Au sein du Quartier Gekei ...

La guerre faisait rage, tout le monde le savait. Les patrouilles étaient plus nombreuses, l'atmosphère était tendue. Tout le monde était inquiet, et pourtant personne ne le montrait. Ou en tout cas, tout le monde faisait de son mieux pour ne pas le montrer. Mais ils ne me trompaient pas, moi. Je le sentais, dans leur démarche. Je le sentais, dans leurs regards. Tout suintait la peur. Pathétiques petits humains ... Semblables à du bétail, qui n'attend que d'être cueilli ... Je secoue la tête, chassant ces pensées déviantes de mon esprit ô combien pur. Ce simple qualificatif me fait bien rire, d'un rire assez désagréable. Je suis assise sur une table de banquet, contemplant d'un air passablement distrait l'activité autour de moi.

L'on déplace du mobilier, roule des tonneaux, installe les décorations tribales. Ici et là, on voit de la nourriture passer. Là-bas, j'aperçois un frère Faucon dans les hauteurs, installant anciennes bannières. Cela fait quelques jours que les préparatifs avançaient à un rythme soutenu. Après tout, c'était normal : On parlait de la Grande Chasse. L'unique évènement qui arrive à unir assez longtemps des Gekei aux personnalités aussi hétéroclites sans qu'il y ait conflit. C'était plus vieux que la nuit des temps, ça ... C'était moment de paix. Le moment où la Grande Meute part à la chasse. Chasse d'humains.

C'était mieux avant, tout était mieux avant le Temps des Troubles ...

On ne pouvait plus chasser que de vulgaires bêtes maintenant. Soupir.
C'était mieux que rien, cela dit.

Les Quartiers Gekei ressemblent à s'y méprendre à un ghetto. Les bâtiments n'en sont plus à leur première jeunesse, la peinture caille, et ça commence même à s'effondrer par endroits. L'odeur n'est pas ce qu'on pourrait qualifier de plus agréable, et ici et là la crasse se mêle au sang séché. Clairement pas un endroit où l'on respire la joie et les bons sentiments. Sans compter qu'on était pour la plupart pas trop dans le communautarisme, et que les rixes étaient monnaie courante. On était assez pathétiques, au fond. En territoire ennemi, et toujours divisés.

Et je reçois une tape derrière la tête. Comme ça, gratuite. Me retirant de mes pensées, me faisant émettre un râle félin, alors que je me retourne, yeux plissés.

- Yo pussy-cat.

Le Gekei qui s'adresse à moi m'est familier. Cheveux sombres, yeux rougeâtres, taille moyenne pour un du clan, un physique pas très musclé. Kansai, cette petite fouine. Qu'est-ce qu'il m'veut ?!

- J't'ai dit de pas m'appeler comme ça. Qu'est-ce tu veux ..?

Il me sourit. Avec un sourire un peu trop familier.

- Motoko veut que tu fasses les courses, voilà la liste. Et tarde pas trop, chaton.

Il me jette la liste au visage, je réagis pas assez vite pour l'attraper en vol ou l'esquiver, si bien que pendant quelques secondes, mon visage reste couvert du papier. Le temps que, prise d'une bouffée de rage, mes griffes l'attrapent et l'écrasent, mes pupilles or palpitant d'animosité.

- Oulàh chaton, rage pas ! C'est pas bon pour le teint !

Il éclate de rire, avant de s'éloigner, l'air guilleret. Mais ça, c'était avant qu'il se prenne un banc en plein dans le dos.
Tssk ... Quel connard ...

______________________________________________

Je me trouvais désormais dans les quartiers commerçants, après quelques minutes de marche sans rien d'intéressant valant la peine d'être relevé. Je regardais d'un air distrait la liste des fournitures que je devais ramener, plus apaisée. Je n'arrivais jamais vraiment à en vouloir à mes pairs, ils étaient de la famille. Et je savais qu'il n'y avait aucune malveillance en eux. Enfin, aucune ... Disons qu'ils en avaient le montant nécessaire pour les rendre fréquentables. Stolicus ne disait-il pas après tout *Ne me donnez pour amis que des hommes mauvais ?*. Je hochais la tête, pour moi-même, ignorant un groupe d'étudiantes s'émerveillant devant mes oreilles félines.

