Chacune de ses foulées brisait une tuile ; Sukina se précipitait comme si la mort était à ses trousses, et la délicatesse n'était pas de mise. Quelques minutes plus tôt, elle était bien loin de soupçonner l'état d'urgence de la situation à laquelle elle allait être confrontée. Venue à la centrale de mission seulement pour réclamer son dû suite à la validation de l'une d'elle, un responsable l'accrocha dans les couloirs. Son visage était marqué d'une âpre angoisse, et son discours ponctué de bégaiements irrépressibles. Il lui exposa la situation en moins de temps qu'il n'en faut pour vider une chope de Saké. Un bateau en mauvaise posture au large de Kiri, à son bord, un équipage dont les chances de survie s'amenuisaient de seconde en seconde : L'équation est simple, pas une minute à perdre. Sukina ne prit pas la peine de faire demi tour dans les escaliers, et devant l'urgence de la situation, se contenta de briser la vitre de la fenêtre, de la franchir en un saut majestueux, et de poursuivre sa course sur les toits jusqu'au port, à quelques minutes d'ici.

A bord du vaisseau marin qui avait été mis à disposition en cas d'urgence, elle vagua. Une chance que les innombrables îlots de l'archipel n'aient aucun secret pour elle, ça lui évitait ainsi de perdre son temps en vaine localisation. L'ennui majeur, dans cette histoire, c'était qu'elle se trouvait seule. En cas d'accident, qui viendrait la secourir, elle ? Il lui fallait espérer que des équipes de renforts soient rapidement mises en place. Rien de moins sûre au vu de l'organisation catastrophique de la centrale dont elle avait été témoin une heure plus tôt. La première difficulté de cette mission au caractère officieux, c'était de naviguer par le temps houleux. Rien d'insurmontable pour une native du pays, les nuages devenaient si noirs au dessus d'elle, que l'obscurité, bientôt, allait recouvrir l'ensemble du paysage comme une nuit sans lune. Retrouver un navire en péril au milieu de ténèbres opaques, ça ne facilite pas la tâche. Le reflet des cieux sur les flots leur offrait une belle couleur noire de jais, on ne pouvait ainsi en distinguer le fond, ce qui, une fois de plus, était potentiellement inquiétant. Pour couronner le tout, l'embryon de tempête qui menaçait d'exploser depuis quelques minutes déjà, choisi bien son moment pour lâcher une déferlante colossale d'eau de pluie. Le tout allié à quelques éclairs qui, occasionnellement, illuminaient le ciel ou faisait frémir les tympans par leur vacarme pour quiconque n'a de lien étroit avec l'affinité Raiton. Quelle belle journée.

L'une des pires morts recensée à ce jour, c'est la noyade. Car elle suppose à elle seule, et sans l'intervention du légendaire sadisme humain, une torture innommable liée à une lente douleur profonde et aiguë, le tout en parfaite conscience. Rien de souhaitable, en somme. La pression tordait les tripes de la Kaguya un peu plus à chaque minute, et elle ne pouvait s'empêcher de pester contre elle même, contre le destin, et contre le monde entier. Dans de telles situations, la raison se tait et se relègue volontiers au second plan, faisait lumière à l'instinct de survie, et à l'adrénaline qui nous vaccine contre la pétrification de la peur et commande nos mouvements. Sa loyauté l'avait poussé à obéir et à agir en de pareilles circonstance, pourtant s'il y a bien une chose au monde que Sukina exècre, c'est que des vies dépendent d'elle et de ses actions. Après un trajet bien loin de toute ballade agréable estivale, elle voyait enfin le bout du tunnel. Pour accélérer encore un peu plus la cadence, elle plongeait la main dans l'eau glaciale, y formait une sphère compacte de chakra qui, par la force de la pression et après détonation, propulsait efficacement son embarcation. A utiliser avec parcimonie, afin d'économiser son chakra pour la suite des évènements ... Sage décision.

La cacophonie du couple des vagues et des éclairs laissait transparaître des cris de détresse, un peu plus loin vers le nord. C'était le plus espéré des signes : L'équipage vivait encore. Elle s'approchait, la silhouette du bateau se dessinait peu à peu à travers l'épaisse brume de la mer ; Il était bien plus imposant que ce qu'elle avait imaginé, il lui fallait pourtant tout gérer seule. Toute proche de la carcasse du transport marin, Sukina distinguait enfin jusqu'au moindre détail de la situation ; Les flots déchainés avaient sans doute conduit à une perte de contrôle de l'appareil qui de par son poids, avait flanché jusqu'à l'impact violent contre les récifs, à quelques dizaines de mètres de la côte. Certains rescapés avaient déjà pu nager jusqu'à la rive, mais l'essentiel de l'équipage se trouvait bloqué à bord du véhicule, dont la coque sévèrement endommagée laissait s'infiltrer à grande pompe des dizaines de litres d'eau.

Les personnes à secourir se trouvaient toutes sur l'extrémité droite du bateau, celle qui, prise dans les récifs, était surélevée et présentait un semblant de stabilité. La seconde moitié du bateau, à l'arrière, subissait encore les assauts répétés de vagues titanesques. Sukina avait fait un bilan de la situation en un regard et trois battements de cils, une réaction rapide et précise était de mise, à présent. Seule, elle n'avait pas le droit à l'erreur, si elle s'élançait sans plan ni priorités, ce n'est plus seulement la vie de l'équipage qu'elle mettait en jeu, mais aussi la sienne. Cette scène délirante lui rappelait la guerre et ses imprévus, chaque action irréfléchie coutait une, si ce n'est plusieurs vie, le sens de l'initiative, oui, mais armée d'une stratégie. Les idées se bousculaient dans sa tête, elle sentait revivre sa passion guerrière et son amour des interventions à hauts-risques. Tous ses réflexes lui revinrent instantanément.
La Kunoichi passa à l'action.

