Les mains derrière la tête, la protégeant ainsi de la surface dure qu’était la toiture de mon immeuble, et allongé de tout mon long, je fixais le ciel d’été sans réellement penser à quoi que ce soit. En fait, il serait plus juste de dire que je pensais à tellement de choses que mon esprit n’arrivait pas à se fixer sur l’une en particulier. Depuis un certain temps, j’avais découvert le toit de l’immeuble dans lequel se trouvait mon appartement comme un endroit très agréable où se prélasser. C’était un coin où il faisait toujours chaud, où le vent était sûr de passer – amenant avec lui toutes sortes d’odeurs différentes – où j’étais presque certain de ne jamais me faire déranger et d’où la vue était impressionnante, sans pour autant être spectaculaire. En tout cas ça battait pas mal n’importe quel parc ou aire de détente du village! Quand j’avais un peu de temps libre, je venais donc me reposer ici en grimpant la plupart du temps depuis la fenêtre de ma chambre. Je laissais mon esprit voguer d’un sujet à l’autre tandis que je laissais ma peau dorer au soleil. Par chance, il faisait assez beau aujourd’hui.

Les yeux fermés, j’entendis soudainement un bruit sourd sur le toit et l’odeur de mon ninken me vint très perceptiblement à mes narines. Je m’assis juste à temps pour recevoir un Aka très déterminé à recevoir de l’attention. C’était vrai que lorsque j’étais ici il était très difficile pour mon ninken de se tenir en ma compagnie. La plupart du temps, c’est justement parce qu’il est endormi dans son coin que je viens ici, mais ça on ne le dira pas; il ne voudrait pas comprendre de toute façon, cette tête de mule. M’enfin, tout portait à croire qu’il avait finalement trouvé un moyen de venir me rejoindre sur le toit. J’espérais juste que ça ne soit pas trop dangereux comme chemin, je ne voudrais pas qu’il se blesse seulement pour venir me rejoindre sur un toit.

- Comment t’as fait pour te rendre jusqu’ici?

Je n’avais pu m’empêcher de poser la question à Aka, mais en même temps je n’étais pas certain que je voulais savoir la réponse. Encore une fois, je ne voulais pas qu’il s’agisse de quelque chose de dangereux ou de risqué et je connaissais assez bien mon ninken pour savoir que ça serait exactement le genre de chose vers lequel il se tournerait. J’étais même prêt à lui bricoler quelque chose s’il tenait tant que ça à venir me rejoindre, au moins je m’assurerais qu’il s’agissait de quelque chose qui ne le mettrait pas en péril. Mais comme il venait de me rejoindre, je me mis à penser qu’il était peut-être temps pour moi de descendre de mon perchoir afin de faire quelque chose de plus constructif de ma journée. Je pensais notamment à une épicerie qui ne se ferait pas toute seule. Me levant, Aka comprit immédiatement ce que cela voulait et, après avoir maugréé un peu – sûrement parce qu’il venait tout juste d’arriver – il se dirigea vers un arbre et sauta de branche en branche jusqu’à atterrir au sol. Ce n’était peut-être pas si dangereux que ça finalement.

Je le suivis peu après et, ensemble, nous nous rendîmes jusqu’au marché où, comme à son habitude, il y avait foule. Cependant, je trouvai qu’il y avait un peu moins de monde que les dernières fois, mais je n’allais certainement pas m’en plaindre. Je passais d’un magasin à l’autre, ramassant fruits, légumes, pains et viandes jusqu’à ce que j’aie tout ce dont j’avais besoin pour la semaine. Qui plus est, j’avais même réussi à me négocier un prix pour la viande puisque j’en prenais une quantité importante, ninken oblige. Satisfaits de mes achats, je m’en retournais à l’appartement, les mains chargés et quelques trucs supplémentaires placés habilement sur le dos d’Akamori, technique que j’avais peaufinée avec les années. Nous étions presque rendus à destination lorsqu’Aka commença à agir de façon bizarre, comme s’il était agité. Il jetait des coups d’œil dans toutes les directions et se collait constamment le nez sur le sol. Si cette pratique était assez courante chez lui, l’insistance qu’il y mettait n’était pas coutumière. Puis, sans le moindre avertissement, il s’élança vers l’avant, jetant au sol les sacs qu’il tenait précédemment sur le dos.

- Aka!

Je l’appelai, mais je savais que c’était inutile; dans des situations comme celle-ci il n’y avait aucune chance pour que je réussisse à le faire revenir. Parfois, son entêtement et son impétuosité me tombait vraiment sur les nerfs, surtout quand c’était moi qui en pâtissais. Ramassant le bagage de mon ninken tout en gardant contrôle sur les sacs que j’avais déjà en main, je marchai jusqu’à rejoindre mon ninken et la raison pour laquelle il avait accouru aussi vite.

Que faisait Aka ici ? S’était-il encore une fois éloigné de son maître ? Dans tous les cas, Quetsche l’imita et les deux canidés coururent dans la ruelle d’une façon toujours aussi agile, surprenant moult passants. Nobu soupira. C’était toujours comme ça. Sa tête se redressa et fit les trois cent soixante degrés. Il cherchait quelqu’un, et ne tarda pas à le trouver. Un léger rictus apparut sur le visage fatigué du Chûnin.

« T’inquiètes, ils nous ont refait le même coup ! »

Inuzuka Takeo, l’un des membres les plus réputés du clan mais également son cousin éloigné. Les deux hommes s’appréciaient depuis longtemps maintenant, et semblaient assez proches malgré un bon nombre de différences. La première : le sexe de leurs deux chiens farceurs. Mais c’était bien Nobu qui faisait dans l’originalité car cela restait relativement rare qu’un Inuzuka masculin se batte avec une femelle. Autre différence : le grade. Takeo était un Jônin, mais hors de question pour son cousin de l’appeler autrement que par…

« Alors couscous ça fait une paye, quoi de neuf ? »

Il n’y avait absolument aucun rapport avec le plat. Il ne s’agissait là que d’une vieille farce quand ils étaient plus jeunes, qui avait débouché sur un jeu de mot à partir de celui de « cousin » totalement ridicule. Et peut-être, sûrement même, que Nobu avait la flemme de changer ses habitudes.

