Le sceau est complexe. Probablement trop pour les compétences en fuinjutsu de la gamine. Et elle sait qu'il en est parfaitement conscient. Il souhaite la voir réussir au moins autant qu'il désire qu'elle échoue. Dans le premier cas elle sera gratifiée d'une heure ou deux de tranquillité. Dans le second... Les jours se suivent et se ressemblent. Mais son enseignement devient de plus en plus complexe. Et Setsuko ne comprend pas pourquoi l'entité tient temps à l'éduquer alors qu'elle n'est rien de plus que son jouet. Est ce une façon pour lui de prendre du plaisir?

L'adolescente achève de tracer à l'encre l'un des symboles qui constitue le sceau d'exorcisme. Est-ce qu'il est correctement inscrit? Aucune coup ne vient lacérer son dos et elle en conclut que oui. Le silence est pesant dans la minuscule clairière où elle se trouve. Les humains sont souvent aveugles aux esprits, démons et autres fantômes. Mais les animaux, eux... Aucun oiseau chante et les murmures habituels de la forêts se sont éteints. Même le soleil semble absent car sa peau n'est pas réchauffée par son agréable caresse. On dirait que la nature ne souhaite pas s'exprimer en présence de l'humaine et du démon. Est-ce qu'elle la rejette? Cette idée même lui fait mal...

*À quoi penses-tu?*
*À rien... Je me concentres sur le sceau, maître.*

Un violent coup dans le ventre la force à se courber en avant, son front posée contre l'herbe sèche. Elle tente par tous les moyens de faire entrer à nouveau l'air dans ses poumons mais ces derniers sont réfractaires. Quelques secondes s'écoulent avant qu'elle puisse à nouveau respirer. Elle pose une main sur sa poitrine comme pour atténuer la douleur qui s'y répand. La souffrance s'atténue et elle se redresse alors lentement, voûtée pour se protéger d'une seconde attaque qu'elle ne pourra de toute façon pas éviter. Mais il a semble-t'il décidé que c'est assez pour le moment...

*Si tu te concentres sur ton travail alors pourquoi est-ce qu'il comporte une erreur?*
*Une... Une erreur?*

Pour toute réponse le symbole erroné que je viens d'inscrire s'enflamme et emporte avec lui l'entièreté de la feuille de parchemin. Une autre apparaît comme par magie quelques secondes plus tard et l'invitation à recommencer semble claire. Setsuko s'emploie donc une nouvelle fois à réussir le sceau sans pour autant arriver à chasser la peur qu'il entretien constamment dans l'esprit de la jeune fille. Et pour ne rien arranger le démon commence à lui poser des questions pour qu'elle dessine. Une façon d'augmenter les chances qu'elle se trompe.

*Les noms des Kami du métal?*
*Kanayama-biko et... et... Kanayama-hime!*
*De ceux des profondeurs?*
*Je... C'est... Sokotsu-watatsumi et Sokotsu-tsunowo!*
*Quels sont les trois trésors offerts par Amaterasu à Ninigi?*
*Il y a le magatama de Yasanaki, le miroir de Yata et le... la hache de Kusanagi.*
*L'épée de Kusanagi. Pas la hache...*

Cette fois-ci le coup semble évident pour la demoiselle qui recroqueville pour atténuer la punition. Mais le coup ne vient pas. À la place c'est le silence qui persiste. Et quand Setsuko ose relever les yeux vers l'aura trouble de son bourreau, elle le distingue observer une direction bien précise. Sans arriver à dire ce qui a attiré son attention elle est certaine que ce n'est plus elle qui l'intéresse pour l'instant.

*Qu'est-ce qu'il y a?*
*Tais-toi ou je te coupe la langue!*

Le silence continue et la gamine reste immobile et muette par peur de le fâcher. Elle perçoit quelques murmures dans une langue qu'elle ne comprend pas et prête davantage l'oreille sans pour autant réussir à mieux en saisir le sens. Finalement il se fend d'un rire qui ressemble plus à un grondement sourd qu'une expression de joie comme on a l'habitude d'en entendre.

*Debout!* elle s'exécute. *Nous avons quelqu'un a rencontrer!*

Elle le suit, sa curiosité exacerbée. Mais la crainte de le questionner l'emporte largement sur son désir de connaissance. Ils marchent pendant de longues heures et les plaies sur les pieds de l'enfant s'ouvrent à nouveau au contact du tapis forestier. Guidée par sa poigne puissante - ou plutôt traînée - à travers les arbres et les buissons, Setsuko évite la plupart des obstacles. Et ceux qu'elle ne parvient pas à détecter de sa main libre se manifestent douloureusement sous formes d’hématomes qui recouvrent son corps déjà meurtri.

Finalement le sol change et c'est à nouveau de l'herbe qui remplace les branches et autres ronces. La main de la gamine retombe mollement le long de son corps lorsqu'il la lâche et la fatigue se charge de la faire tomber à genoux. Il lui faut quelques instants pour remarquer la douce chaleur d'un feu qui réchauffe son corps. Puis distinguer la respiration calme d'une personne. Elle sait que ce n'est pas lui. Mais alors... qui?

"Qui êtes-vous? Où suis-je?"

Elle dirige ses yeux d'un blanc neutre en direction de l'endroit où elle juge que l'inconnu/e se trouve tout en tentant de percevoir sa présence. Mais s'il est encore là il ne souhaite visiblement pas se manifester. Pourquoi m'a-t'il conduite ici? Que suis-je sensée découvrir? Est-ce l'un de ses nouveaux jeux ou y'a-t'il une raison à ma présence? Des réponses que je vais semble-t'il devoir obtenir par moi-même...

Mon retour au pays du vent se faisait de plus en plus proche, il ne me restait plus que deux nations à traverser avant de revoir le désert; et je n'étais pas particulièrement impatiente. Même si j'avais voulu défendre ses habitants, même si j'avais servi Suna et même si tout ceci me tenait, à une autre époque, à cœur; une chose restait indéniable : la haine que j'éprouvais pour la chaleur et le sable. Ce retour probablement attendu par certains et ce pays serait le début d'événements importants pour le pays, et pour le reste du monde; alors finalement, qu'importait le sable et le soleil ? Et pour le moment, je n'y étais pas. Non, bien loin de là.

Au creux de la nuit, au beau milieu d'une petite clairière entourée d'arbres et dans le froid; j'avais décidé de m'arrêter, de me reposer. Autant ne craignais je nullement la mort, que mourir de fatigue et/ou de faim serait assez lamentable. Libérée de cette limite physique et temporelle, j'avais tendance à prêter beaucoup moins d'attention à mes besoins, je repoussais sans cesse le moment où je devrais m'arrêter, m'alimenter; ne cherchant qu'une chose, faire le plus de choses possibles en un minimum de temps. Mais là... Allumer un feu, faire griller quelques carrés de viande embrochés sur une pique...

Allumer un feu par une nuit noire, faire une simili barbecue... Même les hypothétiques conséquences que pouvait engendrer cette fausse inconscience ne me perturbait pas le moins du monde. Je ne craignais rien, je ne pouvais ni mourir, ni défaillir en combat. Bien que... Je devais reconnaître que ces derniers sans vraie action me firent un peu rouiller; un comble pour une utilisatrice du métal... Enfin, à cet instant; je ne me posais pas vraiment de questions, advienne que pourra. Le repas ingurgité, je m'étais assise au bord des flammes, profitant de la chaleur que ne me procurait plus mes gênes d'Habashi.

Cette simple sensation, l'idée que je ne pourrais sans doute plus jamais le faire par moi même; suffirent à me faire regretter l'espace d'une seconde cette époque qui m'apparaissait aujourd'hui bien plus légère, bien plus facile. La nostalgie de mes jeunes années certainement; une nostalgie qui bientôt, comme le reste; n'existerait plus. Ma mémoire et mes pensées s'attardaient désormais sur ce parchemin que j'avais récupéré dans le temple de mon clan. Malgré mes connaissances, que ce soit dans l'art du scellement ou la culture de ma famille; il y avait toujours quelque chose dans ces écrits que je ne saisissais, quelque chose dans les paroles de mon défunt grand père que je ne comprenais pas. Pourtant, et malgré ce handicap; j'avais réussis à maitriser ce jutsu. J'en connaissais les risques.

Cette élément qui m'échappait... Peut-être devais-je m'attarder un peu plus longtemps à Kusa, tout compte fait. J'étais sûre que des réponses m'attendaient là-bas, parmi les décombres du temples, avec les cadavres des conseillers.

J'avais passé suffisamment de temps à cet endroit, au prés de ce feu pour être sûre que rien ne viendrait m'y déranger. Alors, j'enlevai mon masque. Mon visage respira, être en contact direct avec l'air froid sembla me sortir d'une espèce de léthargie; cela faisait sans doute depuis trop longtemps qu'il était dissimulé. Je me frottai les joues avec mes mains chaudes, et observai maintenant les flammes sans penser à rien d'autre que cette nuit. Cet endroit semblait paisible, mais dans le doute, avant de dormir je ferai appel à l'un de mes fidèles clones, et dans le pire de cas, vraiment, Satsuki ne devait pas être très loin... Une autre histoire, celle-là.

Quelques instants plus tard, un son auquel je ne m'étais pas attendue me fit lâcher du regard le bois crépitant. Je me rendis compte que se tenait là, face à moi, une gamine au teint pâle, plus que le mien d'ailleurs. Comment avais-je fait pour ne pas la voir venir ? Ou plutôt, comment avait elle fait pour venir jusqu'ici ? Etait si absorber que ça par mes pensées ? Enfin, je ne bougeais pas, ne faisant que la fixer de mes yeux rougeâtres. Elle n'avait pas l'air dangereuse à première vue, un peu comme Ji, en fait. En revanche, elle avait bien l'air d'une paumée, c'était incontestable. Et sacrément paumée, pour être arrivée ici avec les deux questions les plus vagues au monde.. Bien que. Enfin, si tôt avais-je entendu sa voix que les shuriken et autres armes tranchantes dans mes sacs lévitèrent...

"Taki no Kuni. Répondis-je."

Je ne savais exactement où j'étais à Taki, alors je ne pouvais pas vraiment la renseigner. Et je n'allais pas dire un truc du genre "devant mon feu", ça n'avait aucun sens.

"Ji. Ajoutais-je sans détourner le regard un instant. Tu es perdue ?"

Malgré la lueure dansante du feu sur le visage de cette étrange inconnue, je ne parvenais pas à distinguer parfaitement ses traits; il n'y avait vraiment que sa couleur de peau et vaguement sa chevelure qui me permettaient de me faire une idée... Et sa voix.

La voix est féminine. Quelque part ça rassure l'enfant. Si être du même sexe était un gage de sécurité, ça se saurait. Mais c'est tout de même réconfortant de savoir qu'on a affaire à une personne qui est plus susceptible de vous comprendre qu'un représentant de la gente masculine. Est-ce que ce détail aura son importance? Probablement pas. Setsuko frisonne un instant lorsque la chaleur du feu lui fait prendre conscience de la fraîcheur de l'air. Mais elle n'ose pas faire un pas de plus pour se rapprocher du foyer dans lequel le bois crépite. Pas tant qu'elle n'y aura pas été invitée.

Son interlocutrice s'appelle Ji. C'est un joli prénom et c'est aussi la première fois qu'elle l'entend. Et cette Ji ne semble pas outre mesure réfractaire à sa présence. Le fait qu'elle soit encore debout est un signe encourageant. Sans sa présence elle devient une proie facile. Elle n'est rien de plus qu'une gamine aveugle. Mais fort heureusement il y a des gens dans ce monde qui n'exploitent pas systématiquement la faiblesse des autres. Peut-être que cette femme en fait partie. Ou peut-être qu'elle attend simplement d'en apprendre plus avant de prononcer - et exécuter - la sentence qui lui semblera appropriée.

La propriétaire du feu demande à Setsuko si cette dernière est perdue. Vu les questions dont la Mamoru la gratifiée c'est sans aucun donc une conclusion logique. L'est-elle? Non! Mais elle ne sait pas pour autant ce qu'elle fait ici. Il l'a emmenée à sa rencontre et il a forcément une bonne raison à cela. Mais elle ne saute pas aux yeux. Que répondre? Et que garder pour soi?

"Non..."

Un simple mot en guise de réponse. Et une hésitation évidente pour l'accompagner. La gamine se dit qu'elle aurait sans doute du répondre qu'elle était effectivement égarée pour s'approprier l'éventuelle pitié de son... hôte? Les enfants ont le dont de faire naître de l'empathie chez les adultes. Une évidence dont on peut abuser pour peu qu'on en ait conscience. Mais sans réellement savoir à qui elle à affaire, Setsuko est pratiquement certaine que ce genre de choses ne fonctionneront pas Ji. Elle est spéciale. Sans quoi il ne se serait pas arrangé pour qu'elle la rencontre. Et il ne serait pas parti aussitôt leur destination atteinte. Reste à savoir ce qui fait la particularité de la demoiselle.

"Ho..." elle semble prendre conscience de son oubli. "Je m'appelle Setsuko."

Sans vraiment s'en rendre compte elle fait un pas supplémentaire en direction du feu pour se protéger du vent hivernal. Et c'est alors que quelque chose la frappe de plein fouet comme si elle venait de se prendre un coup de poing en plein visage. Une présence sombre - plus sombre encore que la sienne - semble tapie dans l'obscurité. Quelque chose la guette, l'évalue. Quelque chose de puissant et de... mauvais. Formée aux arts Mamoru, sensibilisée à un monde que la plupart des humains ne perçoivent pas ou ne souhaitent pas percevoir, Setsuko sent qu'elles ne sont pas seules. Sans toutefois parvenir à expliquer ce que cette présence est. C'est la première fois qu'elle ressent ce genre de chose. Et elle a peur...

*Pourquoi tu m'as amenée ici?*

Seul le silence lui répond. Il ne souhaite pas se manifester. Est-ce qu'il a peur lui aussi? Ce serait étonnant. Mais c'est la seule conclusion qui lui semble logique pour expliquer son absence. Setsuko se force à faire un pas supplémentaire comme si réduire la distance qui la sépare de Ji pouvait l'aider à comprendre ce qu'il se passe. Et pour ça elle est obligée de puiser dans le peu de courage qu'elle possède.

"Tu... Tu n'es pas seule!"

Comprendra-t'elle ce que l'enfant sous-entend? Elle l'espère. Pourtant Setsuko n'est pas certaine d'avoir raison. Elle ne sait même pas à qui - ou à quoi - elle à affaire. Et cette incertitude ne fait qu'augmenter la peur qui s'infiltre dans chaque fibre de son corps.

La gamine recule. Non qu'elle le désire. Mais son corps lui impose ce mouvement comme si l'instinct de survie prenait le pas sur sa capacité de réflexion et ce qui distingue les humains des animaux. Setsuko sent un liquide chaud couler le long de ses jambes. Sa vessie échappe à son contrôle au même titre que le reste de son enveloppe charnelle. Et une seule question lui vint alors à l'esprit:

"Qu'est-ce que tu es?"

Rien de bon ne peut sortir de tout ceci. Elle le sait. Elle le sent... La personne en face d'elle n'est pas une humaine comme les autres. Mais alors... qu'est-elle? Quel secret ou fardeau porte-t'elle sur ses épaules?

