De toute sa vie, Kal ne se souvint pas avoir voyagé aussi longtemps d’une seule fois. Mais ce qui le marquait le plus, au travers de ces kilomètres qui défilaient devant ses yeux, c’était ce voyage sur l’eau. Il avait déjà navigué, parfois pour apprendre à malaxer son chakra sur des étendues d’eau difficiles, mais il ne l’avait fait que pour une ou deux heures tout au plus. Là, ce n’étaient plus les heures qu’il avait du compter, mais bien les journées. Et elles s’étaient comptées au nombre de trois, en mer.

Bien entendu, un navigateur de Kaminari no Kuni avait accompagné le jeune Bakushô dans sa descente vers les terres de l’Eau. Kal avait eu donc tout le loisir ou presque de réfléchir à sa mission. Une mission qui avait commencé il y a longtemps.

Karasu Tsumei l’avait choisi, car il avait bien connu l’oncle de Kal. Un Genin qui n’avait peur de rien et qui faisait preuve d’une certaine maturité, c’était la pièce idéale pour la tâche pensée. Une tâche des plus compliquées, car la vie du jeune homme en dépendait fortement. Les prisonniers, Yuki, Oterashi Yanosa et Samui Kyôji : il les avait tous vus. Et une fois les derniers préparatifs faits, il avait été mis au courant de la fameuse date.

Ce jour-là, lorsqu’il reçut la réponse au dossier qu’il avait fait parvenir au Raïkage, il avait su qu’il avait une semaine pour aller jusqu’à Kiri. La phase finale du plan, de la mission.

Heureusement, malgré la période de guerre et de trouble qui avait conquis le monde et les villages cachés, Kal put avancer jusqu’à proximité des premiers avant-gardes de Kiri. Il ne se cacha pas, et c’est ainsi que lorsqu’il arriva auprès d’un tunnel, deux gardes l’avaient devancés pour le questionner.

Je viens de la part du Yondaime Raïkage, afin de parler en son nom à Kentaro Hattan.

Il était encore en vie, preuve que les Kirijins n’étaient pas si imprévisibles et arrogants qu’on pouvait le dire. A sa surprise, Kal se vit trembler à la fois de peur et d’excitation. Mais sa peur était celle de ne pas accomplir sa mission, chose qu’il se refusa aussitôt. Le calme reprit donc le dessus immédiatement. Et fort heureusement pour lui, car tout allait se jouer maintenant.

Un troisième homme, Kirijin sans aucun doute, vint s’approcher des deux gardes qui avaient interpellé le balafré. Si l’arrivée de cette tierce personne ne changea rien fondamentalement dans le comportement des gardes, elle donna du mouvement, et de l’avancée dans le processus. Très clairement.

Suivez-nous.

Le Mizukage leur avait-il donné l’autorisation ou avait-il décidé d’une peine plus… dérangeante ? Kal n’avait pas peur de mourir, et il avait vécu de nombreux supplices. Mais pour que la mission soit un succès, il fallait que Kentaro Hattan soit là, et qu’il ait accepté cette entrevue.

Les pas s’accélèrent, et quelques regards vers le Kumojin furent plein d’animosité. Compréhensif pour le Bakushô qui resta imperturbable. C’est ainsi qu’il arriva dans les bâtiments du Mizukage, puis pénétra dans le bureau de ce dernier.

Il le salua, et distingua les anomalies de la pièce. Des trous, marques de combat pour ce lieu de « discussions parfois agitées ». Kal aurait pu être mis mal à l’aise à une certaine époque, mais il connaissait les shinobis, et il connaissait surtout la réputation de Kiri.

Je suis Bakushô Kal, émissaire de votre homologue… Karasu Tsumei.

Première étape attaquée de façon directe. L’identité du Raïkage lui était désormais connue, et c’était important. Car ce dernier l’avait bien expliqué à son Genin : les deux hommes se connaissaient. Ils s’étaient déjà rencontrés.

Apparemment, vous vous êtes déjà rencontrés une fois lors de la Grande Guerre. Vous vous êtes affrontés et personne n’a su prendre le dessus, ce qui vous a conduit à avoir une discussion. Sans dire que vous vous appréciez, le Raïkage vous fait savoir qu’il est plutôt satisfait que vous soyez à la tête de Kiri.

