Le nécromancien se tapa le front d’une main en entrant dans la fameuse tente. Ce n’était pas véritablement ce à quoi il s’attendait. Il découvrit celui qu’il était venu voir afin de discuter suite à leur petit échange tout à fait cordial. Pour un Kirijin, une bataille est un moyen poli d’échanger des points de vue. En tout cas dans un premier temps. Rien n’empêche d’agrémenter ensuite d’une simple discussion.

Alors que le nécromancien avançait dans l’espace, il put constater d’un peu plus près les liens dont l’homme avait été décoré. Une bien piètre mesure qu’il n’avait pas spécifiée. Mais bon le Shûkai se méfiait de cet homme apparemment. A raison certes, mais son comportement avait prouvé qu’il n’était pas qu’un sous fifre des Nuages. Loin de là. Et sans cela ils n’auraient même pas pu établir un contact lors de cette rencontre. Encore légèrement blessé par l’affrontement, Michiki se tint à bonne distance du lit, près d’une chaise qu’il choisit d’ignorer pour l’instant. Puis un léger mouvement.

Le Nukenin reprenait connaissance. Ses yeux s’entrouvrirent légèrement, tentant de chercher un élément de réponse pour savoir où ils se trouvent. Puis un nouveau mouvement freiné immédiatement par les entraves. Michiki secoua légèrement la tête de droite à gauche face à ce spectacle. Sa présence ne tarde pas à être finalement remarqué par le colosse qui s’adresse ainsi à lui. Le voilà revenu en arrière. Cette histoire de menottes le replace dans une situation où sa parole est remise en cause. Le nécromancien soupire à cette réflexion, plus que légitime, mais qu’il aurait aimé éviter.

Il fit donc quelque pas auprès de son chevet pour dévoiler son visage. L’homme doit avoir un peu de difficulté à cerner les traits. Il préfère donc s’adresser à lui visage découvert…et scalpel en main !

- Navré de cette mesure. Je ne l’avais pas spécifié mais il faut se rappeler que je n’ai pas l’autorité suprême ici. Mais bon pour ce que ça change…

Le scalpel fend l’air d’un petit bruit vif et sec. La lame s’écrase contre la table après son passage, les bandes de cuir tombant au sol et laissant ainsi la peau légèrement marquée de l’empreinte des liens. Michiki rangea alors son outil de travail tandis qu’il reprenait :

- De simples excuses d’un modeste partisan s’imposent. Mais il faut dire que votre assaut de tout à l’heure nous a légèrement surpris ! Ils avaient peur que vous fassiez preuve de la même impulsivité au réveil. Certains ne sont pas du matin !

Les dernières phrases avait été prononcée sur un ton un plus léger, avec comme un semblant de rire au fond de la gorge. Le Shinda n’a pas à s’excuser non plus très longtemps. Il n’est pas responsable de ça et il sait ce qu’il a fait. Son honneur il n’a pas non plus besoin d’en apporter les preuves à cet homme. Maintenant que le Nukenin est un peu plus libre, le Fossoyeur retourne au fond de la tente pour prendre place sur le siège :

- Nous n’avons même pas eu l’occasion de nous présenter au fait ! Shinda Michiki.

Il incline légèrement la tête en guise de salut avant de retourner à un ton un peu plus neutre et plus propice à une véritable conversation entre adultes.

- Je vous prie de m’excuser de votre petite absence, j’en suis responsable. Du moins un de mes poisons. Nous vous avons confié aux autorités médicales afin de vous aider à reprendre conscience. J’ai même dû livrer à mon grand désarroi la recette de ma toxine… Rendez-vous compte jusqu’où vous m’avez poussé pour que je vous aide.

Conformément à ce qu’a pu observer le Fossoyeur lors de l’affrontement, cet homme fait preuve à la fois de beaucoup de courage et d’une immense force. Il semble encaisser les effets secondaires du poison sans trop de difficultés. La dose à laquelle il a été exposé devrait le mettre dans les vapes plus longtemps. Mais le remède a bien aidé. Même s’il n’en reste pas moins qu’il faut avoir une sacrée forme physique pour aussi bien subir un tel traitement sans sourciller. Michiki lui partage donc un conseil en toute cordialité :

- Evitez tout mouvement. Vous résistez bien à la toxine mais il faut vous reposer.

L’homme face à lui, nommé Goren, lui communique alors sa compassion sur le fait d’avoir dû livrer un de ses secrets. Et il se risque à discuter avec lui de la composition de l’élixir qui l’a mis au tapis. La discussion offre un sourire au Shinda qui se contente alors de répondre :

- Peut-être aurons-nous l’occasion de parler alchimie plus tard. Et dans un cadre plus adapté sans doute.

