Été de l’année 11

S’il était vrai que le village dans lequel j’avais grandi était pour le moins reculé et éloigné des routes principales, je ne m’étais jamais vraiment senti isolé. D’une part parce que je menais une vie bien remplie et que, d’où je venais, la solidarité était une valeur que chacun chérissait. Nous vivions dans des conditions assez spartiates, nous étions loin de nager dans l’opulence, cependant l’entraide nous permettait de vivre convenablement et sans manquer de rien. D’autre part, j’avais eu la chance, il y a quelques années, de faire la rencontre de Gekei Izumi.

Nos vies respectives ne nous permettaient pas de passer énormément de temps ensemble, nous profitions donc de chaque rencontre au maximum. Je ne connaissais pas grand-chose d’elle, mais le peu que j’avais appris avait forcé mon respect. Véritable exemple de force et de détermination, la jeune fille était devenue shinobi à l’âge de 11 ans. J’étais quelque peu ignorant sur le sujet. Elle était la seule kunoichi avec laquelle j’ai vraiment eu la chance de discuter. Les aventures qu’elle me racontait à l’occasion faisaient paraître ma vie de fils de pêcheur bien terne. Comme beaucoup de jeunes personnes de mon âge, j’avais envie d’aller au-delà du monde que je connaissais. En effet, mon quotidien me semblait morne, chaque jour semblait se dérouler de manière répétitive. Chacun des récits d’Izumi avait donc le don d’attiser ma curiosité, et mon envie de changer d’horizon.

Aujourd’hui s’annonçait par conséquent comme une bonne journée. Cependant, dans un premier temps, le devoir m’appelait. Je rejoignis mon père très tôt sur le petit navire familial. L’air était déjà relativement chaud lorsque je commençais à mettre la main à la pâte. La fraîcheur de la mer rendait l’atmosphère respirable, mais le soleil qui se reflétait sur les flots calmes était une véritable plaie pour les yeux. Je pris cependant mon mal en patience, car je savais qu’à son terme m’attendait la rencontre avec Izumi. Je répétais les mêmes gestes machinalement, remontais les filets dans un rythme cadencé, et en replaçais d’autres au fur et à mesure. Je sentais ma nuque et mon dos chauffer sous la chaleur du soleil.

L’après-midi était déjà bien avancé lorsque je pus enfin aller vaquer à mes occupations. Je me rafraîchis dans un premier temps, car je n’avais pas l’intention de me présenter à Izumi empestant le poisson et la sueur, puis je quittais le village. Nous avions l’habitude de nous retrouver en haut d’une petite falaise qui surplombait la mer. Je ne savais pas exactement où mon amie vivait mais nous avions convenu de ce point de rendez-vous, quelques temps après notre première rencontre.

Alors que je marchais, je constatais avec joie que la température était quelque peu redescendue. A moins que cette impression ne soit due au fait que je n’étais plus en train de m’échiner à tirer hors de l’eau des filets de plusieurs dizaines de kilos. Je me sentais en tout cas de bien meilleure humeur qu’au début de la journée. Il m’était parfois difficile de m’astreindre à cette vie quelque peu monocorde, mais je ne pouvais me résoudre à abandonner mes parents à leur sort. Je prenais donc sur moi et profitais de ces quelques instants de répit pour refaire le plein d’énergie. La perspective de la rencontre imminente avec Izumi m’avait tiré de ma routine quotidienne, et telle une bouffé d’air frais, m’avait complètement revigoré.

Izumi n’était pas encore arrivée lorsque je parvins à notre falaise. Mon enthousiasme m’avait sans doute conféré une certaine célérité. Je m’assis sur le sol, et allongeai mes jambes devant moi. L’atmosphère était calme et reposante. Seuls le bruit des vagues qui se brisaient sur les rochers et les cris des mouettes venaient troubler cette tranquillité.

