Aujourd’hui était un de ces rares beaux jours qu’on ne pouvait qu’apprécier à cette époque de l’année qui habituellement était rythmée par de la pluie et du vent. Profitant de la journée d’automne ensoleillé, les habitants traînaient dehors sans oublier de se couvrir pour la saison, excepté les non frileux comme elle qui se permettaient de gambader avec des vêtements appropriés plutôt pour la saison estivale. Elle était Natsumi Mairu, jeune femme connue pour sa personnalité insaisissable qui la rendait excentrique aux yeux de ceux qui vivaient dans la normalité. Comme pour illustrer cette image péjorative de sa personne, elle était en train de jouer avec un objet qui n’était pas destiné à une personne de son âge; chose dont elle semblait n’avoir cure. Assise sur une balançoire dans un jardin d’enfants, elle faisait très tâche dans le décor. Les quelques rares adultes qui surveillaient leurs enfants qui jouaient ici et là dans le jardin aménagé, la fixaient d’ailleurs étrangement, se demandant sans doute ce qu’elle foutait là à squatter une des installations destinées à leurs progénitures. L’ancienne elle aurait pu sans doute se fondre un peu plus dans le paysage avec sa poitrine comprimée au maximum sous des mètres de bandages et ses couettes d’écolière mais pas sa nouvelle personne qui avait décidé d’assumer entièrement son physique de femme. En effet, décidée de délaisser l’image de la jeune fille mignonne et innocente qu’elle avait entretenue durant des années pour mieux duper son monde mais qui était à son âge devenue plutôt grotesque, même si là n’était pas la raison qui l’avait poussé à changer car elle n’était pas du genre à se soucier de ce genre de détail, elle se contentait à présent d’un simple soutien-gorge pour maintenir sa poitrine assez généreuse et se permettait de laisser libre sa magnifique chevelure qui avait bien gagné en longueur. Même si elle n’avait pas changé de style vestimentaire, restant fidèle à son éternel look chemise claire rentrée dans une jupe plissée de couleur sombre tombante jusqu’à mi-cuisse, elle ressemblait à présent à une étudiante en plein épanouissement physique plutôt qu’à une collégienne en âge de jouer dans un jardin d’enfants.

Installée sur la balançoire, elle semblait être coupée du monde réel. Elle ne paraissait même pas remarquer la présence dans autres habitants présents dans le parc dont ceux qui la critiquaient au loin. Elle avait le regard fixé droit devant elle et ses pupilles rougeâtres ne reflétaient aucune lueur. On aurait pu croire qu’elle était perdue dans une profonde réflexion mais en réalité sa tête était vide de toute pensée. Elle était présente physiquement mais son esprit semblait s'être volatilisé on ne sait où. Celui-ci n’était ni ici ni ailleurs. Son état était plus proche de celui d’un mort-vivant plutôt que d’un être en pleine vie. L’unique chose qui permettait de savoir qu’elle respirait encore c’était les balancements légers qu’elle effectuait s’aidant de ses bouts de pieds qui ne décollaient même pas du sol. Chacun de ses balancements faisait grincer la balançoire comme si celle-ci se plaignait du poids de la personne qui était en train de la monter.

La binoclarde resta ainsi dans un état second et ne fut attirée dans la réalité que lorsqu'une boule de sable vient buter sur sa poitrine avant de se rependre sur sa jupe en tombant. Elle cessa alors de bouger tout en reportant son regard sur la personne qui venait de la prendre pour cible. Son assaillant se révélait être un jeune garçon d’environ neuf ans et à son bras gauche était accroché timidement une petite fille dont l’âge ne devait pas dépasser les cinq ans.

- C’est notre balançoire, les grandes personnes n’ont pas le droit de jouer avec ! Lança le jeune garçon, le regard brillant d’une lueur qui en disait long sur sa détermination.

