[Mission Rang B] Danse avec les Suzurane

La collaboration. Un concept désuet, sujet à interprétation, et qui pouvait être synonyme de tout et n'importe quoi. En l'occurrence, Yanosa faisait l'expérience d'une variante relativement désagréable de l'idée d'ordinaire positive et entraînante que l'on se faisait habituellement de la collaboration. Kakeshuou Samui, toujours lui, venait en effet de récidiver, « exigeant » avec autant de tact qu'il lui était possible -c'est à dire vraiment pas beaucoup- que le Nukenin se charge d'une nouvelle besogne qui irait dans l'intérêt du Pays de la Neige. La nouvelle était, comme à l'accoutumée, parvenue au guerrier rouge par le biais d'une missive, qu'un pauvre petit gars que le Gouverneur devait avoir dans le nez avait été chargé d'amener au Nukenin alors que ce dernier chassait quelque part, dans les montagnes. Le pauvre bougre avait mis deux jours avant de retrouver Yanosa, et avait bien pensé y rester en voyant le faciès de ce dernier se froncer dans un rictus de dégoût lorsqu'il lui avait remit le message.

Citation :: Les nouvelles du Clan Suzurane ne sont pas très bonnes. Il semble que le Clan se marginalise de plus en plus, et que des sévisses sont perpétrées à l'encontre des civils proches. Intercepte un élément perturbateur pour l'interroger et en savoir plus.
L'élément doit rester vivant !

Encore une fois, le Gouverneur de Yuki no Kuni semblait bien se foutre de la poire du guerrier rouge en l'impliquant ainsi dans des déboires claniques et populistes. Bien loin des missions qui lui auraient garanti l'accès à des individus ou des informations sensibles, cette nouvelle tâche allait une nouvelle fois l'entraîner sur la voie du compromis et de la demi-mesure, un océan de gris qui convenait de moins en moins au Nukenin, avide de changements brutaux et rapides. Mais un détail attira malgré tout son attention à la lecture du message. Un détail qui aurait pu se révéler insignifiant pour quelqu'un d'autre, ou bien le plonger dans une forme d'effroi. Les Suzurane... Yanosa n'en avait jamais rencontré -il n'avait pas eu cet honneur-, mais ils connaissaient par ouïes dires leur réputation: des adeptes de la souffrance, de la rage du sang et des rituels les plus sordides, voilà comment leur image était véhiculée de par le monde ou, tout du moins, comment on parlait de ce clan dans les strates les mieux informées du conglomérat shinobi.

Considérant la chose, Yanosa se dit que quitte à investir du temps dans l'accomplissement de son « devoir », il avait tout à gagner à joindre l'utile à l'agréable, et extraire des informations d'un individu qui se nourrissait de sa propre douleur représentait en soit à un challenge à sa mesure. Pourquoi pas, après tout... Il fallait parfois savoir se motiver sois-même quand les enjeux qui importaient à la majorité vous indifféraient totalement. Sans grande envie mais avec la ferme intention de retirer quelque chose de ses péripéties à venir, le guerrier rouge se mit donc en route, partant des vallées du sud-ouest de l'île en direction de l'extrême nord-ouest, là où le clan Suzurane était réputé avoir établi plusieurs camps éparses et dont, visiblement, personne ne s'approchait plus de crainte, qui sait, de se retrouver sacrifié sur un autel au côté d'un membre du clan lui même éviscéré et hurlant à la mort. De bien joyeuses perspectives...

Comme de bien entendu, le trajet du Nukenin se déroula sans heurt, le territoire sur lequel il évoluait lui étant, pour ainsi dire, quasiment acquis. C'était d'ailleurs un fait très rare, Yanosa étant plutôt coutumier des traversées risquées et aventureuses dans les contrées contrôlées par les grandes puissances shinobis du monde plutôt que des trajets paisibles dans le calme et le silence des sentiers montagneux. Si l'on exceptait, bien sûr, les quelques bêtes sauvages qui pouvaient ponctuer le voyage et qui apportèrent une fois encore au guerrier rouge la pitance nécessaire pour se sustenter. Durant le bivouac qu'il dut monter pour finaliser sa traversée de l'île de Yuki pour en rejoindre l'extrémité nord, Yanosa se demanda à quoi il pouvait réellement s'attendre de la part des membres du clan Suzurane. Les rumeurs qui les entouraient faisaient en effet état de rituels tout sauf orthodoxes et de comportements qui n'allaient clairement pas de paire avec la cohabitation amicale qui était toujours souhaitée et désirée par les communautés environnantes. Difficile de juger de tout ceci uniquement sur la base de rumeurs pour le jashiniste, qui ne savait pour le moment comment classifier ces individus.