J’étais complétement absorbé dans ma contemplation de la mer lorsque la voix d’Izumi résonna à mes oreilles. Je me retournai, un sourire se dessinant immédiatement sur mes lèvres. La vue de ce visage familier avait adouci mon humeur. L’espèce d’un instant j’en oubliais la fatigue que je ressentais. Cette fatigue n’était pas seulement due aux travaux harassants que j’avais réalisés aujourd’hui. J’éprouvais une sorte de la lassitude face à l’existence que je menais, je n’arrivais pas à m’imaginer vivre ainsi le reste de mes jours. Je respectais énormément mes parents pour le travail quotidien qu’ils accomplissaient sans jamais se plaindre, mais j’avais d’autres projets. Je les voyais s’échiner chaque jour pour nous offrir simplement de quoi vivre et nous nourrir. Je souhaitais beaucoup plus pour moi-même, et pour eux bien évidemment. Je n’avais pas encore d’objectif précis, mais je savais que si j’avais la chance de trouver une échappatoire, je ne manquerais pas d’en faire profiter mes parents. J’avais ressassé ces pensées toute la journée, mais la présence d’Izumi les avait chassées immédiatement.

- Salut Izu’ ! répondis-je avec un large sourire. J’suis un peu crevé, j’ai passé toute la matinée à pêcher avec mon père, donc je te laisse imaginer l’état de mes bras et de mon dos ! J’pue pas trop le poisson au fait ? demandai-je en reniflant distraitement mes vêtements.

Izumi s’était assise à mes côtés. J’espérais ne pas trop l’importuner avec cette odeur, j’avais fait attention à bien me laver avant de venir mais je ne savais que trop bien combien elle pouvait être persistante. Je n’allais cependant laisser ceci gâcher notre moment, et me reconcentrai sur Izumi.

- Et toi, comment ça va ? Ca va faire quelques semaines qu’on s’est pas vu, je suis sûr que t’as plein d’aventures « ninja-esques » à me raconter !

Il s’agissait pour moi d’un univers encore assez inconnu et les histoires que me racontait Izumi avait toujours le don de m’impressionner. Jusqu’à présent elle n’était jamais vraiment rentrée dans les détails, mais j’imaginais qu’il y avait une sorte de confidentialité à respecter. Après tout, les ninjas avaient la réputation d’être des combattants redoutables et intrépides. Ils avaient très certainement des missions de très haute importance à remplir qui mettaient en jeu la sécurité de Mizu no Kuni.

Je me questionnais un instant sur la teneur des missions de mon amie. D’après ce que j’avais compris Izumi était encore une apprentie kunoichi, celles qu’elle devait mener à bien ne devaient donc pas être extrêmement cruciales, mais je me demandais si elle avait déjà dû recourir à la violence, ou si elle avait même dû tuer. Mizu no Kuni était un pays violent, je ne le savais que trop bien. Or vivre dans de telles conditions nécessitait parfois de requérir à des mesures extrêmes pour survivre. J’avais seulement du mal à imaginer Izumi dans un tel contexte. Elle semblait si calme. Son regard luisait d’une détermination à toute épreuve cependant, et je ne pouvais m’empêcher de m’interroger.

Plus largement, j’en vins à me remettre moi-même en question. Je n’avais jusqu’ici jamais eu à me battre véritablement contre des personnes qui en voulaient à ma vie. Lorsqu’il arrivait que des pilleurs mettent notre village à sac, nous cherchions tous à nous réfugier plutôt qu’à les affronter. Comment réagirais-je si je me retrouvais dans une telle situation ? Ou plutôt, comment réagirais-je « lorsque » cela m’arriverait. Car je ressentais en moi-même que ce n’était qu’une question de temps avant que j’y sois obligé. Des garçons de Mizu no Kuni plus jeunes que moi avaient déjà été amenés à tuer à plusieurs reprises. En y réfléchissant, je faisais partie des rares privilégiés qui n’avait pas encore eu à perpétrer cet acte. Mais le Pays des Vagues a ceci de semblable à la mer que sa violence peut se déchaîner contre nous à n’importe quel moment. Nous ne pouvions que profiter de l’instant présent. Et en ce moment, il s’agissait de la présence d’Izumi à mes côtés.