Mairu ignora complètement le petit bonhomme et sa remontrance, gardant son regard sanguin dénué de toute émotion sur la petite fille qui s’agrippa alors plus fort au bras de son aîné tout en reculant légèrement pour se cacher presque à moitié derrière son protecteur. Il était évident que la jeune Natsumi lui suscitait de la peur.

- Bouh ! Lâcha la kunoichi en direction de la petite chose peureuse qui sursauta avant de pousser un cri strident puis se mettre à pleurer.

Le cri de détresse de la petite attira l’attention des trois femelles qui étaient en pleine conversation à l’autre bout du jardin. Celles-ci se précipitèrent vers eux mais s'arrêtèrent à quelques mètres plus loin. Le bout de choux en pleurs courut alors vers celle qui devrait être sa mère et se colle à elle, rentrant presque sous sa robe. Une des femmes interpella le jeune garçon qui était resté sur place, dévisageant la jeune Natsumi d’un regard rempli de haine.

- Il y a l’autre balançoire si tu veux ! Proposa la Natsumi au petit garçon, d’un ton qui ne reflétait aucune culpabilité mais qui sonnait plutôt comme une provocation.

En effet la balançoire voisine à la sienne était libre mais les deux enfants souhaitaient surement avoir les deux à leur disposition. Encore plus vexé, le garçon courut à son tour vers les adultes qui ne semblaient pas vouloir se rapprocher plus de la jeune Natsumi qu’elles traitaient surement d’une folle …

Ancienne apparence de Mairu:

Alors que le petit garçon s’éloignait pour rejoindre les siens, qui étaient restés à une distance raisonnable de celle qu’ils prenaient surement pour une dérangée, cette dernière ne le suivit même pas des yeux. On pourrait croire qu’elle avait peur de croiser les regards mauvais des adultes qu’elle venait vraisemblablement de provoquer indirectement mais en réalité, elle s’enfichait tout simplement de leur personne. Leurs accorder le moindre regard, même dénué de toute culpabilité, serait de leur donner de l’importance, chose dont elle ne souhaitait aucunement. Faisait-elle donc l’autruche en ignorant volontairement ceux qui étaient en train de cracher ouvertement leur venin sur elle ? Non, elle n’avait tout simplement pas envie de se prendre la tête avec eux et on dit que l’ignorance était le meilleur remède à appliquer dans ce cas. Chose qu’elle était en train de faire donc.

En vérité, elle n’avait même pas souhaité créer une quelconque hostilité. Si on l’avait laissé tranquille sur sa balançoire, jamais tout ceci ne serait arrivé. Même si en elle, sommeillait une vraie provocatrice qui pointait le bout de son nez de temps à autre, prenant le dessus sur l’impassible Mairu, cette dernière, par sa personnalité téméraire et plutôt directe avait le don naturel de déclencher l’hostilité, qui, vu de l’extérieur semblait être volontaire mais qui en réalité ne l’était point. La solitude était sa meilleure compagne et si on venait la déranger alors qu’elle était en quête de cette amie bienveillante, elle pouvait alors se montrer plus glaciale qu’habituellement. Chose qui venait de se produire. Cela paraissait invraisemblable mais sa cible préférée lorsqu’elle était de mauvais poil était les enfants. Pour une raison obscure, ces bouts de choux avaient le don de la rendre très mauvaise. Même si ceux-ci ne lui cherchaient pas de noise, elle prenait parfois un malin plaisir à les martyriser psychologiquement bien qu’au final cela ne la rendait pas fière d’elle. C’était à se demander si elle souhaitait avoir une descendance un jour.

Toute personne douée de bon sens à la recherche d’isolement se serait mise dans un endroit peu fréquenté et pourquoi ne pas rester cloîtrer chez elle, mais la Natsumi était tout sauf un être sensé justement. Si on lui demandait pourquoi elle s’était installée dans un jardin d’enfants fréquenté alors qu’elle cherchait à s’isoler alors elle répondrait tout simplement parce qu’elle était passée par là et que la place où elle est actuellement était libre. En gros, elle était là et c’était aux autres de faire leur devoir en lui foutant la paix.

