Lorsqu'elle ouvre les yeux elle n'a guère besoin de porter une main à sa tempe pour devenir le sang qui s'en écoule. Le fluide tiède coule sur sa joue et se mêle à la boue dans laquelle son visage est à moitié enfoncé. Une peur sans nom l'envahit lorsque le noirceur ambiante l'empêche de discerner quoi que ce soit. Et il lui faut quelques secondes pour se rappeler l'endroit où elle se trouve et la situation qui est la sienne. L'adolescente puise alors dans ses forces encore chancelantes pour se redresser et la recherche de l'équilibre. Il lui faut néanmoins plusieurs longues minutes avant que les vertiges qui l'étreignent se calment.
*Il faut que je fasse le vide dans mon esprit...* se souvient-elle.
Si le démon qui hante ces tunnels est capable de lire dans ses pensées alors il convient de ne pas penser du tout. Ce qui est impossible, elle le sait. La Mamoru pourrait sûrement tenter de méditer pour calmer la fureur des sentiments qui l'étreignent. Mais comment faire pour atteindre le calme nécessaire à cet exercice en sachant qu'une créature est à sa poursuite?
Kaya fait à nouveau quelques pas en effleurant la paroi rocheuse. Le bruit de frottement provoqué par ses vêtements humides la font presque sursauter. Elle n'hésite que brièvement avant de les retirer et poursuivre sa route, nue. Le moindre bruit qu'elle produit est un indicateur dont le démon peut se servir pour la retrouver. La logique la plus élémentaire lui commande donc de se débarrasser de tout ce qui pourrait l'aider à lui mettre la main dessus. Utilisation minimum de chakra, mouvements lents, le moins de réflexions possibles... Il s'agit de laisser l'instinct remplacer la conscience dont jouisse les êtres humains modernes.
Un hurlement ricoche dans les tunnels et lui arrache un frisson. Alors elle presse l'allure. Elle fuit. Tout simplement parce que c'est la seule chose qui lui semble sensée à cet instant. Cette caverne comporte plusieurs sorties. Elle le sait. Le tout est d'atteindre l'une d'entre elles avant son poursuivant...
<=====<>=====>
Malgré les efforts déployés les rencontres entre la Mamoru et le démon furent fréquentes. Beaucoup trop à son goût. Les multiples plaies de son corps témoignent du déséquilibre des affrontements. Mais l'adversaire de l'adolescente se complaît à la laisser vivre. Les blessures sont douloureuses mais distillées sans mettre en danger la vie de l'adolescente. Une manière de lui faire comprendre qu'elle n'est rien de plus qu'un jouet à ses yeux. Et qu'il ne se débarrassera d'elle que lorsqu'elle n'aura plus le moindre intérêt à ses yeux. La conclusion suivante s'est rapidement imposée: tant qu'il trouvera de l'intérêt à la chasser elle peut croire en ses chances de survie. Mais si le démon venait à se lasser...
Elle glisse entre ses dents sales le corps d'un scolopendre qu'elle déchiquette sans le moindre dégoût. C'est lorsque la nature est la plus sauvage que la chaîne alimentaire révèle toute sa puissance. Et quelque part ça la rassure de savoir qu'elle ne se trouve pas totalement en bas de l'échelle. Elle aurait préféré compter sur un repas un brin plus... ou plutôt moins... Bref. Lorsque votre estomac crie famine vous ne vous souciez plus vraiment de ce qui tombe dans votre bouche ou de la pureté de l'eau qui se glisse dans votre gorge. Tout ce qui importe se résume en un seul mot: la survie!
Kaya s'est acclimatée à son environnement. Les ténèbres qui la nimbent ne sont plus aussi hostiles qu'autrefois. Semblable à une aveugle qui s'adapte à sa dure condition, l'adolescente a appris à composer avec l'obscurité. Elle s'est familiarisée avec les bruits des couloirs et sait désormais les distinguer. Le démon lui met encore la main dessus. Mais il semble évident qu'il doit déployer plus d'efforts pour y parvenir. Il y a là matière à être optimiste. Mais survivre, ce n'est pas vraiment vivre. La nuance qui sépare ces deux mots cache en réalité un gouffre qui lui semble encore infranchissable.
La Mamoru termine son repas frugale et tend l'oreille lorsque des bruits de pas se rapprochent. Elle reste immobile quelques instants pour s'assurer qu'ils viennent bien dans sa direction avant de se redresser et emprunte la direction opposée. Pour l'heure il est encore temps de fuir...