Cette jeune femme qui me faisait maintenant face était singulière, pour ne pas dire étrange. Malgré la faible lueur je pouvais distinguer un visage meurtri, si elle n'avait pas démenti ma question j'aurais certainement pensé qu'on la poursuivait. Mais elle semblait calme, assez posée voire lunaire. Elle me livra son prénom assez facilement, Setsuko. Cela ne me disait rien. Peut-être qu'un nom de famille m'aurait aiguillé, mais cela ne m'étonnait pas non plus; combien d'enfants naissaient sans connaître leurs origines ? Tatsuki en était déjà un bon exemple. L'image que je devais renvoyer auprès des personnes que j'approchais n'était donc pas si négative, la jeune fille se rapprochait; semblant plus confiante.

Partager mon feu de camp ne me dérangeait pas tant qu'on ne m'emmerdait pas, logique. Ceci dit, à peine s'était elle rapprochée que déjà elle s'éloignait. La surveillant de long en large, j'avais pu voir sur son visage quelque chose s'approchant de la surprise, et davantage même de la stupeur. Et les quelques mots qu'elle ajouta à son recul me laissa perplexe. Je ne suis pas seule ? Effectivement, Tatsuki ne devait pas être très loin, enfin elle n'était pourtant pas à côté; même pas à portée de voix, c'est dire. Alors, faisais-je donc face à une experte de sensorialité capable même de déceler la présence d'un autre senseur ? Oui, cela m'étonnait vraiment; mais ce monde regorgeait de nombreux mystères...

Non, elle devait voir autre chose, quelque chose dans mon dos et que je n'avais pas vu venir. Je tournai la tête, regardant derrière du coin, et en dehors de l'obscurité et de la forme des arbres que la lune parvenait difficilement à faire ressortir; je ne voyais rien. Alors, peut être faisais-je face à... une folle. Enfin, quelqu'un d'instable, quelqu'un qui voyait des choses. Pourtant, un autre détail me fit réaliser qu'il y avait bien quelque chose. En effet, et toujours malgré l'obscurité, je vis un signe significatif, quelque chose dont j'avais entendu parler, mais que je n'avais jamais vu. Setsuko avait eu peur, très peur; sans entrer dans les détails. Impressionnant.

Un haussement de sourcil pour exprimer non étonnement et avant que je ne l'interroge sur son état qui me semblait plus qu'inquiétant, elle ajouta une autre phrase, une autre question; encore plus étrange que sa dernière remarque. J'avais, pour ne rien cacher, du mal à comprendre sa question, et la relation entre tout ce qu'elle avait pu faire et dire depuis son arrivée. Avait-elle donc peur de moi ?

"Heu... Fis-je, décontenancée. Je ne sais pas, je suis une shinobi... Hum.. Je ne comprends pas. Peux-tu me dire ce que tu vois ?"

Ainsi, peut être comprendrais-je mieux ce à quoi je faisais face, ou tout au moins "dos". J'espérais seulement qu'elle n'allait pas s'enfuir, j'avais rarement vu des personnes pisser de peur à ma vue. Beaucoup s'enfuyait sans en passer par cette étape... Alors, pour tenter de lui montrer que je n'étais pas du genre agressive j'extrayais de mon sac un vêtement que je lui tendais; comme pour l'appâter...

L'étonnement dans sa voix ne semble pas feint. Se pourrait-il qu'elle... ne sache pas? Cette entité a une aura si puissante que cette perspective me semble presque impossible. Ji a forcément du se rendre compte de sa présence. Que ce soit de manière directe ou non. Je pars donc du principe qu'elle me ment par précaution, qu'elle feint de ne pas comprendre. Tout comme je le ferais si nos rôles étaient inversés je suppose. Je ne sais que trop bien que la plupart des gens ne peuvent pas comprendre ce genre de choses... Et par extension je ne peux m'empêcher de ressentir de la sympathie à son égard.

Je ne veux pas la brusquer et décide donc d'entre dans son jeu. Lui décrire ce que je "vois"? C'est compliqué... Il m'a enseigné les arts Mamoru depuis que je suis toute petite et pourtant je ne perçois que très peu de chose de l'entité greffée à Ji. Cette dernière me laisse volontairement dans le flou sans chercher à se cacher entièrement. C'est étrange. Et peu conventionnel. En général les kamis se font remarquer de manière évidente ou alors pas du tout. Il n'y a que peu de demi-mesures dans ce genre...

"C'est... C'est comme un manteau de noirceur qui te recouvre. Je vois une silhouette penchée sur toi et des tentacules d'ombres qui pénètrent en certaines partie de ton corps. Et le regard de cette entité est résolument fixé sur toi. Elle t'observe comme si... comme si..." je déglutis. "Elle te veut!"

Un second flot d'urine vint couler le long de mes jambes alors que cette chose pose brièvement le regard sur moi. Ma présence ne semble pas l'inquiéter. C'est tout juste si elle semble m'avoir remarqué. Je commence à comprendre pourquoi il m'a amenée ici: pour permettre à cette entité de s'exprimer. Je le connais assez pour savoir qu'il ne se préoccupe pas des autres humains. Et qu'il ne lui viendrait même pas à l'idée de me demander d'exorciser l'un d'eux. Si j'ajoute ça à son étrange comportement lors de mon entraînement et à l'empressement qu'il a mis à me mener jusqu'à Ji...

Je ne sais même pas à qui - ou plutôt à quoi - j'ai affaire. Et je doute que mon intervention soit bénéfique à qui que ce soit si ce n'est aux démons. Cette femme va souffrir. Elle pourrait bien être condamnée à une obscurité encore plus monstrueuse que celle que m'impose ma cécité. Mais si je refuse... Dois-je me préoccuper d'une personne que je viens à peine de rencontrer? N'ai-je pas assez de problèmes sans en plus porter ceux des autres sur mes épaules?

"Je pratique les arts occultes. Et si tu le souhaites je peux te libérer de cette créature avant qu'elle devienne trop puissante. Sans quoi elle t'absorbera comme une éponge absorbe de l'eau. Et tu ne seras plus que l'esclave misérable d'une entité qui réduira tes rêves, tes projets ou même ton libre-arbitre à néant." je marque un temps d'arrêt puis pose une main sur ma poitrine naissante. "Tout comme je le suis..."

Est-ce que le fait que je me dévoile ainsi la poussera à réfléchir sérieusement à ce que je viens de lui dire? Je m'en veux de lui mentir ainsi. Mais je me rappelle une nouvelle fois que je n'ai pas le choix. Souffrir ou faire souffrir. Voilà bien le seul choix qu'il m'ait laissé depuis que je suis en âge de donner la mort. Je ne suis qu'une victime parmi les victimes. Tout comme Ji est appelée à le devenir. Ce qu'elle a été ou est n'a plus la moindre importance. La seule chose qui compte à présent c'est ce qu'elle va devenir. Et je suis là pour la pousser à faire le mauvais choix. Pour la trahir au lieu de l'aider.

Je fais un pas courageux dans la direction de la femme et je sens la chaleur des flammes augmenter sans pour autant remarquer le vêtement qu'elle me tend. Je débute dans l'apprentissage des rapports entre êtres humains. Mais je crois que créer une proximité favorise la naissance de la confiance. Et c'est précisément ce que j'ai besoin d'obtenir de Ji en ce moment...

L'air effrayé qu'abordait la jeune fille semblait être réel, suffisamment pour que je la prenne au sérieux. Un autre élément dans son comportement me laissait aussi penser que ce n'était pas une supercherie. Ses problèmes de vessie. On pouvait sentir dans sa voix -entre autre- qu'elle savait de quoi elle parlait. Ceci-dit, n'était pas né celui ou celle à qui je permettrai de mener sur moi, que ce soit mon enveloppe, mon esprit ou mon âme; une quelconque expérience, ou dans ce cas ce qui s'apparentait à un exorcisme. En effet, la description qu'elle faisait de ce cette chose qu'elle voyait et dont je n'étais -à priori- pas vraiment consciente me fit penser à un fantôme, ou un spectre; comme ceux présents dans les histoires d'épouvantes que pouvaient me narrer le patriarche du clan, ou encore ma mère. Mais à cet instant, la réalité prenait le pas sur la fiction.

Loin d'être stupide, je ne mis pas longtemps à faire le lien entre ce qui semblait planer au dessus de moi et une certaine manipulation que j'avais récemment effectuée. Cependant, j'avais tout de même du mal à visualiser la chose, enfin; je ne la voyais pas comme elle, Setsuko, la percevait. Cela tombait sous le sens, s'en était même logique. Tout était écrit. Ici, devant cette gamine; je pouvais certainement en parler sans craindre grand chose. Peut-être que si je lui montrais... Au pire, je pouvais toujours l'éliminer et disséminer son corps au quatre coin de cette clairière, voire le faire complétement disparaître, proprement; avec un peu de méthode, et beaucoup de cœur à l'ouvrage. Je posai donc les frusques sur le sol, à côté de moi et fouillai dans ma sacoche à la recherche d'un objet bien précis. Un épais parchemin enroulé sur lui même, richement ornementé.

Je posai le regard sur le rouleau, un instant. Quitte ou double pour la gamine. Soit il s'agissait bien de cela et à ce moment il me serait plus profitable de la garder en vie; soit c'était tout à fait autre chose et ses problème d'incontinence seraient un très lointain souvenir. L'une ou l'autre de ces solutions me satisfaisait pleinement. Je n'avais plus qu'à parler.

"Isanami. Ce que tu vois est sans doute... Isanami. Et que tu puisses voir ça... Je vais te montrer quelque chose que personne n'a jamais vu. Lis, observes."

Je fis rouler le gros rouleau vers elle, sur la droite du feu. Maintenant que son nom était prononcé, le souvenir de ma pseudo résurrection me revint. Ce que j'avais vu au bord du gouffre de la mort ne m'était pas apparu exactement sous la forme que Setsuko avait décrite plus tôt. L'entité, ou plutôt la déesse -ainsi était elle conçue dans ma religion- était entourée d'un halo scintillant, elle rayonnait. Dans mes souvenirs, avant de rendre mon pseudo dernier soupir; personne ne l'avait vu, sauf moi. Il était bien écrit que seul les personnes d'un sang Habashi pouvait la percevoir... Pourtant, elle... Elle voyait quelque chose. Cette hypothèse me déconcertait au plus haut point. Les Habashi avaient de la prestance, et ne s'urinaient pas dessus lorsqu'ils faisaient face à quelque chose qui les dépassait...

"Rassures-moi, tu n'es pas une Habashi ? Lui demandais-je avec inquiétude."

Beaucoup seraient heureux de revoir une personne de leur famille, mais à chaque fois que j'avais retrouvé un membre de la mienne tout s'était toujours, et à chaque fois; mal passé. Et là, une gamine visiblement pommée tant au figuré qu'au propre; me proposait de me libérer d'une créature que je ne voyais et dont le lien avec l'utilisation du Fuinjutsu Interdit de mon clan était plus qu'incertain. Une coïncidence pour le moins très étrange, si elle n'était pas au plus dangereuse.

"Quoi qu'il en soit, jamais plus personne ne me... bidouillera; sans que je sache de quoi il retourne très exactement. Affirmais-je vivement."

Isanami... Ce nom est bien connu de ceux qui s'intéressent un tant soit peu aux différentes religions du Yuukan. La déesse de la création mais aussi de la destruction. Une entité puissante qui peut donner la vie comme la mort. Je reste silencieuse et continue d'observer l'ombre qui enveloppe Ji. Je perçois sans doute son aspect le plus sombre. À proprement parler les dieux ne sont ni bons ni mauvais. Ce sont nous, les humains, qui les avons catégoriser pour faciliter notre compréhension de ces forces qui nous dépassent. Difficile de dire si je contemple le véritable aspect d'Isanami ou si cette dernière souhaite simplement m'apparaître ainsi.

La déesse ne s'intéresse pas du tout à moi. Je ne suis pas du tout vexée. Bien au contraire. Quand les divinités daignent vous considérer c'est qu'il y a de bonnes chances que vous y laissiez la vie d'une manière ou d'une autre. Voir votre âme. Perspective peu joyeuse s'il en est. Est-ce que Ji est condamnée? Difficile à dire. Elle est prudente visiblement. C'est sûrement un bon point pour elle. Mais est-ce que ce sera suffisant?

J'entends le parchemin rouler à mes pieds et me baisse pour le chercher à tâtons de mes mains ensanglantées. Je le déroule puis m’assois en tailleur près du feu ronronnant. Je promène mes doigts sur les écrits à l'encre pour en chercher le sens. Le support est ancien mais remarquablement conservé. Ce qui facilite un brin ma tâche mais me demande tout de même un certain temps. Ceci fait je m'attarde sur d'autres symboles que je peux percevoir malgré ma cécité. Ceux-ci sont des Kanji Mamoru. Le principe est le même que l'encre invite: cette dernière se révèle sous certaines conditions. En l'occurrence il faut être sensible à l'occulte pour pouvoir déchiffrer celle-ci.

"Je ne crois pas être une Habashi..." le ton est absent. "Je ne sais même pas ce que c'est. Ou ce que moi je suis."

Je poursuis ma lecture en savourant la douce chaleur des flammes. Ji m'annonce qu'elle veut exactement savoir de quoi il en retourne avant de laisser qui que ce soit la toucher. Sa méfiance l'honore je suppose. Il y a bien trop de gens qui traitent avec le Yomi sans saisir le véritable sens des conditions qu'ils acceptent. Et lorsqu'ils s'en rendent compte c'est bien trop tard. Mais en l'occurrence je crois que je dois permettre à Isanami de s'exprimer à travers ce corps humain. Ji doit s'effacer au profit de la déesse. Ce qui en soit n'est pas vraiment un sacrifice. Plutôt un honneur. Il reste à la convaincre.

"Tu étais au courant pour Isanami..." voilà qui change tout. "Et tu sais également que l'invoquer, lui permettre de s'exprimer dans notre monde, te coûte à chaque fois une part de ton âme."

Je suis perplexe. Ji est-elle prête à prendre sciemment ce risque? Est-ce par soif de puissance ou de vengeance? Je ne comprends pas mais ne la juge pas pour autant. Elle a sûrement de bonnes raisons. Et puis au moins je ne me ferai pas passer pour une folle. En général lorsqu'on annonce à des gens qu'ils sont liés à une entité c'est par le mépris, la négation ou la violence qu'ils répondent. Je n'ai pas besoin de convaincre la jeune femme qu'elle ne marche pas seule. Et c'est sans doute un gain de temps énorme...

"Pourquoi est-ce qu'elle t'accompagne? Est-ce toi qui l'a souhaité ou elle qui s'est approprié ton existence?" Je dois comprendre. "Et puis la question la plus importante: veux-tu que ça continue?"

Il me faut la cerner avant toute chose. Savoir comment tout ceci est arrivé. Comprendre son ressenti par rapport à cette situation. Et seulement après je saurai quels mots utiliser pour qu'elle autorise la déesse s'exprimer à travers elle. Je replie précieusement le parchemin. Je n'ai pas partagé avec elle les informations contenues dans la partie cachée du texte. Elles s'adressent aux Mamoru seuls même si je ne sais pas vraiment ce qu'elles font sur ce document. Peut-être que mon clan et ces Habashi ont tissés des liens il y a quelques décennies.

Je remarque alors finalement les picotements qui parcourent mes jambes quand l'urine séchée commence à agresser ma peau. Ce froid endort mon épiderme. Mais le feu lui permet de s'exprimer à nouveau. Est-ce que Ji a vu ce... détail? Je suppose que c'est sans importance...