De nouveau perdue dans son monde intérieur qui la mettait dans un état second, la binoclarde ne remarqua même pas un nouvel élément perturbateur qui s’approchait tout doucement mais surement d’elle. Elle revint seulement à elle lorsqu’une de ses mains fut prisonnière de deux autres bien plus grandes et viriles que les siennes. Alors que le propriétaire des membres audacieux ou plutôt impudents, qui se révélait être un homme, se mit à lire les lignes de sa paume comme le ferait un voyant et ce, sans demander son avis, elle se contenta de le fixer de son éternel regard indifférent tout en se demandant à quoi il jouait. Elle eut très vite sa réponse et une personne autre qu’elle aurait pu, soit rigoler de ses paroles, qu’elle trouva tout bonnement ridicules, soit en être séduite mais n’adoptant ni l’un, ni l’autre de comportement, elle continua de le toiser alors que ses yeux n’avaient pas changé d’expression.

- Et si je vous proposais une autre solution plus raisonnable ? Vous asseoir sur l’autre balançoire et vous reposez pendant une dizaine de minutes car vous me semblez en avoir besoin. Vos joues sont rouges et vous paraissez avoir du mal à tenir sur vos jambes. Je ne voudrais pas que votre compagne et ses amies m’accusent de quelque chose si vous vous effondrez à mes pieds ! Le ton utilisé était plat, celui-ci n'était ni chaleureux, ni provocateur, ni colérique et elle n'avait même pas cherché à retirer sa main.

Elle savait très bien la raison de tout ce trouble chez l’homme mais elle feignit de ne pas comprendre. S’il souhaitait la déloger de sa balançoire, ce n’était pas avec des belles paroles qu’il y parviendrait. Le jeune homme s’était présenté être un Kadoria, le clan dont faisait partie son sensei, qui lui aurait compris qu’essayer de l’amadouer par la gentillesse n’était pas la bonne solution …

Assise face à l’importun qu’elle continuait de fixer de ses prunelles sanguines d’où ne filtrait aucune lueur d’émotivité, elle ne semblait pas être disposée à effectuer le moindre geste. Elle paraissait molle et n’avait montré aucun signe de résistance lorsque sa main s’était faite capturée par le Kadoria. On pourrait bien lui foutre une claque qu’elle ne semblait même pas être disposée à essayer d’esquiver ou de se défendre. D’ailleurs, elle n’avait même pas pris la peine de se débarrasser des gains de sables qui s’étaient éparpillées sur ses vêtements lorsque le petit garçon l’avait prise pour cible avec. Même un enfant aurait eu le reflex de se débarrasser de la saleté aussitôt faite mais celle-ci ne semblait la déranger le moins du monde. Signe de fainéantise ? Non, plutôt d’un je-m’en-foutisme poussé à l’extrême. Tout comme elle n’avait cure des physiques des autres, elle n’avait rien à cirer de sa propre apparence. Si elle était belle alors on peut confirmer sans problème que sa beauté était tout ce qu’il y avait de plus naturel. En effet, la Natsumi était certes en âge de la coquetterie, en âge où on mettait tous ses atouts en avant afin de séduire l’autre sexe, mais elle n’avait jamais entrepris quoi que ce soit dans le but de plaire, de devenir plus attrayante aux yeux de ses congénères. Elle n’était pas ce genre de femme qui usait des artifices pour chercher à camoufler leurs imperfections ou tenter de mettre en valeur leurs atouts physiques. Si à une époque, elle avait entretenu une image d’une jeune fille à l’apparence innocente et fragile de sa personne, c’était par complexe et non par désir d’attirer les regards des admiratifs de ce style; même si elle avait fini par user de cette apparence comme une arme pour duper son entourage.