Comme je m’en doutais, l’odeur tenace de la mer et de ses habitants les poissons ne m’avait pas totalement quitté. Je me mis à rire de concert avec Izumi et haussai les épaules d’un air faussement contrit. C’est alors qu’il me revint à l’esprit un élément qui l’espace d’un instant m’avait échappé :

- Ah ouais, mais c’est vrai que t’as un odorat sacrément développé toi ! Du coup, ça compte pas, je vais continuer à croire que je sens la fraîcheur, répondis-je en riant.

En effet, Izumi m’avait expliqué qu’elle venait d’un clan de shinobi ayant la capacité de se changer en animal. Mon amie pouvait se transformer en loup, il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’elle soit capable de discerner l’odeur de poisson qui émanait de moi. J’avais été émerveillé lorsqu’elle m’avait raconté pour la première fois en quoi le pouvoir de son clan consistait. Il s’agissait de quelque chose qui allait bien au-delà de mon imagination. Je ne pouvais qu’essayer de devenir les sensations qu’elle devait ressentir sous sa forme animale. Quelle joie et quelle liberté devait représenter le fait de pouvoir se libérer des contraintes et des entraves que nous imposait notre fragile corps d’humain.

La vie d’Izumi semblait véritablement palpitante, en plus de sa profession de ninja, les pouvoirs qu’elle avait hérités de son clan lui offraient des possibilités incroyables. Une fois de plus j’étais confronté à l’amère banalité de ma vie, mais mon amie fit rapidement disparaître ces pensées de ma tête en m’expliquant en quoi avaient consisté ses missions journalières. Je fus assez étonné lorsqu’elle me raconta qu’elle s’était démenée à essayer d’attraper un chat qui s’était échappé (ce qui représentait malgré tout un exercice physique en soit), mais je ris franchement lorsqu’elle en vint à évoquer l’enfant dont elle avait dû s’occuper. S’il était vrai que je ne m’étais pas attendu à ce qu’Izumi doive remplir de telles missions, ceci avait eu le mérite de m’amuser.

- J’vais pas te mentir, je pensais que t’aurais eu des missions un peu plus palpitantes ! Même si je peux imaginer que s’occuper d’un gosse pleurnichard peut être assez éprouvant mentalement, ajoutai-je en riant.

En y réfléchissant, je pense que rien d’autre n’aurait pu représenter un défi plus important pour Izumi. Elle avait sûrement dû mobiliser toute sa patience, qui comme chacun sait est une qualité que chaque shinobi se doit de posséder. Peut-être qu’il s’agissait d’un exercice comme les autres, après tout, si tant est qu’on savait en tirer les bonnes conclusions. J’imaginais qu’il était de toute façon tout à fait normal de commencer par remplir des tâches aussi basiques. La profession de ninja n’était pas de tout repos et il se pourrait qu’Izumi regrette ces missions anodines lorsqu’elle serait confrontée à d’autres beaucoup plus ardues, voire périlleuses.

La mer participait activement à notre conversation. Malgré le bruit des flots qui s’écrasaient sur le flanc de la falaise, et les mouettes dont les cris semblaient ne jamais cesser, l’atmosphère était calme et reposante. Même si je devais admettre que ma vie actuelle me pesait, le spectacle de cette étendue bleutée ne cessait jamais de me ravir.

- Tu sais, lançai-je soudain, plus j’y réfléchis plus je me dis que j’aimerais bien devenir ninja moi aussi. J’aurais vraiment l’impression de faire quelque chose d’utile dans ma vie. Pas que je déteste être pêcheur, mais j’ai comme l’impression d’être oppressé au quotidien, de pas vraiment m’épanouir comme je le pourrais. C’est difficile à expliquer, conclus-je sur un ton plus nonchalant.