Je l'écoutais, impassible. A quoi bon feindre l'étonnement alors qu'elle semblait déjà savoir ce que j'avais fait ? Au moins, qu'elle puisse voir la déesse me prouvait que tout était vrai et que j'étais véritablement obligée d'aller jusqu'au bout. Enfin, vrai. Je pouvais toujours avoir affaire à une illuminée qui avait des visions. Et elle en avait tout, discours, apparence et vessie. Ceci-dit, un autre détail s'ajoutait au tableau. Elle parvenait à lire ce parchemin, celui que même Akuraï n'avait pas su déchiffrer. Les colonnes de caractères lui apparaissaient donc aussi limpidement qu'à moi. Je fixai longuement la fille rudoyée, je réfléchis un instant.

"Que ça continue ? Je l'ai voulue. J'ai connaissance de la totalité du contenu de parchemin, et toi ?"

Lui demandais-je à mon tour. Je voulais savoir si elle avait été réellement capable de tout lire, je voulais voir si nous avions quelque chose en commun, quelque chose qui expliquerait ma capacité à employer un tel jutsu, qui ferait la lumière sur certaines de mes origines. Une explication au fait qu'Akuraï ait pu subsister dans mon esprit avant qu'Isanami n'intervienne; car je doutais qu'un genjutsu, aussi puissant soit il; ait pu permettre un tel résultat. Et si cette fille crasseuse et moi avions un détail en commun, pourquoi elle pouvait la voir, et moi non ? Je n'arrivais pas à rationnaliser la raison qui m'en empêchait...

"Vois-tu... Je suis entrain d'œuvrer pour que ce monde change. Des personnes m'empêcheront d'aller jusqu'au bout, mais Isanami me donnera une nouvelle chance. Et chacune de ces chances me rendra un peu plus objective. Qu'elle prenne totalement possession de mon âme est un risque que je suis prête à prendre, ce ne serait que le juste châtiment des mes échecs. Et puis, lorsqu'elle sera réincarnée sous cette forme, ou une autre; elle pourra agir et réussir là où j'ai chuté."

Ajoutais-je paisiblement. Setsuko était la première personne qui entendait ces mots, ce que j'appelais le plan. Etrangement j'étais persuadée qu'elle ne comprendrait pas la moitié de ce que je venais de raconter, ceci dit je me trompais sûrement. L'habit ne faisait pas le moine et son air hagard cachait peut-être une brillante intelligence et un raisonnement étonnant. Enfin, je pouvais espérer. Au moins j'avais répondu à ses questions, peut être cela mènerait il à d'autres réponses qui pourraient aider ma compréhension. Je sentais que j'étais sur le point de faire une découverte, mais elle était pour le moment si insaisissable...

Je continuais donc de l'observer, comme attendant dans son regard une étincelle, mais avant que cela ne se produise -ou pas- je me ravisai, et posai à côté de moi les quelques vêtements propres que je lui avais tendus. Si je pouvais éviter d'avoir à tout relaver... Et puis, elle semblait avoir l'habitude de vivre comme ça, je ne voulais pas aller contre la... coutume de ce pays. A savoir se promener pieds nus dans la nature dans des frusques trempées d'urine. J'espérais vraiment ne pas avoir de liens de parentés avec elle, pas parce que j'aurais honte, non; mais parce que je me forcerai à l'estimer, comme j'estimais chacun des membres de ma famille. Rien que cette pensée parvenait à soulever mon épiderme dans une vague de chaire de poule.

Je soupirai, brièvement.

Elle sait tout. Elle est consciente qu'elle perdra son corps mais surtout son âme si elle persiste dans la voie qu'elle a choisi d'emprunter. Je ne comprends pas ce comportement qui me semble aussi illogique que dangereux. Flirter sciemment avec une entité pire que la mort? Cette possibilité me terrifie même si je suis plutôt coutumière de tout ce qui touche de près ou de loin à l'occulte. Cette Ji m'étonne, m'effraie et me fascine. Et je n'arrive pas à dire lequel de ces sentiments prend le dessus. Elle est si... calme. Est-ce parce qu'elle ne mesure par la portée de son geste ou simplement qu'elle s'est depuis longtemps résignée à subir ses conséquences?

Et moi? Est-ce que j'ai réellement compris le sens de ce parchemin? Je crois... La partie tracée à l'encre a été compliquée à déchiffrer mais le sens des kanji-runes mamoru ne m'a pas échappé. Je suppose même que j'en connais plus au sujet de ce document que sa propriétaire. Mais plus que les informations que le parchemin contient, c'est le comportement de Ji qui est le plus révélateur. Elle reste une victime à mes yeux. Mais une victime consentante. Et ce détail change tout. Absolument tout...

"Je... Oui, je crois!" que répondre d'autre? "Mais j'ai du interpréter certains passages. Quelqu'un a du faire le rituel pour t'attacher Isanami. Alors j'imagine qu'il t'a expliqué en détail les avantages et les inconvénients qu'il comporte."

Je l'espère en tout cas. Pourtant d'expérience je sais que certaines personnes n'hésitent pas à tromper leurs congénères dans le seul but d'en tirer un quelconque avantage. Est-ce le cas pour Ji? C'est possible... Je l'écoute me parler de son objectif et des risques qu'elle est prête à prendre. Mon admiration n'en est que renforcée. Même si je reste empruntée quant à l'attitude qu'il convient d'adopter. L'encourager? Désapprouver? Je ne suis pas la mieux placée pour lui faire un quelconque commentaire sur ses choix.

"Tu sais..." j'hésite encore un instant. "Les Kamis, du simple esprit au plus puissant dieu, n'offrent jamais quelque chose sans obtenir davantage encore en retour. Ce n'est jamais évident. C'est souvent subtil. Mais au final ils sortent toujours gagnants. Toujours. Même quand les perspectives qu'ils offrent semblent avantageuses."

Je me recroqueville quand un courant d'air glacé vient caresser mon dos. Je ne sais pas si c'est un phénomène purement naturel ou l'une des manifestations de la présence d'Isanami. Dans les deux cas le frisson qui s'ensuit me fait trembler de la tête au pied. Je me rapproche donc davantage du feu tout en posant mon regard absent à l'endroit où je situe Ji.

"Tu as fait ton choix en connaissance de cause. Et ce n'est pas à moi de te juger. Tu as le droit de disposer de ton âme comme tu l'entends. Ou plutôt... tu l'avais!" il est trop tard maintenant. "Mais laisse-moi te donner mon avis: quel que soit tes péchés, le prix que tu devras payer pour les racheter est bien trop élevé. Le corps est une chose fragile, vouée à la disparition. Il n'est que l'habitacle de l'âme, un support physique qui lui permet de s'exprimer dans notre monde. Sa perte n'est qu'une étape dans le périple que chaque esprit est condamné à effectuer. Nos ancêtres sont passés par là, tout comme nous le ferons et nos enfants après nous. C'est... inévitable."

J'ai de la peine à m'exprimer aussi clairement que je le voudrais. Et pour cause: même une Mamoru n'est pas capable de saisir toutes les subtilités de l'occulte. Il faudrait bien des vies pour ne serait-ce qu'avoir une vision plus ou moins complète du sujet. Autant dire que je suis loin de comprendre tous les rouages qui animent le Yami. Mais je suis certaine d'une chose: Ji ne peut pas mesurer toutes les conséquences de sa décision. Tout le monde sait que le feu brûle. C'est un fait acquis. Et pourtant combien sont réellement familiers avec la douleur que la morsure des flammes provoque? Entre imaginer quelque chose et le vivre, il y a bien plus qu'une différence...

"Mais l'âme, elle..." je soupire. "C'est l'expression la plus pure d'une existence. Ce qui définit une personne et en fait toute la complexité. La perdre revient à disparaître. Totalement. Et définitivement. Notre existence ne se limite pas à une vie terrestre. Ce n'est qu'une étape, rien de plus. Une étape très courte. Est-ce que ce bref instant mérite réellement de tels sacrifices?"

À elle de choisir si c'est bel et bien le cas. Malgré mon discours un brin moralisateur je ne cherche qu'à lui permettre de jouer avec toute les cartes en main. J'active un sceau et en sort en morceau de pain rassis que je m'empresse de déchiqueter de mes dents sales. Il n'est pas agréable à manger. Mais il fera tout de même son office.

"Je t'admires Ji. Réellement! Faire ainsi face à son destin et en toute connaissance de cause, ce n'est pas courant. Et je suppose que c'est une bonne chose..." je baisse les yeux. "J'ai une autre question à te poser: tu sembles prêtes à tout pour changer le monde et pour l'accorder avec la vision que tu t'en fais. Et je pense sincèrement qu'Isanami sera plus à même de mener ce combat à ta place. Alors... Si tu le souhaites je peux accélérer le processus. Permettre à Isanami de s'exprimer plus vite que le rituel le lui aurait permis en temps normal. Mais pour ça, et tu l'as compris, il faudra que tu sacrifies ton âme comme ton corps. Que tu t'abandonnes entièrement et définitivement à elle."

Le choix lui revient à nouveau. J'essaie évidemment de mener la mission qu'Il m'a confiée à bien. Il en va de ma santé physique. Mais j'essaie malgré tout de me montrer aussi... humaine que les circonstances l'imposent. Nous ne parlons pas de la pluie et du beau temps mais bien de l'avenir de Ji. Et à ce titre il convient de faire preuve d'un minimum de respect. Tout simplement parce que Ji le mérite. Je la regretterai. Je crois en tout cas. Parfois quelques minutes suffisent à poser les fondation d'une amitié qui pourrait durer toute une vie.

Je reprends une bouchée de pain avant d'en tendre le reste à la femme d'une main tremblante. Le dernier repas d'une condamnée? Si elle accepte mon offre alors il semble en effet que ce soit le cas...

Finalement, l'attention que me porte la jeune fille est assez étrange; tantôt à vouloir m'avertir des risques liés aux kamis, ensuite à souhaiter accélérer le processus que je lui avais présenté. Il y avait fort à parier que ce n'était pas complétement désintéressé, quelque chose devait la pousser à me faire un tel discours, et une telle proposition. Plus notre rencontre se prolongeait, plus les questions dans mon esprit s'accumulaient. Et par effet de masse, j'avais l'impression qu'il y avait de moins en moins de réponse. Pourtant, tout ce qu'elle avait raconté n'était pas inintéressant; enfin, si seulement je ne l'avais pas su, et si on ne me l'avait pas déjà dit. Je me souvenais maintenant de cet homme, Aare.

Je refuse d'un revers de main le pain qu'elle me propose...

"Aucun intermédiaire. Ce parchemin est un Kinjutsu de mon clan, et j'en maitrise la moindre spécificité. Dis-je sèchement en me levant. Je sais tout ce qu'il y a à savoir. J'ai déjà tout traversé, la guerre, l'amour, la douleur et la mort. Mon esprit et mon corps ont été l'objet de toutes les manipulations, de toutes les tortures. Je n'ai plus rien à perdre dans ce monde et rejoindre un autre plan ne m’intéresse pas. Par contre j'aimerai beaucoup, comme toi, pouvoir communiquer avec eux."

Je m'approche d'elle, m’accroupis et récupère le parchemin, elle a eu le temps d'y jeter un coup d’œil et il sera tout aussi bien dans ma sacoche qu'entre ses mains. Puis je m'assis à nouveau, non loin d'elle. Heureusement, une légère brise souffle contre elle; m'évitant ainsi tous les désagréments de notre proximité et notamment l'odeur. Je n'avais jamais vu de vrais individus de ce clan, toujours des ersatz, des pièces rapportées...

"Tu es une Mamoru ? J'ai connu un homme qui avait usurpé votre capacité... Enfin... J'aimerai savoir pourquoi tu veux m'aider, ou pourquoi tu es là à défaut. Parce que ça ressemble à une coïncidence, mais ce n'en est pas une en fait."

J'avais un tas de question à poser mais je me demandais si elle pourrait me répondre précisément. Car jusque maintenant, tout ce qu'elle disait était plutôt vague, elle donnait l'impression de ne pas savoir grand chose, tout au moins pas plus que moi. Malgré la méfiance et les doutes que je lui portais, et malgré notre rencontre toute récente je continuai de lui parler.

"Ce que tu as interprété... Tu as donc réussi à tout lire ?"

Je crois que je l'ai vexée. C'est la conclusion qui s'impose si je me fie au ton qu'elle a employé en faisant le lien entre le Kinjutsu et son propre clan. Il m'avait avertie bien avant notre retour à ce qu'on pourrait qualifier de "civilisation": mes semblables sont très fiers du nom qu'ils portent et de l'héritage qui l'accompagne. Un concept un brin étrange à mes yeux. Nous, les Mamoru, ne sommes pas liés par le sang. Et puis je n'ai jamais connu mes parents. Une bonne chose je suppose. Ils n'aimeraient sûrement pas celle qu'Il m'a forcée à devenir.

Je baisse ma main et le pain qu'elle contient, estimant donc que mon interlocutrice n'en veut pas. Est-ce par dégoût? Manque de confiance? Peut-être un mélange des deux... Je ne m'attarde cependant pas longtemps sur le sujet et hausse les sourcils lorsque Ji m'annonce qu'elle aimerait beaucoup percevoir ce que je vois. Un rire mêlant amusement et scepticisme quitte alors mes lèvres sans même que je m'en rende compte.

"Ho non, tu n'as pas envie de les voir..." je mords dans ma propre tranche de pain. "Et il y a des.. choses qui ne veulent pas non plus être vues..."

Eux, comme elle les appelle. J'ai l'impression que c'est davantage la curiosité que la nécessité qui motive sa demande. Et puis ils ne sont pas des bêtes de foire, de simples animaux condamnés à divertir les mortels. En fait c'est plutôt l'inverse... Mais il ne m'appartient pas de décider qui est digne ou non de pratiquer les arts Mamoru. Je peux lui transmettre mes connaissances si elle le désire. Et les dangers qui l'accompagne...

Quelques instants plus tard je me rends compte que j'ai du commettre une erreur quelque part: Ji se méfie. Elle me questionne sur ma présence et souligne l'absence d'un hasard suffisamment crédible pour l'expliquer. Je déglutis et tapote de mes pieds nus sur le sol réchauffé par le feu. Une manière d'exprimer inconsciemment ma gêne. Je comprends son désir d'en apprendre plus. Mais je suis plus ou moins dans le même cas qu'elle.

"Ce n'est pas une coïncidence, c'est vrai." je hausse les épaules. "Je ne suis rien de plus qu'un instrument du destin parmi tant d'autres. Pourquoi? Comment? Ce n'est pas vraiment important dans le fond. Ce qui compte c'est que nous sommes là, ici et maintenant. Toi, Isanami et moi."

Et à mon avis il y aura un nom à biffer de cette liste d'ici quelques temps. Je doute que nous soyons trois à quitter les abords de ce feu. Peut-être que c'est ici que je dois mourir. Tout simplement. Si facilement. Si c'est le cas alors je ne dois pas m'inquiéter. Je crois que Ji fera ça délicatement. Et j'espère qu'Isanami appréciera. Je garde le silence, consciente que ma réponse est plus que vague. Il faudra pourtant qu'elle s'en contente. Il ne veut pas que je parle de lui. Alors je n'en parlerai pas...

"Et puis tu sais je suis aveugle mais pas totalement coupée de ce monde." un sourire malicieux s'installe un instant sur mes lèvres. "J'ai compris la majorité du texte écrit par les tiens je crois. L'encre est suffisamment bien conservée pour que je puisse la déceler avec mes doigts. Mais de toute façon ce n'est pas cette partie qui est intéressante..."