Après lui avoir dit qu’elle était dans l’erreur, qu’aucune des femelles qui continuaient de jacasser à l’autre bout du petit parc aménagé n’était sa compagne et ce sans oublier de conclure ses paroles par une dans le but de la séduire, le Kadoria entreprit une initiative plutôt audacieuse quand on connaissait la personnalité de celle qu’il avait pris pour cible. Sans lui donner le moindre choix, il avait attiré la jeune Natsumi de force, la faisant soulever de sa balançoire, avant de la porter sur l’une de ses épaules viriles tel un sac de patates. Prise au dépourvu, la binoclarde eut seulement le réflexe de maintenir ses lunettes, qui menaçaient de se déloger, en place  alors que son corps se pliait en deux sur l’épaule du jeune homme. Durant les premières secondes de l’assaut inattendu, une expression de surprise s’était peint sur le visage de Mairu qui était jusque-là resté inexpressif. On aurait pu s’attendre à de la résistance de sa part mais ne souhaitant pas envenimer sa situation qui était déjà assez honteuse, elle se contenta d’enfoncer ses ongles dans le flanc du Kadoria mais ses ongles étaient trop courts pour lui infliger la moindre douleur. Elle se vexa alors intérieurement contre elle-même de les avoir coupés alors qu’elle ne les avait jamais donné une chance d’atteindre les deux millimètres. Tous les regards étaient rivés sur le couple étrange et certains devaient se délecter du sous-vêtement de la binoclarde que sa jupe ne devrait pas couvrir dans sa position actuelle. Spectacle scandaleux dans un endroit où des enfants traînaient mais cela ne la dérangeait aucunement, d’autant plus que là n’était pas sa faute.

Obligée de s’asseoir sur un banc sur lequel elle avait été déposée de force, elle monta ses jambes sur celui-ci puis les ramena pliées contre sa poitrine avant de les entourer de ses bras. Elle n’aimait pas avoir les pieds qui touchaient entièrement terre, la raison pour laquelle elle s’asseyait toujours en hauteur de façon à les avoir suspendues. C’était pourquoi elle avait choisi la balançoire au lieu de ce banc public ou encore un tout autre jouet qui ne lui permettait pas d’avoir ses jambes à sa convenance. Recroquevillée sur le banc, tel un enfant en mal d’être, elle fixait le Kadoria d’un regard qui avait retrouvé son expression morte habituelle.

- Vous m’enlevez de force de ma balançoire pour le bien de ces enfants hors vous ne semblez éprouver aucun remords à polluer l’air qu’ils respirent !

N’ajoutant rien de plus, elle avait ramené son regard sur les bambins qui s’étaient remis à jouer, oubliant la scène plutôt singulière qu’ils venaient d’assister voilà il y moins de trois minutes. Elle avait omis volontairement les paroles dont la question du Kadoria. S'il souhaitait rester pendant les dix minutes qui allaient venir, soit, mais il pouvait tout aussi bien partir avant que ce temps ne coulait, elle n’en serait pas malheureuse, bien au contraire. Et peut-être qu’elle partirait même avant que les dix minutes n’arrivèrent à terme mais pour l’heure, elle préférait rester là même si la scène qu’elle voyait avait tendance à l’irriter …

Son propos était un reproche qu’elle aurait pu conclure par un « vous êtes vraiment contradictoire » mais n’aimant pas exprimé ouvertement son point de vue sur une personne sans que celle-ci lui en fasse la demande, elle avait étouffé cette dernière phrase dans ses pensées. Comme pour accentuer le vent qu’elle venait de récolter, des feuilles arborant la couleur de la saison dansèrent autour d’eux. Une scène qui aurait pu être romantique si la danse de la nature s’était effectuée au tour des amoureux et non en encerclant un banc où se reposaient deux êtres que tout semblait opposer. Sa remontrance ne semblait pas avoir atteint son objectif car le Kadoria continua d’inhaler cette chose toxique nommée cigare comme s'il ne l’avait pas entendu. Gardant sa position recroquevillée, elle glissa discrètement ses yeux en coin, sans bouger même pas d’un millimètre la tête, pour l’espionner. Alors que l’ignorance de l’homme aurait pu vexer plus d’une, aucune émotion particulière ne vint perturber l’apaisement de son cœur qui semblait avoir perdu toute sa fougue.