Mais ça, c'était avant de heurter un obstacle. Et de retomber sur les fesses. Qui ?! QUOI ?!
Un passant, à en croire son odeur ... Et pas un Gekei. Je redresse mon visage pour le regarder, mes pupilles palpitant d'une animosité non occultée, mes oreilles redressées, ma voix s'élevant dans un grondement.

- Incapable humain, fais attention où tu mets tes pieds ...

Bon, d'accord ... C'était aussi de ma faute, après tout, je ne faisais pas particulièrement attention.
Mais c'était un humain. Et n'importe quel prétexte était bon pour en agresser un.

Spoiler:

J'entends l'éclat de rire. Ce qui ne fait que m'exciter un peu plus. Il se moque de moi le sale humain ?! Nan mais d'où ?! D'OU ?! Mes iris palpitent de colère, alors que je les darde sur ses iris. Mes lèvres se retroussent pour révéler les canines félines, que la surprise finalement remplace la colère sur mon visage. Heu ... Minute papillon, qu'est-ce qu'il me fait le gibier ?! Il ... Il pleure ! Il pleure ! Mais ça arrive de nulle part ça ! Je me redresse, prenant tout mon temps pour se faire, cherchant comment réagir. J'ai rarement vu un Gekei pleurer en public. Pour ne pas dire, heu ... Jamais. C'était une question d'honneur. Ou alors, c'est parce qu'on avait tellement pleuré que nos yeux étaient secs. C'était assez terrible, au fond. Nous, Gekei libres, sommes des êtres forts.

Verser des larmes devant autrui, avec toutes ses conséquences ... Je n'ose imaginer tout ce que celui-ci aura vécu pour en arriver à ces extrémités.

Mais c'était pas un Gekei que j'avais face à moi. Juste un pauvre petit humain qui ferait mieux de retourner dans les jupons de sa mère.

Je plisse les yeux, le contemplant un long moment. Avant qu'un sourire en coin, suffisant, se loge sur mes lèvres.

- En effet ... Tu n'es pas humain, tu es juste une mauviette. Retourne pleurer dans ton coin, et ne met pas les simples gens dans l'embarras avec cette pathétique preuve de faiblesse.

J'étais satisfaite du venin craché, et alors que mes oreilles frétillaient au-dessus de ma tête, je me détournais de l'inconnu qui n'avait somme toute plus d'intérêt à mes yeux.

Même dans leur faiblesse, les humains font preuve d'arrogance. Mais je ne lui en tenais pas rigueur.
C'est tout ce qui lui restait. Et lui prendre ça, ne m'amusait même pas.

C'est le feu qui m'intéresse. Le feu qui consume.

Spoiler:

A défaut d'être intéressant, le petit humain était ... amusant.

Il me parlait de le défier. Non, je n'avais pas de temps pour le défier. Et je me moquais de sa vie et de savoir si il avait eu une mauvaise journée ou non. Sérieusement, on a TOUS nos problèmes ! Est-ce que moi je viens embêter les innocents passants avec ceux-ci ? Oui, bon, mauvais exemple ... Après tout, c'est parce que j'ai des problèmes avec les humains que j'ai agressé celui-là. Hmm ... Moralité à géométrie variable, disons que c'est pas la même chose, voilà ! Je reprends. Je le regarde, de haut, avant de répliquer, avec une pointe de mépris.

- Un défi ? Mais, petit humain, pour qu'il y ait défi, il faut deux personnes de statut égal, et, vois-tu, ahem ... Ne te sens pas offenser, mais, on est sur deux plans différents. Si tu vois ce que je veux dire.

Je lui adressais une parodie de sourire d'excuse.

Et voilà qu'il continue, qu'il insiste et persiste ! L'humain dit ne pas être humain ! Il dit même qu'il est démon ! DEMON ! Mouahahaha ! Ah mais non, non et non ! C'est pas sérieux de me faire éclater de rire comme ça, en pleine rue ! Sans crier gare, sans signe avant-coureur ! La blague du siècle !