Un rire enfantin en guise de conclusion. Je crois que j'ai compris pourquoi Il voulait que je la rencontre. Elle a besoin de moi. Elle désire partager mon savoir. Mais chaque être humain de ce monde sait une chose évidente: on a jamais rien sans rien. Reste à savoir ce que Ji pourrait être susceptible de m'offrir en échange de mes services.

*Ceux qui sont inutiles doivent mourir...*
*Et ceux qui peuvent t'apporter quelque chose doivent servir. Tu as compris, oui. Bien que tu aies mis le temps...*

Je frisonne quand Il manifeste sa présence. Je tourne la tête dans sa direction, me désintéressant totalement de Ji. Et je m'autorise un sourire de satisfaction.

*Je comprends pour... elle* je désigne l'ombre qui enveloppe Ji. *Mais qu'est-ce que cette humaine a à m'apporter?*
*Elle est puissante. Qui sait ce que tu pourrais obtenir d'elle?*
*Et pour Isanami?*
*Non! Ce n'est pas de ton ressort! Ni du mien d'ailleurs. Ça nous... dépasse...*

J'écarquille les yeux de surprise: c'est la première fois que je l'entends admettre son... impuissance? C'est... jouissif. Qu'est-ce que cette agréable chaleur que je ressens dans mon bas ventre? J'y porte une main, rouge de honte. Comme mes doigts par ailleurs. Le liquide chaud et visqueux qui s'y répand ne peut être que du sang. Je... saigne? Je me redresse d'un mouvement brusque, paniquée. Le sang continue de couler le long de mes jambes. Qu'est-ce qu'il m'arrive?

Il capture mon poignet sans la moindre douceur et la peau me brûle. Si fort que j'en lâche un cri de douleur lancinant. Je remarque à peine que ma paume s'est posée sur l'épaule de Ji. Et il me faut encore quelques secondes supplémentaires pour reprendre mes esprits et remarquer que je la perçois plutôt bien. Parfaitement bien. Tout comme le monde nimbé d'obscurité qui nous entoure. Mon regard se pose sur les flammes ondulant dans le foyer et une larme coule le long de ma joue.

"Je... Je vois!"

Mon regard se tourne frénétiquement pour saisir la moindre pièce de la scène qui m'entoure. Les arbres... C'est à ça qu'ils ressemblent? Et la neige... Elle est si... blanche. Je tombe à genoux, les traits détendus par la béatitude. Et les étoiles. Ha, les étoiles... Brillantes à souhait. Et cette multitude de couleurs qui sublime le décor... Les mots me manquent pour exprimer cette inattendue découverte du monde tangible dans lequel j'évolue depuis l'enfance. J'oublie jusqu'à ma propre existence pour m'adonner à la contemplation totale de cette oeuvre naturelle. Jusqu'à ce que la Lumière s'éteigne...

C'est à nouveau l'obscurité qui m'emprisonne alors que ma main se détache de la peau de Ji. Je hurle ma frustration en serrant les poings. Quelques larmes coulent encore le long de ma joue puis le flot se tarit rapidement. Je m'en veux. D'avoir cru que j'allais pouvoir voir à nouveau. Il s'est joué de moi, m'a utilisée. Comme il le fait tout le temps. Il est cruel de remarquer qu'après toutes ces années il y parvient encore si aisément. Un jour... Un jour, j'aurai ma revanche.

"Tu les as vus?"

Le ton est amer. Tout comme moi. J'enlace mes jambes de mes bras et pose la tête sur mes genoux. Oui, ça semble logique. J'ai profité de sa vision et elle a profité de la mienne en retour. C'est pour ça que j'ai pu voir normalement. Et qu'elle a sans doute perçu les quelques esprits qui s'agglutinent autours de nous depuis que nous nous sommes rencontrées elles et moi...

Je ne veux pas les voir. Cette réponse me fit vaguement sourire. Ces esprits étaient ils si abominables qu'ils risquaient de me traumatiser ? Les voir pouvait il me mettre en danger et permettre à ces entités d'un autre plan de me faire subir quelques désagréments ? Je ne connaissais de cette partie du monde que peu de choses, les écrits de ce parchemin tout au plus mais j'étais sans doute l'une des rares personnes à pouvoir me venter d'avoir vraiment fait face à des monstres. Je doutais très sincèrement que ces êtres décharnés soient davantage terrifiants qu'un furyou. Je comprenais néanmoins que Setsuko avait du traverser quelques expériences bénéfiques ou nuisibles en rapport avec ces créatures de l'ombre, mais si elle avait pu y faire face, je ne voyais pas un seul instant pourquoi et surtout comment, moi, je pouvais le supporter. Elle aurait même pu me dire que je n'étais pas sensible à ce plan parallèle au notre, je ne l'aurais pas cru; car j'aurais été, à ce moment, incapable de me tenir à cet endroit et de lui parler. Je savais qu'il y avait quelque chose en moi qui me mettait sur un pied d'égalité avec elle, mais quoi... Je ne pouvais encore le dire.

Puis vint enfin une réponse que j'attendais, ce n'était pas une coïncidence... Mais encore ? Parce que dans le fond, je me doutais bien qu'une aveugle incontinente, en temps normal, n'aurais jamais pu arriver ici par elle même. Ce qu'elle voyait l'avait conduit à moi. La grande question demeurant alors était : Pourquoi ? Car il ne semblait pas avoir de prise sur moi, je ne ressentais même pas sa présence, ou alors je pouvais l'assimiler à la brise qui parcourait de temps à autre la petite clairière ? Puis... Setsuko était parvenue à lire les cette partie du parchemin que je pensais être la seule à pouvoir lire... D'ailleurs, cela me paraissait -du coup- étrange que moi même puisse la lire. Là aussi une question subsistait. Etait ce le passage d'Akuraï dans mon esprit ? Cela remontait il à mon enfance ? Pourtant je n'avais pas le souvenir d'avoir appris une autre langue, une autre écriture que celle que je pratiquais depuis plus de trente ans, mais bon, les souvenirs... Les seules bribes que je pouvais me remémorer concernaient ma mère, et elles étaient plus qu'incomplètes. Enfin, je m'attendais maintenant à ce qu'elle en dévoile plus, puis; rien. Le silence.

Je l'observais attentivement, Setsuko semblait absorbée par autre chose; comme si quelqu'un lui parlait. Je pouvais lire ces petits mouvements de tête, d'acquiescement; puis de joie. Étrange. Sa gestuelle l'est aussi. J'écarquillai les yeux en comprenant ce qui vient de se passer, à l'instant et me frottai le visage d'un geste ample et lent -facepalm- et me dis...

*Oh mon dieu... *

C'est une scène assez surréaliste et je me demandais comment des choses aussi inopinées ne pouvaient arriver qu'à moi. Enfin, cela s'accordait plutôt bien avec le reste de cette rencontre; je pouvais même dire que j'en avais pris l'habitude et avec tout ce que j'avais déjà pu voir ici et ailleurs, je n'étais plus à ça prés. Alors je ne relevai pas, fis comme si je n'avais rien vu. Je savais ce que c'était d'être du sexe "faible". Mais tout de même, en telle quantité, j'étais surprise, réellement.

Surprise, je le fus encore plus lorsque je la vis se lever d'un coup, comme contrainte. Comme si une force invisible la trainait, le tout ponctuait par quelques cris de la jeune femme. Je n'eus pas le temps de mettre en garde que sa main se posa sur moi, fort heureusement; c'était plus propre des deux. Elle était juste à côtés de moi, je la voyais maintenant de prés et son poignet. Je compris dès lors que cette chose qu'elle nommait Il l'avait conduite ici, auprès de ce feu et accessoirement de moi. Aussitôt je ressentis comme un choc au plus profond de mes entrailles, mais sans aucunes douleurs. Mon regard se posa instinctivement sur la médium et je vis. Une forme obscure planait au dessus d'elle et une autre au dessus de moi. Les cinq premières secondes, je fus stupéfaites pour ne pas dire effrayée mais ce sentiment fut rapidement remplacé par la fascination. Voir ce qui pouvaient nous entourer était subjuguant, c'était bien plus... palpitant. L'effet de la nouveauté sans doute, qu'il s'estomperait bien rapidement. Néanmoins, je cachai bien mon enthousiasme face à tout ça et préférais pour le moment garder le silence. Et contempler. Je comprenais Setsuko, cette ombre qui planait sur elle était assez inquiétante, mais au final... Pas tant que ça.

Si moi je voyais ce qu'elle pouvait voir, je compris qu'elle vit pour la première fois ce qu'elle n'avait jamais vu. Un léger sourire s'esquissa sur mes lèvres, nous ressentions probablement une joie commune, et c'était bien la seule chose que nous avions en commun, en fait. Je ne pouvais détacher le regard des yeux de la jeune qui étaient passés d'un blanc "nacré" voir laiteux à une teinte violacée peu commune, bien moins commune que la couleur des miens, car au final beaucoup de personnes avaient les yeux écarlates, étrangement. Enfin. Je détournai le regard pour le poser sur la déesse qui vue comme ça n'avait pas grand chose de la divinité dépeinte dans la religion que pratiquait, jadis, mon clan. Isanami... Elle non plus ne semblait pas vouloir me quitter des yeux, je constatais, presque amusée; que nous nous portions chacune un intérêt mutuel mais sans doute que nos objectifs divergeaient; quand bien même, j'étais une mortelle et loin de vouloir, et pouvoir me considérer comme son égal. Sa présence ne me gênais, comme l'avait compris la gamine aveugle, je l'avais voulu, et maintenant je me rendais compte que rien d'autre ne m'aurait plus comblée.

Je n'avais pas fait attention que la main de Setsuko m'avait lâchée jusqu'à ce que je le l'entende. Un hurlement. Je la regarde, surprise et constate que ses yeux sont redevenus "normaux". Aussitôt je cherche l'ombre d'Isanami, et la retrouve; je la vois toujours. Si j'avais été sadique, je me serai probablement ouvertement foutue d'elle, mais cela ne m'avançait à rien. J'allais porter la main sur son épaule, pour la réconforter en quelques sortes lorsqu'une autre voix, aussi douce que glaçante résonna. C'était elle, Isanami. Je la voyais toujours, et plus encore, l'entendait comme si... comme si elle était en chaire et en os. Un frisson hérissa chaque millimètre de ma peau et par réflexe je me redressai, me levais. Même si cela ne servait à rien dans le fond. Son aura était présente, je la ressentais mais elle n'était que vide, vent; intangible. La déesse semblait s'adresser à Setsuko.

"Il n'a pas le pouvoir de créer. Mais, je vous remercie d'être venus."
"C'est un échange, tu me dois..."
"Je ne vous ferai pas disparaître. Voilà tout ce qui vous ait dû. Si tu veux retrouver la vue, il vous faudra apporter bien plus à Habashi Zanshi."
"Umi Ji.."La silhouette d'ombre se pencha sur moi à la limite de me traverser.

"Non, Habashi... Zanshi. Celle qui a accepté."

Dit-elle en se redressant. Je n'ajoutai rien de plus. Inutile de tenter de duper plus longtemps la jeune fille. Puis si ça se trouve elle ne sait pas du tout qui est Habashi Zanshi, enfin, qui je suis. Isanami... semblait être aussi un concentré de vérité...

Toujours prostrée, les pensées encore envahies par les souvenirs du monde qui m'entoure, je reste silencieuse. Je me renferme sur moi-même tandis que même la chaleur dégagées par les flammes dansantes n'arrivent plus à me réchauffer. Ce n'est pourtant pas la tristesse qui prime. Mais plutôt la colère. Il s'est souvent montré cruel envers moi. Mais je pensais qu'Il ne pourrait jamais faire pire que la douleur physique dont il me gratifie à chacune de mes erreurs. Et je m'étais trompée... La souffrance psychologique est incontestablement la plus violente. Je voudrais tant le sceller, le condamner au néant. Un fol espoir, rien de plus. Et l'espoir n'a guère sa place dans ce monde...

*Pourquoi?*
*Parce que je le pouvais. N'est-ce pas suffisant?*

Non, bien sûr que non. Je serre les poings de rage et ne provoque nulle autre réaction que son rire moqueur. Il chérit mon impuissance, s'en délecte. Et en tire sûrement une partie de sa force à la manière d'une sangsue. C'est le parasite de mon existence. Et je ne peux rien faire sinon le subir. Ce n'est pas un manque de combativité de ma part. C'est juste la... réalité. Quels choix me reste-t'il? La nier? La vérité est faite pour être regardée en face. Je m'enfonce dans ma réflexion jusqu'à ce qu'une voix mêlant douceur et menace s'élève dans la nuit sombre.

Je sursaute et recule instinctivement, me traînant sur le sol jusqu'à ce que la souche d'un arbre me bloque dans mon mouvement. C'est... Isanami qui vient de s'exprimer? Mon ventre réagit avec violence et je me penche sur le côté. Juste à temps pour éviter de me vomir dessus. Quelle piètre image je dois donner... Si je m'en inquiétais la honte m’assaillirait sûrement. Fort heureusement ce n'est pas le cas. La présence de la déesse conjuguée à celle de mon démon meurtrit mon corps qui, sensible à ces manifestations, ne peut supporter toute cette pression invisible. J'ai mal à la tête et du sang commence à couler le long de mes narines. Mon organisme ne sait comment réagir. Et moi non plus...

J'ose à peine relever les yeux vers Isanami. Par peur. Et j'arrive à peine me réjouir de la domination qu'elle exerce sur lui. Il n'ose même pas contester ses propos. Je suis si ébranlée que je manque de passer à côté de deux informations capitales. Il me faut d'ailleurs quelques secondes pour les assimiler. Me redonner la vue? Et... Habashi Zanshi? L'espoir renaît en même temps que les questions. Alors je puise dans ma réserve de courage et me redresse pour faire quelques pas dans la direction d'Isanami et de Zanshi. Chacun d'eux devient plus compliqué. Comme si l'aura de la déesse suffisait à me repousser. Véritable mur protecteur autours de son réceptacle humain. Je tombe à genoux face à ce terrible duo.

"Déesse..." je déglutis, hésitante. "Je n'en suis pas digne mais j'ai une faveur à vous demander..."
"Parles, humaine!"
"Libérez-moi de Lui!" je pointe le démon du doigt. "Libérez-m'en et je serai à jamais votre obligée!"
"Comment oses-tu te dresser contre moi?"

Je perçois de la peur dans sa voix d'ordinaire si grave et assurée. Je sais alors que ce que je demande est possible. Isanami le surclasse dans chaque domaine, c'est évident. Elle a le pouvoir de remettre entre mes mains ma propre existence. Mon insolence a cependant un prix. De larges plaies s'ouvrent sur tout mon corps et répandent du liquide carmin sur ma peau. Pourtant c'est bien un sourire qui s'installe sur mes lèvres. Pour la première fois de ma vie l'espoir est plus fort que la peur. Bien plus fort! Je suis plaquée au sol avec violence et un coup violent me fait rouler sur le côté. Il se déchaîne avec une hargne que je ne lui connaissais pas. Mais l'espoir subsiste. Encore quelques instants du moins...

"Ton sort m'indiffère! Tu n'es rien!"

Et tout s'écroule. Les coups continuent de pleuvoir encore quelques instants puis la cadence diminue. Prostrée sur le sol, incapable de ne serait-ce que faire un mouvement pour me relever, mon visage s'enfonce dans la boue maculée de mon propre sang. Cette dernière s'infiltre par ma bouche entrouverte mais je ne prête même pas attention au désagréable goût qu'elle provoque. Tout est... fini. Je relève alors les yeux vers Zanshi. Peut-être que...