La meilleur solution pour tirer des conclusions définitives étant d'entrer en contact avec les Suzurane, le Nukenin éprouva un regain d'entrain au petit matin, alors qu'aucun rayon solaire ne perçait encore la noirceur de la nuit mourante, et se mit en route aussitôt réveillé après avoir remis ses affaires en ordre. Direction, le petit village de Sotsuki, à la lisière de ce qui était considéré par le plus grand nombre comme le territoire Suzurane. Yanosa n'avait nulle intention de se repaître des mille et un récits que ses habitants auraient certainement à lui conter, cependant, et se rendit là-bas uniquement pour glaner les bribes d'information qui lui serviraient de base lorsqu'il entamerait les... pourparlers, avec les membres du clan. De très bon matin, donc, le guerrier rouge arriva au village, croisant les premiers habitants de ce dernier en train de s'affairer au puits, auprès du bétail et dans les chaumières, qui rejetaient toutes de leur cheminée une épaisse fumée blanche qui s'accordait parfaitement avec la teinte dominante du pays. Un ton nacré qui, étrangement, même après toutes ces années, avait toujours la grâce du Nukenin.

Sans tarder, ce dernier se dirigea alors vers ce qui ressemblait le plus à l'hôtel de ville, pénétrant à l'intérieur et découvrant une grande pièce chargée d'imprégner ses visiteurs de toute l'humilité possible avant que ces dernier ne puissent adresser la parole au chef de meute. Il était là, trônant comme il le pouvait sur un modeste petit trône fait de bois de chêne, donnant quelques directives à une jeune femme qui notait attentivement tous les ordres qu'elle serait chargée de propager à toute la communauté. Sans autre forme de procès, Yanosa fit alors irruption dans la petite routine pas si tranquille du maire de Sotsuki, qui se racla longuement la gorge avant d'adresser la parole au Nukenin qui avançait vers lui.

« Hrrrm rhhhrrrm, je ne crois vous connaître, monsieur....?

- Peu importe qui je suis. On m'a, comme qui dirait, envoyé vous secourir de ces méchants Suzurane...

- Ah, oui je vois... Un autre homme de main du Lion Blanc. Vous pensez pouvoir régler un problème qui est aussi ancien que ces montagnes ? Grand bien vous en fasses !

- Je me fiche pas mal de ce que vous pouvez penser.. Si vous êtes convaincu que vos inimitiés avec vos voisins ne cesseront jamais, alors... mon échec ne vous arrachera pas de regrets je suppose ?

- ... Hm, je suppose... Et qu'est-ce que je peux faire pour vous accompagner vers votre inéluctable échec, mon garçon ?

- Pas grand chose, à vrai dire... Quelques noms, ceux que vous serez fichu de vous rappeler vieil homme, l'emplacement exact de leur campement principal et... La nature des « crimes » que vous leur reprochez. »

Et le maire se mit donc, comme promit, à raconter l'histoire qui liait sa modeste communauté à celle des Suzurane...

Le maire rabougri ne tarit pas de détails lorsqu'il se mit à raconter les grandes lignes de l'histoire que partageaient les Suzurane avec sa modeste villégiature. Autrefois, leur présence était tolérée en ville, voire appréciée par certains, comme un gage de protection venant d'un puissant clan autochtone qui avait les mêmes droits que les autres sur ces terres. A l'époque, l'on connaissait déjà la nature du pouvoir qu'aimaient à cultiver les membres de ce clan, mais d'aucun n'aurait osé remettre ses principes et ses aboutissant en question. Jusqu'à ce que, bien sûr, les incidents se fassent de plus en plus nombreux et ne rendent l'atmosphère en ville oppressante et malsaine. Des gens disparaissaient, des rixes et des bagarres incessantes se propageaient lorsque ne serait-ce qu'une poignée de Suzurane passaient en ville, ces derniers laissant libre cour à des pulsions dont les habitants avaient connaissance mais qu'ils s'étaient refusés à imaginer en action. En d'autres termes, se dit alors Yanosa, la face du monstre avait fini par effrayer les petites gens tapies dans leur confort et leur routine, annexant les membres du clan natif de Yuki no Kuni au rang de dangers publics et de criminels.

