plus discrètement ! Lâcha la Natsumi.
- T’empoi ... mais ... Comprenant enfin, le jeune garçon se tourna vers Shigo avant de regarder de nouveau Mairu, le visage décomposé. Dé ... désolé mais je ne savais pas que ces baies étaient du poison, s’excusa le jeune garçon tout en jetant ce qu’il avait en main avant de se l’essuyer sur ses vêtements. Je suis vraiment désolé Natsumi !
- C’est bon, je fais comme si tu ne m’as jamais offert ces baies ... Évite de te faire influencer si facilement à l’avenir ! Un tel comportement est indigne d'un serviteur de la grande Makka.

Sur ces derniers mots, les yeux de Mairu se fixèrent sur le garçon au masque. Elle avait remarqué que ce dernier n’avait pas cessé de la guetter. La jeune fille avait même aperçu que c’était lui qui avait motivé l’autre à venir lui offrir les baies qui en réalité étaient toxiques.

Délaissant celui qui cherchait à lui faire la cour, la Natsumi se dirigea vers celui qui désirait sa mort. Avec assurance, elle se planta face à ce dernier.

- Cesse de m'épier ! Si tu as quelque chose à me dire, dis-le-moi en face ! Et si c’est ma mort que tu veux, aie au moins le courage de le faire par toi-même ! Par des actes aussi pathétiques, tu es indigne de servir la grande Makka ! Fit Mairu sur un ton assez élevé pour se faire entendre par ceux qui se trouvaient non loin d’eux.
- Tu entends ça, Yamanaka veut tuer Natsumi !
- Mais pourquoi ?
- Elle lui a peut-être foutu un râteau !
- Qu’est-ce qui se passe ici ? S’écria le chef, alerté par le brouhaha qui se levait.
- Réponds-lui donc, Yamanaka-san ! Lâcha Mairu au garçon masqué alors que le chef se tourna vers le jeune garçon ...

Le Yamanaka aurait sans doute l'audace de l’accuser de traitrise mais l’idée ne faisait point peur à la Natsumi dont le jeu d’actrice et la manipulation faisaient partie de l’éducation qui lui inculquait Sayuri. D'ailleurs, elle avait déjà simulé sa fidélité à Makka en prônant son nom à vive voix par deux fois en seulement quelques minutes afin d'assurer sa couverture ...

La Natsumi avait invité le Yamanaka à justifier ce qui se passait à leur chef non pas dans le désir de le mettre en mauvaise posture mais par cet acte la jeune kunoïchi souhaitait surtout savoir dans quel camp ranger le garçon masqué qu'elle avait secouru sans arrière-pensée dans la forêt. Bien qu'elle ne le pensait pas être un adorable garçon et qu'il cherchait vraisemblablement à la nuire depuis qu'ils s'étaient retrouvés - pour une raison qui lui échappait totalement d'ailleurs - la déception de Mairu fut totale face aux propos que jeune Yamanaka avait avancés. Ses dires n'étaient pas que des mensonges mais la Natsumi ne s'attendait pas à ce que celui qu'elle avait sauvé d'une mort certaine la balancerait de la sorte. Elle l'avait secouru sans attendre un quelconque acte de reconnaissance de la part du garçon masqué mais son action lui fit cependant un pincement au cœur. Pour sauver sa peau, le Yamanaka n'avait pas hésité à la vendre sans oublier d'embellir ses propos par quelques boniments pour mieux l'enfoncer. Au final, il n'était qu'un véritable lâche comme elle et tous les autres.

Malgré la déception, la Natsumi n'en voulait pas pourtant à celui qui venait de la poignarder dans le dos car elle se disait qu'elle ne valait pas mieux que lui après avoir tué sans la moindre hésitation un enfant innocent pour sauver sa pitoyable vie.

- Je ne vais pas me justifier car je n'ai rien à me reprocher ! Je vous laisse donc juger par vous-même les propos de mon camarade, chef ! Lâcha sereinement la Natsumi pour répondre au regard qui lui jetait celui qui les commandait.

Si elle n'hésitait pas à avancer des âneries ou des vérités qui blessent dans le but de mettre en mal un être ou à le provoquer, la jeune kunoïchi aux yeux sanguins n'affectionnait pas cependant la guerre des paroles mensongères. Elle considérait même ce jeu d'une frivolité dans laquelle elle ne désirait pas tomber. Pourtant, ce n'était pas des raisons à avancer afin de contredire les acquisitions du Yamanaka qui manquaient à la Natsumi mais cette dernière préférait ne pas rentrer dans le jeu qu'elle qualifiait de puéril du jeune garçon masqué.