C’en était assez pour les présentations. Bien entendu, Kal aurait voulu en savoir plus sur ce combat, ou sur les discussions que les deux hommes avaient pu avoir durant la Grande Guerre. Mais il était ici pour accomplir sa mission du début jusqu’à la fin. Peut-être allait-il être enfermé à Kiri, ou peut-être que tout allait bien se passer. Mais une chose était sûre : le Bakushô n’allait pas revoir son chef avant longtemps.

Kal préféra ne pas trop en dire. Il s’était contenté de répondre avec plus ou moins de précision à la question qu’on lui avait posée. Son identité, l’identité de son dirigeant et un petit rappel historique pouvant servir de preuve de l’aspect véridique de cette discussion… C’était assez pour l’instant.

Karasu Tsumei, ça vait l’air de le surprendre. Ils se connaissaient, c’était indéniable. Si Bakushô Kal n’avait pas été mis au courant par ce dernier de la relation qui avait avec le Mizukage, il l’aurait tout de même deviné. Mais d’autres choses reçurent confirmation, comme le fait que les deux hommes ne s’appréciaient pas particulièrement. Leur combat avait-il quelque-chose à avoir là-dedans ? Il semblait plus que ce soit autre chose.

Kuchibashi, en ce terme il désignait l’épée du Yondaime. Kal n’en avait pas eu le nom, et d’ailleurs, peu de personnes savaient encore que le chef de Kumo possédait une telle arme. Mais apparemment, c’était un voleur. C’était probable. Karasu Tsumei n’aurait pu se procurer naturellement cette arme, à moins d’avoir appartenu aux forces de Mizu no Kuni il y a longtemps. Peut-être que c’était le cas, mais de nombreux gradés avaient décrit la récente Ombre de la Foudre comme un homme respectueux et surtout ayant servi la Foudre pendant si longtemps.

D’un côté, il était probablement un voleur, mais il semblait avoir tellement fait. Kal ne savait pas quoi penser. Il avait cependant conscience d’une chose : c’était qu’il n’avait pas été envoyé pour ça. Son rôle, sa mission consistait en la parole, pas la réflexion.

Il est actuellement retenu ailleurs, et mon voyage concorde avec le message qu’il voulait vous adresser. Ne prenez pas son absence comme une offense.

Des négociations de paix ? Pas exactement. Tout était question d’interprétation. Mais ce qui allait se dire ici était important pour les deux villages. C’était certain.

Les récentes nominations et les derniers évènements ont fragilisé encore plus les raisons de la guerre actuelle. Ne pouvant actuellement pas décider seul de sa fin, le Raïkage sait qu’en retenant certains de vos hommes, il attise les querelles.

Kal aurait voulu en faire son interprétation, mais il ne le pouvait pas. Il n’était là qu’en émissaire. Les pourparlers, et rien d’autre. Il représentait le Raïkage, il représentait Kumo et le pays tout entier.

Il souhaiterait vous proposer un marché. Libérer les prisonniers d’une manière ou d’une autre et vous les rendre. En échange, vous accepterez une entrevue privée avec lui et essayerez de faire aller Kiri et votre allié Suna dans le sens des négociations. Si la guerre doit se poursuivre, il veut s’assurer que les raisons soient présentes.

Sur quoi il s’arrêta de parler. Le silence gagna alors la salle endommagée, qui n’attendait plus que la réponse du gardien de Kiri. Kal quant à lui tenta de se mettre à sa place, et de ressentir l’effet que lui ferait de perdre un des biens de son pays.

Un Kage bien vague, c’était vrai. Mais ça ne restait que l’avis de quelqu’un qui ne voyait que le dessus de l’iceberg, le premier arbre qui cachait la forêt. Même si Kal ne connaissait rien de ce que son chef allait faire lors de cette possible réunion ou sommet des Kages, il avait pu voir que, lorsqu’il s’agissait de choses importantes, il était loin d’être vague.

La description des tâches successives qu’il avait données au Bakushô en témoignait. Qu’il soit un voleur ou pas, qu’il soit en apparence vague ou non : il était clair que ce dernier avait un plan, un schéma d’action. Et sur la position qu’il allait adopter en représentant Kumo, la curiosité du Mizukage s’entrelaçait avec celle du jeune Genin.

Votre curiosité rejoint la mienne, Mizukage. Je ne suis qu’un émissaire, et je doute que si mon chef avait voulu que je vous dévoile le contenu de l’entrevue qu’il espère avoir, cette dernière n’aurait plus de réel intérêt.