Le maire se mit ensuite à déblatérer un tas de foutaises économico-politiques autours du fait que la rupture qui s'était opérée il avait de ça bien des années déjà avait eu un lourd impact sur les finances du village. Autrefois, les échanges et le commerce générés par la synergie entre les Suzurane et Sotsuki avait en effet permis aux deux partis de prospérer, une époque qui était lointaine et dont le maire gardait un souvenir amer et mélancolique. Le Nukenin le fit toutefois taire promptement lorsqu'il réalisa que le vieil homme n'avait plus rien d'utile à lui apprendre et ressortit de la large mansarde qui faisait office d'hôtel de ville aussi sec.

Ainsi, les informations dont disposaient le vieux loup blanc n'étaient pas tout à fait fraîches... Il envoyait en effet le guerrier rouge intervenir dans un conflit social qu'il pensait tout récent alors qu'il s'agissait en fait plutôt d'un froid ancestral jeté entre les deux parties par les coutumes et les comportements des Suzurane. Pauvre gars... Si impétueux et fier de son autorité, et à peine était-il capable de se tenir informé de ce qui se déroulait dans son propre royaume. Loin d'avoir pour ambition de ternir l'image du Gouverneur -du moins pour l'instant-, Yanosa garda ses réflexions pour lui en traversant Sotsuki et se dirigea vers l'ouest, derrière les collines que l'on pouvait voir au loin et qui cachaient apparemment les sombres affaires menées par les Suzurane. Avalant les kilomètres comme autant de petits fours, le Nukenin ne s'accorda aucun répit lors de la traversée des dites collines et se déplaça à toute allure dans les immensités blanches, balayées ces jours-ci par des vents du nord très violents et surplombées d'un ciel aussi gris que le pelage d'un vieux loup. En tout début d'après-midi, le guerrier rouge atteignit le campement dont il avait tant entendu parler : il s'agissait en réalité d'un ensemble de yourtes agencées de façon intelligente, à flanc de montagne, dont la densité semblait comparable à celle d'un petit village. Voilà qui faisait du monde, pour un clan réputé aussi violent... On pouvait en tout cas retirer l'infanticide de la liste des atrocités que l'on leur attribuait parfois selon les ouïes dires.

Yanosa s'avança au cœur de la petite métropole nordique, attendant plus ou moins qu'un responsable quelconque vienne à sa rencontre, ce qui ne tarda pas. Un jeune homme, emmitouflé dans des peau de bêtes taillées et cousues sur mesure, se présenta silencieusement au guerrier rouge, lui simplement enveloppé de son drapé gris habituel. Sans un mot, le Suzurane pria le jashiniste de le suivre d'un geste de la main et courut à petite foulée vers l'une des plus grandes yourtes qui se dressaient dans la zone. Yanosa le suivit tout naturellement, ouvrant l’œil et se méfiant des ombres qui passaient ça et là autours de lui, se faufilant entre les habitations nomades et qui pourtant semblaient bien ancrées sur ces terres et ce depuis des décennies. Après une brève petite course, le duo entra dans la yourte : cette dernière était baignée d'une lumière orangée, quelques accents pourpres venant assombrir le tout et masquant quelques détails aux yeux les moins aguerris. Le Nukenin, lui, avait une paire d'yeux bien affûtée, et pu « admirer » la décoration à sa juste valeur. Point d'organes ni de membres arrachés, encore moins de bocaux pleins de mains et de doigts soustraits à leur propriétaire.

Non, rien de tout ça. A la place, des drapés luxueux, aux motifs complexes et hypnotiques, ainsi que de nombreuses inscriptions et parchemins ouverts et disposés au plafond comme autant de préceptes ou de règles quelconques. Au fond, allongée sur une pièce d'ameublement très particulière, ce qui semblait être une matriarche attendait, presque totalement dénudée et le corps tout entier en contact avec les innombrables piques qui formaient son « matelas » et qui lui transperçaient littéralement les chairs. Yanosa ne put réprimer un sourire lorsqu'il compris dans quel genre de communauté il avait mis les pieds...