- Je n'attends pas de vous une solidarité d'équipe mais tachez au moins de ne pas vous entretuer ! Si vous désirez mourir, faites-le sur un champ de bataille au nom de celle que vous servez ! Fit le chef après avoir regardé longuement tour à tour la Natsumi et le Yamanaka. Puisque vous semblez avoir de l'énergie à revendre, vous allez tous les deux poursuivre les villageois qui ont réussi à s'échapper dans la forêt ! Revenez avec deux têtes chacun. Si dans deux jours vous ne revenez pas, j'enverrai vos camarades chercher vos propres têtes !

Finalement, il semblerait que le chef avait de suspicion mais pas que sur la Natsumi. Ainsi, il envoyait donc tous les deux à la chasse de ceux que l'un d'entre eux semblait vouloir protéger.

Sans avoir droit à la moindre réserve de nourriture ni même d'eau, le Yamanaka et la Natsumi se dirigèrent vers la forêt qui bordait le village des pêcheurs qu'ils venaient de massacrer. Une fois à l'intérieur de bois, après s'être rassurée que le Yamanaka était parti de son côté, au lieu d'aller se précipiter à la recherche des proies, Mairu s'accroupit derrière un grand arbre. Loin des yeux, elle laissa enfin échapper sa souffrance qu'elle contenait jusque-là. Des larmes ne tardèrent pas à se déverser de ses yeux alors qu'elle s'enlaçait de plus en plus comme pour éviter à son corps de trop se secouer. Isolée, elle pouvait enfin être elle-même : une jeune fille faible. Trop faible pour vivre longtemps sur cette île où la compassion était une réelle faiblesse. Elle savait pertinemment que la bonté n'avait pas sa place sur l'Île de la Cendre mais elle n'était pas disposée à devenir comme ces monstres au service de Makka.

Délaissant sa hallebarde sur le sol, la Natsumi était dans une réelle position de vulnérabilité mais en ce moment elle était prête à se laisser tuer par n'importe qui, pensant que la mort la libèrerait définitivement de sa souffrance qu'elle ne pouvait plus supporter. Mais, malgré cette pensée qui la submergeait son corps réagirait peut-être autrement car la mort n'était pas sans doute ce que son être réclamait réellement …

Du sang, des morts, encore et encore. Cela ne cesserait-il donc jamais ? Elle en avait marre. Marre de tuer pour les autres et de voir des innocents se faire tuer pour des idéaux qu’elle n’embrassait point.

La Natsumi accorda à peine de l’attention à l’Yamanaka qui venait de lui offrir la tête d’un jeune garçon qui avait cherché à la tuer. Un présent dont elle se serait passé volontiers. Sentiment que la Natsumi ne tarda pas d’ailleurs à partager avec le concerné car, oubliant un moment sa détresse, elle se pressa de le rattraper avant de lui jeter aux pieds son cadeau macabre. Sans un mot, elle se contenta de le toiser d’un regard où se mêlaient haine et déception puis, toujours dans le silence, la jeune fille s’éloigna rapidement.

Le jeune Yamanaka avait découvert son vrai visage mais ça, la Natsumi s’en fichait royalement. Qu’est-ce que cela pourrait bien lui apporter de toute façon ? Un bon point auprès de ceux qui l’exploitaient peut-être, s’il parvenait à leur prouver qu’elle était bien une traitresse et puis après ? La dénoncer ne lui apporterait ni gloire, ni fortune, pas même une patate supplémentaire pour son repas. Avec un peu de chance, par son acte, il gagnera en prime la haine de Sayuri qui connaissait déjà la véritable nature de celle qu’elle avait prise pour disciple mais qu’elle tentait de protéger malgré tout. Même si elle ne voulait pas l’admettre, la kunoïchi réputée avoir un cœur de glace avait fini par s’attacher à son élève. Sinon, comment expliquer le fait que la Natsumi était toujours en vie alors qu’elle l’avait déjà maintes fois déçue ?