"Tu es l'Habashi Zanshi de Suna n'est-ce pas? La Godaime qui a été assassinée?" si je n'étais pas familière de l'occulte j'aurais sûrement remis cette affirmation en doute. Mais... "Et... Et toi? Peux-tu m'aider?"

Je sais qu'elle ne le peut pas. C'est simplement le désespoir qui me pousse à lui demander de l'aide. Le déluge de coups reprend mais je ne ressens plus la douleur. Je sais qu'Il me fera payer mes demandes au centuple. Que mon existence va encore davantage s'assombrir. Comment ai-je pu espérer qu'Isanami prendrait mon parti plutôt que le sien? C'était de la folie. Mais quand on a plus rien à perdre... J'ai parié et j'ai perdu. Il me semble logique d'en payer le prix. Le calme revient finalement. Le corps meurtri, les côtes cassées, je rampe vers Zanshi et lui effleure le bout des pieds de mes doigts. Une supplique que je n'ai même plus la force de formuler...

J'observais Setsuko rampant sur le sol, mal en point. Étrangement j'éprouvais pour elle de la compassion. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti quelque chose de comparable, ou même quelque chose tout court. Je ne savais pas ce que je pouvais bien faire pour l'aider, mais je trouverai. Je ne pouvais compter sur personne d'autre pour... me guider dans ce nouvel environnement. C'était assez ironique d'ailleurs, qu'une personne atteinte de cécité puisse me guider... Mais ce problème pourrait s'arranger, si je parvenais à mener mon plan à bien

Tout ceci me dépassait un tantinet, la relations qu'ont les esprits avec les humains était très particulière. Sans les humains ils ne seraient rien et nous, nous pouvions très bien nous passer d'eux. Alors qu'elle présentait supplique à la déesse, l'autre esprit, l’innommable s'en prit violemment à la gamine déjà en piteux état. J'assistais à la scène, impuissante. Je ne savais rien des esprits, en dehors de ce parchemin, néanmoins je pouvais toujours essayer quelque chose. Isanami semblait me porter un intérêt certain alors peut-être voudrait elle bien m'écouter. En général je n'interférai pas avec les affaires des autres, quoi qu'il arrive. Cependant dans certains cas, lorsque les personnes concernées pouvaient m'apporter quelque chose...

"Déesse Isanami, ne pouvez vous vraiment rien faire ?"
"Que dis-tu ? Tu voudrais que j'intercède en sa faveur ? Que je te permette de traverser la mort ne te suffit donc pas ? Fais attention Habashi..."
"Sans moi vous n'êtes rien et sans vous nous n'atteindrons pas notre objectif commun. Faites ce que je vous demande et... nous y parviendrons."
"... Tu as besoin d'elle, n'est-ce pas. L'entité supérieure posa son regard sur l'ombre qui martyrisait la jeune Mamoru. Arrêtes de maltraiter cette mortelle et peut-être penserais-je à toi lorsque mon avènement sera venu. Lui adressa-t-elle de sa voix étrangement douce."

Puis elle disparue dans l'obscurité, je savais pourtant qu'elle n'était pas partie, je sentais sa présence, son regard; mais je me doutais qu'elle ne voulait plus m'aider pour le moment, et disparaître, se taire et ne faire qu'observer était la solution la plus simple. Ceci dit, je n'avais entendu aucune réponse de la part de l'autre pourtant je pouvais toujours le distinguer malgré le noirceur de cette nuit.

Je soupirai, et regardai Setsuko allongée à mes pieds. Je m'accroupis devant elle et prend sa main poisseuse que j'essuie avec le bas de ma cape. Je fais un signe de la main droite et un clone apparaît à mes côtés.

"Oui, je suis Zanshi, la Godaime Kazekage."

Dis-je en essuyant maintenant le sang qui coulait de son nez. Je fis signe à mon clone. Il s'approcha de la fille et la souleva sans faire preuve de beaucoup de ménagements. Setsuko poussa un gémissement typique et toujours à côté d'elle lui adressais-je quelques mots.

"Isanami n'est pas obligée de le tenir en laisse. Et je ne suis pas non plus forcée de t'aider. Mais les connaissances que tu peux m'apporter accéléreront les choses. Peut-être même pourras-tu retrouver la vue. Enfin, tu peux tout aussi bien refuser, Mamoru no Setsuko."

J'éteignis le feu en le recouvrant de terre. Quelques pas en direction de la lisière de la forêt et j'entendis des bruissements; j'observais au loin et distinguai rapidement les formes d'une personne que je connaissais bien maintenant.

"Tatsuki. J'ai attendu. Qu'as tu fait pendant tout ce temps ?"

Elle savait que cueillir des champignons en pleine nuit n'était pas une bonne idée, elle aurait dû écouter Ji lorsqu'elle lui avait conseillé de la suivre. La patronne ne l'avait pas attendue et Tatsuki n'avait rien trouvé dans ces sous bois miteux. Ainsi elle erra dans l'obscurité de la forêt pendant un bout de temps, tentant de retrouver Ji. Elle marcha, et marcha encore. Le chakra que dégageait la jeune femme aurait pourtant dû l'aider mais rien n'y fit. Tatsuki se sentait comme les personnages de cette histoire qu'on lui avait comptée dans son enfance, abandonnée. Sauf qu'il n'y avait pas de maison en sucrerie, ici.

Après un long tâtonnement dans l'obscurité et les bruis suspects de la forêt, la jeune femme entrevit une faible lueur au travers des buissons. Elle se dirigea vers cette source de lumière qui disparue en un instant. Tatsuki s'immobilisa, observa et écouta. Soudainement une voix retentit, c'était sans hésitation la voix de la Kunoichi du métal. Elle s'enfonça dans le mur de végétation se battant avec les arbustes, les branches et les feuilles pour finalement déboucher sur une large clairière, complètement dégagée et devant elle se trouvait deux personnes, non trois! Deux Umi Ji et une gamine blessée, ensanglantée dans les bras d'une des deux.

Pas le temps de poser des questions, Ji réagissait déjà à l'apparition soudaine de la voleuse. Sa question la déconcerta, et expliquer qu'elles cherchait des... champignons...

"Tatsuki. J'ai attendu. Qu'as tu fait pendant tout ce temps ?"
-Heu... Ben... J'étais partie chercher des ... champignons.. ?
"Je vois.. Tu as dû trouver d'autres choses que des champignons, alors ?"
-En fait... non. Je me suis perdue... Enfin bref! Qui est-ce ? Que c'est il passé ? Tu ne l'as quand même pas... Attaquée ?! S'offusquait-elle.
"Setsuko. Elle s'appelle comme ça. Elle a été blessée, je l'aide..."
-Oh oui, tu l'aides; qu'a-t-elle à t'apporter celle-là ? Interrogeait-elle.
"Je peux aider des gens sans leur demander une contre partie tu sais."
-Ha ha, c'est ça ouais. Mytho va! Bon, on en fait quoi alors ? Elle est en vie au moins ? Faudrait peut-être la laver non ? Parce que...

Ajoutait-elle avec une mimique exprimant clairement la répugnance. Vue comme ça, la gamine dans ses bras semblait morte, et pire encore; elle ne sentait vraiment pas bon.

Le visage à moitié enfoncé dans le sol meuble, j'écoute cette conversation qui me semble lointaine. Je reconnais vaguement la voix de Ji puis celle de la Déesse. Je reconnais les mots. Mais je ne comprends pas la teneur de leur discussion. L'esprit embrumé par la douleur et la fatigue, je me contente d'être la spectatrice absente des événements. J'ai envie de fermer les yeux et de sombrer dans l'inconscience. Peut-être alors que je rêverai. Et que je pourrai ainsi m'éclipser d'une existence sur laquelle je n'ai jamais eu le moindre droit. Mais la douleur me tient éveillée. Des lancements réguliers au niveau de mes côtes brisées m'empêchent de rejoindre la tranquillité. J'ai à peine la force de pousser un soupire de lassitude.

Je sens des bras m'arracher du sol sans grande délicatesse et je gémis quand mes plaies protestent. Je crois que c'est Ji. Ou plutôt Zanshi. La curiosité m'envahit à nouveau quelques secondes avant de disparaître. J'aimerais pouvoir la remercier pour l'aide qu'elle m'accorde. Mais les mots sont compliqués à prononcer et les doigts que j'ai doucement refermé sur son poignet suffisent à lui exprimer ma reconnaissance. Je suppose qu'après ce que nous avons traversé nous pouvons nous passer de paroles. Et dire qu'il y a quelques minutes je ne la connaissais même pas...

*Ne te réjouis pas trop vite! Tu as tenté de me trahir, Shôjo. Et la trahison doit être châtiée avec la plus grande des sévérités!*

Pour preuve, une plaie apparaît le long de mon cou. Isanami m'a donné un sursis, rien de plus. Mais c'est exactement ce dont j'ai besoin. Par ailleurs je redoute de me retrouver à nouveau seule avec Lui. Cette simple pensée me fait frémir. Mais elle a également le don de m'arracher à la somnolence dans laquelle je m'installais. Je réalise alors que Ji me parle. Elle me confirme être la Godaime puis me fait une proposition qui ressemble étrangement à du chantage. Ai-je vraiment le choix? Soit je l'aide, soit elle m'abandonne à mon sort. Comment refuser? D'autant plus que la perspective de retrouver la vue est des plus alléchantes. Est-ce que je suis en train de me vendre? Est-ce vraiment important, dans le fond?

"Si... Si je refuse tu me... me tueras!" j'expose ma conviction sans la moindre rancœur. "La Zanshi de Suna n'était... Tu n'étais pas réputée pour ta miséricorde. Je t'ai... Je t'aiderai!"

Et en retour je ne peux qu'espérer qu'elle tiendra parole. Il faut parfois savoir faire le premier pas même si ce n'est jamais évident. Accorder sa confiance est un exercice périlleux. Mais les circonstances ne me laissent pas vraiment le choix. Sans réellement croire Zanshi, je suis en revanche prête à lui laisser le bénéfice du doute. Ai-je seulement le luxe d'agir autrement?

"Tu vas... mourir Zanshi! Tu... Tu le sais pas vrai?" je me penche par réflexe sur le côté pour cracher du sang. "Isa..nami ne laissera rien subsister de ce..celle que tu étais. C'est vrai... vraiment ce que tu souhaites? Quel idéal peut bien mé... mériter un tel sacrifice?"

Je n'ai pas envie qu'elle serve de réceptacle à Isanami. Et je suis convaincue qu'elle non plus. Je dois la faire changer d'avis. Pour son propre bien. Mais également pour celui de l'humanité. Zanshi s'adresse à une autre personne et je reste alors silencieuse pour comprendre ce qu'il se passe. Tatsuki? Ça ne me dit rien. Peut-être qu'il s'agit de sa compagne de route? Est-elle elle aussi l'hôte d'un quelconque kami? Je tourne mon regard vers l'origine de la voix mais ne distingue rien d'autre que du noir. Plutôt bon signe...

"Ça fait... longtemps que je n'ai pas pris une dou..douche, oui!" le ton exprime ma gêne. "C'est un peu.. long... à expliquer."

Pas vraiment en fait. Mais je ne sais pas ce que cette Tatsuki sait ou non. Peut-être qu'elle ignore que Zanshi est accompagnée d'Isanami. Voir même qu'elle ne soupçonne même pas l'existence de tout un autre monde autours de nous. Je ne veux pas vendre la mèche. Et encore moins provoquer la colère de ma sauveuse. Pour l'instant il convient de rester neutre. Du moins autant que mes blessures me le permettent.

"Et oui, je suis... en vie!"

J'imagine que la nouvelle venue s'en était déjà rendue compte. Toujours est-il qu'elle en a maintenant la confirmation. Et si ce n'était pas assez clair, le flot de vomi que je déverse à ses pieds la confortera dans cette idée. Je lève faiblement une main pour tenter de m'excuser mais une seconde vague de liquide répugnant m'en empêche...

Les trois femmes étaient donc là devant l'orée du bois, au plus profond de la nuit. Tatsuki ne s'était pas attendue à une telle scène. La gamine dans les bras de son clone semblait avoir quelque chose de particulier, un peu comme la Senritsu. La Kunoich de Shimo no Kuni se demandait si sa patronne agissait de la sorte avec toutes les personnes qui présentaient des défauts. Etait elle un genre d'altruiste ? S'intéressant aux cas très spéciaux ? La petite à moitié morte avait visible vécu des choses pas très drôles, et elle même était une voleuse poursuivie par diverses personnes. Non, non, non! Elle avait quelque chose dans le crâne, autre chose que la générosité qu'elle voulait bien faire semblant de montrer. Puis, une si jeune femme, Ji... Comment pouvait elle ? A la fois faire preuve de tant de tact et surtout avoir, apparemment, tant d'argent ? Quelque chose se cachait sous tout ceci.

Tatsuki s'approcha alors pour juger de l'état de la gamine. Elle ouvrit les yeux, ils étaient blancs, un peu nacrés. La voyait elle ? Tatsuki constata rapidement que non. Mais cela signifiait qu'elle était en vie. Et ce qui s'en suivit confirma davantage la chose. Lorsqu'elle déversa sur elle, outre ces quelques faibles paroles, une déferlante immonde, du vomi en somme. Son visage se crispa soudainement laissant apparaître une expression proche du dégoût. Elle fut prise d'un haut le cœur mais au contraire de la gamine Tatsuki ne rendit pas son déjeuner. Lorsque l'enfant s'excusa, elle fit un signe de la main avec sourire crispé. Setsuko le lui rendit bien, à nouveau. Tout à coup elle se demanda pourquoi elle n'avait pas mit de la distance entre elles deux. Une erreur typique... et qui ne pardonnait pas.

-"Aaaah... ça va, ça va. Arrête de parler. Disait elle en faisant quelques pas en arrière. Bon, que fait on, maintenant ? Il y a bien une rivière dans le coin non ? Parce qu'il faut qu'on se pose quelques part là... Ajoutait elle en pointant ses pieds. Et, tu compte l'embaucher ? Comme moi ou tu veux juste faire ta BA du mois ?"

Elle observa successivement les trois jeunes femmes, dont un clone et attendit quelques secondes. Ce délai de réponse fut bien trop long pour elle, alors Tatsuki décida de prendre les devants en dépliant une carte qu'elle avait bien évidemment volé à un voyageur qu'elles eurent juste croisé quelques jours plus tôt. Sans trop avoir à réfléchir, elle localisa l'endroit parfait. Visiblement, un cours d'eau traversait la forêt d'où elles venaient, mais un peu plus au nord. Tout en continuant de regarder la carte, elle désigna une direction en pointant du doigt sa droite. Qu'aurait fait Ji sans une fille comme Tatsuki ? Et surtout sans son légendaire sens de l'orientation !

-"On va par là."

Affirma-t-elle en empruntant elle même la direction qu'elle avait désignée. Après une courte marche, même pas une heure, le groupe arriva à proximité de la rivière. Son cours était calme et le son qu'émettait l'eau dans son lit était très reposant. Elle serra le poing en signe de victoire et s'écria "Yes". Suite à quoi, elle comme les nuits précédentes. Préparer leur campement ne la dérangeait pas. Vu l'argent que lui avait donné Ji, oh oui, elle s'en fichait complètement. En revanche elle aurait bien jeté l'autre à la flotte, car son odeur imprégnait tout l'air aux alentours.