Mais pourtant, le rire n'a pas eu le temps de germer de mes lèvres. Une sensation dégoutante a frôlée mon visage, un frisson glacial parcourant mon échine. Instinctivement, je bondissais en arrière, mettais deux fois la distance de sécurité que je prenais face à un adversaire. Cette sensation, je la connaissais que trop bien. C'était la mort.
Quand je regarde le soi-disant démon, c'est un vrai démon dégoulinant de sang qui prend sa place. Il me regarde de ses orbites caves, alors que la peur dilate mes pupilles. L'espace d'un instant.

Le temps que je comprenne que c'était une illusion, un tour de passe-passe super cheap.
Je plissais les yeux, la rage palpitant dans mes pupilles dorées. Il s'était joué de moi. Ô combien il devait être fier ! Fier d'avoir réussi son pathétique Genjutsu. Je me contentais de cracher, au sol, répliquant cette fois avec une animosité certaine, mes crocs visibles, mes traits fins devenant sauvages.

- T'es fier de toi, l'humain ? Petit humain stupide et arrogant ... Un démon, TOI ?! T'as été torturé et toutes tes neurones ont grillées ?! Parce que sinon je vois pas comment tu peux être assez sot pour le croire ! Les démons, t'as aucune idée de qui c'est, et t'as surtout aucune envie de les croiser ...

Mes ongles prirent la forme de griffes, alors que l'envie folle de lui sauter à la gorge me prenait.

- T'y connais rien. Tu durerais même pas une heure au sein de notre clan ...

Hésitation qui me prend. L'agresser, ou le laisser s'en sortir, comme ça ? Ma respiration était saccadée, mes oreilles redressées sur ma tête.
Motoko ne serait pas contente de me retrouver au poste ...

- ... Mais je vais te laisser dans ta folie, démon. Et j'espère que lorsque tu croiseras les vrais, ils te feront bouffer toutes tes dents. Et qu'ils arracheront tes ongles, un à un, avec des tenailles chauffées à blanc. Vu que je pourrai pas le faire moi-même.

Si je l'agressais, les autorités m'appréhenderont et Motoko aura des problèmes.
Mais si c'était lui qui donnait le premier coup, alors ...

On m'avait appris que la bêtise humaine était infinie. En voyant ce triste individu face à moi, déblatérer des propos aussi ... Aussi ... Le qualificatif n'arrivait pas à germer dans mon esprit tellement j'étais effarée. Non content de réellement croire être un démon (je pourrai lui en présenter des démons du clan, et il pisserait dans ses chausses), il pensait réellement que j'avais peur de lui ? Qu'il était PLUS FORT que moi ?! Juste parce qu'il m'a eu avec son vulgaire genjutsu que même un étudiant d'Académie pourrait balancer ?!

Il est fort du café, rien à dire.
Et pour le coup, je pense que je m'en fou des conséquences. Désolée Motoko, mais ce mec-là j'peux pas me permettre de le laisser en vie ! J'suis sûre que même les petites gens elles seront contentes de mon geste, à défaut de l'approuver ! Je me sens quand même obligée de le sermonner. Histoire de, j'sais pas, instiller un peu de bon sens avant qu'il crève la langue hagarde ?

- Nan mais t'es débile ou c'est congénital ?! Je te rappelle comment tu l'as provoquée ton sentiment de peur, ou je te fais un dessin ?! N'importe quel naze en Genjutsu pourrait faire pareil, c'pas pour autant que j'pourrai pas les démolir avec juste mon museau ! Et ma colère, déjà, c'parce que tu m'as trompée avec ton tour de passe-passe hein ! Parce que vraiment, si t'étais aussi supérieur que ça, je serai pas en colère, je me sentirai impuissante et accablée, des sentiments que, clairement, t'es pas en train de voir sur ma face, ou si tu les vois c'est que t'es grave au-delà de la rédemption !!

Je m'arrêtais pour reprendre ma respiration, ayant lâchée la tirade sans m'arrêter, toujours aussi agitée.
J'avais parlé. Beaucoup trop parlé. C'était pas dans mes habitudes d'être aussi loquace, mais je devais avouer que mon interlocuteur avait le don de m'exaspérer.

Et je me rends compte qu'il n'était plus devant moi. Pas le temps de penser *Oh le sale petit humain, il me laisse en plein monologue j'vais le démolir !*, voilà que je sentais la brise sur mon visage. Et que je sentais mon bras tiré en arrière, tordu par un quelque chose à l'odeur un peu trop familière. Goutte de transpiration perlant le long de ma joue, alors qu'il s'exprime, que ses lèvres hideusement humaines effleurent ma joue.