La seule chose qu’il savait, c’était qu’il allait peut-être être question d’un Conseil des Kages. En effet, l’Hokage semblait toujours avoir été contre cette guerre et ses raisons, et même si les bruits d’un nouveau Kazekage n’étaient encore que rumeurs, il semblait que Suna allait adopter une position plutôt en accord avec des pourparlers. Kentaro Hattan et son village étaient, par définition et par déduction, ceux qui allaient être les plus difficiles à amener en ce sens.

Kumo ne rêve pas de paix, mais ne rêve pas de guerre non plus. Kumo rêve de se battre pour ce qui est juste. Et les deux instigateurs de cette guerre ne sont plus en jeu, l’un étant mort et l’autre ayant prouvé au monde entier que cette guerre n’était qu’un leurre pour ses plans quelconques. Il vous est inutile de me parler des états d’âmes de Kiri ou de ceux que vous pensez rattachés à mon village : il vous sera plus intéressant de le faire lors de cette entrevue que le Raïkage vous demande.

Il aurait pu en finir ici, mais il voulait faire quelque-chose, ou du moins le demander. Et c’était mieux de le faire avant de rentrer dans les détails de ce « marché ».

J’aimerais cependant vous demander quelque-chose avant de rentrer plus en détails dans la proposition de mon supérieur. Pouvez-vous me laisser tenir votre lame, s’il vous plaît ? Croyez bien que je ne tenterai rien.

Sur quoi il attendit la réponse de l’Ombre de l’Eau, en espérant qu’elle soit positive, car il voulait vérifier quelque-chose.

La discussion ne semblait pas animer beaucoup de sens et d’envie chez le Mizukage. Il devait forcément se douter de certaines choses, et lui qui semblait aller dans le sens très guerrier de son village, les pourparlers ne devaient pas l’intéresser plus que ça. Pour autant, il semblait loin d’être dénué d’intelligence et de logique. Une logique qui restait propre à un membre du village caché de la Brume mais une logique claire. Et c’était bien d’en apprendre plus au fil de cette discussion.

Il ne refusa pas la demande que le Bakushô avait formulée, pour bien originale. S’était-il douté du risque qu’il pouvait prendre ou était-il tout simplement sûr qu’il ne craignait rien ? Si jamais il avait affaire à un Kage aux facultés sensorielles, peut-être que ce dernier avait sondé sa force, clairement limitée face à celle de l’Ombre qui, au-delà de sa prestance, devait forcément être doté de qualités de combat hors normes.

Kal s’approcha, et tendit la main. En touchant le manche de l’arme, il comprit soudain. Rien n’émanait de cette épée. Pourtant, il sentait comme une force, un chakra. Mais pour lui, il n’y avait rien. Aucune autre chose ne rentrait dans ce contact qui au final se limitait à un toucher d’objet neutre. Une neutralité frappante, un silence spirituel. Le jeune Kumojin ne ressentait rien.

Merci d’avoir accédé à ma requête.

Il relâcha l’épée, et recula d’un pas pour reprendre des distances faibles mais convenables. Le temps était précieux, surtout pour le Mizukage. Et il l’avait fait savoir.

Bien. Vos prisonniers vont être emmenés à Konoha. A vrai dire, cette discussion devrait plus ou moins coïncider avec ce voyage. Lors du retour à Kumo, Karasu Tsumei serait prêt à prendre les dispositions pour qu’une équipe Kirijin puisse libérer les prisonniers. Cela paraîtra logique pour l’opinion de nos deux villages.

Une équipe moins forte que prévu, puisque la guerre requiert du monde, pouvait être un plan envisageable. Kal ne savait pas comme son Kage avait prévu de faire. Mais peu importe.

En échange, vous prenez l’engagement en signant un parchemin que vous me remettrez d’accepter la réunion à laquelle le Raïkage vous communiquera prochainement. Un engagement qui vaut aussi pour son épée, fait contre lequel vous ne tenterez rien. De fait, suite à ces deux engagements, c’est comme si vous acceptiez une trêve ou une limitation des conflits jusqu’à cette entrevue avec le Raïkage.

Tout était là. Tout était dit. Il ne restait plus qu’à attendre le verdict de l’Eau, encore dans l’ombre de toute une brume épaisse.