Dans un moment pareil, tous les atouts comptent : De son affinité Raiton, Sukina ne su obtenir qu'un léger avantage sur les éléments qui s'en donnaient à coeur joie, la tempérance du tonnerre. L'acuité de sa maitrise ne lui permettait pas encore de les faire taire, mais au moins de les écarter de son périmètre d'action, chassant ainsi tout risque d'électrocution majeure. Car nous le savons, l'eau, et donc la mer, est un conducteur effroyablement vicieux (d'où la dangerosité doublée d'un orage en mer). Rien de tel que le contrôle de l'eau pour calmer la situation, ou même de la glace, comme les Samui, pour la figer, mais ce n'était pas dans son champ d'expertise. Quant à son pouvoir héréditaire de maitrise du squelette, il ne lui serait à première vue pas bien profitable. Ses autres recours principaux étant le Taijutsu, dont l'inutilité dans le cas présent n'est même pas digne d'être décrite, et la souplesse du corps, elle se trouvait bien démunie. Pour résumer, personne n'aurait pu être moins bien armer pour affronter cette mission que Sukina, dans l'instant présent. Faire correctement fonctionner ses méninges pourraient s'avérer plus décisif que jamais.

A force d'assaut de vagues puissantes à l'arrière du bateau, le véhicule entier semblait valser lentement mais sûrement, et menaçait de basculer dans les flots. Seuls les récifs, qui accrochaient l'avant de la coque, ralentissaient encore le processus et offraient à la demoiselle de précieuse seconde pour agir. Comme indiqué ci-dessus, l'arrière avait été déserté par les hommes au profit de l'avant et permit ainsi à Sukina de mettre en place un plan audacieux. Risqué certes, mais dans l'immédiat aucun autre choix n'apparaissaient aussi judicieux. Désormais suffisamment proche du bateau, elle fit adhérer à la coque émergée ses deux mains ainsi que ses deux pieds à l'aide du chakra, et avec l'agilité d'un reptile, en escalada la hauteur. Elle avait rejoins l'équipage dans son enfer en moins d'une demi-minute. D'infernales secousses empêchaient toute stabilité. Les yeux clos et afin de ne pas épuiser ses précieuses ressources de chakra, Sukina entreprit de rassembler et condenser en un orbe lumineux toute la pression électrique environnante, une sacré quantité. Finalement l'orage n'était pas pourvu que de défaut. Ceci fait, elle s'insuffla l'énergie électrique récoltée de façon à l'alliée à son chakra élémentaire. Autant vous dire que quiconque s'amuserait à lui poser le doigt sur la peau dans l'instant présent se mangerai une belle sauve électrique.

Chargée et fin prête, Sukina fit signe aux victimes de la tempête de s'éloigner et de se préserver autant que possible face à ce qu'elle allait entreprendre. D'un mouvement, elle asséna une décharge d'électricité aux proportions colossales et aux potentiel destructeur, directement au centre du navire. Lequel par la forces des choses, se vu fracturer définitivement : Le vacarme de l'explosion se dissipa, remplacé par le craquèlement inquiétant du bois qui résonna. L'arrière du bateau flanchait dans les flots, et s'engouffrait progressivement dans l'angoissant gosier des fonds marins. La partie avant se voyait ainsi débarrassée de son talon d'Achille qui menaçait de l'attirer dans sa chute, et avait retrouvée un semblant de stabilité. Reste que séjourner trop longtemps sur une moitié de navire qui prend l'eau, ça reste potentiellement dangereux. L'équipage, tous mains sur les oreilles et propulsés plat ventre par la violence de la technique Raiton, devrait maintenant être évacuer grâce à l'embarcation cédée un peu plus tôt par le port de Kiri. Une dernière étape délicate, toujours, à cause de l'agitation de surface. Mais la proximité de la côte était encourageante. Un cri alarma la jeune femme : Projeté par l'impact électrique, un homme était à la mer. Fille de l'eau, Sukina n'avait pas peur de se mouiller un peu et plongea à ses trousses. L'homme avait déjà coulé à une dizaine de mètre de la surface, la Kunoichi ne disposait que de très peu de temps car l'eau glacial engourdissait un peu plus ses membres à chaque seconde. Enlaçant la victime afin de ne pas perdre sa prise, il lui fallait maintenant remonter à la surface. Impossible désormais de compter sur ses muscles ; la fraicheur avait fait son oeuvre en la paralysant partiellement. Elle détourna le procédé qu'elle avait précédemment utilisé dans le but d'aller plus vite à bord de sa barque, et forma une détonation de chakra au niveau de ses pieds, qui les propulsa tout deux vers la surface, où elle s'empressa de reprendre sa respiration. Elle atteint les rives par la force de sa volonté et poursuivit son oeuvre de sauvetage.

Une fois placée en sécurité, à une bonne vingtaine de mètres du rivage, la pression chutait pour chacun. La vive peur qui les avait saisi rendait les rescapés malades, et beaucoup étaient sérieusement blessés. En bon soldat, Sukina leur offrit les premiers soin, et usa du peu de matériel médical en sa possession. Les secours arrivèrent une heure plus tard, autant dire que compter sur eux aurait été fatal à plus d'un titre. Pris en charge et hors de portée de toute menace, Sukina estimait avoir réussi la mission. Le trajet de retour promettait plus de sérénité, et de vives réflexions : Plus que jamais elle se montrerait humble face à l'extrême puissance des océans et de leur abîme marine.