L'atmosphère était à la fois oppressante et enivrante dans la yourte, la matriarche pas laide pour un sou et entourée d'une demi-douzaine de ses confrères se relevant doucement de sa couche surélevée et couverte de piques ensanglantés. Une partie des regards étaient comme siphonnés par elle, par sa présence, sa prestance et son aura, tandis que l'autre moitié dévisageait Yanosa, l’intrus, l'élément extérieur, perturbateur... Sans qu'un murmure ne vienne rompre le silence, le son des drapés qu'enfilait la matriarche étant le seul à fendre l'air chaud et humide de la yourte, la Suzurane se dirigea d'un pas sûr et séducteur vers le Nukenin. Entretenir une discussion quelconque et retirer quelque chose de ces gens allait s'avérer compliqué, Yanosa le sentait, mais qui refusait un défi avait tôt fait d'accepter sa mort, après tout... C'est donc tout à fait résigné et prêt à se délecter des échanges à venir que le guerrier rouge fixa son regard dans celui de la sulfureuse matriarche, qui partageait avec lui une couleur de cheveux proche du rouge sang.

« Qui vient donc ainsi sur nos terres, hum ? Et surtout, que vient-il donc chercher, le bel étalon rouge...

- Si vous avez besoin d'un nom, appelez-moi Seth. Et je crains fort, ma chère dame, que le sujet qui m'amène soit tout sauf réjouissant. A nous de rendre tout cela plus amusant, je suppose...

- Et quel est-il, ce sujet ? Oh ! Attendez, je crois avoir deviné... Les gens de Sotsuki se sont plaint de certaines nuisances, peut-être ? L'un de mes gens se serait-il malencontreusement entaillé l'abdomen devant l'un de ces pleutres indignes et heurté la sensibilité de cette personne ?

- Je crains que la... renommée, de vos actes ne soit surestimée. En fait, ce vulgaire problème de voisinage vient à peine d'atterrir dans l'esgourde de votre Gouverneur chéri, Lord Samui Kakeshuou.

- Et n'est-ce pas sur son ordre que vous débarquez ici, pensant tout savoir, tout comprendre, avec votre orgueil démesuré ?

- On peut dire ça. Mais les contreparties que je retire de mon arrangement avec le Loup Blanc ne valent clairement pas le plaisir que j'aurais à ignorer, voire à violer intégralement les consignes qu'il m'a donné. Vous voudriez d'ailleurs peut-être savoir en quoi elles consiste, ces consignes, non ?

- Des menaces habilement dissimulées, jeune homme... Mais à moins que vous ne trimbaliez derrière vous une armée qui nous aurait échappée à tous, je doute que vous soyez en position d'en formuler la moindre...

- Une armée vous dites ? Que voilà de bien grands mots ! Parlons-nous de guerre alors qu'aucun terme n'a encore été avancé ? »

Yanosa changea alors de posture, dévoilant ses bras en les faisant passer au dessus du drapé qui les couvrait encore et englobant rapidement la salle d'un regard, prêt à tout et surtout, à n'importe quoi.

« L'on m'envoie pour interroger l'un d'entre vous. Seul à seul, bien évidemment, et avec toute l'intimité que suppose une grotte sombre et humide remplie d'instruments divers et variés... Mais j'apprends -et constate à présent- que votre clan est plus enclin à redemander ce genre de traitement plutôt qu'à les craindre, aussi...

- Vous parlez ouvertement de kidnapper et de torturer l'un d'entre nous ? Êtes-vous stupide ?

- Ma chère... Vous ne semblez pas bien connaître les us et coutumes qui ont court ces temps-ci dans le vaste monde... La torture est une mode qui a très vite périclité. Aujourd’hui, l'on privilégie bien plus volontiers une mort sèche et rapide quand on veut se débarrasser de quelqu'un... et faire souffrir quelqu'un d'autre, plutôt que de perdre du temps en arrachage d'ongle et de membres en tout genre.

Aussi... j'espère que vous accorderez à ma proposition toute la réflexion qu'elle mérite, autrement, je n'aurais d'autre choix que de tuer les membres de votre petite confrérie consanguine, l'un, après l'autre, ne m'arrêtant que lorsqu'un Suzurane apte à me renseigner me sera remis. Remettez-moi sur l'instant une telle personne, et je vous la ramènerai... Ou pas. Mais si vous voulez mon avis, un mort potentiel vaut mieux que des dizaines de pertes assurées. Enfin, c'est le genre de logique que la plupart des gens adopte... Êtes-vous la plupart des gens, ô grande dame Suzurane ?