Il ne m’arrivait pas souvent de mettre des mots sur ce je ressentais, j’étais donc encore assez maladroit dans ma manière de m’exprimer. Mais peut-être qu’Izumi saurait m’aiguiller, ou me conseiller. Après tout, malgré le fait qu’elle était légèrement plus jeune que moi, elle avait déjà été confrontée à de nombreuses choses, ne serait-ce qu’au niveau de sa vie de kunoichi.

Les explications d’Izumi avaient des accents de vérité. Elle m’avait répondu honnêtement ; et il s’agissait exactement de cela que je souhaitais. J’avais besoin d’entendre le point de vue et le ressenti d’une personne connaissant les ficelles du métier, qui disposait déjà d’une expérience et d’un vécu propres à cette profession. L’idée que je me faisais des shinobi était très probablement loin de la vérité. J’ai toujours eu tendance à m’imaginer les choses sous le meilleur angle ou sous le pire. Je devais toutefois comprendre que la réalité n’était jamais ni noire ni blanche. Même si le fait de devenir ninja pouvait me paraître idyllique, je devais garder à l’esprit que ce qui m’attendait si je choisissais cette voie pourrait me décevoir, voire m’horrifier. Izumi ne m’avait pas caché le fait que chaque shinobi pouvait se trouver amener à prendre la vie d’autrui. Je me tus quelques instants. En étais-je vraiment capable ? Pouvais-je mettre ma conscience de côté simplement parce qu’un supérieur hiérarchique m’avait donné la mission d’aller mettre un individu hors d’état de nuire ? C’était une chose de tuer quelqu’un en situation de légitime défense, c’en était une autre d’assassiner une personne de sang-froid.

La vie de pêcheur manquait certes d’action, et ne m’offrait aucune perspective d’avenir très attrayante, mais elle me permettait cependant de vivre honnêtement sans faire de mal à personne. A l’écart des affaires des grands de ce monde, je n’avais pour seule préoccupation de savoir si j’aurais suffisamment de quoi manger au moment du dîner. La vie de ninja m’offrirait certainement un certain confort matériel mais ce ne serait que pour mieux m’accabler d’autres soucis. Ce n’était une décision à prendre à la légère. Je devrais réfléchir mûrement avant de me lancer dans cette aventure.

- Oui je comprends tout à fait, il faut que je continue à réfléchir. Je dois être mentalement prêt avant de me mettre à changer des couches de bébés braillards, ajoutai-je pour détendre l’atmosphère, ou peut-être me détendre moi-même.

Je remarquai qu’Izumi s’était tue. Ce n’était pas le fait qu’elle ait arrêté de parler qui avait attiré mon attention, c’était plutôt son attitude générale. Je me tournai vers elle, commençant à me poser des questions. Toute ma vie durant, j’avais assisté mes parents dans leurs tâches et j’avais vite appris à m’apercevoir si quelque chose leur pesait sur la conscience. Pour un enfant, il est très perturbant de voir ses parents contrariés de quelque manière que ce soit, et je supposais que c’était à ce moment-là que j’avais pris sur moi en essayant du mieux que je pouvais de leur remonter le moral. Izumi me rappela un instant mes parents, qui, soucieux de m’épargner, évitaient d’évoquer devant moi les sujets sensibles. Je sentais qu’elle souhaitait me dire quelque chose, aussi attendis-je qu’elle soit prête avant de la questionner.

Ce qu’elle finit par m’avouer me fit l’effet d’une douche froide. Mon humeur joviale semblait avoir sombré au fond de l’océan. Ainsi, Izumi et son clan s’apprêtaient à quitter le village. Je devais avouer que je n’y comprenais rien. Quelque chose s’était-il produit qui aurait pu motiver cette décision, ou s’agissait-il seulement d’un choix personnel ? Le hameau où j’habitais était relativement éloigné du centre de Kiri, je n’étais pas vraiment au courant de la situation politique du pays, ou des conflits qui pouvaient s’y dérouler.

- Mais… Pourquoi ? demandai-je stupidement. Pourquoi avez-vous soudainement décidé de vous en aller ? Il s’est passé quelque chose ? Je pourrais peut-être vous aider, proposai-je sans vraiment savoir de quoi il retournait.