Ce n’était pas l’homme qu’elle regardait mais plutôt cette drogue qui semblait lui faire un si grand bien. Comme pouvait-on apprécier à ce point cette chose à l’odeur vraiment immonde, se questionna-t-elle. C’était la première fois qu’elle voyait quelqu’un qui en fumait de si prêt et la curiosité d’essayer cette chose qui pourtant la répugnait la submergea. Elle voulait comprendre le pourquoi de l’addiction de cet homme. Mais l’odeur désagréable qui vint lui titiller les narines avait suffi pour tuer toute son envie d’expérience paradoxale.

Elle ramena de nouveau le regard devant elle mais évita de fixer les enfants qui jouaient avec nonchalance. Elle semblait de nouveau retourner dans son monde intérieur mais en réalité, elle était bien là. Comment pourrait-elle plonger dans on état de quiétude alors que l’odeur nauséabonde venait la déranger à chaque brise qui venait caresser le Kadoria avant de venir vers elle. Elle aurait pu s’éloigner mais cela signifierait lui accorder la victoire. Chose dont elle ne souhaitait pas. Ainsi donc, elle subit en silence le martyre de sens. La provocatrice verbale qui sommeillait en elle ne semblait pas être disposée à se manifester ainsi le silence aurait duré éternellement entre les deux jeunes si l’homme, après avoir terminé sa drogue, n’avait pas entrepris de le rompre on demandant l’identité de la jeune femme.

- Natsumi Mairu, répondit-elle tout simplement sans le moindre regard en direction de son interlocuteur. Je n'aurais jamais imaginé l’existence d'un Kadoria tel que vous, ajouta-t-elle après un moment de répit et ce gardant toujours son regard rivé vers le sol devant elle.

À vrai dire, elle ne connaissait qu’un autre Kadoria mais après l’avoir fréquenté elle s’était faite une image du clan Kadoria et celle-ci ne correspondait pas du tout à celui qu’il venait de rencontrer.

Elle était coupable! Coupable d'un préjugé et de mettre les gens dans le même sac, elle qui devrait pourtant savoir mieux que quiconque qu’un nom commun ne faisait pas ressembler deux êtres. Ce n’était pas parce que le mâle qui se trouvait en face d’elle portait le même nom que son sensei, qu’ils étaient forcés de posséder la même personnalité. Lui et son défunt grand frère portait le même nom, en plus de partager les mêmes gênes, mais pourtant ils étaient comme le jour et la nuit. Lui était adroit, elle était plutôt godiche, lui était talentueux, elle était plutôt nulle à chier, lui aimait briller au devant la scène, elle préférait plutôt rester dans l’ombre … Tant de différences entre elle et son éternel idole malgré qu’ils étaient enfantés par les mêmes personnes.

Un jugement digne d’une nigaude qu’elle avait donc là mais il y avait une raison à ce préjugé et celle-ci portait le nom de «différence». Oui, le contraste entre les deux Kadoria était tel que cela avait surpris la Natsumi qui pourtant était un être qui d’habitude ne faisait pas attention à ce genre de détail chez ses congénères. Le simple fait d’imaginer son sensei se comporter comme le jouvenceau qui partageait actuellement le même banc qu’elle, était hors porté de son esprit qui savait pourtant faire preuve d’imagination débordante. Cependant, il y avait entre les deux hommes un point commun autre que leur nom, les deux semblaient être accro au tabac. Était-ce donc une manière des Kadoria de prôner leur virilité que de fumer cette drogue à l’odeur nauséabonde ?