- Vous êtes.... Fou !! »

Et ainsi mourut toute forme de communication d'ordre linguistique dans la yourte...

Comme si des mots de la matriarche avaient jailli une série d'ordres implicites, tous les hommes regroupés autours d'elle dans la yourte se redressèrent rapidement en se mettant en position de combat. La dame Suzurane recula alors de quelques pas, avec grâce et élégance, puis laissa ses ouailles et frères se jeter à corps perdu dans l'annihilation de l'intrus qui venait les insulter et les menacer sans une once de gêne. Yanosa n'était en effet pas homme à s'astreindre à une quelconque forme de politesse, parfois même lorsque cela pouvait lui arranger grandement les choses, et voir ainsi ce peuple aussi déluré qu'intéressant se ruer sur lui comme s'il était à l’origine de tous leurs maux avait quelque chose de réjouissant, au fond... Quoi que, en l'occurrence, il apparaissait que la communauté Suzurane ne souffrait d'aucun maux particulier et que c'était plutôt elle qui faisait pâtir le village voisin de ses coutumes définitivement marginales. Cela bien sûr, le Nukenin s'en fichait éperdument, et son attention était sur le coup bien trop accaparée par la situation que par un quelconque dilemme éthique.

Sans se ménager, les premiers combattants se ruaient en effet sur lui, sûrs de leur fait et confiant en leur capacité à immédiatement neutraliser le fauteur de trouble. D'un ample mouvement du bras droit, Yanosa fit voler son drapé devant lui, s'en débarrassant et aveuglant temporairement un adversaire du même coup, puis adressa sa première riposte avant même que ses ennemis l'aient vraiment atteint, celle-ci prenant la forme d'un vif coup de pied inversé destiné à l'aveuglé, qui se retrouva couché au sol sur le coup, titubant et rampant comme une larve. Sur les côtés, une scène similaire n'allait pas tarder à se dérouler, Yanosa parant un coup de poing d'un côté et en adressant un de l'autre, brisant le nez du Suzurane qui l'avait chargé par la droite. Le Nukenin s'empara ensuite du bras qui avait tenté de l'atteindre à gauche... puis mis au banc d'essai les capacités de ce clan redouté et qui suscitait chez lui une forme de fascination. D'un coup sec de la paume sur le coude, il brisa les os du malheureux, faisant ressortir le blanc ivoire de son ossature à l'opposé de l'articulation. Le cri de douleur qui envahit alors la yourte aurait pu réveiller les morts, pensa Yanosa, qui lâcha promptement sa victime avant d'attraper un quatrième larron peu adroit par la nuque, l'enserrant sous son bras et lui tordant le cou tout aussi sèchement qu'il n'avait détruit le bras du précédent, le tuant sur le coup.

Et pendant ce temps, la matriarche observait... Fulminant intérieurement, débordante de rage, une forme d'énergie qui n'avait rien de comparable avec ce que connaissait le guerrier rouge se mit à émaner d'elle. Son regard fut un instant aspiré par celui de la dame Suzurane, avant de se reporter immédiatement sur deux autres adversaires prêts à en découdre pour leur réserver le traitement qu'ils méritaient. Mais quelque chose clochait... Le pouvoir de ce clan n'était-il pas supposé rendre ces énergumènes plus féroces que des bêtes sauvages lorsqu'ils encaissaient des coups et souffraient lors d'un combat ? Trois d'entre eux gisaient déjà au sol, encore conscient, et aucun force ne semblait les pénétrer et encore moins les habiter. En pleine réflexion alors qu'il contrait une nouvelle attaque, Yanosa sentit le danger arriver. Ce sixième sens qu'il avait développé pour le combat ne le trompait que rarement et le prévenait, parfois trop tard, d'une menace imminente. En l'occurrence, c'était le poing de la matriarche qu'il vit à peine venir. Le Nukenin eut à peine le temps de bander ses muscles abdominaux pour amortir le choc, qui l'envoya d’une traite en dehors de la yourte en emportant avec lui la devanture de cuir qui isolait de l'extérieur. Prudent, et surtout venant de mettre le doigt sur quelque chose de très intéressant, le guerrier rouge prit alors la peine d'ouvrir d'une traite les deux premières Portes Célestes pour amortir la projection et se réceptionner sur ses pieds, dérapant en arrière sur presque cinq mètres dans la neige fraîche.