-"Bah... Au moins ça n'attirera pas les bêtes!"

En plus d'être aveugle et incontinente, la Mamoru était aussi démente. Voilà qui me faisait une belle jambe. Je lui propose de l'aider, de dépenser mon chakra, de me salir même et elle; elle croit que je vais la tuer. Dans d'autres circonstances j'aurais trouvé ça drôle, mais là... Je trouvais ça encore plus pathétique. Ceci dit, elle n'avait pas tout à fait tort, je n'avais jamais été du genre apitoyable, au contraire. Tuer des alliés sur le champ de bataille pour atteindre mes objectifs ne me posait aucun problème ni de moral, ni de conscience. Et c'était d'ailleurs pour cette même raison qu'aujourd'hui un pacte était signé entre la déesse et moi, parce que rien ne pouvait se mettre en travers de mon Grand objectif, pas même moi. Et si Isanami pouvait accomplir cette tâche pour moi, que je sois là ou pas pour le voir, cela ne me posait aucun problème l'important étant que le travail soit fait. Mais d'ici là... Du temps passerait. Je lui répondis pendant au nous marchions dans la direction de Tatsuki qui devait se trouver quelque part dans la forêt d'où j'étais arrivée.

"Tu sais qui je suis, à peu prés. Ce qu'on a pu dire de moi est vrai. Mais je ne suis pas non plus abjecte au point de tuer une gamine aveugle, surtout quand elle peut m'apporter des choses... Dis-je simplement. Nous marchâmes un moment dans l'obscurité, jusqu'à ce qu'elle rompe encore ce silence qui nous allait pourtant si bien, à quoi je répondis. Aujourd'hui mon corps est mort, mais pourtant je suis toujours en vie au travers d'Umi Ji. Alors maintenant, même si je le voulais; il est trop tard pour faire demi-tour. Ce qui est fait est fait, et je ne regrette rien. Puis, toute chose à une fin. Tu ne penses pas que trente et un an est un bel âge pour une personne comme moi ? Qui a vécu plus de guerre que de paix ?"

Nous parcourûmes encore quelques mètres avant de tomber sur Tatsuki. Après une brève explication et quelques mots assez fleuris, ou fanés -tout dépend du côté de la barrière où l'on se trouve- de la jeune femme blonde, et une scène mémorable entre elle et Setsuko. Nous prîmes la direction qu'avait indiqué la Senritsu. Après une bonne demi-heure de marche nous arrivâmes finalement au bord d'un petit court d'eau, comme elle l'avait prédit à l'aide de sa carte qui ne lui appartenait pas. J'étais impressionnée par tous ses talents. Entre orientation en pleine nuit et pickpocketing, j'étais sûre d'avoir fait le bon choix en la prenant avec moi. Mais qu'elle, ait fait le bon choix en me suivant... C'était une autre question.

J'avais donc bien compris l'allusion de la Senritsu. Elle voulait arranger la situation de la gamine en...

"Tu... A cette heure-ci l'eau doit être très froide. Ce serait bien si on évitait de l'achever non ? Monte plutôt le camp. Je pense que vous devez toutes les deux vous reposer. Nous aviserons demain, rien n'est pressé pour le moment. Quant à moi, je vais monter la garde."

Mon clone avait déposé la Mamoru sur le lit feuille qu'avait, à ma grande surprise, confectionné Tatsuki. Elle avait aussi accroché son pantalon à un fil de fer, et le laissait tremper dans l'eau, fort heureusement la jeune femme était prévoyante, sa vie de voleuse avait du lui fournir une sacrée expérience; ainsi elle avait enfilé un rechange... J'étais de plus en plus étonnée par cette fille et pensais qu'elle me permettrait de faire, ou tout au moins, d'obtenir de grandes choses. Deux heures s'étaient écoulée, à cette heure, même la nature s'était tue, et seul le chant mélodique de la rivière berçait mes songes. Des quels je fus extirpée par cette que je connaissais, Isanami.

"L'enfant à raison, tu mourras. Tu ne peux plus te réincarner que six fois. Plus tu useras de mon pouvoir, plus ton âme et ta conscience s'estomperont jusqu'à ce que ton dernier corps ne soit plus qu'un réceptacle vide dans lequel je pourrais à mon tour me réincarner. Je suis satisfaite de constater que tu ne remets rien en doute."
"Et si je ne me réincarne pas, vous serez bloquée, n'est-ce pas ?"
"En effet, mais les objectifs que tu poursuis demandent plus d'une vie, plus d'un combat. C'est pour ça que tu dois sélectionner les adversaires qui nécessitent ton sacrifice avec soin. Que tes morts soient utiles. Car l'extinction de la race Shinobi ne se fera pas en un jour."
"Et si j'atteins mon objectif avant que vous ne puissiez vous réincarner ?"
"Tu mourras de vieillesse, tôt ou tard. Quoi qu'il arrive, ce monde connaîtra le courroux divin. La déesse alors penchée sur moi se redressa et fixa Setsuko. Si tu lui fais du mal, je te le rendrai au centuple, Ekibyô."

Je détachai le regard des flammes et vis au dessus de la Mamoru paisiblement assoupie l'ombre lugubre du démon. Jusque là je n'y avais pas fait attention, mais le fait qu'Isanami se manifeste maintenant me fit penser qu'elle n'était pas là que pour discuter ou répondre à mes questions, j'aurais même dit qu'elle surveillait la gamine de prés, ou plutôt Ekibyô...

L'échange n'alla pas plus loin et étrangement l'ombre planant sur Setsuko prit ses distances, et Isanami ne me quitta pas, sa présence le tenait en respect. Incroyable. Ainsi la nuit passa sans je que je ne ferme un œil. Il ne s'était absolument rien passé durant cette longue et étrange nuit. Et je me découvris par la même occasion une incroyable capacité. La faculté de ne pas m'ennuyer même quand la seule chose que j'ai à faire est de regarder les flammes virevolter sur le tempo des crépitements...

Le soleil se leva alors, j'avais quand même changé de position, enfin, de place. Je m'étais assise en tailleur au bord de l'eau et regardait sous sa surface quelques poissons remonter le courant. J'étais un peu comme eux, finalement. J'entendis du bruit, tournai la tête et vis outre les formes spectrales encore présentes, Tatsuki. La tête mal coiffée synonyme d'une bonne nuit. Elle était vraiment "amusante" au matin, comme ça. Et quelques minutes après ce fut Setsuko. Je ne pouvais dire si c'était pour elle une chance ou une malédiction de ne pouvoir voir le spectacle qu'offrait la voleuse. Elle avait sorti son pantalon noir de l'eau, et il était plein de poissons. Sans doute avaient ils dû faire un festin de ce que Setsuko avait... rendu.

J'adressai alors un simple bonjour aux deux femmes et ajoutai.

J'ai préparé un savon. Tu sais faire ça toute seule Setsuko, où on doit t'aider ?

Bien sûr, ce n'était pas une question que je lui adressai, tout au moins je n'en employais pas le ton...

Un dernier regard aux poissons que la Senritsu déposait au pied du feu. Finalement, non, je n'étais pas comme eux...

Cette rencontre tient ses promesses pour l'instant. Mais je n'avais pas prévu qu'Isanami prendrait le parti de ma chose. Et que cette dernière tenterait de se rebeller ouvertement contre moi. J'ai sous-estimé le désir de liberté de Setsuko. Et cette erreur a bien failli me coûter cher. Que ce serait-il passé si la déesse avait accédé à la requête de l'aveugle? Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai eu peur. Et pas uniquement de voir l'enfant échapper à mon influence... Isanami est redoutée. Même parmi les démons. Et ce n'est pas par hasard. Il vaut mieux éviter de la contrarier si je veux continuer à jouir de mon immortalité...

Penché sur la Mamoru, j'écoute la conversation entre cette humaine et la déesse. L'une de mes main se balade dans le chevelure aussi sombre que la nuit de Setsuko. Un geste qui n'a rien d'anodin. Car s'il laisse penser à une certaine forme de tendresse, il n'en est rien. Je m'emploie bel et bien à rendre la nuit de l'adolescente aussi éprouvante que je le peux. Même le sommeil ne peut la protéger de la cruauté de ce monde. Et sa désobéissance mérite bien une sanction. Les cauchemars que je lui insuffle sont un bon début. Et lorsque Isanami ne sera plus là...

La déesse, justement, m'averti à nouveau: si je fais du mal à ma chose alors je dois m'attendre à souffrir cent fois plus. Je prends la menace au sérieux. Très au sérieux. Malgré ma fierté qui me commande de réagir, je reste néanmoins stoïque. J'ai tellement pris l'habitude d'être au sommet de la chaîne alimentaire en côtoyant Setsuko et les humains que j'avais pratiquement oublié que chaque prédateur trouve toujours un adversaire plus puissant que lui. Et lorsque ça arrive il vaut mieux savoir faire profil bas. Conscient que l'absence de réponse à cet avertissement pourrait être mal perçu, je prends finalement la parole. Et tant pis si Zanshi peut m'entendre...

"L'enfant n'a rien à craindre, Isanami!" ma voix rocailleuse résonne dans la nuit. "Du moins tant qu'elle fera preuve du respect que tout humain doit témoigner à un Kami..."

Une réponse qui me laisse une porte ouverte tout en rassurant l'entité greffée à l'ancienne Kazekage. Je n'ai pas le pouvoir ni le désir de m'élever contre elle. Pour autant je ne compte pas non plus lui obéir au doigt et à l'oeil. Disons que je trouverai bien un moyen d'exploiter les failles de son ordre. Reste encore à savoir lequel... Je me redresse de toute ma taille et éclipse un instant les flammes. Je m'écarte ensuite de ma chose et de ces présences qui m'importunent. Pour l'instant il convient de faire preuve de patience...

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Il me faut quelques instants pour me remémorer les événements de la veille tandis que j'ouvre lentement les yeux. La douleur ne tarde pas à se substituer aux cauchemars éprouvants qui ont émaillé mon sommeil. Je me redresse malgré tout avec précaution tout en profitant du vague réconfort que les braises mourantes et le soleil m'insufflent. Puis je passe une main blessée sur mon visage recouvert de saleté comme si ce simple geste m'extirpait définitivement des bras de Morphée. J'ai la sensation que cette journée sera meilleure que la dernière. D'une certaine façon j'en viens à me sentir en sécurité en présence d'Isanami et de Zanshi. Et même cette Tatsuki, malgré ses remarques sur mon odeur, semble sympathique. Je me sens étrangement... bien malgré la douleur qui lacère mon enveloppe charnelle...

"Bonjour Ji, Bonjour Tatsuki..."

Je me relève et commence à m'incliner face à Zanshi. Non pour la saluer elle mais bien pour témoigner à Isanami le respect qui lui est dû. Bonne ou mauvaise, ce n'est pas à moi de décider. D'autant plus qu'une entité comme celle-ci ne peut pas être résumée par des concepts si... humains. Toutefois les événements de la veille s'ordonnant finalement correctement dans mes pensées, je me rappelle que la présence de la déesse n'est peut-être pas connue de la troisième comparse de notre étrange groupe. J'espère que mon erreur ne portera pas à conséquence et que cette dernière pensera simplement que je témoignais du respect à l'ancienne Kazekage.

Je hausse un sourcil pour masquer mon scepticisme lorsque Zanshi me parle de me laver. Pourquoi faire? Je veux dire... Ce n'est qu'un détail, non? Je suis consciente que mon odeur corporelle pourrait être plus... agréable. Mais en quoi cela définit-il la personne que je suis? Une effluve décente n'est rien de plus qu'un artifice. Pourtant je n'ai pas envie de protester ou même de refuser. Ces deux femmes m'ont recueillie et aidée. Si je peux me montrer agréable pour les en remercier, pourquoi pas... Je saisis donc à tâtons le fameux savon et le hume un instant.

"Je sais comment faire, merci!"

D'ordinaire je ne prête pas attention aux remarques ou avis des autres. Ce n'est qu'une perte de temps. Mais je suis légèrement vexée qu'on me considère comme une pestiférée. J'ai l'impression que ça les amuse au moins autant que ça les révulse. Je me relève puis chancelle avant de me stabiliser. Je le cherche ensuite du regard. Mais je ne perçois que l'obscurité et le noir. Oû est-Il passé? Son absence me rassure au moins autant qu'elle m'inquiète... Je me fie au bruit de l'eau qui coule pour repérer la rivière. Je m'y dirige avant d'hésiter lorsque j'arrive au bord de la rive. J'y trempe finalement un orteil que je retire presque immédiatement.

"Elle est froide..." je me retourne vers le duo, hésitante. "Je... Je suis obligée?"

L'absence de réponse sonne comme une confirmation plutôt évidente. Je soupire puis ôte mes vêtements, dévoilant un corps recouvert de cicatrices et de plaies à moitié refermées. Et d'autres encore ouvertes dont s'échappe parfois un peu de pus. Je grelotte dans ce plus simple appareil. En temps normal Il me protège du froid. Mais sans lui je suis soumise comme les autres aux affres de l'hiver. Mes dents ne tardent donc pas à s'entrechoquer tandis que je me glisse dans l'eau, crispée au possible. Je frotte ensuite frénétiquement le savon sur ma peau blessée sans vraiment prêter attention à la douleur que ça suscite. Plus vite je serai dehors et plus vite je pourrai me réchauffer! Et manger ce délicieux poisson dont le fumet me fait saliver. Depuis quand n'ai-je pas mangé? J'ai perdu le compte...

"Je ne ferais pas ça tous les jours..."

Cette phrase agrémente mon retour vers les deux jeunes femmes. Je m'enveloppe dans une couverture et m’assois finalement à côté du feu qui ronronne à nouveau. J'aimerais pouvoir discuter simplement avec elles. Mais je ne suis guère douée pour les banalités. Pourquoi le serai-je alors qu'Il a banni de ma vie tout ce qui n'était pas utile à ses yeux?

"Désolée pour hier soir Tatsuki. Je... Je n'étais vraiment pas bien!" un doux euphémisme. "Tu ne m'en veux pas?"

Je fronce les sourcils et hume ma peau qui sent pour le coup étrangement bon. C'est pourtant bien une grimace de dégoût qui s'affiche sur mes traits fatigués mais propres. La saleté n'est peut-être pas agréable mais elle est vraie. C'est la nature et pas un artifice! Le savon, le parfum, le maquillage... À quoi cela sert-il à part cacher aux autres ce que vous êtes réellement? Je retire mon nez de mon bras et me frotte les mains avec un enthousiasme en partie feint. Il va falloir maintenant passer à une partie moins agréable de la discussion. Moins agréable mais... nécessaire. Je fouille dans mon petit sac et en sort une pile de petites feuilles.

"Je vous remercie pour votre aide. Sincèrement." je m'incline respectueusement pour le prouver. "Alors laissez-moi vous aider en retour. Votre accent prouve que vous n'êtes pas de Taki. Ou même du Shûkai. Le soucis c'est que les étrangers doivent disposer d'un document qui les autorise à voyager sur ces terres sans quoi ils risquent de... et bien... de passer un sale quart d'heure, si je puis dire..."

Le ton de ma voix exprime ma gêne. Je suis désolée de les importuner avec ces mesures administratives. Mais même si j'imagine bien que Zanshi et Tatsuki sauront rester discrètes sur les territoires impériaux, on est jamais trop prudente. Et puis ce n'est pas seulement eux que j'essaie de préserver...