Il le débarrassa de quelques sacs sans lui laisser le temps de protester ou d’approuver. Lorsqu’il n’était pas en mission, et qui plus est dans des situations comme ça, le Chûnin faisait preuve d’un certain entrain qui lui était rare. Mais rien non plus d’incroyable. Revoir son cousin lui faisait juste plaisir, ça faisait un petit bout de temps en y repensant.

Même si comme à chaque fois retrouver leurs chiens serait un enfer, pire qu’une mission de rang A… La dernière fois, les deux Inuzuka avaient du faire le tour du village pas moins que trois fois. Imaginez un peu Nobu et sa flemme presque légendaire devoir faire tant d’efforts… De toute façon, sans la présence de son cousin à ce moment-là, il serait tout simplement retourné chez lui.
Ah, il ne voulait pas penser à devoir rechercher ces foutus farceurs. Pour sûr, ils allaient… en baver.

Ma cadence grandement ralentit par les sacs supplémentaires qu’Aka m’avait laissé, j’avais arrêté depuis belle lurette d’essayer de le rattraper. Peu importe ce qui l’avait assez excité pour qu’il s’enfuie de la sorte, j’allais tôt ou tard le découvrir si je continuais simplement mon chemin. Après tout, il n’y avait qu’un sens à cette rue, rien ne pourrait m’échapper tant que je restais dans la rue. Mais tout de même, je me demandais bien qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir là-bas pour qu’il se dépêche autant, la dernière fois que c’était arrivé c’était lorsque nous avions été avec…

- T’inquiètes, ils nous ont refait le même coup!

Nobu! Il me semblait bien avoir senti une odeur familière quelques instants plus tôt. Ainsi Akamori était parti se balader avec sa "cousine" Quetsche, la ninken de Nobu, comme la dernière fois. J’aurais dû me douter que s’il partait aussi vite c’était pour me faire un de ces coups. Le connaissant, il n’avait sans doute pas oublié le mal que mon cousin et moi nous étions donné pour retrouver les deux chiens-ninjas. De toute évidence, nous étions partis pour un autre après-midi de fouille. Toutefois, j’osais espérer que nous avions appris de la dernière fois et cela serait plus rapide, car aucun de nous deux ne voulait que cette chasse ne s’éternise. Mon cousin n’était pas réputé pour sa paresse pour rien, et moi qui me considérait comme une feignasse.

- Pas encore! Aka, je te dis, je n’avais vraiment pas le temps pour ça! Je jetai un regard plus loin dans la rue juste pour voir une boule rouge disparaître, accompagné d’une autre boule dorée.

Je repris mon souffle – ce n’était pas pour rien que j’avais répartis le poids des sacs – et les déposai au sol. Si nous étions pour discuter avant de reprendre notre chemin, puisque qu’aucun de nous deux n’était plus pressé que ça d’aller à leur recherche, ce n’était pas vrai que j’allais supporte mes sacs tout le long! Utilisant le surnom que nous nous donnions alors que nous n’étions plus jeunes, une vielle blague qui n’était drôle que lorsqu’on était jeune, mais dont le souvenir me faisait toujours sourire, il demanda de mes nouvelles. Je trouvai cela amusant qu’il continue d’utiliser ce surnom après tout ce temps, mais il avait quand même raison : cela faisait effectivement un moment que nous ne nous étions pas croisés, passant un peu moins de temps au village ces temps-ci. Que voulez-vous, qui dit plus haut grade dit plus de responsabilités.

- Oh, tu sais, la routine! Sauf que je suis plus souvent parti en missions ces dernières semaines, comme s’il y avait plus de missions pendant l’été. Que veux-tu, c’est ça être Jônin! J’avais peut-être l’air de me plaindre – ou de me vanter cela dépendait de comment on interprétait – mais loin de moi était cette idée. En fait, c’était plus une sorte de résignation; j'avais su d’emblée ce que cela voulait dire d’être shinobi et surtout de gagner en importance au sein du village. Pour ce qui est d’aujourd’hui, comme tu peux voir, je revenais de faire des courses quand le petit chenapan a décidé de s’enfuir.

J’haussai ensuite les épaules, comme quoi je ne pouvais rien y faire, et Nobu s’avança aussitôt pour me délaisser de quelques sacs. Le geste me surpris, mais j’étais reconnaissant de l’aide qu’il m’apportait. Au moins de cette façon le chemin se ferait un peu plus rapidement. Le chemin jusqu’à l’appartement on s’entend, parce que je n’allais certainement pas courir après eux dans tout le village avec mes commissions dans les mains. Je remerciai mon cousin d’un hochement de tête et lui indiquai la direction à suivre jusqu’à mon appartement. De mémoire, je crois qu’il n’était jamais venu à mon appartement.

- Si tu le veux bien, on va aller porter tous ces sacs chez moi avant de se concentrer sur la chasse au ninken.

Sans nul doute accepterait-il la proposition comme il devait penser tout comme moi que trimballé son épicerie à travers tout le village n’était pas nécessairement la plus efficace des solutions. Qui plus est, nous étions pratiquement rendu au bloc, il suffisait tourner quelques coins de rue et nous y étions. Une autre fois, je maudis intérieurement Akamori de m’avoir abandonné alors nous étions si près du but alors que nous prenions le chemin de ma demeure.