Autours de lui, un attroupement s'était très vite formé, comme si toute la communauté Suzurane avait attendu qu'il se fasse expulser de la yourte pour mener une sorte de procès dont l'issue laissait peu de place au doute. La matriarche sortit ensuite, accompagnée des survivants, et de par leur attitude à tous, Yanosa comprit alors immédiatement de quoi il retournait, ce qui lui arracha un franc sourire.

« Déguerpissez, étranger ! Rentrez la queue entre les jambes chez votre maître et sauvez votre misérable vie !

- ...Haha... Je comprends à présent ce qui se joue ici... Intéressant...

- Que croyez-vous comprendre, jeune sot ! Vous êtes à des années lumières de toute compréhension en ce qui nous concerne ! Allez, du balais avant que je décide de mettre votre tête sur une pique !

- Il est peu prudent de renvoyer chez elle une personne qui a percé votre petit secret, vous savez... Heureusement pour vous, mes projets diffèrent légèrement des vôtres.», dit-il en se redressant de toute sa hauteur.

Laissant un bref moment de doute s'installer dans l'assistance, Yanosa examina rapidement les alentours pour déterminer le meilleur parcours à adopter. Puis d'un seul coup, il passa à l'action : son corps se barda d'électricité, amplifiant encore sa vitesse déjà augmentée par l'ouverture des deux premiers verrous, puis fusa littéralement dans l'angle mort de la matriarche, luis adressant un net coup du tranchant de la main à l'arrière de la tête. La bougresse, qui avait démontré qu'elle pouvait se faire très violente, fut ainsi réduite à l'inconscience la plus absolue : le Nukenin ne se fit alors pas prier pour promptement prendre son corps inanimé sur le dos, puis s'aidant de la force octroyée par l'activation hors normes de son organisme, il s'élança dans les airs, passant outre tout l'attroupement qui l’avait encerclé et les laissant là, atterré, enchaînant ensuite les bonds pour s'éloigner au plus vite de cet endroit. Ils tenteraient certainement de le poursuivre, mais il les sèmerait bien assez tôt. Alors, il pourrait commencer à s'amuser avec la « dame Suzurane »...

Yanosa, malgré sa grande assurance, ne put réprimer le besoin, à plusieurs reprises sur le parcours qui le menait à une zone sécurisée très haut dans les montagnes, de se retourner pour s'assurer qu'il n'avait personne sur les talons. Si sa théorie se vérifiait, il n'avait effectivement quasiment rien à craindre, mais si, par hasard, il s'était trompé, alors les choses pourraient être tout à fait différentes... Se faire prendre par surprise, ce n'était pour ainsi dire pas le genre de la maison et un brin de paranoïa n'avait jamais fait de mal à personne, après tout. La matrone Suzurane chargée sur le dos comme un sac de pommes de terre, le Nukenin fila donc à vive allure à travers les montagnes jusqu'à ce que les derniers rayons du soleil se mirent à péricliter. Yanosa décida alors qu'il était temps de passer à la seconde phase de sa démarche, tout à fait personnelle, qui visait à comprendre et à vérifier quelques hypothèses qu'il avait eu tout le temps de se formuler intérieurement. Le guerrier rouge connaissant pour ainsi dire ces montagnes comme sa poche, il dénicha l'un des abris nordiens qu'il avait repéré des années plus tôt : une grotte profonde, très haute en altitude, et qui bénéficiait de toutes les commodités... Pour peu que vous aimiez vivre à la sauvage.

Sans ménagement, le Nukenin lança son colis sur le sol rocailleux et humide à l'intérieur et attacha promptement les membres de sa prisonnière, veillant à utiliser ses lanières de cuir plutôt que du filin en fer pour éviter que la bougresse ne s'inflige elle-même des blessures qui, pour le moment, joueraient encore -peut-être?- en sa faveur. Yanosa la saucissonna ensuite en la sécurisant aux parois de la caverne pour que la dame puisse tenir debout une fois réveillée, chose qui n'allait pas tarder si l'on considérait les légers spasmes qui commençaient à poindre sur ses paupières. Patient, le jashiniste profita du réveil modérément rapide de sa captive pour reprendre quelques forces, s'étirant et détendant ses muscles fatigués par l'effort. Après une trentaine de minutes, alors que dehors la tempête de neige battait son plein dans la nuit noire, la matrone reprit conscience...