"Alors, heu... voila!" je leur tends deux questionnaires. "Il faut les remplir et déposer une goutte de votre sang dans la petite case en bas à droite. Ensuite je signerai les documents qui vous autorisent à vous déplacer sans être inquiétés dans l'Empire. Ce serait chouette si vous pouviez le faire parce que sinon, si on découvre que j'étais au courant de votre présence et de n'avoir rien fait, je risque d'être ennuyée. Je ne suis qu'une Heishi après tout et l'Empire n'est pas très tolérant envers ceux qui ne respectent pas les règles, vous savez?"

Bon d'accord: j'essaie avant tout de me protéger, moi! Mais les laissez-passer leur seront également utiles. D'autant plus que je peux y inscrire la date de péremption que je souhaite. Un peu d'administratif et une goutte de sang ne sont que peu de choses par rapport à la liberté de se déplacer dans le Shûkai sans être inquiétée. Quand j'y pense cette discussion me semble si irréelle par rapport à celle que j'ai eu hier soir avec Zanshi. Ça me semble si... loin. Je me blottis davantage dans les couvertures. Les cheveux mouillés qui caressent ma nuque m'arrachent un frisson.

"D'ailleurs... Qu'est-ce que vous faites à Taki?"

Ils pourraient m'annoncer qu'ils désirent commettre un attentat que je ne lèverais pas le petit doigt. Je leur dois bien ça après tout! Mais la curiosité reste néanmoins bien présente. Je saisis l'un des poissons que Tatsuki n'a pas encore fait cuir après avoir un instant tâtonné le sol de mes mains. Puis je mords goulûment dans l'animal encore cru. Des années passées en marge de la société, uniquement en Sa compagnie, m'ont apprises à me contenter du strict minimum. Et que ce soit les circonstances ou simplement la faim qui me tenaille le ventre, j'apprécie largement cette nourriture généreusement offerte...

Je ne versais pas dans le voyeurisme et voir des femmes, ou des gamines nues ne m'intéressait pas vraiment. Mais quand bien même je m'affairais à autre chose en attendant qu'elle eut terminé de se décrasser et de se rendre un peu plus présentable, je ne pus empêcher mon regard de balayer la peau blafarde du dos dénudé de Setsuko. Ce n'étaient ni ses formes ni ses courbes qui me magnétisaient, mais plutôt la présence d'innombrables blessures à leur surface. Des cicatrices plus ou moins récentes, plus ou moins profondes couvraient presque chacune des parties de son corps.

La jeune fille en portait même davantage que moi. Je n'émettais aucun doute quant à leur provenance. Ekibyô, pour sûr. Je posai les yeux sur l'ombre qui planait toujours au dessus de sa tête. Je me demandais si ce démon agirait de la même façon avec une personne comme moi. Non, bien sûr que non. Il aurait trop peur que je parvienne à le dominer... Il n'y avait qu'à voir sa réaction face à Isanami.

Je détournai le regard vers les poissons que Tatsuki était en train de préparer. J'avais posé une fine pierre noire, de l'ardoise sans doute, sur le dessus des flammes. Un quart d'heure plus tard, Setsuko était sortie de l'eau, rhabillée d'une simple couverture pour le moment probablement plus chaude que ses vieilles guenilles. Sur le feu autour duquel nous étions toutes installée, les premiers poissons, vidés, étaient en train de griller dégageant une odeur plutôt alléchante.

Je préférais cent fois ce genre de repas à ceux que l'on faisait à Suna, qui s'ils étaient d'une valeur nutritive équivalente, avait un goùt... Très atypique. Mais avant que je n'attrape une de ces brochettes de poisson, Setsuko intervint une nouvelle fois. Mais cette fois... Ses phrases étaient bien mieux construites, plus claires et surtout lucides. Comme quoi un bon bain à l'eau glacée ça remettait les idées bien en place. Elle nous parlait de l'empire, des règles, du laisser passer...

Ah... Samui Kakeshuou. A l'époque où l'un de mes lézards géants, et le plus puissant d'entre tous qui plus est, lui avait fait face; j'aurais dû lui ordonner de le dévorer. Cela aurait arrangé et évité bien des problèmes. Si seulement j'avais été, à cette époque, naturelle, si j'avais suivi ce dessein qui depuis longtemps était inscrit dans mon esprit... Enfin, avec des si; on pouvait refaire le monde. Donc, remplir et déposer une goutte de sang... Oui, bien sûr. Du sang. Et qu'on soit interrogé par un Yamanaka aussi, qu'on veuille bien porter des bracelets anti chakra, pourquoi pas ?

C'était extrême comme raisonnement, mais dans le principe, c'était pareil. Je pris quand même le papier, Tatsuki aussi. Je lis un instant. Evidemment toutes sortes d'informations à fournir, à préciser etc etc... Alors que la Shakaijin mord goulument dans la chaire d'un des poissons encore frais et frétillants telle une petite créature grisâtre et squelettique n'ayant d'yeux que pour un certain précieux, que j'avais rencontrée dans une vie antérieure lointaine; je soupirai et lâchai la fiche dans les flammes, du coup Tatsuki fit pareil. C'est bien, elle commençait à assimiler ce que nous étions.

"J'aurais dû le tuer quand j'en avais l'occasion. Dis-je en observant le questionnaire se consumer lentement dans les flammes. Personne n'est sensé savoir où je suis, ce que je fais et avec qui. Personne n'apprendra que tu étais avec des étrangers. Et si jamais on te surprend... Je n'aurais d'autre choix que d'éliminer cette personne, quelle qu'elle soit. Toi, tu n'es en vie que pour deux raisons, parce que tu es une Mamoru, et parce que tu es aveugle. Parce que, de façon générale, ceux qui voient mon visage ont deux choix, soit me rejoindre, soit mourir. Tu peux demander à Tatsuki."

Dis-je en la regardant fixement pendant un long moment, puis je me retournai et pris mon sac avec moi. J'en sortis la tenue que je lui avais proposée la veille et lui tendit à mon tour.

"Mets ça, avant d'attraper une pneumonie. Et tu n'as pas intérêt à le jeter dans le feu."

Il s'agissait d'une simple tenue, enfin, une tenu militaire ninja. Les vêtements étaient pliés au carré, empilés et maintenus par un ruban noir basique. Nous faisions à peu prés la même taille, alors je pensais que cela lui irait, puis... Ce serait sans doute plus confortable qu'une couverture déjà presque totalement trempée. Je tendis le bras un peu plus loin, me souvenant qu'elle ne voyait pas; et posai la pile de vêtements entre ses jambes -elle était assise en tailleur- et lui donnai par la même occasion l'un des piques de bois sur lesquels le poissons avait cuit.

"Et, essayes le poisson cuit, ce n'est pas mal non plus."

Le contenu du formulaire fit vaguement sourire Tatsuki, à chaque ligne qu'elle lisait, elle se disait : "ça je peux pas, ça non plus, ça aussi...". Rapidement elle conclut que rien de ce que Setsuko demandait n'était vraiment compatible avec sa personne. Tatsuki s'apprêtait à rendre a la gamine du Shukai son formulaire

-Pas de laisser passer, on se débrouillera si jamais on se fait contrôler. Ji est riche tu sais. Ajoutait elle en croquant un morceau de poisson grillé. Mais, on ne devrait plus en avoir pour longtemps ici on a donc vraisemblablement peu de chance de croiser un de tes collègues...

Ce fut plus par approbation que par mimétisme que Tatsuki jeta la feuille au feu. C'était un symbole simple et facile compréhensible de refus. Si Ji ne voulait pas être tracée pour une raison qui échappait encore à la blondinette, pour cette dernière c'était sans doute bien moins complexe. Tatsuki était une voleuse de profession, elle n'avait jamais obéis à aucune loi, et voir son nom répertorier quelque part lui laissait présager le pire. Elle ne voulait surtout pas que son nom, Senritsu, ressorte quelque part, et qu'on associe à son prénom quelconque acte qu'elle aurait pu commettre. Car nombreux étaient ceux qui connaissaient son nom, et son visage. Des personnes qu'elle eut dépouillé ou arnaqué, aussi. Puis cette histoire de sang... Même si elle n'était pas la plus grande experte du monde dans tout ce qui touchait aux différents arts shinobi, elle pouvait parfaitement imaginer que certains ninjas pouvaient réaliser bien des choses avec une seule goutte de sang...

C'était soudain. Tout ce qu'elle n'avait pas demandé refit surface d'un coup. Une multitude de questions avait envahi son esprit et elle comptait bien avoir des réponses, qu'elles sortent de la bouche de la gamine ou de Ji. Cependant, Tatsuki savait que son nouveau mécène n'était pas du genre à se livrer aussi facilement, elle trouverait comment détourner la conversation, elle réaliserait comme à son habitude une pirouette. Ji était douée avec les mots et sans nul doute avec le mensonge aussi...

-Ce n'est que pure chance que Ji soit tombée sur toi... Ou que tu lui sois tombée dessus... Dit elle en observant sa supérieure. D'ailleurs... Continuait elle en pointant Setsuko de sa brochette. Comment votre rencontre est elle... Arrivée... Parce que quand même... Je sais bien que ce n'est pas le plus grand pays du monde, mais... Rencontrer quelqu'un en pleine nuit comme ça... Puis, il t'est arrivé quoi au juste ?.. Fixait-elle tour à tour les deux femmes.

Je m'étais attendue à un peu plus de collaboration de la part de mes deux comparses improvisées. Mais le bruit du papier qui se consume dans les flamme et l'odeur qu'il dégage ce faisant m'indiquent clairement que j'ai sûrement été trop confiante. Et si ce n'était pas assez clair, les paroles de Ji et Tatsuki le furent suffisamment pour m'ôter tout espoir de faire les choses "dans les règles". Remarquez, peut-être qu'elles sont simplement méfiantes et qu'elles soupçonnaient la présence d'un piège dans ma démarche. Ce qui en soit était le cas... Dommage! Mais puisque l'expérience de la vie des deux jeunes femmes doit être plus développée que la mienne, ce n'est pas si étonnant dans le fond d'être confrontée à un refus.

J'en suis à me demander à qui Ji faisait allusion dans sa remarque précédente. Cette fameuse personne qu'elle aurait dû tuer lors d'une rencontre passée... S'agit-il de l'Empereur? Mais... pourquoi? Ce qu'il fait pour le Shûkai peut être discutable mais pas au point de vouloir s'en débarrasser. Quelle est la nature de leur relation? Une question qui restera sans réponse pour l'instant dans la mesure où je me retrouve bien vite avec un poisson dans les mains et une tenue entre les cuisses. Mon premier réflexe est de sentir la premier tout en rejetant la seconde. Mes vêtements me suffisent amplement. Mais "l'invitation" n'en est pas vraiment une dans le fond. Et puis Ji n'hésites pas à tuer si je me fie à ce qu'elle vient de m'expliquer.

*Inutile de lui dire, donc, que j'ai vu son visage...*

Elle semble avoir oublié que j'ai retrouvé la vue un grâce instant grâce à notre... lien. Oui, le mot me semble adapté vu les circonstances. Mes dents s'enfoncent dans la chair chaude du poisson et je dois reconnaître que ce n'est pas mauvais. En fait c'est même plutôt bon. Je n'ai jamais vu l'intérêt de cuir les aliments puisque de toute façon Il me protège des maladies et autres affres climatiques. Du moins lorsqu'il le souhaite... Et puis quelle perte de temps que de faire du feu puis de cuir la nourriture. Toujours est-il qu'il ne reste bientôt plus que les arêtes de mon petit déjeuner.

Ceci fait je m'empresse de passer ma nouvelle tenue. Elle semble de bonne facture si je me fie à ce que je sens en passant mes doigts sur les vêtements. Mais je n'arrive pas à définir les raisons qui poussent Ji à m'offrir ce présent. S'inquiète-t'elle pour moi ou préserve-t'elle simplement les connaissances que je pourrais lui transmettre? J'aimerais lui poser la question mais je devrais alors m'interroger sur la véracité de la réponse. Une perte de temps dont je me passerait bien...

Tatsuki, de son côté, nous questionne sur notre rencontre. Je suppose que je ne peux pas lui dire la vérité dans le mesure où je ne sais pas ce qu'elle sait de Ji. Je ne veux pas être celle qui trahi involontairement les secrets de l'ancienne Kazekage. Le prix à payer serait sûrement trop élevé. Mais je ne peux pas non plus me contenter d'une réponse bateau qui la pousserait à s'interroger davantage.

"En fait je suis l'une des élèves du Gouverneur de Taki, justement. Je réside au Shozaichi pendant son absence mais ai été convoquée au Temple d'Ao pour y recevoir une mission. Le soucis c'est que je me suis perdue en chemin et sans l'aide de Ji je serais sûrement encore en train de errer dans la forêt à l'heure qu'il est. Je suppose donc que c'est bien à la chance que je dois notre rencontre. Même si Ji doit avoir un avis différent sur la question..." dis-je sur un ton volontairement amusé. "Quant à ce qui m'est arrivé... Ben... Je suis encore une jeune Mamoru et il arrive que les démons que j'invoque ne se plient pas à ma volonté. Avec les conséquences que ça implique..."

Je suppose que ça satisfera sa curiosité et ne l'éveillera pas davantage. Ji doit sûrement comprendre la situation et m'indiquera ce qu'il convient de dire. Ou non. Pour l'instant je dois me contenter d'improviser. Domaine dans lequel je ne suis ma foi pas trop mauvaise je crois bien. Je hume un instant la douce odeur de mes vêtements neufs, peu habituée à cette flagrance si éloignée de celle à laquelle je suis habituée d'ordinaire. Tiens, c'est agréable...

"En fait je vous retourne la question à toute les deux: qu'est-ce que vous faites ici? Je suppose que ce n'est pas un simple voyage touristique..." ma remarque sonne comme une affirmation. "Et le fait que vous refusiez de remplir les documents pour obtenir un laissez-passer tend même à confirmer ce que je craignais: votre présence ne sera pas bénéfique au Shûkai!"

Est-ce qu'ils veulent provoquer une guerre? Commettre un attentat? Ça ne sortirait pas vraiment de l'ordinaire vu les actes qui ont déjà été commis au sein de l'Empire. Et la méfiance est pratiquement devenue un sport national depuis que nous avons été frappés en plein coeur par les Serviteurs! Mais même si je semble déçue, ce n'est pas le cas. Dans le fond, le sort de l'Empire m'importe peu. Au contraire de celui de Taki...

"J'imagine que je ne suis pas dans une position qui me permet d'exiger quoi que ce soit, mais j'aimerais vous demander une chose..." je marque une pause pour être certaine d'avoir leur attention. "Ne vous en prenez pas aux shinobis et habitants de Taki ou au pays en lui-même! Le Gouverneur essaie réellement d'en faire un endroit où il fait bon vivre. Il pense au bien-être de la population et à son avenir. Ne venez pas tout gâcher..."

Quant au reste de l'Empire... Et bien qu'elles le mettent à feu et à sang si ça leur chante. Chaque pays composant le Shûkai a ses propres problèmes. Bien qu'unis, les différentes nations conservent une part de leurs rivalités et n'ont pas oublié leurs anciennes indépendances. Et puis de toute façon, à mon niveau, je n'ai guère le luxe ou le moyens de m'inquiéter pour les voisins de Taki.

"Tu m'as demandé comment nous nous étions rencontrées Ji et moi, Tatsuki. Mais toi alors, comment l'as-tu rencontrée? Et pourquoi la suis-tu? Seulement parce qu'elle te tuerait sinon vu que tu connais son visage? Tu ne me donnes pas l'impression d'une personne en train d'agir uniquement pour sa survie. Tu es même... joviale, je trouve!"