Ce n’est que détail parmi les choses que Michiki est venu évoquer ici. Parler poisons ne le dérange pas, comme l’a prouvé sa rencontre avec Hoheinheim le Fou. Il n’a pas besoin de recentrer le débat. Son homologue Nukenin le fait de lui-même. En rementionnant l’histoire des menottes, ce qui n’a rien de bien palpitant. Le sujet revient donc vite au fameux quiproquo intervenu peu après le début de leur combat amical. Le retour de Shinji dévoilant son identité après avoir été masqué tout le début de la rencontre, voilà un évènement qui a dû le perturber en effet. Ce qui explique aussi peut-être quelques faux pas qui lui ont coûtés ce rapide séjour en soins. Il demande à éclaircir la situation, voir même à réparer son erreur. Michiki le rassure donc tout de suite :

- Il n’y a pas de mal. Le quiproquo de ces menottes me taraudait également. Mais c’est du passé. Quant à cet individu dont tu parles, nous l’avons mis hors d’état de nuire. Ses jours ne semblent pas en danger mais son état reste critique. Nos médecins sont sur le coup. Nous l’interrogerons ensuite pour nous assurer de la véracité de son identité. Inutile de te préoccuper de ça donc. Et le message a bien été passé par ce Kumojin qui était avec nous quand tout a commencé puisque les troupes ont commencés à se replier au fur et à mesure. Tout s’est bien passé.

Ceci fait, le Kyu déclare alors d’une voix déterminée qu’il est sûr et certain que son idée est meilleure que celle du Shinda. Il parle bien évidemment de son projet de reconstruction de Kiri. Il ne veut pas que le Shûkai soit impliqué là-dedans et surtout que la Brume se retrouve sous la responsabilité d’une autre nation qu’elle-même. Un point de vue que Michiki comprend parfaitement. Ce n’est pas non plus l’idée qu’il se fait de cette Kiri dont il avait rêvé. Mais la vie n’est pas emplie de rêves. Ça se saurait. Il y a toujours besoin d’accepter des compromis et des alliances pour parvenir à ses buts. Mais la vie a une autre règle. Rien n’est éternel. Face à une telle assurance et une telle détermination, la marge de manœuvre est minime mais Michiki se risque quand même à répondre :

- Je ne peux affirmer que la mienne est meilleure que la tienne. Aucun de nous deux ne le peut je pense et ça ne fera pas avancer les choses. Tout comme je comprends que trop bien tes motivations pour t’être opposé à nous. Mais tu l’as fait avec un dessous de jugeote, là où Kumo, selon moi, n’a agi que dans le but de se faire voir et de s’assurer que jamais la Brume ne reviendra. Pourtant c’est bien ce qu’il va se passer.

Le ton change alors. Il se fait plus ferme, montant presque crescendo dans une sorte de fureur muette qu’on ressent dans l’intonation. Les mots du Shinda ne dépassent pas en décibels par rapport à ses mots précédents. Mais on peut sentir rien qu’à sa voix qu’il défend fermement ce qu’il dit et qu’il assumera ses mots jusqu’au bout :

- Kiri renaîtra. Je me fiche pas mal de l’aide de qui je recevrais mais il en faut. Et ce n’est certainement pas Kumo qui nous l’accordera. Sans le soutien d’une autre nation, nous ne pourrons jamais y parvenir. Nous avons besoin d’aide. Forcément cela passe par une « soumission », une dépendance de la Brume. Mais ce n’est pas non plus comme ça que j’envisage les choses.

Michiki se lève de son siège pour se placer à droite du lit, son regard porté vers l’ouverture qui mène sur l’extérieur. Il sort une cigarette de sa poche qu’il allume rapidement. Il tire une bouffée de tabac qu’il expulse vers la sortie pour ne pas enfumer l’espace. Il reprend plus sereinement son discours :

- Je ne pourrais qu’être reconnaissant envers le Shûkai de l’aide qu’il m’aura apporté dans ce projet. Tu me demandais tout à l’heure s’ils avaient déjà trahis leur parole avec moi. Ma réponse est : absolument pas. Sinon comment expliques-tu qu’un simple vagabond ait été mis à la tête de la première vague d’intervention pour la conquête de l’archipel ?

Le Shinda se tourne vers son interlocuteur. Une étincelle rougeoyante au bout de son bâtonnait de tabac attise un léger reflet orangé sur ses lunettes :

- Kiri ne pourra revenir sans aide. C’est une réalité auquel je me suis fait. Et nous devrions tous suivre cet exemple. Il n’appartient qu’à nous de faire vivre ensuite ce projet pour quelque chose de plus grand. Nous n’obtiendrons pas la grandeur d’époque de la Brume. Seuls ceux nous ayant rejoint dans cette vaste entreprise nous permettrons d’y arriver.

Le nécromancien tire la clope de son bec pour en tapoter l’arrière afin de faire tomber quelques cendres au sol. Il ne quitte pas Goren des yeux malgré son geste alors qu’il ramène le concentré de tabac à ses lèvres.

- Je ne peux garantir la parole ou les agissements du Shûkai. Là-dessus, je ne peux que t’offrir la mienne. J’ai voué mes actes dans le but d’aider Samui Kakeshuou. En échange, il m’apporte ce que je souhaite. Crois bien que s’il trahit ma confiance, je lui ferais payer. Comme n’importe qui qui oserait entraver ma route. Nous n’avons pas combattu pour nos vies car nous partageons certains idéaux. Nos motivations sont différentes malgré l’objectif qui reste commun. Je crois qu’il est temps de mettre nos intérêts personnels de Nukenins de côté pour accomplir enfin notre rêve.