« Haaa, la belle au bois dormant se réveille enfin ! On va enfin pouvoir accorder nos violons ma chère amie.

- Je...khof ! Je ne suis pas votre amie espèce de dégénéré ! Vous paierez pour ça, au centuple ! Allez... Venez donc me torturer qu'on en finisse !

- Me croyez-vous stupide à ce point ? Ha ! Vous êtes marrante... Pourtant vous ne paraissez pas bien jeune... La sagesse se serait-elle refusée à vous pendant toutes ces années ?

- ... !!

- Ne vous fatiguez pas, je ne lèverai pas le petit doigt sur vous.. Du moins pour l'instant.

- Vous vous croyez si malin... Vous avez du culot, c'est une certitude, mais vos desseins quels qu'ils soient sont voués à l'échec. Vous ne me ferez jamais parler, pas sans me torturer... Et la bête que vous réveillerez alors vous déchiquettera en morceaux !

- Certes, elle essaiera, mais... Quelque chose me dit que vous n'aimeriez pas ça non plus, je me trompe ?

- ...

- Allez, ne perdons pas plus de temps voulez-vous, je me lance au jeu des devinettes ! Si j'avais à parier... Je dirais que vous rechigner à utiliser votre pouvoir, celui que vous confèrent tous ces sceaux que je vois et perçois sur vous. La douleur, ça ne vous branche plus autant qu'avant... mais ! Vous avez trouvé un moyen on ne peut plus astucieux pour conserver tous les avantages de vos techniques, sans avoir à mutiler vos nerfs comme autrefois... N'est-ce pas ?

- ...

- Votre silence en dit plus long que tous les discours, ma dame. Malheureusement... J'aime à ce que l'on me confirme que j'ai raison, et j'ai un certain goût pour la conversation. Aussi ne m'en veillez pas, mais je vais passer à la suite, dit-il en sortant un shuriken de sa sacoche et en se rapprochant lentement de la matrone Suzurane.

- ... Vous ne m'arracherez rien de plus que de la chair... Et je vous réduirai en miettes...

- Nous verrons bien....Oh ! Aurais-je oublié de mentionner un détail ? Vos tatouages... Tous ces sceaux... Ils sont fascinants ! Je peux me tromper mais c'est sûrement la première fois qu'un adepte des arts du Fûinjutsu tel que moi peut les admirer de si près... Tellement simples et si efficaces... Voyons... Lesquels contrôlent votre rage, hum ? Non, ne me dites rien ! Je vais deviner....

- Que... !! Non ! Vous ne pouvez pas faire ça ! Arrêtez !! »

Horrifiée, comme si l'on venait de lui arracher un nouveau-né des bras, la matrone Suzurane écarquilla alors les yeux comme si un destin pire que la mort s'abattait subitement sur elle. Yanosa, méticuleux et studieux, se mit alors à manipuler, réarranger et effacer les sceaux placés sur le corps de sa captive, désactivant petit à petit ce qui avait été le seul rempart entre le Nukenin et un océan de souffrances infligées à sa prisonnière...

La Suzurane avait beau se débattre et frétiller comme un poisson que l'on aurait substituer à son élément naturel, les entraves que lui avait posé Yanosa ne laissait guère de chance à la dame d'espérer s'en défaire. Sceau après sceau, avec une patience d'écolier curieux et passionné, le Nukenin manipulait les encryptions dont était bardé le corps svelte et athlétique de sa prisonnière, vérifiant par la même occasion ses théories sur la nature du pouvoir qu'elle avait développé afin d'éviter d'avoir à se mutiler pour décupler ses forces. Expert en la matière, Yanosa ne pouvait pas s'y tromper : il ignorait si il serait capable de reproduire un tel schéma pour l'aligner sur son propre chakra et son énergie spirituelle, mais il pouvait clairement affirmer qu'une poignée de ces sceaux qu'il faisait danser entre ses doigts étaient destinés à rediriger un flux d'énergie sensoriel, comme pour alimenter un moulin. Son moulin à elle, présumait-il. Ce qui s'était passé dans la yourte trouvait là une explication claire comme de l'eau de roche et cela confirmait ce que le jashiniste en était venu à suspecter : la matrone vers qui il avait été guidé s'était nourrit de la souffrance de ses ouailles, qui n'avaient rien de guerriers Suzurane, pour augmenter son pouvoir. Yanosa, qui avait pensé faire la connaissance d'une petite dizaine de membres du clan, n'en avait en réalité rencontré qu'un seul et unique : la dame qu'il avait devant lui.