Mairu se dirigeait vers une direction inconnue mais ses pas l’éloignaient de plus en plus du village qu’ils avaient vidé de ses habitants. Elle se précipitait pour oublier le tourment qui la rongeait mais après plus d’une heure d’avancée au hasard, elle finit par atteindre la côte qui se présentait sous forme d’une pente bien abrupte. La jeune fille se laissa alors choir sur le sol. Assise en tailleur, elle contempla la mer qui semblait la narguer. Son vaste étendu et son horizon sans fin lui faisait rappeler son état de prisonnière de cette île maudite de la Cendre. La Natsumi désirait tant partir mais elle ne pourra jamais s’échapper sans se faire repérer car la mer tout autour de l’île était étroitement surveillée par les serviteurs de la diablesse des flammes et elle ne désirait pas mourir futilement.

Le temps s’écoula et le cœur de la Natsumi finit par s’apaiser. Tout doucement, elle se releva, saisissant fermement sa hallebarde alors qu’une résolution suicidaire dansait dans son esprit. Elle ne rapportera pas les deux têtes mais attendra qu’on vienne chercher la sienne. Elle était résolue à abandonner sa vie pour être enfin libérée de cette déchéance qu’elle ne pouvait plus supporter, en emportant avec elle le plus de monstre possible.

La jeune kunoïchi était plus que lasse de servir de chienne à un être qu’elle n’appréciait guère. Plus jamais elle ne se salirait les mains par lâcheté ...

La Natsumi accueillit le chef et ses petits soldats, sa hallebarde brandit vers eux. Arme qui s’abaissa tout doucement alors que l’homme lui parlait de trophé qu’elle aurait laissé sur un arbre. La jeune fille ne mit pas longtemps à comprendre que c’était l’œuvre du garçon masqué.

Que cherche-t-il donc exactement ? Se demanda la binoclarde. Il la soupçonnait de traitrise, il n’avait cessé de la surveiller pendant le massacre des villageois, il avait failli l’empoisonner avec des baies toxiques, il l’avait balancé au chef et maintenant ... il cherchait à la sauver ?

Le jeune garçon souhaitait sans doute s’acquitter absolument de la dette qu’il pensait lui devoir. Sauf que la jeune binoclarde n’attendait rien de sa part. Ce qu’elle avait fait n’avait pas été du tout calculé mais avait été pur fruit de l’instinct. Il l’avait soigné parce que son être avait refusé de le laisser mourir. Son acte avait été donc totalement désintéressé. Jamais elle n’avait souhaité l’accabler d’une quelconque dette envers sa personne alors il ne lui devait absolument rien.

La Natsumi aurait pu dire la vérité et ainsi accomplir ce qu’elle avait projeté : cesser sa déchéance en amenant avec elle dans la tombe le plus possible de ces monstres au service de Makka. Seulement, ça serait vraiment égoïste de sa part après tout le mal que le garçon masqué avait déployé pour avoir les têtes supplémentaires pour sa survie. Bien qu’elle ne lui avait rien demandé, la Natsumi ne désirait pas piétiner l’effort du jeune garçon. Elle n’était pas non plus un être qui plaçait sa fierté trop haut pour refuser d’admettre qu’on l’avait aidé. Ainsi, croyant fermement que le jeune garçon avait fait tout cela pour elle et non pas pour se débarrasser des têtes en trop qu’il avait dû couper pour sa propre survie, la Natsumi accepta de jouer au jeu du garçon masqué.

- Je vous promets que nous ne chamaillerons plus, chef ! Lâcha Mairu qui s’était de nouveau glissée dans la peau du soldat obéissant.
- Je préfère ça !

Une fois revenue au camp, la jeune fille aux prunelles sanguines se dirigea sans attendre vers la tente où se trouvait celui qui venait d’endosser sans son consentement le rôle du héros qui l’avait sauvé d’une mort certaine. Elle rentra sans en demander l’autorisation à son petit héros.

- Que me veux-tu donc ? Demanda la Natsumi sans même un bonjour, tout en se baissant pour de défaire les bandages mal mises du jeune garçon et ce sans lui demander son avis. Tu aurais pu mourir pour moi ! ... Je ne te comprends vraiment pas. Tu veux te débarrasser de moi mais quelques jours après, tu me sauves alors que ton vœu aurait pu s’exaucer. Si c’était pour rembourser une dette alors ce n’était vraiment pas la peine car tu n’en as jamais eu envers moi. Je ne t’ai pas soigné l’autre jour pour que tu me rendes la pareille. Enfin bon, si tu y tiens, on va dire qu’on est quitte maintenant et je t’interdis de te mêler de mes affaires à l’avenir !