Comme pour accentuer leur différence déjà si grande, le Kadoria présent fit un geste que son sensei ne ferait jamais, à moins d’avoir perdu sa clairvoyance. Celui-ci avait délogé un de ses bras qui avaient pris possession du dossier de leur banc, avant de poser sa main sur la joue de la jeune femme qui fut alors forcée de tourner la tête vers lui. Elle le fixa tout en se forçant de garder son expression impénétrable bien que le geste l’avait quelque peu déstabilisé. Que lui voulait-il donc ce goujat avec si peu de manière ? D'abord, il la trimbalait d’une façon qu’un galant ne ferait même pas à un cadavre, puis il l’enfumait de son cigare dont elle avait en horreur l’odeur et maintenant il se permettait de la toucher de sa main imprégnée de l’odeur rebutante de sa drogue. Une femme autre qu’elle aurait rejetée l’homme sans ménagement mais n’étant pas du genre à sortir de ses gonds pour si peu, elle se contenta de le fixer en silence. Elle profita de cet instant pour le regarder plus en détails. Bien que sa beauté ne rivalisait pas avec celle de l’unique homme qui avait réussi à éveiller son intérêt pour le plaisir physique jusqu’à présent, le jeune Kadoria n’était pas vilain. Il possédait des traits assez harmonieux et il émanait de lui une certaine virilité et sauvagerie qui pourraient attirer bien des femelles en rut.

- Vous avez bien imaginé, le Fourbe dont vous parlez était mon grand frère, puis elle marqua une pause avant de poursuivre sur un ton plus dur. Je vous prie de bien vouloir vous abstenir de me toucher de la sorte à l’avenir … si vous tenez à votre main !

Elle avait gardé ses mains autour de ses jambes toujours repliées sur le banc car elle s’était juste contentée de tourner sa tête vers lui. Elle continua de fixer le Kadoria de son regard sanguin mais son expression s’était quelque peu adoucie. Elle avait envie de lui poser des questions mais s’abstint de le faire ne voulant pas lui faire croire qu’elle s’intéressait à sa personne …

Ses lèvres à peine closes, la Natsumi ramena son regard devant elle pour fixer de nouveau le parterre. Elle n’avait même pas attendu la réaction de son interlocuteur qu’elle se forçait à présent d’oublier. Cette proximité qu’il lui imposait commençait un tantinet à l’exaspérer bien que de l’extérieur aucun signe ne trahissait cette animosité naissante. Il y a en ce monde des êtres qui préféraient restés seuls et elle était de ceux-là. Elle n’aimait guère se rapprocher de ses semblables à moins d’y être forcée ou d’y voir des intérêts. Hors, la situation présente ne rentrait dans aucune des deux conditions. Craignait-elle donc de se lier à un autrui ? Assurément. Quand on a été élevé dans un univers où les êtres ne se côtoyaient que par intérêt, cela laissait forcément de séquelles. D’autant plus que les seuls êtres envers qui elle avait développé des liens forts étaient partis de ce monde la laissant dans une profonde souffrance. Une douleur qui s’éveillait parfois car la plaie ne semblait pas vouloir se cicatriser malgré le temps qui avait coulé depuis. D’ailleurs, le simple fait d’avoir évoqué le nom de son frère avec le Kadoria, avait ré-ouvert cette blessure qui la lacérait à présent de l’intérieur. Déchirement qu’elle essayait de camoufler derrière son masque de marbre.

La personnalité provocatrice de la Natsumi l’amenait parfois à se rapprocher des gens mais en général elle ne le faisait qu’envers des êtres qu’elle sait qu’elle a une forte chance de ne plus les revoir. Hors, ici encore, la situation n’était point adéquate car la probabilité qu’elle recroise le chemin de ce Kadoria Kakou'Ton était plus qu’élevée, c’était même une certitude. Chercherait-elle donc à cacher cette personnalité enfouie au point de ne la révéler qu’aux étrangers de passage ? La réponse était négative car cette provocatrice qui s’éveillait de temps à autre n’était pas la vraie elle. Ni cette jeune fille au visage inexpressif que rien ne semblait émouvoir d'ailleurs. Non, elle n’était ni l’une, ni l’autre mais les deux à la fois et bien plus encore. Natsumi Mairu, jeune fille à la personnalité multiple qu’il était très difficile de la peindre. Même sa première sensei qui l’avait fréquenté durant des années n’avait pas réussi à percer à jour le mystère qui entourait la personnalité de son élève et ce jusqu’à sa mort. Discrète, provocatrice, douce, cruelle, dominatrice, soumise, obéissante, rebelle, sage, sadique, chieuse, amusante … voilà quelques adjectifs qui la qualifiaient. Tant de divergences donc dans un seul être. Une sommité prenait le dessus en fonction de circonstance. Depuis son arrivée à Kumogakure no Sato, c’est l’être discret qui gouvernait, secondé par l’obéissant qui semblait avoir sa place dans cette nouvelle vie qu’elle avait embrassé.