La question qui restait en suspend, toutefois, était la suivante : était-elle seule à opérer de cette façon ? Ou bien tous les autres membres de ce clan apparemment en pleine décadence s'adonnaient-ils au même petit manège ? Cela le Nukenin allait devoir le vérifier auprès de la captive... Et pour ce faire, il dut mettre un terme à ses petits jeux scientifiques pour aller droit au but.

« Allez, assez joué, lança-t-il en se pencha sur un sceau bien particulier.

- Non, pitié, pas ça, non !! »

Sans arrêter son mouvement une seule fraction de seconde, Yanosa détruisit alors le sceau central, celui qui donnait son pouvoir originel à la Suzurane et qui lui aurait permis de transformer toute souffrance en énergie et en rage brute. Les yeux de la prisonnière se mirent alors à briller, de légers sanglots encore inaudibles se laissant deviner sur son faciès.

« Oooh, voyons c'est indigne de vous !... Quoi que, vu vos méthodes actuelles pour conserver votre pouvoir, votre clan ne doit plus être aussi prestigieux qu'autrefois.

- Tuez-moi... je vous en prie....

- Pourquoi vous tuer alors que je peux vous torturer sans crainte désormais, hm ? Pensez-vous donc que je puisse faire preuve de pitié envers quelqu'un qui renie un pouvoir comme le vôtre au profit d'une petite vie tranquille, sans souffrance, un vie émancipée de ses responsabilités... ?

- Vous ne savez pas ce que c'est... Être obligé de subir tout ça, simplement pour se défendre des gens qui nous méprisent...

- Cette technique que vous avez mis au point... Vous n'êtes donc pas la seule à l'utiliser, n'est-ce pas ?

- Non... Bien sûr que non... Depuis que nous avons découvert cette possibilité, nous... On ne veut plus retourner en arrière, étranger, pour rien au monde. La liberté que nous a offert ce jutsu, c'est quelque chose dont nous avions toujours rêvé !

- Et bien, vous voyez... Pas besoin de torture, finalement ! Votre langue me paraît assez bien pendue comme ça. Or donc, j'en déduis que tous ces pauvres bougres qui vous entourent, ils ne servent qu'à assurer votre « protection » tout en vous fournissant l'afflux de douleurs dont vos sceaux ont besoin pour s'activer, je présume.

- Exact...

- D'où les multiples enlèvements et les mouvements de population louches dont on a pu me parler. Bien, ça contentera le Loup Blanc au moins. »

Yanosa fit alors quelques pas, tournant le dos à sa captive en observant sous toutes ses coutures le shuriken qu'il tenait à la main. On pouvait faire tellement de choses avec un si petit objet, pensa-t-il...

« Moi, par contre... dit-il en se tournant à nouveau vers la Suzurane, je reste un peu sur ma faim... Je trouverai cela dommage de vous avoir enlevé votre sceau de rage sans pour autant vous mettre face à la réalité des choses, voyez-vous...

- Non... Pas ça, pitié... Je vous ai répondu... !

- Qu'importent les réponses. Je vais vous faire renouer avec vos racines. Ainsi peut-être, vous apprendrez -ou ré-apprendrez- où est votre place dans ce monde de ténèbres. »

Cette nuit-la, armé d'un simple shuriken bien affûté et de mots savamment distillés à l'attention de sa prisonnière, Yanosa fit comprendre à cette dernière la nature du mot désespoir. Il s'y employa d'ailleurs avec tellement de zèle qu'il ne compta pas le nombre de fois où la dame perdit connaissance entre ses mains expertes... Le lendemain, aussi naturellement que cela était possible, Yanosa combla le reste de la distance qui le séparait de Gyamada, son « colis » saucissonné sur le dos, puis le déposa nonchalamment devant l'entrée du palais, dans la cour. Il adressa alors ces derniers mot à la femme inconsciente avant d'aller vaquer à ses occupations.

« Ton destin n'est désormais plus entre mes mains, ni dans les tiennes... Tu sais ce qu'il te reste à faire si tu veux en récupérer les rennes, grande sotte... »

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[Mission Rang B] Danse avec les Suzurane

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