En perdant Izumi, je me retrouverais pratiquement seul. Et si elle souhaitait quitter Kiri, cela signifiait qu’elle rejoindrait le continent. Comment nous retrouverions-nous après ça ? Cela représentait une distance énorme et nos vies respectives ne nous permettaient pas de nous absenter si longtemps. Je tentais de ne pas montrer à quel point la nouvelle m’affectait, elle n’avait sûrement pas besoin que j’assombrisse encore plus son humeur. J’essayais de me dire qu’il s’agissait d’une étape de la vie, que chacun avait souffert à un moment donné d’une séparation. Mais le coup que m’avait porté cette nouvelle était bel et bien réel.

Les paroles d’Izu étaient chargées d’amertume. Je ne parvenais à pas saisir la haine que les gens entretenaient envers son clan. Leur manière de vivre différait peut-être de celle de la majorité des habitants de Kiri, mais cela ne leur donnait pas le droit de les persécuter. L’idée que des gens pouvaient s’étaient conférés à eux-mêmes l’autorité de bouter hors du village une personne aussi aimable qu’Izu m’emplissait de colère. Elle était une shinobi comme les autres, ses aptitudes particulières en faisaient même un élément des plus intéressants au sein du village, mais l’ignorance des gens les avaient poussés à considérer cette différence comme une menace. Elle s’était dévouée comme tout le monde à la cause de village, avait participé à sa manière à son développement. Mais le seul remerciement qu’elle avait reçu était cet exil qu’on lui imposait désormais.

Je secouai ma tête de droite à gauche, abasourdi. Cet exemple flagrant d’injustice et de haine envers autrui était ce qui rongeait Kiri. Le pays de l’eau avait connu un nombre considérable de conflits, et semblait ne pas vouloir apprendre de ses erreurs. Plutôt que d’essayer de s’unir face à l’adversité, les différents clans et groupes du pays continuaient de s’entre déchirer sous des prétextes aussi futiles que cette différence qu’ils ne parvenaient à accepter.

Je souris amèrement lorsqu’Izu m’annonça que l’on pourrait toujours communiquer en s’échangeant des lettres. Il s’agissait d’une bien piètre consolation. Je soupirai. Pour dire la vérité, les mots me manquaient. La nouvelle m’avait vraiment pris de court et j’ignorais quelles paroles auraient pu apaiser Izu. Elle ne le montrait pas, mais je sentais qu’elle était véritablement affectée par les évènements. Comment aurait-elle pu ne pas l’être après tout ? Elle allait être arrachée à la terre où elle avait grandi, où toute sa vie s’était déroulée, pour se rendre dans un pays dont elle ne connaissait rien. Je ne pouvais imaginer ce qu’elle devait ressentir en cet instant. Je tâchai d’occulter la peine qui s’était emparé de moi :

- Bien sûr qu’on s’écrira, et on se reverra aussi, tu vas pas te débarrasser de moi comme ça ! J’ai toujours voulu quitter Kiri, donc ça sera l’occasion de voyager un peu.

Je pouvais accepter le fait qu’il s’agissait peut-être de la dernière fois que je voyais Izu. Je ne pouvais m’y résoudre. J’ignorais si je pourrais lui rendre visite, mais le fait que cette possibilité existe faisait naître en moi une once d’espoir auquel je me cramponnait fermement.

Je relevais la tête brusquement lorsque je sentis Izu se lever à mes côtés. Je regardai autour de moi, tâchant de repérer un danger imminent, puis reportai mon regard sur l’océan que mon amie me pointait du doigt. Je distinguais effectivement une embarcation qui se rapprochait de la plage en contre-bas. Alors qu’Izu s’élançait pour les accueillir, je dévalai à mon tour la pente herbeuse de la falaise. J’ignorais qui étaient les individus présents sur ce navire. Il pouvait s’agir de voyageurs égarés autant que de personnes animées d’intentions peu louables.