De nouveau perdue dans son monde intérieur mais qui était cette fois-ci loin d’être paisible car il était hanté par son passé douloureux, elle fut attirée dans la réalité par une main imprévisible qui se logea dans sa chevelure sans crier gare, caressant sa joue gauche. Elle fut forcée, pour la seconde fois, de plonger son regard, où se lisait à présent une perplexité évidente, dans celui qui avait osé la déranger. Écoutant les paroles qui lui étaient dédiées, elle ne put s’empêcher de lâcher un fou rire à la fin de celles-ci. Un rire qu’elle tenta de retenir mais qui avait finit tout de même par s’exprimer ouvertement malgré l’effort déployé pour tenter de l’étouffer. Le fou rire dura un moment et des larmes commencèrent à perler des coins de ses yeux. Lorsqu’elle réussit enfin à se calmer, elle fixa de nouveau le Kadoria mais cette fois-ci un grand sourire éliminait son visage.

- Vous avez déjà pensé à faire du théâtre ? Je pense que vous y brilleriez à merveille !

Ses dires étaient sincères tout comme l’étaient sans doute les propos du Kadoria mais pour elle ils avaient sonné comme des dialogues sortis tout droit d’une pièce de théâtre dramatique. Des propos qui avaient réussi tout de même à briser la barrière de glace qu’elle s’était entourée car à présent elle se sentait d’humeur à plaisanter. Une autre Mairu venait de se réveiller mais serait-elle aux goûts de cet être qui avait réussi à faire rire, sans le vouloir peut-être, elle qui ne se rappelait même plus de la dernière fois où elle s’était autant esclaffée. Gardant ses jambes repliées sur le banc, elle allongea sa main droite pour atteindre la joue du Kadoria.

- Croyez-vous vraiment que cette chose, elle désigna du regard le cigare qui consumait dans la main de son interlocuteur, est capable de soulager mes souffrances ?

Puis elle écarta légèrement les jambes avant de se soulever tout doucement pour atteindre les lèvres du Kadoria qu’elle pinça entre les siennes avant de se rasseoir comme avant.

- Je ne pense pas ! Poursuivit-elle. Et puis je n’ai pas envie d’avoir ce goût que vous avez aux lèvres ! Je préfère les avoir sucrées.

Elle lâcha la joue du Kadoria puis ramena sa main à sa place initiale mais elle avait gardé son regard rivé sur l’être qui avait su l’émouvoir, elle qui était réputée pour son côté froid et impassible. L’aurait-il percé à jour ?

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Le destin nous réserve parfois des surprises les plus farfelues. La situation dans laquelle se trouvaient nos protagonistes présents était une belle preuve sur cette véracité de la vie. Deux êtres dont le début de la rencontre était sujet à une discorde se retrouvaient à présent dans une situation de plus étrange. Bien que leurs gestes et paroles ressemblaient à des armes invisibles qu’ils se lançaient l’un à l’autre avec tact et discrétion, ils semblaient pourtant se rapprocher, tout doucement mais surement, l’un de l’autre. Lui semblait plus apte à s’ouvrir qu’elle mais doté d’un désir qui semblait inébranlable, il persistait à l’encourager à se confier à sa personne. Sauf qu’il n’avait pas à faire à un être clément à raconter sa vie ou à partager sa peine avec quiconque et surtout pas envers un être qu’elle venait à peine de rencontrer.