Tant de points liaient les deux hommes. Un même rêve, une même indépendance temporaire et surtout un entêtement à toute épreuve. Une motivation qui avait guidé leurs actes et leurs mots jusque-là. Goren avait beau défendre le côté adverse, Michiki ne pouvait s’empêcher de voir en cette rencontre une saine rivalité. Il aurait été certes stupide de se battre entre eux vu leur objectif commun. Mais pour autant, chacun restait campé sur ses positions comme quoi le camp qu’il avait choisi était le mieux.

Les deux âmes errantes de ce monde avaient eu leur lot d’expérience au fil de leur carrière. Deux parcours sûrement différents qui ne leur empêchaient pas d’être lucides sur leur entourage. L’un comme l’autre, face à la plus minime des trahisons, ils n’hésiteraient pas à châtier les indignes. Michiki ne se débinerait pas face à Kakeshuou et aux dires du Kyu, il ne se laissera pas manipuler par Kumo. Mais cela se sentait déjà des deux côtés. Ils avaient choisis un camp sans pour autant renoncer à leur condition de Nukenins. Ce qui prouvait encore une fois une communauté de pensée assez flagrante qui pouvait mener à une coopération sans faille. Si ces deux-là s’étaient retrouvés dès le début dans le même camp, les choses auraient été différentes. A commencer par Kiri qui serait déjà debout.

Alors qu’ils échangeaient, le colosse se dirigea vers la table où étaient disposés ses effets personnels. Il récupéra un sceau d’où il fit jaillir une bouteille. Son chakra était sous un étroit contrôle. Mais pour ce genre de tâche, il en avait la liberté absolue. Ce n’était pas avec ça qu’il monterait une mutinerie pour s’échapper. Il n’avait de toute façon pas la mentalité ou le comportement d’un homme qui prévoit de s’enfuir. Pourquoi le ferait-il de toute façon ? La bouteille contenait un alcool dont le Kyu vanta les mérites. Rapidement, les verres furent servis. Michiki n’était pas un grand fan de boisons alcoolisés mais il se laissait parfois surprendre à la dégustation de certains breuvages. Celui-ci était fort mais incroyablement bon. Un liquide avec beaucoup de caractère qui témoignait de sa qualité.

Puis ce fut sur leurs verres que Goren en vint à la même conclusion que le Shinda qui sourit à ces mots. Un rien se jouait entre eux pour que la Brume renaisse. Un léger et insignifiant détail les séparait. Mais c’était aussi là la beauté de ce monde. Une diversité d’opinion et même dans la communauté de certains, une diversité multiple mais nécessaire à la pérennité de ce monde. Un univers où chacun s’entend sur tout serait trop calme et lassant à force. Ce genre de système ne marchait pas. L’Homme avait besoin de guerres, de manipulations et de sang. Kiri l’avait bien compris à l’époque et l’avait parfaitement assumée. Le Fossoyeur finit par répondre à la tirade du Kyu :

- Si nos chemins s’étaient croisés plus tôt, j’aime à penser que nous serions déjà à nous délecter de la toute splendeur de la nouvelle Kiri. Peu importe par qui, une certitude persiste Goren : nous nous y retrouverons. Et je le souhaite de tout cœur. Ton combat est le même que le mien. Nous le faisons ici de la manière la plus noble possible.

Terminant son verre et le reposant sur la table avec un petit bruit de porcelaine s’entrechoquant, il dévoila toutes ses dents pour annoncer fièrement :

- Si les puissants de ce monde géraient leur conflit autour d’un verre comme nous ici, tout serait plus simple !

Il se permit un léger rire qu’il ne fit pas durer longtemps pour ne pas lasser son interlocuteur. Son avis était bien arrêté. Avec déjà ce qu’ils s’étaient dit sur le champ de bataille, il n’y avait pas grand-chose que Michiki pouvait ajouter. Il avait dit tout ce qu’il avait à dire à cet homme. Il ne pouvait maintenant qu’espérer qu’il rejoigne sa cause. Ou peut-être serait-ce l’inverse. Qui sait après tout. Le Destin réserve parfois de nombreuses surprises. Le nécromancien se tourna vers la sortie. Il s’arrêta à seulement quelques pas avant d’en franchir le seuil. Il fit alors volte-face, continuant le discours :

- Nous avons envoyé des requêtes au Daimyô. Une rencontre aura lieu. Tu seras naturellement mis au courant de la date et du lieu de rendez-vous quand nous en saurons plus. Je réitère mon conseil, repose toi. Et je n’ai malheureusement pas pu faire grand-chose au niveau de l’accompagnement durant ton séjour ici. Une garde t’est affectée dès maintenant pour te surveiller dans le moindre de tes agissements. Une simple mesure de sécurité. Déjà moins barbare que les menottes tu en conviendras !

Il franchit les derniers pas le séparant de la sortie et il lança au dernier moment un simple :

- On se retrouvera chez nous Goren.

Et il espérait de tout cœur que cela arrive le plus rapidement possible. Plus vite Kiri sera là, et plus vite le monde changera.