- Reste à distance, Izu. On sait pas encore qui sont ces gens.

Je m’étais placé à sa droite, méfiant. Le navire ne portait aucun pavillon, il ne s’agissait donc pas d’un navire officiel. Ce qui nous laissait deux possibilités. Je me tenais prêt à toute éventualité. La vie difficile à Kiri nous avait à tous appris à rester prudent dans chaque situation. J’ignorais s’il était très sage pour nous de rester ainsi à découvert, mais décidais de laisser à Izu le soin de décider du plan à suivre. En tant que ninja, elle devait très certainement avoir été formée à ce genre de cas de figure.

Le navire s’approchait lentement de la côte. Lorsqu’il nous fut possible de distinguer les silhouettes à bord, il se fit de plus en plus clair qu’il ne s’agissait pas de simples voyageurs, ni de marchands. Ces individus ne semblaient rien nous apporter d’autre qu’une bonne dose d’ennuis. Je considérais le navire d’un œil suspicieux en m’interrogeant sur la conduite à suivre. De toute évidence, nous ne pouvions pas rester ainsi en terrain découvert, il nous fallait trouver un abri au plus vite car je craignais que nous ne soyons pris pour cible par s’il s’avérait que ces personnes étaient animées de mauvaises intentions. Izu prit finalement l’initiative de nous conduire derrière un rocher qui nous dissimulerait à la vue des nouveaux arrivants.

Nous restâmes assis en silence, le regard fixé sur le navire qui se trouvait sur le point de jeter l’ancre. Des cris nous parvinrent du pont alors que tout l’équipage se préparait à accoster. Le sable crissa lorsque la coque du bâtiment rentra en contact avec lui. Les toiles furent relevées avec une rapidité et une efficacité qui laissaient présager qu’il s’agissait là de marins chevronnés. Je sentais mon cœur cogner contre ma cage thoracique alors que la passerelle s’abattait sur la plage dans un bruit sourd. Je retins mon souffle. Des pas pressés retentirent sur la planche de bois et la nature de ces marins nous apparût bientôt clairement. Leur tenue et les sabres d’abordage qui pendaient à leur côté ne laissaient guère de doute quant à leur identité.

Je tâchai de conserver mon calme. Je ne tenais pas à nous faire repérer, aussi m’efforçai-je de ne rien laisser paraître de l’inquiétude qui commençait à étendre son emprise sur moi. Je n’avais aucune idée de ce que nous pouvions faire. Je n’avais jamais été un combattant, hormis quelques bagarres avec les jeunes du village, je ne disposais pas d’une grande expérience des combats. Si nous venions à affronter ces forbans, je ne nourrissais aucun doute quant à l’issue de la confrontation. Ils ne feraient sûrement qu’une bouchée de moi.

Ce genre de situations relevait plutôt de l’expertise d’Izu. Celle-ci ne tarda d’ailleurs pas à prendre la parole. Tout en gardant son regard fixé sur les pirates qui couraient sur la plage et s’apprêtaient à gravir la falaise, elle m’expliqua que notre seule option était d’avertir les autorités.

- Je suis content de te l’entendre dire, répondis-je à voix basse. J’avais peur que tu nous proposes de foncer dans le tas. Attendons que tout l’équipage soit passé devant nous, et rendons-nous au village le plus proche, proposai-je. Si on se débrouille bien on arrivera à éviter le groupe de pirates, et peut-être même à les devancer en nous servant de notre connaissance du terrain.

J’osais à peine regarder par-dessus le rocher. Je n’en avais toutefois pas réellement besoin. Le vacarme que les forbans engendraient m’avertissait qu’ils étaient relativement nombreux. Je préférais ne pas me risquer à esquisser de mouvements inutiles, craignant d’attirer l’attention sur nous d’une manière ou d’une autre. Je me fiais surtout à mon ouïe pour essayer de déterminer si tous les membres de l’équipage étaient passés devant nous.