Assis sur le dossier du banc sur lequel se reposait toujours Mariu et dans son éternelle position qui l’isolait de ce qui l’entourait, le Kadoria s’amusait à entortiller une mèche de la jeune femme autour de son doigt alors que de son autre main, il se délectait de sa drogue fétiche que sa compagne de banc venait pourtant de condamner par son odeur nauséabonde et son goût pas plus appétissant dont elle avait dégusté sur les lèvres même du drogué.

Malgré son air ailleurs, la Natsumi avait écouté attentivement les dires du Kadoria qu’elle trouvait d’ailleurs fort habile dans l’art du maniement du langage. Malgré son apparence qui lui conférait un air de « voyou », qui se mariait d’ailleurs fort bien avec son attitude plutôt désinvolte, Il parlait plus que bien pour un être de son âge même si par moments ses paroles sonnaient plutôt théâtrales aux oreilles de la kunoichi. Chose qui amena d'ailleurs cette dernière à se demander si elle n’avait pas à faire à un acteur dont le but était de lui soutirer des informations sur sa propre personne. La jeune Natsumi n’était pas du genre méfiant mais l’attitude du jouvenceau était assez suspecte pour l’être qui n’était point habitué à un rapprochement si soudain qu'elle était. Pourquoi donc tenait-il tant à savoir toutes ces choses sur elle ? Il ne demandait peut-être qu’à la connaître un peu plus. Son dessein était donc plutôt louable et jugé naturel par les communs des mortels mais pas pour Mairu qui n’avait jamais cherché à récolter des données sur l’un de ses semblables dans le seul but d’assouvir sa curiosité personnelle. En effet, si elle avait recours à cet acte alors là était surement un devoir dont elle devait s’acquitter et non une initiative personnelle. Pas curieuse la Natsumi ? Peut-être pas autant que la plupart des mortels qui peuplaient ce monde mais comme tout être doté d’un esprit vif, la curiosité n’était pas une chose qui lui était étrangère. Le simple fait qu’elle se posait des questions, sur des choses que beaucoup trouveraient évidentes certes, était une belle preuve sur cette vérité. Mais elle était du genre à préférer trouver elle-même les réponses à ses propres questions bien que souvent elle se révélait être à côté de la plaque.

Sans avoir répondu à la nouvelle question qu’il venait de lui poser, elle se leva tout doucement puis se tourna pour faire face au Kadoria.

- Peut-être existent-ils en ce monde des êtres semblables à des coffres vides et je fais surement partie de ceux-là !

Par ces quelques mots, elle venait de lui faire comprendre qu’elle n’avait point envie de se confier à lui. Elle leva ensuite la tête vers le ciel pour scruter l’horizon qui annonçait la venue d’un mauvais temps. Puis elle pivota de façon à offrir son dos au Kadoria avant de laisser échapper d’un ton plus doux :

- vous par contre, vous semblez être un coffre-fort rempli de trésors alors ça serait dommage que vous vous détruisez en fumant cette chose immonde !

S’inquiétait-elle donc du sort du Kadoria ou bien là n’était que des propos en plus pour tenter de le faire culpabiliser de son addiction ? Difficile de le savoir mais une chose était sûr, si elle le taquinait de la sorte c’est qu’il avait réussi à susciter son intérêt, sinon elle l’aurait ignoré comme tous les autres. Tout doucement, elle commença à s’éloigner, empruntant le chemin qui menait vers chez elle tout en ajoutant mais sur un ton plus enjoué cette fois-ci :

- au plaisir de vous revoir Monsieur le drogué ! Peut-être qu’un jour je vous laisserais découvrir mon plus précieux trésor !

Ce fut sur ces paroles plus qu’ambigües qu’elle s’éloigna de cet homme qui avait réussi à lui rendre le sourire même si ce ne fut que pour un bref instant et involontairement.