Je me tenais debout sous un arbre aux feuillages encore épais bien que jaunis par l’air du temps. Nous étions en plein mois d’automne. L’air frais véhiculait des senteurs particulières qui faisaient remonter à moi bien des souvenirs. Combien de temps avais-je vécu dans les environs ? Je ne sais plus. Il me semble une éternité. Et pourtant... Ce n’est qu’une part de ma tendre jeunesse que j’ai passé ici. Je revoyais ces images du gamin que j’étais, prêt à rendre les coups que je recevais régulièrement de mon frère. Je revoyais ces images de deux gamins qui ne cessaient de tomber au sol après de rudes empoignades, poursuivant sans ménagement leur sempiternel duel. Mes seuls moments d’accalmies étaient ces brefs instants de proximité avec ma chère mère… Le vent souffla un peu, faisant s’en aller vers l’arrière mes deux mèches et caressant mon visage. Je fermais les yeux. Dans mon esprit, je formulais quelques paroles. Des prières à l’intention de l’Esprit. Des prières en l’espoir qu’elle trouve le repos et la paix où qu’elle se trouve.

Je tournais le dos au temple de l’Eau. Il était temps pour moi de m’en aller après ces quelques jours passé en ce lieu. J’éprouvais comme chaque année, date anniversaire du décès d’Okaasan (mère), le besoin de venir me recueillir ici. C’était comme une dette envers elle. Et alors que je posais quelques pas en en direction du sud, histoire de reprendre la route vers les ruines de Kiri la grande, je le vis. Tout aussi grand que moi, tout vêtu de noir, ses yeux exprimaient une sorte de dédain à mon égard. Je m’arrêtais comme stupéfait. Mitigé, je ne savais que penser, que faire. Lui restait placide dans un premier temps avant de briser la glace. Le timbre de sa voix était tout aussi froid que l'élément que je viens d'évoquer.

_ Comme chaque année… T’es si prévisible.

Je hochais de la tête le regardant d’un air maussade. J’étais au fond de moi heureux de le revoir, lui qui avait une part si importante dans mon existence. Mais d’un autre côté, une grande partie de mon être n’était guère heureux, me poussant à adopter une posture défensive, du moins sur le plan mental, comme à chaque fois que je croiser cet homme. Je le regardais de haut en bas. Quelles différences pouvaient-ils y avoir entre lui et moi ? A première vue aucune, si ce n’est la mise. Alors pourquoi avions nous tant de mal à communiquer depuis notre tendre jeunesse ? Nous qui étions si proche d'être un ?

_ Te crois-tu si surprenant que cela ? Je savais que tu viendrais aussi. C’est un peu comme notre rituel.

Il me regarda toujours de son air si sûr de lui et si hautain. Il était accompagné de deux hommes du clan. Ses compagnons de route. Comment les nommer autrement, même si j’étais bien conscient qu’à ses yeux, ils n’étaient rien d’autre que des sbires, des hommes qu’il dirige malgré eux vers ce qu’il estime être un avenir radieux. Des pions sur un échiquier ; des pions qu’il bouge à sa guise pour satisfaire ses ambitions démesurées voilà ce qu'ils étaient en vérité.

_ Frère, quand te joindras-tu à ma cause ?

Je le regardais d’un air blasé. Il reviendrait donc ainsi chaque année à la charge ? A chaque fois ? inlassablement ? Toujours cette question. Que gagnerait-il à faire de mon un allié de sa cause ? Probablement pas grand-chose si ce n’est peut être m’utiliser comme faire valoir ou encore jouer un « double jeu » comme nous nous amusions à le faire à l’époque.

_ Cela ne m’intéresse pas Ashura. Combien de fois me faudra-t-il te le répéter ?

Il me semble que depuis le départ du précédent Daimyo, le fait qu’il ait laissé l’Empire s’emparer de l’archipel avait contribué à réduire d’un peu l’anarchie au sein de ces terres. Je me berçais peut-être d’illusions, mais je préférais encore le faire plutôt que d’écouter mon ego, que mon frère tentait, inlassablement, de réveiller. Oui, pour un Kaguya voir la terre de nos ancêtres être sous la domination d’un Empereur, d'un étranger, qui plus est d'un Samui est une insulte à notre nom. Mais, pour l’heure, il ne me semble guère judicieux de chercher à se rebeller contre le temps, contre le cours des choses. S’il savait aussi bien que moi décoder les messages du temps, il aurait compris certaines choses. Parfois on ne peut avoir tout ce que désire notre cœur. Alors il faut accepter les choses telles quelles sont à défaut de mieux.

Alors que je m’en allais, Ashura me retint par le bras ? D’un coup sec, je me dégageais tout en sifflant un « suffit » caractéristique. Malgré les airs que nous prenions, nous étions au bord du combat tous deux. Nous nous connaissions assez bien et je voyais clairement qu’il souhaitait se battre. Peut-être pour se prouver une énième fois que de nous deux c’était lui le meilleur ? Mais à ma grande surprise, non. Il s’agissait de tout autre chose.

_ Des choses sont en mouvement… Tu as appris l’attaque sur le Shozaichi… Il y en aura d'autres chose c’est indéniable. Au Shozaichi même ou ailleurs au sein de l'Empire. Votre Kamui lui-même n'est pas à l'abri... Une pause. Très brève au final. Avec une pointe de supplication, il me semble, Ashura reprenait dans la foulée : Tout ce que je veux savoir Oshura, lorsque Mizu se soulèvera seras-tu du côté des Kaguya ou de l’Empire ?

Je me tournais tout en le regardant désormais froidement lui et ses deux acolytes. Quelle était donc cette stupide question ? Un crachat à terre en signe de désapprobation et je m’en allais sans même daigner lui répondre. Le méritait-il seulement ?