Sur ces derniers mots, afin de forcer le jeune garçon à les imprégner dans sa petite tête, Mairu noua dans un geste brusque le bandage qu’elle était en train de faire alors que jusque-là, elle y allait avec délicatesse. Elle poursuivit ensuite en douceur.

Tout en le soignant, la Natsumi inspectait le corps marqué par des blessures mais aussi par la malnutrition du jeune garçon. Il devait souffrir bien plus qu’elle qui dans son malheur avait le privilège d’être isolée du centre du mal dans lequel le jeune Yamanaka devait par contre se baigner tous les jours. Et si par ses actes incompréhensibles, le jeune garçon voulait juste attirer son attention . Chose qu’elle était prête à lui donner car maintenant, elle pensait qu’il n’était pas si mauvais au fond bien qu’il semblait refuser de l’admettre. Tout comme elle, il n’était qu’une victime de cette île maudite.

Dans un élan de compassion, les yeux au bord de larmes, la Natsumi serra brusquement le jeune garçon dans ses bras et ce sans demander son avis une fois de plus.

- Échappons-nous de cet enfer ensemble !

La Natsumi savait pertinemment qu’il était impossible de partir de l’Île de la Cendre sans y laisser la vie. Sinon, elle ne serait certainement plus sur cette île maudite à commettre des actes qui allaient à l’encontre de ses principes.

Ses mots de réconfort à l’attention du jeune Yamanaka s’étaient échappés de ses lèvres sans contrôle. Sa bouche avait exprimé ce qu’elle désirait tout en fond d’elle ; oubliant un instant la réalité dans laquelle ils étaient confrontés. Une réalité - comme le jeune garçon masqué l’avait exprimé lui-même - qui ne leur offrait aucune échappatoire possible à moins qu’un changement ne vienne perturber le quotidien d’oppression que Makka avait instauré sur l’ensemble du Pays. Dans l’état actuel des choses, faibles comme ils étaient, ils ne pouvaient que subir cette réalité accablante. Le moindre débattement pour essayer de s’y extirper ne ferait que précipiter leur fin.

Seulement, Mairu ne se sentait pas en état de supporter ce quotidien de déchéance et de souffrance encore très longtemps. Contrairement au jeune Yamanaka, elle n’avait pas réussi à se forger une carapace assez solide qui pouvait tout encaisser. Tout ce qu’elle était capable de faire était de jouer un personnage à l’apparence fidèle à la diablesse et inébranlable en toutes circonstances mais qui en réalité s’affalait dès lors qu’elle se retrouvait seule. Loin des yeux, son vrai visage se dévoilait. Celui d’une jeune fille au cœur bien trop affable et en proie au désespoir.

Maintenant qu’elle avait vu son vrai visage, enfin une partie mais qui lui était suffisant pour lui accorder sa confiance, Mairu désirait protéger le garçon masqué mais, présentement, c’était plutôt elle qui avait le plus besoin de protection. La volonté de survivre du jeune Yamanaka était telle qu’elle pourrait surement le faire tenir même face à la plus dure des épreuves. Chose dont la Natsumi était par contre dépossédée. Il y avait pas une heure, elle s’apprêtait à mettre fin à son existence insupportable par un acte suicidaire et ça ne sera surement pas la dernière tant qu’elle vivra dans cet enfer.

Comment pourrait-elle protéger quelqu’un en étant si faible ?

- Espérons que le vent tournera bientôt, fit la Natsumi tout en s’approchant du jeune Yamanaka. Retrouve-moi dans dix jours dans la forêt, ajouta la jeune fille tout bas alors qu’elle se trouvait presque collée au garçon masqué ... Prends-soin de toi !

Sur ces derniers mots, la binoclarde aux prunelles sanguines quitta la tente puis rejoignit un groupe des petits soldats de Makka. De nouveau, Mairu s’était glissée dans la peau du parfait serviteur. Rôle qu’elle garda jusqu’au lendemain lorsqu’elle retourna dans le cabanon perdu au milieu de la forêt qui se révéla vide à son arrivée. Sa sensei était surement en mission ou bien auprès de Gogyou Makka, s’apprêtant à exécuter sans discussion le moindre ordre de cette dernière. Contrairement à sa supposée disciple, Sayuri ne faisait pas semblant de servir la diablesse des flammes mais le faisait avec un véritable dévouement ...