Leurs affaires ne concernent que les deux demoiselles. Je ne porterai pas de jugements sur la nature de leurs relations mais je reste curieuse. Et puis n'est-ce pas ça que l'appelle "entretenir la conversation"? Je tâtonne pour trouver un autre morceau de bois et plus précisément le poisson en train de griller à son extrémité. Il ne tarde pas à rejoindre son congénère au fond de mon estomac. Ceci fait je m'essuie les mains sur la nouvelle tenue que Ji m'a donnée et me lève pour m'éloigner des flammes.

"Ji? Je peux te parler en privé s'il-te-plaît?"

Je m'éloigne en marchant pendant une dizaine de minutes, concentrée sur les bruits et senteurs de l'environnement qui m'entoure pour me repérer et éviter ainsi une rencontre avec un arbre ou tout obstacle naturel. Une fois que j'estime être assez éloignée, j'attends l'ancienne Kazekage avant de reprendre la parole:

"Il faut que tu saches certaines choses concernant les arts Mamoru. Le danger est réel lorsqu'on recours aux esprits et aux démons en tant que simples serviteurs. Parfois ils protestent. Et d'autres fois ils se retournent carrément contre nous... Quand ils ne sont pas puissants ce n'est pas vraiment un problème en soi. Mais dès qu'ils ont les capacités de faire du mal aux humains, c'est une autre paire de manche..."

Je fais un signe pour activer un sceau placé sur mon nombril. Ma peau commence alors à brûler puis mes vêtements à s'agiter au niveau de mon abdomen comme si une créature cherchait par tous les moyens à s'en extraire. Quelques secondes plus tard, c'est bel et bien qui arrive. Mes habits se déchirent et libèrent l'accès à un démon faisant à peu près la moitié de ma taille. Ce dernier observe de ses yeux sombres Ji et Tatsuki avant de s'enfoncer dans la forêt proche à une vitesse impressionnante. Son trajet se conclu par une explosion dont le souffle brise quelques arbres et carbonise ceux qui se trouvaient au plus proche de la déflagration.

"C'est l'une de mes techniques les plus puissantes. Si tu arrives à la maîtriser alors tu auras fait un grand pas en avant." je m'approche d'elle et lui expose le sceau sur mon nombril. "Tu as cinq minutes pour le mémoriser et dix pour le reproduire! C'est court mais c'est un art qui se base davantage sur l'instinct que sur les connaissances. Et vu ce qu'il s'est passé la nuit dernière je suis pratiquement certaine que tu as en toi ce qu'il faut pour maîtriser ce jutsu rapidement..."

Sinon nous recommencerons. Sauf si Ji invoque par erreur un démon majeur. Auquel cas nous aurons quelques problèmes à nous en débarrasser. Dans tous les cas ma capacité à enseigner est fortement réduite par ma cécité. Je ne pourrai pas vraiment vérifier ce qu'elle fait. Mais si je veux retrouver la vue un jour je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour lui donner satisfaction. Quitte à prendre des risques que j'aurais soigneusement évités en d'autres circontances...

Apprentissage:

Setsuko devint soudainement loquasse. Beaucoup, beaucoup de mots sortaient de sa bouche et tout n'était pas complétement inintéressant, loin de là. Sa réponse à la question de Tatsuki était satisfaisante vague, avec quelques précisions assez convaincants, et vrais dans le fond. Qui ne se plient pas à sa volonté... L'expression était faible, c'était plutôt elle qui se pliait même. Enfin, je la voyais mal parler de lui sans dévoiler mon propre nouveau secret.

La discussion s'orienta ensuite sur nous, sur la raison de notre présence ici. En fait, il y n'y avait pas vraiment de raison particulière, nous ne faisions que traverser cet endroit, et que je l'ai trouvée, ou qu'elle m'ait trouvée; relevait davantage du hasard, au final. J'aurais pus prendre une autre route et ne jamais la croiser... Mais elle avait raison, notre présence n'aurait rien de bon pour le Shukai. J'avais d'ailleurs quelques remarques sur ce sujet à lui transmettre.

"Il n'y aucune raison, pour le moment. Nous ne faisons que traverser ce territoire, rien d'autre. Donc ne t'inquiètes pas, Je ne ferai rien aux habitants de ce pays, mais les shinobi... C'est une autre question. Mais tu sais, le Shukai... Est une supercherie, dirigée par un usurpateur."

Affirmais-je en avalant un dernier morceau de poisson grillé. Le silence s'installa jusqu'à ce que la Mamoru me demande de l'accompagner un peu à l'écart. C'était assez surprenant, je pensais qu'elle aurait au contraire préféré ne plus trop avoir affaire à moi, même si je l'avais aidé, ou protégé. Je pensais qu'elle s'était rendue compte du genre de personne que j'étais, en plus de ce qu'elle avait entendu de la Kazekage, de moi...

La jeune femme voulait en fait m'apprendre plus de choses sur les Mamoru, une technique ? Cela ressemblait un peu à un cadeau, un remerciement pour ce que j'avais fait pour elle. Et c'était exactement ce genre de retour que j'attendais. Parce que je ne faisais rien gratuitement. J'écoute, et j'observe. Et vois les vêtements que je lui avais donné se déchirer sous la pression d'un... démon. Je comprenais mieux l'état de ses frusques à notre rencontre, du coup.

La démonstration était impressionnante, une explosion suffisante pour ravager une zone assez appréciable. J'écoute toujours, et mon regard est maintenant fixé sur le ventre de Setsuko, un sceau.

"Cela ne devrait pas être trop compliqué. Le fuinjutsu est un art que je domine depuis des années..."

Je déroulai un parchemin vierge, et y traçais à l'aide d'un fusain les cercles et formes tels qu'ils étaient sur la peau de la demoiselle. Ce n'était pas la partie qui me posait le plus de problème, en revanche, comprendre comment invoquer, quel chakra utiliser... Était plus corsé. Mais après plusieurs minutes, je fis une première tentative. Je plaquai mes mains sur le le papier et quelque chose apparut, ne ressemblant pas vraiment à ce qu'avait invoqué la jeune femme. Puis, cela disparut aussitôt.

Je senti alors le souffle d'Isanami derrière mon oreille.

*Pourquoi veux-tu dominer un autre démon ?*
"J'ai besoin de comprendre... Pourquoi ça n'a pas fonctionné ?"

Pourquoi ça n'a pas fonctionné? Setsuko se contente tout d'abord de hausser les épaules en guise de réponse. Elle aurait plutôt envie de demander l'inverse à Ji: pourquoi est-ce que ça aurait fonctionné? Il n'y a rien de décourageant à échouer à sa première tentative pour maîtriser un sceau de cet importance. La noiraude a passé des mois à mémoriser ce sceau et davantage encore à façonner son chakra de manière à lui insuffler assez de puissance. Elle ne doute pas que son aînée soit douée, loin de là. Les histoires qu'on raconte sur elle sont suffisamment explicites. Mais son échec n'est pas pour autant étonnant. Peut-être que l'aveugle à sous-estimé le temps nécessaire à la transmission d'une technique de ce genre...

"C'est la première fois que je me retrouve dans la peau de l'enseignante..." se justifia-t'elle, prenant sur elle ce faux-pas. "D'ordinaire c'est Lui qui m'apprends les choses. Mais je ne crois pas que tu apprécierais sa méthode de travail. Ni même que je survivrais plus d'une dizaine de minutes si j'appliquais la même avec toi..."

La Mamoru lui décoche alors un sourire pour marquer la plaisanterie. Enfin, plaisanterie... Elle ne doute pas que Ji - ou plutôt Zanshi - apprécierait de se faire lacérer le corps ou brûler les mains dans le cadre de cet apprentissage. Et même si cette dernière se montre plus patiente que ce que Setsuko imaginait de l'ancienne dirigeante de Suna, elle a sûrement des limites qu'il vaut mieux ne pas franchir. Exit, donc, la possibilité de la torturer. Sans parler de la présence d'Isanami et de sa réaction si l'aveugle venait à s'en prendre d'une quelconque manière à son réceptacle humain...

Réfléchissant un instant sur les causes de l'échec, l'adolescente opta finalement pour son intuition. Effleurant du bout des doigts les restes du sceau utilisé par Zanshi, elle se focalisa sur les traces de chakra encore présente à son sein. Restant silencieuse quelques instants, elle finit finalement par froncer les sourcils en trouvant la source du problème. Ou du moins ce qu'elle identifie comme tel. Prenant alors à son tour le fusain et un parchemin, elle trace le même cercle que celui inscrit sur son ventre. Puis elle lui insuffle son propre chakra et le tend à Ji sans l'activer pour qu'elle puisse le sentir à son tour et s'en inspirer.

"Je n'en suis pas sûre mais le problème pourrait bien venir de la façon dont tu malaxes ton Chakra." commença-t'elle, hésitante, avant de reprendre avec plus d'assurance. "Pour que tu puisses invoquer des entités d'un autre monde il faut qu'il soit... comment dire..."

Sachant parfaitement ce qu'elle essaie de dire mais incapable de l'exprimer, Setsuko trouve finalement une solution plutôt originale en levant les yeux et en percevant la Déesse.

"L'aura d'Isanami!" s'exclame-t'elle alors. "Le chakra des démons est comparable à celui des humains. Sa source est la même que la nôtre mais il a été transformé. On pourrait dire perverti. Il faut que tu arrives à insuffler cette part de ténèbres à ton propre chakra pour que le sceau puisse réagir. C'est comme... trouver la bonne clef d'une serrure."

L'explication peut sembler simpliste voir peu convaincante. Mais en tant qu'experte en Fuinjutsu Zanshi doit sûrement comprendre ce que l'aveugle essaie peut-être un brin maladroitement de lui expliquer. Ne se laissant pas décourager par la peur de l'échec, cette dernière prends alors une pile de parchemins et y trace rapidement des répliques de son sceau. Puis elle les tend sans ménagement à son improbable élève. Pour un peu, elle y prendrait goût...

"Je ne sais pas du tout ce que tu as invoqué tout à l'heure. Heureusement, ça avait l'air plutôt inoffensif. Mais on sait jamais ce que tu pourrais extirper des ténèbres la prochaine fois. On a déjà chacune un kami sur le dos, inutile d'allonger la liste pas vrai?" s'amusa-t'elle brièvement. "Bon! Je te propose de recommencer. Remodèles ton chakra et insuffle-le à nouveau dans l'un de ces sceaux. Je te dirai ce qu'il faut changer et tu recommenceras. Et ainsi de suite jusqu'à ce que tu trouves le juste mélange. D'accord?"

Il n'y a pas vraiment d'autres options à vrai dire. Du moins pas qui sautent aux yeux de Setsuko qui prend alors place sur un petit rocher avant d'entourer ses jambes avec ses bras. L'adolescente est patiente et est prête à accorder à Ji le temps nécessaire pour retrouver la vue. Mais également pour rester en vie. Qui sait, peut-être que l'ancienne Kazekage ne sait toujours pas ce qu'elle va faire d'elle. Dans le doute...

Pourtant ce n'est pas ce que Zanshi pourrait lui faire qui focalise son attention. Mais plutôt une phrase qu'elle a prononcé tout à l'heure au sujet de l'Empire et du Kamui. Une supercherie? Un usurpateur? Il y a sans doute un peu de vrai dans ce qu'elle dit. Mais elle voit également le Shûkai avec les yeux de Kaze. Ça doit forcément jouer un rôle. L'Empereur n'est peut-être pas un sain mais c'est sans doute l'homme de la situation au vue de la situation actuelle. Alors pourquoi Setsuko croit-elle avoir discerné un soupçon de haine dans les propos de Ji?

"Dis... Pourquoi dis-tu que Samui Kakeshuou est un usurpateur et que le Shûkai n'est rien de plus qu'une supercherie? J'imagine qu'on peut lui reprocher des choses mais il a incontestablement fait avancer le Shûkai. Sans lui, l'Empire ne serait sans doute pas où il en est aujourd'hui."

Le menton calé entre ses genoux joints, la noiraude pose son regard absent sur son élève improvisée. L'ancienne Kazekage doit en avoir vu des choses sous son règne. Et avoir accès aux plus hautes sphères politiques et militaires. Nul doute que son récit, quel qu'il soit, soit digne d'intérêt. Et puis c'est également une occasion rêvée d'en apprendre plus sur la façon dont les étrangers perçoivent le Shûkai....

"Évidemment que ce n'est pas le sceau... je pratique le fuinjutsu depuis... toujours pour ainsi dire. Mais peut-être que que cette est un peu trop élaborée pour le moment... Je ne sais pas..."

Le sceau que m'avait tendu la jeune Mamoru était identique à celui que j'avais tracé. Effectivement, cela devait être un problème de chakra et probablement aussi d'expérience. Je n'avais jamais invoqué quoi que ce soit d'autre que des lézards et des objets par le passé, des choses bien consistantes, là c'était complétement différents, c'était peu dire. Je posai la main sur le papier dans lequel était enfermé une certaine quantité de chakra. Je n'étais pas douée d'un sens très développé pour ce qui était de ressentir avec exactitude le chakra, dans ce domaine Tatsuki pourrait certainement m'aider... Mais je n'avais pas spécialement envie de lui parler de tout ceci pour le moment.

Enfin, je n'étais pas du genre à abandonner facilement et même si cette technique était en fait la première du genre que j'apprenais elle n'était rien d'autre qu'un défi. J'avais relevé d'innombrables challenges durant ma vie et bien plus ardus que celui-ci! Alors je me remis au travail, je posai le parchemin sur le sol à côté de celui qui avait échoué, je déroulai plusieurs  autres parchemins et m'affairais à tracer de nouveaux sceaux. Je respectais scrupuleusement les formes de celui qu'avait tracé Setsuko, après avoir fini j'apposai mes mains sur chacun d'entre eux, il y en avait six. Je fis bien attention à doser le chakra que j'y déversais, car même si je n'étais pas une experte de la sensorialité, je savais à peu prés à quoi correspondait l'empreinte émanant du sceau de Setsuko.

Après quelques secondes tout était prêt. J'avais dépensé dans ces dispositifs une sacrée quantité de chakra, si bien qu'une petite goutte de sueur perla sur mon front. Sans doute qu'un autre ninja n'aurait pu en faire davantage, mais moi... Je sentais que je pouvais en faire encore bien plus, ou assez tout au moins pour réussir à produire l'effet escompté.

"Tiens, essayes de voir lequel d'entre ces sceaux est le plus proche de ton propre fuinjutsu. Ça devrait nous rapprocher du bon résultat."

Alors qu'elle se penchait pour examiner chacun des sceaux disposés au sol, j'en profitai pour répondre à sa question quant à ce que je pensais de son chef suprême, et du shukai indéniablement.

"Le Shukai... Unifier les pays neutres... Une bonne idée à la base. Mais s'en prendre aux daïmios, éliminer les opposants, créer un empire, se proclamer empereur... Cela ressemble à une usurpation de pouvoir. Les ninjas existent pour protéger les individus que ce soit des autres ninjas, ou des personnes mal intentionnées. Votre... "empire" est un état voyou plus qu'autre chose. Une dictature au mieux. Je n'étais pas le meilleur exemple de Kage, mais j'ai toujours composé avec les partisans et les opposants. A peu de chose prés. Et j'ai toujours agis dans l'intérêt général de mon pays, et pas pour ma propre personne. "