Je m'étais attaquée à la mauvaise personne, définitivement.
Pas de la carrure d'un démon, mais assez dangereux pour me faire passer un sale quart d'heure.
Et j'en avais connu un peu trop, de sales quarts d'heure, pendant mon séjour aux geôles, pour apprécier l'idée d'en vivre un nouveau.

Il me lâche, à nouveau, et cette fois pour des raisons rationnelles, je doublais la distance de sécurité que je prenais habituellement face à un ennemi. Et encore, je me doutais que si il voulait vraiment m'agresser, c'est pas ça qui le gênerait. Cela dit ... Il m'offrait quand même une porte de sortie. C'était pas un vrai démon, ce genre de personnes ne s'embarrassaient pas de ce genre de choses aussi vainement terrestres. Néanmoins, je me doutais l'avoir vexé. Ou en tout cas, je me doutais que pour une histoire d'égo, il ne pouvait pas se permettre que je continue à l'insulter sans répliquer à grands coups de poing.

Typiquement humain, cette façon de penser. Cela dit, avant d'avoir subie son agression, j'étais bien chaude pour qu'il m'attaque, histoire de pouvoir mutiler son joli minois ...

Hmm ... J'ai un peu trop tiré sur la corde. Je soupire, hausse les épaules, et finis par me contenter de dire.

- D'accord, d'accord, démon. T'as gagné. Tu pourras profiter de ma présence autour d'un verre, ou de quoi que ce soit qui te plaise.

Eh, je m'avouais vaincue. Mes griffes se rétractaient, mes crocs se résorbaient.

Ce n'est pas pour autant que je baissais la tête.
Fière quelles qu'en soient les conséquences. Une est une Gekei, une Gekei libre, et une ne ploie le genou.

Il sourit, le pauvre petit humain. Savoure ta victoire tant que tu le peux, il se peut que d'ici peu tu n'aies plus ni langue ni palais ... Je laissais passer, cela dit. Entre le *Ça vaut pas la peine* et le *J'ai pas envie de me tabasser*, j'avais d'assez bonnes raisons de tolérer cette preuve d'orgueil. Ce que je supportais beaucoup moins, cela dit ... C'était le fait qu'il se permette de me toucher. Ses lèvres sur ma joue et maintenant sa main me prenant la mienne. Mais il a été plus rapide, et le voilà me trainant derrière lui comme son trophée. Je laissais passer.

Et la manège continua exactement cinq secondes. Alors que je retirais mes doigts des siens, en crachant les très exacts mots suivants.

- Je ne t'ai pas autorisé à être aussi familier avec moi, démon.

Et voilà que je marchais à ses cotés, plus derrière. Je suis une Gekei libre, et loin d'être inférieure à ce petit être. Les femmes de sa race étaient peut-être dociles et acceptaient peut-être ce genre de gestes déplacés, mais il devait comprendre qu'il ne pouvait se comporter avec moi de la même manière. Si bien que pendant plusieurs minutes, nous marchions en silence. En silence, jusqu'à ce qu'il prenne la parole pour me donner son nom, duquel je me moquais pour commencer. Mais qui me fit hausser un unique sourcil, haut, alors que je le fixais avec incrédulité.

Nan, me dites pas qu'il croit sérieusement ... Que je vais gober ça ! DEMON ! Il s'appelle DEMON !
Ouais, nan, 'faut arrêter de déconner ... Le dépit passa sur mon visage, alors que je répliquais sur un ton las.

- Oui, oui, c'est ça. Et moi je m'appelle Angel, hein.

Je soupirais, exaspérée, continuant de le suivre.

Et je me rendais compte que ça faisait un bon moment qu'on marchait en fait. Et que j'avais pas toute la soirée, j'avais toujours les courses à faire pour Motoko. Puis après si je rentre trop tard elle va s'inquiéter, envoyer une patrouille, et finalement je vais me faire engueuler ... Nan merci.

- Bon en fait j'ai pas que ça à faire, je pars par là.

Et je prenais la première à gauche, sans crier gare. D'un pas rapide, certes, mais sans courir.
Après tout, je ne fuyais personne.