Lorsque je sentis le bruit s’atténuer, je coulai un regard furtif depuis le rocher. Les traces des pas des pirates sur le sable doré était la seule chose qui subsistait de leur passage.

- Je crois qu’on peut y aller, dis-je en me relevant lentement.

Pour le reste, il nous faudra compter sur les sens développés d’Izu afin de nous assurer une progression sans danger. Je sentais mon cœur battre à tout rompre dans ma poitrine. Je n’avais aucune idée de ce qu’allait être l’issue de cette situation. Je n’ignorais cependant pas la réputation des pirates et j’avais donc conscience que le moindre faux pas de notre part pourrait se révéler désastreux.

Le fait de pouvoir compter sur les sens aiguisés d’Izu m’enlevait un poids des épaules, puisque je la savais capable de nous mener à bon port. Cependant, l’appréhension que j’avais ressentie lorsque nous avions aperçu les pirates débarquer ne me quitta pas un seul instant. Il suffisait d’un moment d’inattention de notre part pour que la situation penne une tournure beaucoup plus dramatique.

Nous avancions à pas feutrés mais aussi rapidement que nous le permettait la prudence que nous nous imposions. Je faisais confiance à Izumi pour surveiller l’avancée du groupe des forbans. J’en étais donc réduit au simple rôle de suiveur, mais j’estimais que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. Je n’avais pas vraiment l’habitude de me reposer sur les autres, j’avais plutôt tendance à compter sur moi-même avant de m’en remettre à autrui. Aujourd’hui était toutefois une de ces situations de laquelle je ne pouvais me sortir seul, l’aide d’Izumi était donc la bienvenue.

Alors que nous progressions lentement mais sûrement, mais je m’interrogeai sur la profession de ninja. J’imaginais que le quotidien des shinobis était rempli de missions au moins aussi périlleuses que ce que nous étions en train de traverser actuellement. J’avais jusqu’ici réussi à conserver mon calme, mais comment aurai-je réagi nous avions été repérés par les pirates ? Je ne pouvais m’empêcher de ressasser cette question. Si j’avais plus ou moins réussi à camoufler le trouble et l’anxiété qui m’habitaient, je ne pouvais pas nier leur présence. Or, si je me décidais à embrasser la voie du ninja, je serais très certainement confronté chaque jour à des situations telles que celles-ci. Izumi avait bel et bien raison, il ne s’agissait pas d’une décision à prendre à la légère.

Je fus tiré de mes pensées lorsque nous finîmes par distinguer un village. Izumi prit l’initiative de se diriger vers les autorités en les informant des évènements dont nous avions été témoins. Les gardes, qui étaient jusque-là attablés nonchalamment, se mirent rapidement sur pieds et se préparèrent à prendre les mesures adéquates, nous laissant seuls, Izumi et moi.

Petit à petit, je retrouvais un rythme cardiaque normal. Nous avions échappé au danger et nous pouvions finalement reprendre notre conversation.

- Oui, c’est vrai mais au moins on s’est pas ennuyé, répondis-je d’un air bravache, alors que je me sentais encore sur le point de défaillir. Et au moins ça a eu le mérite de me donner un avant-goût de la vie de ninja !

J’appréciais toujours autant la compagnie d’Izu, cependant le temps s’écoulait, et si je voulais rentrer avant que la nuit tombe, il faudrait que je reprenne la route rapidement. Mon cœur se serra soudainement car je me rendis compte qu’il s’agissait sûrement de l’une de nos dernières rencontres. L’espace d’un instant, je posais sur Izumi un regard attristé. Je me repris toutefois immédiatement, je ne souhaitais pas rentre l’atmosphère plus dramatique qu’elle ne l’était déjà. J’esquissai donc le sourire le plus convainquant que je pus.

- Bon Izu’, il va falloir que je m’en aille. J’aimerais arriver chez moi avant qu’il fasse nuit. On se reverra juste avant ton départ, au même endroit, à la même heure ? lui demandai-je d’un ton enjoué malgré ce qu’il me coûtait de prononcer cette phrase.